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Alat Asem 阿拉提·阿斯木

Présentation

par Brigitte Duzan, 10 avril 2017

 

Alat Asem est un écrivain ouïghour, vice-président de l’Association des écrivains du Xinjiang.

 

Bilingue ouïghour-chinois, il représente un cas intéressant de passage d’une langue à l’autre, dans l’une de ces régions aux confins de la Chine où les langues autochtones luttent pour survivre. Quand Alat Asem a commencé à écrire et publier à la fin des années 1970, ses premiers écrits ont été en chinois. Puis il a publié une série de dix romans et sept recueils de nouvelles, écrits en ouïgour. Enfin, au

 

Alat Asem

début des années 2010, il est revenu vers le chinois, mais un chinois original, mâtiné de langue ouïgoure, une sorte d’hybride propre à traduire la réalité et la culture de sa région, celle de la préfecture d’Ili. 

 

Education en chinois et formation de traducteur

 

Alat Asem est né en novembre 1958, dans une famille de quatre enfants, dans le district de Yutian (于田) de la préfecture de Hotan (和田), dans le sud-ouest du Xinjiang, sur l’ancienne branche sud de la Route de la soie. Son père travaillait au Quotidien d’Ili (伊犁日报), et sa mère était institutrice.

 

En 1976, à la fin du lycée, il part dans la commune de Mengjin (猛进公社), dans le district de Huocheng (霍城县), au nord des monts Tianshan, dans la préfecture autonome d’Ili (伊犁哈萨克自治州), là où ont été envoyés des contingents de « jeunes instruits », pendant la Révolution culturelle, là où se sont retrouvés plusieurs écrivains, comme Wang Meng (王蒙) ou Hong Ke (红柯), là où est née Li Juan (李娟).

 

Il travaille la terre pendant deux ans, puis, en 1978, entre comme ouvrier à l’imprimerie du Quotidien d’Ili. A ses heures de loisir, il fait des traductions du ouïgour au chinois. Puis il est admis à l’Ecole de commerce d’Ili dont il sort avec un diplôme de traducteur en 1985. Il passe ensuite deux ans à l’Institut central des nationalités (中央民族学院) où il étudie le ouïghour, jusqu’en 1987.

 

En 2002, il a encore obtenu un diplôme de traducteur de chinois de l’université du Xinjiang. Il a donc un solide bagage dans les deux langues. Il a également rempli diverses fonctions dans l’administration jusqu’à devenir secrétaire adjoint de la ville de Kuitun (奎屯市), puis directeur adjoint du bureau de la propagande de la préfecture d’Ili.

 

Un auteur prolifique, de nouvelles, puis de romans

 

Des années 1970 aux années 2000

 

Il commence à écrire en 1979, après une session d’écriture organisée localement, et publie alors une première nouvelle, le portrait d’un vieux Ouighour, écrit en chinois.

   

Mahmud, 2011

 

Mais il est critiqué pour délaisser sa langue, et se met donc à l’étude de la tradition littéraire ouïgoure, poètes et romanciers. Ce qui le frappe, c’est que ces écrivains ont fondé leurs récits sur la réalité concrète, quotidienne, et que, pour la dépeindre, ils ont forgé leur propre style, vivant et plein d’humour. C’est dans cette direction qu’il s’oriente lui-même, avec des portraits décapants de personnages hauts en couleur.

 

Il obtient son premier prix en 1984 : le prix de la revue Mengya (萌芽文学创作奖) pour sa nouvelle « Ces chevaux éveillés et endormis » (《那醒来的和睡着的马》). Il en obtient un second l’année suivante, puis, en 1987, obtient le prix de la nouvelle littérature du Xinjiang (新疆新时期文学奖) pour une autre nouvelle, « Vive la vie » (《生活万岁》).

 

En 1995, il devient membre de l’Association des écrivains chinois, et participe à la 12ème journée d’étude des jeunes écrivains organisée par l’Institut Lu Xun. En 1998 sa nouvelle « Mines d’or » (《金矿》) décroche le prix « de la rivière Ili » (《伊犁河》文学奖). Puis il passe au roman.

 

En 2004, son roman « Les buveurs de lait cru » (《喝生奶的人们》) est couronné de l’un des prix littéraires les plus prestigieux du Xinjiang, le prix Tianshan (天山文艺奖)

 

Années 2010

 

Réalisme et retour au chinois

 

Le début des années 2010 marque sa maturité d’écrivain. Il revient vers l’écriture en chinois, mais, comme l’a dit Ou Ning (欧宁) qui l’a découvert à ce moment-là, lors d’un voyage à Hotan dans le cadre du projet du peintre Liu Xiaodong (刘小东) sur les mineurs de jade locaux [1]: « Le chinois n’est pas sa langue maternelle, ses récits en chinois n’auront donc jamais une texture raffinée, mais c’est justement ce qui les rend si attrayants… Il intègre dans son chinois la manière de penser ouïgoure, si bien que son écriture a une fraîcheur unique ; sa narration pleine d’humour et de poésie donne au lecteur une nouvelle expérience de lecture, différente des récits chinois …».

