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Dung Kai-cheung 董啟章/董启章

Présentation

par Brigitte Duzan, 6 juillet 2016 

 

Journaliste, dramaturge, essayiste et critique littéraire, mais surtout romancier, Dung Kai-cheung est l’une des figures marquantes de la littérature contemporaine de Hong Kong. Depuis le début des années 1990, il a créé un espace imaginaire original, nourri de ses études en littérature comparée, qui est comme un écho de Hong Kong perçu à travers l’histoire littéraire, une image en miroir de la ville recréée par la fiction, en jouant subtilement de la relation dialectique éminemment fuyante entre celle-ci et la réalité.

 

Cartographie imaginaire

 

Biographie essentielle

 

Né à Hong Kong en 1967, Dung Kai-cheung est diplômé de littérature comparée de l’Université de Hong Kong où il est chargé de cours. Il a commencé à publier des nouvelles au

 

Dung Kai-cheung

début des années 1990, mais il est aussi critique littéraire et écrit régulièrement dans divers journaux ; en 1994, il a fondé à Hong Kong le journal Cultural Criticism (文化评论).

 

Mais c’est pour son œuvre de fiction qu’il est célèbre, tant à Taiwan qu’à Hong Kong, tandis qu’il continue à être ignoré en Chine continentale. Il a été élu écrivain de l’année à la Foire du livre de Hong Kong en 2014. 

 

1992: Cecilia

 

Ce qui frappe, chez Dung Kai-cheung, c’est l’extrême cohérence de sa démarche : partant de ses études littéraires, il déroule une réflexion traduite en thèmes allégoriques qui sous-tendent ses récits. Sa première nouvelle, « Cecilia » (西西利亞), publiée en 1992 [1], annonce déjà bien des thèmes de ses œuvres ultérieures.

 

Insensible à l’amour secret que lui porte une collègue, un jeune employé de bureau tombe amoureux d’un mannequin en plastique manchot exposé dans la vitrine d’un magasin de vêtements. Il lui envoie des lettres d’amour qu’il confie à une vendeuse, et la vendeuse lui répond au nom du mannequin. Une relation affective très originale se développe ainsi entre les trois personnages. L’histoire se termine sur la faillite du magasin, mais l’histoire de Cecilia n’a pas de raison de s’arrêter là…

 

On trouve dès ce premier récit des thèmes fondés sur des oppositions binaires qui seront repris et développés par la suite : création et invention, désir et réalité etc… Mais le personnage même de Cécilia annonce aussi toute une lignée d’"objets féminins", comme Xuxu (栩栩) et Beibei (贝贝), avec des relations bizarres entre humains et objets, dont le fétichisme. Certains critiques ont vu dans le passé colonial de Hong Kong la source d’un réseau d’échanges matériels qui brouillent la distinction entre objets et êtres humains ; les objets suscitent des émotions et sont une source créative, de même que la réalité extérieure pour le poète.

 

1994: Androgyny et The Young Shen Nong

 

Androgyny

 

Suivent deux nouvelles publiées en 1994 à Taiwan, aux éditions Unitas (联合文学出版社) : la nouvelle moyenne « Androgyny » (《安卓珍尼》) et la nouvelle courte « The Young Shen Nong » (《少年神农》), chacune primée dans sa catégorie par l’Association littéraire Unitas [2].

 

Dans « Androgyny », Dung Kai-cheung traite de la dialectique du désir homosexuel à travers le récit d’une narratrice androgyne, thème qu’il reprendra dans le roman de 1997 « The Double Body » (《双身》). C’est un thème dans l’air du temps à Hong Kong, mais c’est aussi un thème fondamental dans l’œuvre de Dung Kai-cheung, que l’on retrouve sous une forme ou une autre dans ses romans postérieurs. Il recouvre l’idée d’explorer comment le désir se rattache à la culture et à la nature, et à leurs multiples orientations.

