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				« Une histoire sans 
				mots » : le monde d’aujourd’hui selon Xu Bing 
				par 
				Brigitte Duzan, 22 août 2017   
					
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						« Une histoire 
						sans mots » 
						
						
						 
						est un roman effectivement sans un mot : l’histoire est 
						contée en pictogrammes, smileys, logos et symboles 
						divers recréés ou inventés par l’auteur, plus des signes 
						de ponctuation. Mais, comme il est chinois, le livre a 
						quand même été publié, chez Grasset, dans la collection
						Littérature étrangère. 
						
						  
						
						
						Un spécialiste des caractères imaginaires 
						
						  
						
						
						L’art de l’illisible  |  | 
						
						 
						Une histoire sans mots, table des 
						matières |  
				
				  
				
				Xu Bing (徐冰) 
				est un artiste célèbre en Chine pour ses installations qui, pour 
				la plupart, sous une forme ou une autre, sont un reflet des 
				ambiguïtés du langage, et du langage écrit en particulier, 
				débouchant sur une plus vaste réflexion sur les illusions du 
				réel, sous l’apparence des choses.  
				
				  
					
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						Extrait |  | 
						
						Xu Bing dit avoir été inspiré par ses souvenirs d’enfant 
						impressionné par les pages de caractères que son père 
						lui demandait de recopier tout en réfléchissant sur leur 
						sens, sens difficile à appréhender en raison du 
						
						polysémantisme 
						du caractère chinois isolé, riche de sens potentiels 
						multiples 
						
						
						. 
						Influencé, aussi, par l’expérience vécue pendant la 
						Révolution culturelle, Xu Bing a passé des années à 
						inventer des caractères très semblables  |  
				à 
				des caractères chinois, mais en fait parfaitement 
				inintelligibles 
				
				
				.
				 
				
				  
				
				D’une grande beauté formelle, les œuvres de Xu Bing alignent des 
				faux caractères chinois, mais qui peuvent aussi bien être des 
				lettres de l’alphabet réinventées pour leur donner l’apparence 
				de caractères chinois. La beauté fait oublier que cela n’a aucun 
				sens.  
				
				  
				
				
				Le livre du ciel 
				
				  
					
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						Exemple type : l’une de ses premières installations, qui 
						reste l’une de ses plus célèbres, « Book from the Sky », 
						en chinois Tianshu (《天书》). 
						Ce sont quatre mille caractères inventés pour 
						l’occasion, gravés sur des blocs de bois utilisés comme 
						caractères mobiles pour imprimer des livres et des 
						rouleaux. Livres tombant littéralement du ciel, en se 
						déversant du plafond : on pense à ces ouvrages anciens 
						dépositaires d’une sagesse millénaire. A tort : c’est 
						inintelligible. Tianshu
						
						
						veut bien  |  | 
						
						 
						Book from the Sky |  
				
				dire ‘livre céleste’, mais aussi, dans un sens dérivé,‘livre 
				illisible’, ramassis de bêtises.  
				
				  
				
				Le problème, c’est que Xu Bing a voulu utiliser cette méthode, 
				en jouant sur les signes, pour écrire un roman, donc une 
				histoire qui devrait avoir un sens. 
				
				  
				
				
				Le livre de la terre 
				
				  
				
				« L’histoire sans mots » fait d’ailleurs directement référence à 
				l’installation « Book from the Sky » ou Tianshu (《天书》), 
				car le titre chinois est « Book from the Ground » ou Dishu 
				(《地书》). 
				Sans doute parce que c’est une histoire des plus banales, 
				down-to-earth comme on dit. Mais surtout le message est inversé, 
				explique Xu Bing : dans le premier cas, le texte est 
				inintelligible, pour tout le monde ; dans le second, tout le 
				monde est sensé pouvoir le lire, analphabètes comme 
				intellectuels.  
				
				  
				
				
				Une histoire pour tout le monde ? 
				
				  
					
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						L’histoire banale d’un employé ordinaire   
						
						Le roman raconte, sans mots donc, une histoire banale, 
						heure par heure, d’employé de bureau ordinaire, avec ses 
						soucis et ses rêves, et son ennui.  
						
						  
						
						Page 1 : il est sept heures, l’homme dort, son réveil 
						sonne, le réveille, le chat aussi… Il part travailler, 
						prend le métro, s’ennuie au bureau, regarde ses mails, 
						surfe sur internet, … |  | 
						
						 
						Métro-boulot-dodo |    
					
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						Déboires amoureux |  | 
						
						Il a une conférence à préparer, cet homme, va déjeuner 
						avec ses collègues, bavarde avec eux, le téléphone 
						sonne, mais il ne prend pas le coup de fil, ce sont ses 
						parents qui veulent le marier. Mais, la journée finie, 
						il va s’offrir un peu de divertissement : il invite une 
						fille rencontrée sur internet à prendre un verre…    
						
						On ne pourrait imaginer plus banal, plus terre à terre. 
						On est en Chine, avec les  |  
				
				problèmes lambda du citadin lambda. On est aussi en plein monde 
				globalisé, mondialisé, monde du bonheur à portée de supermarché 
				et de publicité, et de l’ennui uniforme qui va avec. 
				
				  
				
				
				Les signes de tout le monde… 
				
				  
				
				Quant au langage utilisé, c’est celui des rébus, des signes et 
				codes de tous les jours, du métro-boulot-dodo, justement, ceux 
				qu’on trouve dans les gares, les centres commerciaux, dans les 
				rues, et sur internet, langage du quotidien, certes, mais du 
				virtuel aussi. Comme une langue étrangère qui n’aurait pas 
				besoin d’être traduite pour être compréhensible, immédiatement. 
				
				  
				
				Après avoir recréé les caractères chinois dans ses 
				installations, Xu Bing réinvente les hiéroglyphes. Il réinvente 
				aussi la bande dessinée, ses parenthèses faisant office de 
				bulles. 
				
				  
				
				… et les signes de personne 
				
				  
				
				Ce n’est pas pour autant toujours facile à comprendre. Comme 
				dans son œuvre graphique et ses installations, Xu Bing joue sur 
				les ambiguïtés du langage, devenu non-langage, ou du langage 
				codé qui envahit notre quotidien sous prétexte de favoriser son 
				intelligibilité. 
				
				  
				
				Alors c’est original et divertissant, mais le lecteur s’y perd 
				un peu, au fil des pages, car il y en a quand même une centaine. 
				Mais c’est parce que Xu Bing a réussi à nous faire sentir le 
				message derrière ses petites inventions : satire du monde dans 
				lequel nous vivons, qui, à force d’images codées, tend 
				finalement vers l’abstraction. 
				
				    
					
 
						
						
						 
						Une histoire sans mots, de Xu Bing, Éditions Grasset, 
						coll. « Littérature étrangère », nov. 2013, 128 p.  
						 
						
						     
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