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Gu Hua 古华

I. Présentation générale

par Brigitte Duzan, 10 novembre 2016 

 

Gu Hua a pour caractéristique première d’être natif du sud du Hunan, comme Shen Congwen (沈从文) de l’ouest de la province. Quand, en 1981, est paru le roman qui l’a rendu célèbre, « Le Village Hibiscus » (《芙蓉镇》), on a fait de lui l’émule et héritier de son illustre prédécesseur. Gu Hua partage avec lui le même amour pour la culture locale et s’est mis à son école, mais son œuvre est beaucoup plus politique.

 

Enfant pauvre du sud du Hunan

 

Il s’appelait Luo Hongyu (罗鸿玉). Il est né en juin 1942 dans le district de Jiahe, dans le sud du Hunan (湖南省嘉禾县), dans un hameau d’une cinquantaine de foyers au pied des monts Wuling (五岭山), non loin des limites du Guangdong et du Guangxi.

 

Gu Hua au début des années 1980

 

C’est une région aux coutumes très particulières, avec une riche tradition orale de contes et légendes et touteune culture spécifique dérivant de celle de l’Etat de Chu ; la région est aussi marquée par les cultures des ethnies minoritaires Zhuang et Yao, et un fond de chants populaires très riche. La spécificité de Jiahe est un cycle de chants pour accompagner les jeunes mariées, chantés avant qu’elles quittent la maison de leurs parents.

 

Le père de Gu Hua était comptable, et petit fonctionnaire du Guomingdang ; il meurt en 1952, quand Gu Hua a dix ans, laissant à son frère aîné la charge de la famille, sa mère et quatre enfants plus jeunes. Outre la pauvreté, il leur lègue aussi un mauvais statut social.

 

Gua Hua garde les buffles, ramasse du petit bois et va au marché vendre du charbon de bois, tout en allant à l’école. Il fait preuve de dons pour écrire, et gagne des prix de composition. C’est lui qui est en charge du journal de la classe où il publie ses propres poèmes. Il rêve d’aller au moins jusqu’à Chenzhou (郴州), le centre administratif à 130 kilomètres de là, mais, n’ayant qu’un yuan d’argent de poche par mois, c’est un rêve inaccessible.

 

Jiahe, Qiaokou, Chenzhou à l’ouest du lac Dongjiang

 

Pendant l’été 1958, il est obligé d’arrêter ses études à la fin du collège, pour enseigner pendant un andans la petite école de Jiahe comme "instituteur du peuple" (民办教师) [1]. En 1959,ensuite, il est admis à l’Ecole d’agronomie de Chenzhou (郴州农业专科学校) et, en 1961, est envoyé travailler au Centre de recherches agricoles de Qiaokou (乔口). La zone était alors inculte. Il y reste 14 ans, s’occupant à y développer la riziculture et la culture de légumes et

d’orangers. Il épouse l’une de ses collègues du Centre et participe aux divers mouvements politiques de l’époque, sans problèmes majeurs.

 

Un écrivain du terroir qui revisite l’histoire locale

 

Années 1960-1970

 

Il écrit sa première nouvelle en novembre 1961 : « Petite sœur Abricot » (《杏妹》). Malgré sa mauvaise origine de classe, et grâce au soutien des cadres de Chenzhou et du Centre de recherche, la nouvelle est publiée en 1962.

 

Elle est suivie de plusieurs autres dans les années suivantes : « Un gentil bandit » (《甜胡子》), « La patrouille du jardin des poiriers » (《梨园巡逻兵》), « Juin 1963 » (《一九六三年六月》), « Tribulations dans la montagne » (《果山风雨》). Il est encouragé à écrire, et on lui donne même du temps libre pour le faire.

 

En 1970, il est envoyé dans un centre forestier, dans les monts Wuling, pour écrire ; c’est un premier contact avec une région qui lui inspirera les récits parus au lendemain de la Révolution culturelle. A l’automne 1975, il est transféré à la troupe de chant et de danse de Chenzhou pour qu’il ait plus de temps pour écrire. Mais son style reflète alors les orientations idéologiques de l’époque (en particulier la ligne des « trois prééminents » 三突出).

 

Le village Hibiscus 

 

Le recueil de nouvelles

« Une petite maison de bois »

 

Adaptation d’« Une petite maison

de bois couverte de lierre »

 

En 1980, il est admis à l’Association des écrivains. Il participe à un colloque organisé au début de l’été par l’Association pour des jeunes auteurs comme lui. A ses moments de loisirs, il commence à écrire la nouvelle « Une petite maison de bois couverte de lierre » (《爬满青藤的木屋》), qui sera publiée en 1981 et couronnée cette année-là du prix national de la meilleure nouvelle.

 

Dans le cadre du colloque, les participants ont droit à un mois de liberté pour écrire quelque chose. Gu Hua se retire dans les monts Wuling et écrit le premier jet d’un roman qu’il appelle provisoirement « Un lointain petit bourg de montagne ». En août, il revient ensuite à Pékin pour terminer les cours du colloque et, en septembre, remet son manuscrit inachevé, en s’attendant à ce qu’il soit remisé au fond un tiroir.