 

Liu Xiaodong, les chercheurs de jade :

un aspect du monde d’Alat Asem

 

Fin 2012, quand Ou Ning sort le 11ème numéro de sa revue Tiannan/Chutzpah ! sur le thème du Xinjiang, le numéro comporte une nouvelle d’Alat Asem en chinois dont le numéro 14, en juin 2013, a ensuite donné la traduction, par Bruce Humes. Il s’agit de « Sidik Golden Mob Off » (《斯迪克金子关机》) [2].

 

Sous prétexte de rechercher les causes, et l’éventuel coupable, de la mort mystérieuse de ce Sidik, intellectuel soudain disparu à l’âge de 75 ans dont l’arrogance et le franc parler lui avaient valu pas mal d’ennemis auxquels il avait fait perdre la face, Alat Asem dresse avec un réalisme extrême une galerie de tableaux d’une société ouïgoure dont les personnages sont aussi originaux que Sidik lui-même.

 

L’époque des papillons

 

En juin 2012, Alat Asem publie un septième recueil de nouvelles [3] : « L’époque des papillons » (《蝴蝶时代》), recueil de sept textes choisis plus un mot de l’éditeur (编者的话) :

- trois nouvelles courtes (三部)

Le dernier homme 《最后的男人》 [4]/ Eternellement 《永远和永远》 / Temps 《时间》

- trois nouvelles moyennes (三部中篇)

Mahmud 《玛穆提》/ Ahwa Guli 《阿瓦古丽》/ Une brave fille 《好姑娘》

- un court roman (小长篇)

L’époque des papillons 《蝴蝶时代》


Dans un monde rude et brutal, marqué par la quête obstinée du jade, aussi illusoire que celle des chercheurs d’or du Klondike, hommes et femmes sont soumis à leurs rêves de fortune comme à la loi du désir.

 

L’époque des papillons, 2012

  

Le regard est porté sur la société ouïgoure d’aujourd’hui, dans sa complexité, sa brutalité, sa couleur locale, avec une touche d’humour et sans exclure des apartés philosophiques ou des envolées poétiques usant des images propres à la culture ouïgoure – comme le développement sur l’image du papillon pour caractériser ses personnages, qui apparaissent comme :

 

"蓝天大地花丛中不知归途的蝴蝶,在欲望飞舞的人间,绚烂地舞蹈"

Des papillons perdus au milieu des bosquets de fleurs, entre la terre et le bleu du ciel, incapables de trouver le chemin du retour, voletant en arabesques splendides au milieu d’hommes rêvant de prendre leur envol.

 

Dans la postface, l’éditeur justifie l’écriture de ces textes en chinois - on sent que c’est un sujet brûlant, problématique, et d’abord pour l’auteur lui-même :

 

新疆的文学,在中国当代文学版图中独具风韵,是其他地域无法替代的一块。新疆少数民族作家多用母语写作,尽管他们创作了不少优秀的文学作品,但因语言隔阂,难以传递给汉语读者。阿拉提·阿斯木在用母语写作的同时,也擅长用汉语创作,书中的小说都是直接用汉语创作,行文中传递出特殊的文学语感和意境,令读者耳目一新。他的小说受到读者的欢迎,也引起文学界的关注。出版此书,可以展示新疆民族文学创作成果的一个侧面...

Dans le paysage éditorial de la littérature contemporaine chinoise, la littérature du Xinjiang dégage un charme spécifique et n’est assimilable à aucune autre, de quelque autre région. Les écrivains d’ethnies minoritaires du Xinjiang utilisent largement leur langue maternelle, et continuent d’écrire dans cette langue ; néanmoins, elle représente un obstacle à une large diffusion de ces œuvres dans le lectorat chinois. Tout en écrivant dans sa langue maternelle, Alat Asem écrit aussi bien en chinois, et les récits de ce recueil sont écrits dans cette langue, mais dans un style qui traduit une esthétique et un sens spécifique de la langue induisant chez le lecteur une impression de nouveauté. Ses romans ont été bien accueillis par les lecteurs, mais ont également attiré l’attention des critiques et cercles littéraires. La publication de ce livre offre une nouvelle facette de la création littéraire des minorités ethniques du Xinjiang…

 

Un onzième roman

 

En septembre 2013 est paru aux éditions du Peuple (人民文学出版社) un onzième roman dont on pourrait traduire le titre par « L’immuable visage du temps » (Shíjiān qiāoqiāo de zuǐliǎn《时间悄悄的嘴脸》).

 

Comme le titre l’indique, c’est uneréflexion générale sur le temps, le temps qui passe lentement, comme imperceptiblement :

只有伟大的时间,在最后的墓地,让我们静心,让我们翻阅从摇篮曲开始的光明和黑暗。

Il n’y a que le temps d’important, lui qui, au seuil de notre ultime demeure, nous fait méditer, nous fait feuilleter les pages de lumière et d’obscurité nées d’une comptine.  