 

Les aventures transsexuelles d’une femme sont contées en parallèle avec la recherche d’un lézard androgyne qui, dans le cours de l’évolution, a réussi à se libérer de la domination du mâle. Dans le récit, l’image de l’androgynie est donc double, et la limite entre nature et culture évolutive, de même que les concepts binaires usuels, sombre/lumineux, vrai/faux, mâle/femelle etc… sont en interaction plutôt qu’en opposition.

 

Le sous-titre du récit, « Histoire de l’évolution d’une espèce non-existante » (《一个不存在的物种的进化史》), le rattache directement au grand roman de la maturité de Dung Kar-cheung, « L’origine des espèces » (《物种原始》), en brouillant dès l’abord les frontières usuelles entre existant et non existant.

 

Quant à « The Young Shen Nong », on peut dire que c’est un

 

Double Body

autre texte fondamental des débuts de Dung Kai-cheung : une subversion des conventions narratives propres à la légende. Le récit est en deux parties : à la recréation de Shennong comme divinité légendaire de l’agriculture chinoise fait écho dans la seconde partieson image en miroir dans la réalité d’aujourd’hui. C’est la confrontation avec le réel qui fait ressortir le caractère fictif de la pseudo-réalité du passé. Mais c’est l’originalité de l’écriture qui est le facteur subversif essentiel, dès l’introduction du récit [3].

 

1995-97 : l’histoire d’une Hong Kong imaginaire

 

Dans la seconde moitié des années 1990, Dung Kar-cheung étend sa méthode au discours sur l’histoire. A la veille de la rétrocession, dont la perspective plonge la colonie britannique dans l’effroi, plusieurs de ses textes revisitent l’histoire de Hong Kong, et de ses rues en particulier.

 

The Atlas

 

Le premier, en 1995, est « The Rise and Fall of Wing Shing Street » (《永盛街兴衰史》) qui retrace l’histoire d’une rue fictive, mais plus vraie que nature.

 

Mais le chef-d’œuvre de la période est l’« Atlas, archéologie d’une ville imaginaire » (《地图集》), métafiction sur la ville de Victoria (cœur historique de Hong Kong), amalgamant faux et vrai, texte et images, anecdotes et histoire, le tout en 51 textes brefs, subtilement organisés en quatre sections, avec des narrateurs multiples, parfois même dans un même texte.

 

Les deux parties historiques centrales sont situées dans un 21ème siècle où la ville de Victoria a disparu – le narrateur tente donc d’en assembler les morceaux d’archives et documents épars pour reconstituer une carte et retracer

l’évolution de la ville pendant les 156 ans de colonie britannique, de 1841 à 1997 :

 

1)  Théorie est une série de brèves sous-sections comme autant de méditations aussi fantaisistes que théoriques sur le rapport entre la carte et la réalité qu’elle prétend rendre ;

2)  La Ville tente de donner une base historique à la mémoire, mais la ville reste de l’ordre du mirage et son histoire affaire d’imagination ;

3)  Rues reprend le problème de l’identité historique de la ville en proposant une série d’anecdotes entre étrange et fiction, sur certaines rues ;

4)  et dans Signes, l’approche poétique (au sens d’invention de l’Encyclopédie) est abandonnée au profit de la critique culturelle du présent, et même au-delà si l’on considère la date de publication du livre.

 

Le roman est clairement une poursuite de la réflexion menée par Calvino dans « Cités invisibles », sur les cartes comme outil de contrôle politique au service de l’empereur, donc symboles de pouvoir. Ce n’est pas pour rien que « Atlas » a été écrit juste avant la date fatidique de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, et publié cette même année. Si la première partie du titre suggère un ouvrage glorifiant la mémoire collective, la seconde partie est plus complexe : comment peut-on parler d’archéologie d’une cité imaginaire ? et pourquoi ? C’est bien tout le problème [4].

