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« Coronavirus » de Bi Shumin : quand l’histoire se répète faute d’en cultiver la mémoire

par Brigitte Duzan, 1er avril 2020 

 

Médecin psychothérapeute, Bi Shumin (毕淑敏) a vécu en 2003 l’épidémie de SRAS et s’est inspirée de cette expérience pour écrire son roman « Coronavirus » (huāguān bìngdú 《花冠病毒》) qu’elle n’achèvera cependant que près de dix ans plus tard, et qui ne sera publié qu’au début de 2012. Près de dix ans plus tard encore, l’épidémie de « nouveau coronavirus » (xīnguàn fèiyán 新冠肺炎) partie d’un marché d’animaux sauvages de Wuhan en décembre 2019 donne une nouvelle actualité à ce roman.

 

Structure générale

 

Divisé en une quarantaine de chapitres, plus préfaces et introduction [1], le roman relate la bataille contre un virus baptisé « à couronne » (花冠) en raison de sa structure moléculaire qui apparaît au microscope comme un noyau entouré d’étranges projections comme celles de

 

Coronavirus

la couronne solaire – ce qui a inspiré la couverture, illustrant la lutte de l’homme contre ce redoutable ennemi viral.

 

Il s’agit presque d’un roman de science-fiction inspiré de l’épidémie de SRAS : dans une ville imaginaire, en l’an 20NN, un virus inconnu attaque soudain la population ; comme les autorités apeurées commencent par dissimuler l’épidémie, elle se répand très vite, les habitants s’enfuient avant que la ville soit mise en quarantaine et que personne ne puisse plus en partir ni y entrer. La situation, cependant, échappe vite à tout contrôle : les rumeurs courent, les responsables tentent d’étouffer l’information, les traitements ne sont pas au point, le matériel médical fait défaut, des aigrefins du business tentent de profiter du chaos tandis que le personnel soignant se bat sur le front, dans des hôpitaux débordés….

 

Bi Shumin présentant son roman à sa sortie en janvier 2012

derrière elle : 花冠病毒来袭 face à l’attaque du coronavirus

不该怎么办 que faire ?

 

Les faits que décrit Bi Shumin sont basés sur la réalité : en 2003, elle a fait partie, en qualité de médecin et ancienne militaire, d’une équipe sélectionnée par l’Association des écrivains chinois pour aller interviewer des médecins et des infirmières se battant en première ligne contre la maladie. Elle a donc laissé sa mère, qui souffrait d’un cancer, pour aller interroger des médecins et du personnel soignant, mais aussi des patients guéris et même des membres du ministère des Affaires étrangères. Ce sont ces

entretiens, joints à son expérience personnelle de terrain, qui ont mûri pendant huit ans dans sa tête avant de finalement décanter, et donner le roman paru en 2012. 

 

Le début progresse à grande vitesse, pour souligner la précarité de la vie humaine alors que l’humanité est soumise à ce danger inattendu. Le récit progresse selon une narration chronologique, centrée sur le personnage de Luo Weizhi (罗纬芝), une femme d’une trentaine d’années qui habite la ville de Yan (燕市) et qui est l’alter ego de Bi Shumin.

 

Récit chronologique

 

Au début du roman, Luo Weizhi reçoit un appel de la secrétaire de son unité de travail, la branche locale de l’Association des écrivains et artistes (艺家协会) ; il lui demande si elle ne voudrait pas aller observer sur place comment se passe la lutte contre l’épidémie en participant à l’Equipe spéciale de reportage (特别采访团) recrutée pour cette mission. Bien qu’étant affaiblie car souffrant d’un cancer, sa mère la persuade de se joindre au groupe.

 

Avant son départ, Luo Weizhi est contactée par un chimiste du nom de Li Yuan (李元) qui lui donne rendez-vous à l’entrée de son immeuble : il lui donne deux sortes de poudres, l’une pour dormir, l’autre pour se soigner si elle est atteinte par le virus. En échange, il lui demande de lui rapporter des échantillons du virus pour l’aider dans ses recherches sur la maladie et les traitements possibles.