 

On retrouve le contexte social qui était déjà celui du recueil précédent : le monde des « chercheurs de jade ». Le chef de la mafia locale, dit le « roi du jade », étant soupçonné de

 

L’immuable visage du temps, 2013

meurtre, fuit à Shanghai, s’y fait faire une opération de chirurgie esthétique pour changer les traits de son visage, puis revient au Xinjiang sous un autre nom. Il revient dans un monde dont la face a changé aussi, et finit par régler les querelles du passé… le temps fait son œuvre …

  

Le roman a été couronné d’un prix prestigieux dans le domaine de la littérature chinoise « non-han » : le prix Junma (骏马奖), décerné tous les trois ans, et en l’occurrence pour la période 2012-2015 [5].

 

Un huitième recueil

 

En mai 2016, c’est un nouveau recueil que publie Alat Asem : « L’oiseau migrateur de mon pays » (《故乡的候鸟》), recueil de dix textes comme des contes intemporels, ou des poèmes lyriques en prose, retraçant des traits symboliques de la région de l’Ili ancrés dans la mémoire de l’auteur [6].

 

C’est encore une histoire de temps, de temps qui passe, comme l’eau, et comme le souvenir de l’eau. Laissant au passage légendes et histoires.

 

L’oiseau migrateur de mon pays, 2016

 

第一章我是你最后的老水磨        1. je suis ton dernier moulin à eau
第二章我是你最早的童话           2. je suis ton premier conte
第三章我是你的歌剧院              3. je suis ton opéra
第四章我是你的飞毯                 4. je suis ton tapis volant
第五章我是你心灵深处的汉人街    5. je suis la rue des Chinois au plus profond de toi
第六章我是你永恒的歌手            6. je suis ton barde immortel
第七章我是你唯一的河流            7. je suis ton unique cours d’eau
第八章我是你的伊力大曲            8. je suis ta grande ode de l’Ili
第九章我是你心中的手风琴手       9. je suis l’accordéoniste au fond de ton cœur
第十章我是你今天的儿子            10. je suis ton fils d’aujourd’hui

 

Et l’oiseau ? C’est un oiseau mythique appelé bailingniao (百灵鸟) [7], qui revient en pays ouïgour au début de chaque printemps et se met à chanter, réveillant au cœur de chacun rêves, sentiments et souvenirs. Au Xinjiang, il n’y a que dans la vallée de l’Ili qu’il revient chanter, c’est un symbole d’espoir. Puis, à la fin du printemps, il disparaît, on ne le voit plus en aucune autre saison, il va chanter ailleurs ou se cache pour préparer ses chants du printemps suivant.

 

Le symbole du bailingniao plane sur ces dix récits, comme s’ils étaient nés du chant de l’oiseau. Ils dessinent comme une histoire spirituelle et poétique de la région de l’Ili.

  


 

Publications récentes

 

Juin 2012                L’époque des papillons 《蝴蝶时代》 Recueil de sept récits

Septembre 2013       L’immuable visage du temps 《时间悄悄的嘴脸》 Roman

Mai 2016                 L’oiseau migrateur de mon pays 《故乡的候鸟》 Recueil en dix parties

 


 

Traductions en anglais

 

Deux nouvelles :

- The Only Real Man 《最后的男人》

tr. Christopher Elford, Pathlight Spring 2014

- Sidik Golden Mob Off 《斯迪克金子关机》 

   tr. Bruce Humes, Tiannan/Chutzpah! N’° 14 (“Roots”), juin 2013.

 


[1] Sur le projet Hotan de Liu Xiaodong, voir le blog de Ou Ning :

http://www.alternativearchive.com/ouning/article.asp?id=898

Voir aussi l’interview d’Alat Asem par Huang Zhenwei (黄振伟), sur le blog d’Ou Ning : « Régionalisation, mondialisation et écriture bilingue » (阿拉提·阿斯木:地域化、全球化与双语写作) :

http://www.alternativearchive.com/ouning/article.asp?id=892

[2] Peregrine, pp. 29-54. Extrait : http://bruce-humes.com/archives/89

[3] Après : Mines d’or《金矿》/ Ciel écarlate《赤色的天空》/ L’éclat du soleil comme révélation《阳光如诉》/ Yadikar 《亚地卡尔》/ Palida 《帕丽达》/ Mélodie secrète 《隐藏的旋律》、

[4] Nouvelle publiée dans la revue Littérature de Shanghai 《上海文学》, en octobre 2011

Texte chinois en ligne : http://blog.sina.com.cn/s/blog_5c8c38e10101bkpg.html

Traduit en anglais “The Only Real Man” par Christopher Elford, Pathlight Spring 2014

[5] Le roman est en cours de traduction en anglais, par Bruce Humes et la traductrice néo-zélandaise Jun Liu (刘浚), sous le titre provisoire de Zuilian. Extrait sur le blog de Bruce Humes :

http://bruce-humes.com/archives/category/mute-visage-of-time-%e6%97%b6%e9%97%b4%e6

%82%84%e6%82%84%e7%9a%84%e5%98%b4%e8%84%b8

[6] Première partie numérisée à lire en ligne : https://www.amazon.cn/%E5%9B%BE%E4%B9

%A6/dp/B01HPKP14C

[7] Le nom d’une sorte de passereau.

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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