 

En fait, les textes ne sont pas classés par ordre chronologique, mais dans une discontinuité typique du concept d’hétérotopie de Foucault : chez ce dernier, entre utopies et hétérotopies, il y a le miroir ; dans « Atlas », entre l’utopie qui est Dieu et l’hétérotopie qui est du domaine de l’homme, il y a le miroir qui est la carte. Mais pour bien comprendre, a expliqué Dun Kai-cheung lui-même, dans une postface à son roman, il faut concevoir la carte hors de toute fonctionnalité : la carte n’est jamais un simple outil. Elle est « la matérialité du pouvoir dans l’espace »; en fait, c’est une pratique de construction historique, à analyser comme telle [5].

 

Il donne un exemple : la frontière entre Kowloon et les Nouveaux Territoires est d’abord apparue sur la carte, donc le monde réel a changé en accord avec elle. Cette fois-ci, Dun Kai-cheung se fait l’écho de l’idée de Borges dans son Histoire universelle de l’infamie : ce n’est pas le territoire qui précède la carte, c’est la carte qui précède le territoire [6].

 

En même temps, on a une idée de la richesse des références littéraires du texte. Et il s’agit d’un caractère récurrent dans l’œuvre de Dun Kai-cheung que l’on retrouve démultiplié dans ses œuvres suivantes.

 

1998 : The Catalog

 

La fin des années 1990 est prolifique. Dun Kai-cheung publie d’abord « The Same Generation»  (《同代人》), premier volet d’une trilogie d’essais sur la vie à Hong Kong que l’on pourrait traduire par « Mes contemporains » ; il sera suivi dix ans plus tard, en 2009, de « To The Same Generation» (《致同代人》) et, en janvier 2012, d’un troisième volet : « In Answerto The Same Generation» (《答同代人》).

 

The Catalog (ed. 1999)

 

La tétralogie

 

Mais le plus intéressant de la période est le roman publié en 1999 : « The Catalog » ou Mèng Huà Lù  (梦华录) qui sera réédité après révision en juin 2011, et qui est en fait le second volet de « la série de la ville V » (V城系列) dont « The Atlas » est le premier volet. De manière symbolique, il est composé de 99 textes courts, comme des propos de fin de dîner, ou des brèves de comptoir ; à la suite de l’« Atlas », il couvre en effet la période 1998-1999, c’est-à-dire un an après la rétrocession, et décrit une ville de Hong Kong à laquelle est promis le statu-quo pendant cinquante ans, donc une ville sur laquelle pèse un avenir incertain.

 

Fidèle à lui-même, Dung Kai-cheung a choisi un titre chargé de références littéraires qui soulignent son propos. Il signifie

« chronique d’un rêve de splendeur », et évoque le célèbre ouvrage de Meng Yuanlao (孟元老) intitulé « Chronique du rêve de Hua dans la capitale de l’Est » (东京梦华录) où la capitale de l’Est est Kaifeng (开封), capitale de l’empire chinois au temps des Song du Nord, et Hua (qui signifie aussi splendide) est ici un raccourci pour Hua Xu (华胥之国), le pays d’harmonie et de joie parfaite vu en rêve par Huangdi, l’Empereur Jaune [7].

 

La préface de Meng Yuanlao est datée de 1147, alors que l’auteur résidait à Lin’an après avoir été chassé de chez lui, à Kaifeng, par les hordes des Jürchen. Son ouvrage est donc une description nostalgique d’une ville de rêve, dont il décrit la vie, les festivals, les coutumes, tout ce dont il se souvient et qui n’est plus, avec une forte « conscience des ruines » (废墟意识) que l’on retrouve chez Dung Kai-cheung.

   

Les illustrations de Li Zhihai

 

Brief History of the Silverfish

 

Derrière sa Hong Kong du Mèng Huà Lù se profile en effet la capitale des Song investie par les barbares, et la menace d’un destin similaire pour l’ancienne colonie britannique. Une ville aux contours flous, à inventer (l’atlas) et réinventer (le catalogue) constamment, en revisitant son histoire. On reste dans le concept d’archéologie, et d’hétérotopies, de Foucault.