 

L’Equipe spéciale a plusieurs réunions au quartier général de lutte contre le virus qui fait un nombre croissant de morts chaque jour. C’est ainsi que Luo Weizhi rencontre quotidiennement le commandant Yuan Zaichun (袁再春), le médecin en charge du développement de thérapies et de vaccins, mais aussi des opérations de stockage du nombre croissant de cadavres.

 

Une confiance mutuelle s’établit entre Luo Weizhi et le médecin. Elle demande à plusieurs reprises de pouvoir interviewer le professeur Yu Zengfeng (于增风), un expert en médecine légale qui travaille dans la zone infectée. Yuan Zaichun finit par lui annoncer que Yu Zengfeng, qui était un de ses anciens élèves, est mort après avoir été infecté lors de l’autopsie d’un cadavre, mais que sa mort est tenue secrète pour ne pas affoler la population. Mais Yuan Zaichun lui a remis des rapports d’autopsies réalisées par Yu Zengfeng. Or, ces papiers conservent le virus, et elle est infectée en les lisant.

 

Dans les jours qui suivent, elle développe une forte fièvre et a tous les symptômes de la maladie, confirmée par une analyse de sang. Se sentant au plus mal, elle décide de prendre cinq doses de la poudre que lui a remises Li Yuan. Elle tombe dans un profond sommeil pendant près de vingt heures, et se sent beaucoup mieux à son réveil. Qui plus est, une autre analyse de sang montre qu’elle a développé des anticorps qui vont la protéger.

 

Elle se sent une dette envers Li Yuan et revient à l’hôpital chercher des souches du virus, mais celles-ci sont mortes quand Li Yuan veut les examiner. Comme elle a des anticorps, elle décide de s’introduire dans une ancienne cave à vin transformée en morgue de fortune ; avec l’autorisation de Yuan Zaichun, elle fait des prélèvements dans les rangées de cadavres de tout âge lorsque soudain elle tombe sur celui de Yu Zengfeng congelé dans un sac en plastique transparent. Elle trouve sur lui des échantillons du virus et une lettre dans sa poche.

 

Mais, alors qu’elle ressort, elle remarque un intrus ; sur le point d’appuyer sur la sonnette d’alarme, elle est arrêtée par un homme en tenue protectrice qui lui intime l’ordre de ne pas le faire. Elle sort sous le choc.

 

Dehors, marchant comme dans un brouillard, elle est heurtée par une voiture. Un membre de l’Equipe spéciale en descend, s’excuse et la conduit à l’hôpital où une infirmière lui fait une piqûre et une prise de sang. Elle sort très affaiblie mais trouve Li Yuan chez elle quand elle finit par y arriver. Ils concluent de l’incident que l’homme dans la cave devait être le conducteur qui a failli la renverser, et qu’il doit travailler pour des laboratoires de recherche étrangers. Tous deux tombent amoureux.

 

Or, Yuan Zaichun tombe malade, et meurt, une nuit. ….

 

A partir de là, le roman amorce des retournements de situation en chaîne qu’il serait dommage de dévoiler, dans l’espoir qu’il soit un jour traduit. Mais dévoilons quand même que le dernier chapitre s’intitule : « Il a fallu dix mille ans au virus pour venir à bout des dinosaures » (病毒用一万年的时间把恐龙杀). La première phrase ensuite étant : « Nous, il nous faut juste attendre la chaleur étouffante du soleil de l’été qui vient » (我们只有等待今夏炙热的阳光).

 

Ce qui introduit avec humour le dénouement de l’histoire, qui tourne aussi autour de cette enveloppe contenant les dernières paroles de Yu Zengfeng…

 

Réflexions et style

 

Evidemment, le bref résumé qui précède ne rend pas justice à la profondeur d’un roman que Bi Shumin a mis huit ans à écrire, dans un style réaliste, mais ponctué de réflexions qu’elle met le plus souvent dans la bouche de ses personnages – réflexions sur la vie, la peur de la mort et de la maladie, la relation entre l’homme, les virus et l’univers que nous nous partageons depuis des millions d’années, dans un combat perpétuel.