 

Autre caractéristique, enfin, le roman est illustré de 33 planches de dessins du dessinateur de manhua Li Zhihai (李智海), grand illustrateur de la littérature de Hong Kong. On pourrait traduire Album plutôt que Catalogue, mais c’est le choix de l’auteur. C’est une autre analogie avec les classiques de référence.

 

Ces deux opus ont été complétés par deux ouvrages supplémentaires qui forment une véritable tétralogie.

 

Années 2000 : histoire naturelle

 

Au tournant du siècle, Dung Kai-cheung élargit son propos, mais en partant toujours de l’histoire de Hong Kong. Les années 2000 sont marquées par la « Trilogie de l’histoire naturelle » (自然史三部曲)[8] qui reste une histoire de création, mais celle d’une humanité qui a évolué en se dégageant de la nature, ou plutôt en l’« humanisant ».

 

2005 : histoire de Xuxu

 

Le titre du premier voletest traduit « Works and Creation : Vivid and Lifelike» (《天工开物.栩栩如真》), mais c’est encore un jeu de caractères. La première partie est une référence à un ouvrage célèbre du savant et encyclopédiste de la fin des Ming, Song Yingxing () : « L’exploitation des œuvres de la nature » ou Tiangong Kaiwu (《天工开物》), daté de 1637. Song Yingxing avait raté les examens impériaux, mais son encyclopédie est une référence;

 

Tokyo, la Mer de la fertilité et Okutama

Joseph Needham l’a appelé « Le Diderot chinois » ; la référence à l’Encyclopédie est ici indirecte.

 

Le Tiangong Kaiwu

(une planche illustrant un système d’irrigation)

 

Quant à la seconde partie du titre, elle signifie aussi « portrait véridique de Xuxu » et annonce le contenu du roman : une saga familiale – et la vie de la jeune Xuxu - contant la prospérité de Hong Kong, sa création d’abord, sa préservation ensuite. Mais c’est une création par domination de la nature, comme l’implique la référence à Song Yingxing, qui est d’autant plus nette que le roman commence avec le grand-père de Xuxu, qui possédait une copie du Tiangong Kaiwu. Cette domination de la nature est illustrée à travers treize objets choisis comme symboles de l’interaction de l’homme avec son environnement matériel (radio, télégraphe, téléphone, machine à coudre, télévision, machine à écrire etc…).

On ne peut éviter de penser aux « Mythologies » de Barthes. 

 

Cependant, si histoire familiale il y a, le style narratif n’en est ni simple ni linéaire. Il y a une double voix narrative, un narrateur Hei, ou Noir () et le Dictateur (独裁者) qui écrit la préface du roman, qu’il attribue à Hei….

 

2007 : histoires du temps

 

Le second volet de la trilogie, « Histories of Time : the Lustre of Mute Porcelain» (《时间繁史哑瓷之光》), a un titre composé de manière semblable que le volet précédent. La première partie est une référence à l’ouvrage de Stephen Hawkins « A Brief History of Time : from the Big Bang to Black Holes ». La différence étant que, chez Dung Kai-cheung, la perspective n’étant pas la même, le temps n’est ni bref ni unique : il y a une multiplicité d’histoires.

 

La seconde partie du titre annonce l’histoire, avec ici aussi un jeu sur les caractères : la « porcelaine muette » est en fait une femme appelée ainsi, Yaci (哑瓷) : elle est l’épouse du Dictateur devenu le personnage principal, qui rencontre une vendeuse avec laquelle il se lance dans une correspondance sur les origines de l’univers. On retrouve ici un personnage de vendeuse épistolière qui rappelle celle de la première nouvelle de Dung Kai-cheung, « Cecilia », ce qui renforce le caractère de création totale de son œuvre.

 

Histories of Time

 

Le malheureux dictateur est atteint de paralysie, et, retiré à la campagne, ne perçoit le temps (ou l’espace-temps) qu’à travers les trois femmes autour de lui : son épouse, la vendeuse et une étudiante sino-britannique nommée Virginia venue lui rendre visite. La ville de V ayant été inondée, ils écrivent/inventent des histoires du futur, un futur qui comporte une femme au cœur artificiel nommé Virginia qui rappelle, encore, le mannequin Cecilia….