 

A la différence des virus, cependant, l’homme est – selon elle – un être supérieur capable de faire la part du bien et du mal, et de se sacrifier pour faire triompher le premier. Elle a des moments lyriques où elle affirme une pensée de type taoïste sur la brièveté et la fragilité de la vie, pourtant éternelle – et ces moments-là ne sont pas toujours faciles à traduire :

人的个体,不过是微不足道的一缕轻烟 . . . 无论她何时消散化灰,都不是真正的消失,只是一种回归。. . . 融入到无边无沿的宇宙。

L’homme, dans son individualité, n’est qu’une imperceptible fumerole … quel que soit le moment où elle se dissipe en ne laissant que des cendres, ce n’est jamais une véritable disparition, mais bien plutôt une sorte de retour. … pour finalement se fondre dans l’infini de l’univers.

 

Son roman est nimbé de cette pensée profonde du cycle de la vie et de la mort qui rejoint celle de Zhuangzi :

         人类死亡,自身的元素又还给地球,多么完美的循环啊

La mort, en termes humains, est simplement le retour des éléments du corps à la terre, quelle perfection dans ce cycle !

 

Il n’y a pas de raison de s’angoisser, disait Zhuangzi, justement, puisque la vie et la mort ne sont que souffles qui s’unissent et se séparent un temps On en finirait presque par oublier le virus.

 

Le roman se termine alors que le dernier malade quitte l’hôpital, le 1er septembre 20NN, signe plein d’espoir de la victoire de l’homme sur le virus. Ou du moins de sa victoire dans l’une de ses batailles contre le virus, celui-ci et ses autres avatars… car l’histoire que nous compte Bi Shumin, à partir de son expérience de 2003, a de profondes résonnances en 2020 : on croirait qu’elle a des dons d’anticipation et qu’elle nous raconte l’histoire du covid19 !

 

Leçon pour aujourd’hui

 

En 2003, la Chine a été largement critiquée pour avoir caché la vraie situation de l’épidémie de SRAS. La maladie a été découverte fin 2002, mais n’a pas été révélée avant qu’elle ait commencé à se répandre, entraînant une progression exponentielle de l’épidémie – exactement comme en 2020. Les enquêtes ultérieures ont montré que l’épidémie n’aurait pas été aussi grave si les mesures de d’isolement des patients avaient été prises plus tôt, surtout s’agissant d’une zone aussi densement peuplée que le sud de la Chine où elle est apparue.

 

Depuis lors, on pensait que la Chine avait réformé son système de prévention et de contrôle des maladies contagieuses. On pensait que cela ne se reproduirait plus, comme le montre par exemple cet article du Jinwan wenzhai (《今晚文摘》), sélection hebdomadaire du Jinwanbao ou Journal du soir (《今晚报》) de Tianjin :

 

 

Article après l’épidémie

Titre : Le drame du SRAS « ne pourra plus jamais se reproduire »

 

 

Or, quand on lit le roman de Bi Shumin, on croit lire l’histoire de l’épidémie de coronavirus de 2020 à Wuhan. On retrouve même l’incident du médecin contaminé qui meurt un peu comme Li Wenliang (李文亮), avec les tentatives similaires de camoufler sa mort pour éviter d’avoir à affronter la critique. On a aussi la même atmosphère de suspicion, de chasse aux sorcières, de complot étranger…

 

Or les conséquences de cette nouvelle épidémie sont bien plus graves mondialement. Les efforts pour en dissimuler l’importance et les responsabilités sont donc bien plus graves aussi, voir aberrantes, rappelant les moments de la Guerre froide quand Mao faisait creuser des tranchées en appelant à une mobilisation contre une attaque américaine.

 

Or, le danger est grand de voir à terme se reproduire une épidémie qui, cette fois, aura probablement fait des dizaines de milliers de morts à Wuhan, et bien plus encore dans le monde. En répandant la thèse absurde d’un complot américain ayant fabriqué le covid19 afin de se sauver la face et de contrôler l’opinion publique, la Chine bloque à nouveau les recherches sur l’origine du virus. De la sorte, cette origine n’étant toujours pas reconnue et étudiée, dans dix ans, les experts nous promettent une nouvelle épidémie, et peut-être encore plus virulente.

 

Il faudrait traduire le roman de Bi Shumin.

 


 

[1] Le texte original chinois, avec préfaces et introduction : http://www.shuku.net:8082/novels/dangdai/hgbd/hgbd.html

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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