 

2010 : l’origine des espèces

 

Le troisième volet de la trilogie, « The Origin of Species : Beibei is reborn » (物種原始 :贝贝重生》), fait cette fois-ci référence à « L’origine des espèces » de Darwin, mais à travers les critiques de Thomas Huxley. C’est certainement le texte le plus complexe de Dung Kai-cheung, où il a cependant tenté de revenir vers une narration plus concrète, après les longs développements abscons de ses histoires de temps.

 

Quant à Beibei, comme Xuxu, c’est un personnage féminin. Le roman conte la vie d’une étudiante, Zhi (), quisemble être la réincarnation de Beibei, après l’obtention de son diplôme de fin d’études. Comme le Dictateur, Zhi appréhende le monde à travers les personnages qu’elle rencontre, et qui sont autant de facettes de sa propre personnalité : une chanteuse avec laquelle elle partage un appartement, Zhong (), et l’homme dont elle tombe amoureuse, son homonyme Zhi () dont le nom signifie idéal, cet idéal étant de servir la société. Avec un quatrième personnage, ils militent pour la défense des vieilles rues de Hong Kong. Mais, quand Zhong s’avère être en fait un homme, le roman change de ton, et on retrouve le thème de l’androgynie des débuts de Dung Kai-cheung.

 

Wilhelm Meisters Lehrjahre

 

Mais cette histoire n’est que le cadre du discours principal qui est déroulé au long de douze discussions d’un groupe de lectures dont font partie les deux Zhi. Si « Histories of Time » était une réflexion métaphorique sur la science, « Origin of Species » est une analyse d’œuvres littéraires fondamentales, ou posées comme telles par Dung Kai-cheung : le Wilhelm Meister de

Goethe, le Rabelais de Bakhtin, le Walden de Thoreau, les poèmes de Pessoa, etc… ; il en propose une lecture nouvelle, pour leur donner une nouvelle vie au contact de la réalité moderne : la renaissance de Beibei est allégorique aussi en ce sens.

 

Ce qui ressort comme modèle, cependant, c’est le Wilhelm Meister, en tant que Bildungsroman (roman d’apprentissage) emblématique. « Origin of Species » a pour sous-titre « Les années d’apprentissage » ou Xuexi Niandai (《学习年代》) qui est une traduction des Lehrjahre du titre complet de Goethe. Dung Kai-cheung mêle habilement les douze discussions avec les éléments de son intrigue, les thèmes des unes venant en illustration symbolique des autres.

  

Mais, si le Wilhelm Meister se dégage du lot des lectures discutées comme le modèle transcendant, c’est aussi à deux autres niveaux symboliques : d’une part pour la symbolique des personnages, y compris l’ambiguïté sexuelle qui est l’un des thèmes récurrents de Dung Kai-cheung et que l’on trouve chez Zhong, à l’image de Mignon, mais d’autre part, aussi, pour l’analogie de l’époque d’écriture du roman de Goethe - période historique charnière de l’histoire allemande comme de celle de Hong Kong, entraînant une réflexion du même ordre.

 

C’est une réflexion qui se nourrit de la littérature et de la pensée internationales, de Darwin à Hannah Arendt en passant par Bakhtin ou Kenzaburō Ōe, comme dans les grandes périodes d’ouverture en Chine, que ce soit lors du mouvement du 4 mai ou lors de la période d’ouverture, au début des années 1980. Dans tous les cas, il s’agit de périodes historiques charnières, sinon de rupture. Et c’est bien cela dont il est question dans la Hong Kong des années 2000 et 2010.

 

Comme s’il n’arrivait pas à mettre un point final à sa trilogie, en 2014, Dung Kai-cheung lui a ajouté un texte qu’il a défini comme avant-propos et postface :« Virtù » (《美德》「自然史三部曲前言后语).

 

Années 2010 : l’aventure continue

 

Dung Kai-cheung poursuit son écriture en revisitant sans cesse ses thèmes et axes de réflexion liés à Hong Kong et son histoire, comme si, écrivant un nouvel opus, il était constamment ramené à ce qu’il a écrit auparavant, et poussé à en faire une nouvelle exégèse.

 

Virtù

 

Visible Cities

 

En 2012, il a publié « Visible Cities » (《繁胜录》) qui est une autre réflexion, après l’« Atlas »,sur les « Invisibles Cities » d’Italo Calvino.  Le livre est suivi de « Collections » (《博物志》).

 

Cœur

 

Dialogue littéraire entre le maigre et le gras

 

En 2016, cependant, Dung Kai-cheung a publié deux autres ouvrages majeurs à quelques mois d’intervalle, l’un en janvier, l’autre en mai, où il semble avoir opéré une ouverture dans sa thématique, tout en restant fidèle à son modèle d’écriture fondée sur des références littéraires.

 

En janvier, « Cœur » (《心》)est inspiré d’un roman de SōsekiNatsume (l’un des plus grands romanciers japonais modernes). A travers deux cas de maladies, « Cœur » explore deux époques, et deux sortes d’angoisse qui leur sont liées.

 

 

Dung Kai-cheung et Luo Yijun

 

 

En mai est paru ce que l’on pourrait traduire par « Dialogue littéraire entre le maigre et le gras » (《肥瘦对写》), C’est un recueil de vingt-six textes de profonde réflexion sur « l’âme » de la littérature (文学心魂), conçue comme un dialogue entre Dung Kai-cheung et Luo Yijun (駱以軍), écrivain de Hong Kong (le maigre) et écrivain de Taiwan (le gras). L’opposition binaire du titre renvoie au concept de yin et de yang souligné par la couverture du livre, le maigre et le gras renvoyant aussi à un concept bouddhiste.

 

 

On peut faire confiance à Dun Kai-cheung pour ne pas s’éloigner beaucoup des sujets fondamentaux qui lui sont chers, récurrents sinon obsessifs. Pour le plus grand bien de la littérature.

 

Principales œuvres publiées

(Recueils de nouvelles et romans)

 

1994        Androgyny《安卓珍尼》

               Le jeune Shennong《少年神》

1995        Xiaodong’s Schoolyard 《小冬校园》 (livre pour enfants)     

1996        Atlas : The Archaeology of an Imaginary City 《地图集》

1997        The Double Body 《双身》

1997        The Rose of the Name 《名字的玫瑰》 (recueil de nouvelles)

1998        The Same Generation《同代人》suivi de :

2009        To The Same Generation 《致同代人》

2012        In Answer To The Same Generation《答同代人》

1999        Catalog梦华录 (réédité juin 2011)

2000        Beibei’s Literary Adventures 贝贝的文字冒险

2002        Brief History of the Silverfish 《衣鱼简史》 (recueil de sept nouvelles)

2004        Tokyo, la Mer de la fertilité* et Okutama 东京.丰饶之海.奥多摩

Notes de voyage.  

*Tétralogie de Yukio Mishima dont le titre évoque une plaine sur la lune, symbole du désert le plus absolu.

2005        Works and Creation: Vivid and Lifelike 《天工开物.栩栩如真》    

2007        Histories of Time : the Lustre of Mute Porcelain 《时间繁史哑瓷之光》 (en deux tomes)

2010        The Age of Learning《学习年代》

Avril 2012         Visible Cities 《繁胜录》/ Collections 《博物志》

Avril 2014         Virtù《美德》──「自然史三部曲前言后语

Janvier 2016     Cœur《心》

Avril 2016         Dialogue littéraire entre le maigre et le gras 《肥瘦对写》

 

 

Traductions en anglais

 

Extraits de The Young Shennong, tr. By Ian Chapman,

Renditions, n°s 47&48, printemps/automne 1997, pp. 11-22

A lire en ligne : https://www.cuhk.edu.hk/rct/pdf/e_outputs/b4748/v47&48p011.pdf

 

Atlas, translated by Dung Kai-cheung, Anders Hansson and Bonnie S. Mc Dougall, Columbia University Press 2011/reed. August 2012 – Preface by Dung Kai-cheung and introduction by Bonnie S. Mc Dougall.

 

Traduction en français

 

- Cécilia, trad. Annie Curien in Annie Curien ed., L’Horloge et le dragon, Caractères, Paris 2006.

- Le Kaléidoscope, trad. Sebastian Veg in Annie Curien ed., Alibi 2 : Dialogues littéraires franco-chinois, Vol. 2, La Maison des sciences de l’homme, Paris 2010.

- Atlas : Archéologie d’une ville imaginaire (extraits), trad. SebastianVeg, Revue Critique, 2014/8, n°807-808

- Sept extraits d’« Atlas, archéologie d’une ville imaginaire », trad. Gwennaël Gaffric, Jentayu n° 4, juillet 2016. ("Utopie", "Subtopie", "Transtopie", "Multitopie", "Unitopie", extraits de la première partie, « Théorie » ; "Plan de la ville de de Victoria, 1889" extrait de la seconde partie, « La Ville » ; et "Sugar Street" extrait de la troisième partie « Rues »)

 

 

Bibliographie

 

“Symptom of an Era”: Dung Kai-cheung’s Histories of Time, by Carlos Rojas, Frontiers of Literary Studies in China, Vol. 10 Issue 1 2016, pp 133-149

http://booksandjournals.brillonline.com/content/journals/10.3868/s010-005-016-0008-9

 

Oxford Handbook of Modern Chinese Literatures, ed. Carlos Rojas and Andrea Bachner, Oxford University Press 2016.

3.14 On Time: Anticipatory Nostalgia in Dung Kai-cheung’s Fiction, by Carlos Rojas  p. 847-865

 

A Hong Kong Miracle of a Different Kind: Dung Kai-cheung’s writing, action and Xuexiniandai, by David Der-Wei Wang, China Perspectives 1, 2011, pp. 80-85

A lire en ligne : https://chinaperspectives.revues.org/5393?file=1

 

 


[1] Et rééditée en 1997 à Hong Kong dans le recueil « The Rose of the Name » (《名字的玫瑰》).
Nota : comme c’est Dung Kar-cheung lui-même qui a choisi les titres anglais qui sont attachés à ses romans et recueils, même dans les éditions en chinois, je préfère les conserver. En revanche, les titres chinois sont donnés en caractères simplifiés.

[2] Les deux nouvelles ont été rééditées en avril 2010, chez Unitas aussi, dans un recueil de nouvelles portant le titre de la première.

[3] Voir la traduction en anglais du début du texte, par Ian Chapman – références ci-dessous :

https://www.cuhk.edu.hk/rct/pdf/e_outputs/b4748/v47&48p011.pdf

[4] Le terme d’archéologie est ici à prendre au sens méthodologique que lui a donné Foucault dans « L’archéologie du savoir » qui redéfinit la lecture structurelle de l’histoire en montrant que les narrations continues ne sont que des procédés naïfs de projeter notre propre conscience sur le passé.

[5] C’est tellement vrai que, en juin 2016, dans le cadre de la controverse sur les prétentions territoriales de la Chine en mer de Chine du sud, on a ressorti une carte impériale datant de l’ère Wanli des Ming pour montrer que, à l’époque, l’empire chinois ne dépassait pas le 15ème parallèle, c’est-à-dire n’allait pas plus loin que les îles Paracelse : http://www.taipeitimes.com/News/feat/archives/2016/06/27/2003649554

[6] In Del rigor en la ciencia, texte ajouté à l’Historia universal de la infamia (1935) lors de la révision de 1954

[7] Selon le Liezi.

[8] La trilogie étant, selon David Der-Wei Wang, la forme moderne la plus récente du « roman philosophique » chinois. Mais celle de Dung Kai-cheung, par son fil narratif, se rattache aussi à la grande saga familiale du type « Torrents » (激流三部曲) de Ba Jin (巴金).

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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