 

A sa grande surprise, il est approuvé, et Gu Hua est invité à resterà Pékin pour le réviser et l’achever, encouragé et conseillé par le gotha des éditeurs et écrivains plus âgés autour de lui. Finalement, un critique littéraire rebaptise le roman « Le Village Hibiscus » (《芙蓉镇》), et il est publié dans le premier numéro de l’année 1981 de la revue bimensuelle Dangdai (《当代》杂志) [2].

 

C’est le délire, malgré des critiques s’élevant, surtout, contre le traitement des cadres locaux et la non-conformité aux canons littéraires obligés. Mais, si le roman rencontre un tel succès, c’est pour son message politique, qui fait l’unanimité : il dénonce en fait la ligne d’ultra-gauche incarnée par la Bande des quatre, dans un récit, qui plus est, offrant au grand public une histoire d’amour dans la grande tradition du mélodrame chinois.

 

Dangdai, 1981 n°1

 

Furongzhen, édition originale

 

C’était la première fois qu’un auteur osait ce genre de critique, malgré la correction « des erreurs » passées lors de la 3ème session plénière du XIème Congrès du Parti (十一届三中全会), fin 1978 [3], et qu’il le faisait avec des personnages dégagés des stéréotypes habituels, et en particulier ceux imposant une nette démarcation entre bons et vilains d’une histoire. En 1982, « Le village Hibiscus » a été l’un des six romans couronnés du premier prix Mao Dun. Il a été adapté au cinéma quatre ans plus tard, par Xie Jin (谢晋) [4].

 

Quand Gu Hua apprit que Panda Books avait l’intention d’en publier une traduction, il demanda au Bureau de la culture de Chenzhou d’inviter les éditeurs ainsi que Yang Xianyi et son épouse Gladys Yang qui devait réaliser la traduction. Gladys Yang a décrit leur fascination en découvrant la région [5], dont la forêt et la station forestière où Gu Hua avait écrit

une bonne partie du roman, et qui lui avait aussi fourni l’inspiration de sa nouvelle « La petite maison de bois couverte de lierre ».  

 

Ils découvrirent également que le petit bourg du roman était en fait une combinaison de deux localités : le décor naturel est celui de Qiaokou, avec sa rivière coulant le long du verger où Gu Hua a cultivé ses orangers pendant quatorze ans, au pied des monts Wuling ; la rue pavée est celle de la vieille rue de Jiahe où vivait la famille de Gu Hua, et la taille du bourg tel qu’il est décrit au début du roman est celle qu’avait Jiahe lorsque Gu Hua était enfant.

 

Quant aux personnages, ils sont inventés à partir de souvenirs personnels, de ses observations et

 

Avec Xie Jin lors du tournage du film Hibiscus Town

de son expérience vécue. C’est dans l’ensemble un texte très dense, qui fourmille de digressions sur l’histoire et la culture locale, et la culture tout court, comme les histoires d’ivrognes célèbres que raconte Gu Yanshan (谷燕山) aux enfants du bourg pour se donner du prestige.

 

La Crête de la Pagode 

 

A Small Town Called Hibiscus,

tr. Gladys Yang

 

Aussitôt après, dès 1982, Gu Hua publie deux recueils de nouvelles : un recueil d’une dizaine de nouvelles courtes, sous le titre de « Une petite maison de bois couverte de lierre », puis un recueil de nouvelles moyennes : « La Crête de la Pagode » (《浮屠岭》). 

 

Cette nouvelle moyenne est initialement parue dans le numéro 2 de l’année 1982 de la revue Dangdai [6]. Une traduction en anglais par Gladys Yang a ensuite été publiée dans le numéro de l’été 1984 de la revue Chinese Literature. Elle était suivie d’un mot de Gu Hua présentant la nouvelle comme le troisième volet d’une trilogie avec « La petite maison de bois » et « Le village Hibiscus », trois œuvres qui revisitent l’histoire locale récente en critiquant les dérives idéologiques qui ont ruiné la région comme le pays.

 

1. La première nouvelle dresse le portrait de trois personnages amenés à cohabiter dans une clairière perdue au milieu de la forêt, dans les montagnes, pendant la Révolution culturelle : un garde-forestier et sa femme, et un

jeune instruit manchot qu’on envoie là parce qu’on ne sait pas que lui faire faire d’autre. C’est un tableau du conflit entre l’obscurantisme du mari, illettré et violent, soutenu par les cadres locaux du Parti, contre le jeune qui tente d’apporter une lueur de civilisation dans la petite clairière. 

 

2. Le roman décrit les changements intervenus dans une petite bourgade de montagne au cours des trente années précédentes ; la seconde nouvelle, de même, décrit les événements survenus dans une petite brigade de production dans un coin perdu des montagnes, pendant peu ou prou la même période, et « le prix à payer par les montagnards pour leur libération et la prospérité. » C’est en fait une critique en règle des aberrations idéologiques qui ont mené la brigade à la ruine et les montagnards à la misère. Gu Hua explique :

 

« Au printemps 1977, je me rappelle être allé avec des collègues dans un district des monts Wuling pour collecter des vieux chants de l’Armée rouge afin d’écrire quelques pièces pour notre troupe de chant et de danse de Chenzhou. C’est à cette occasion que j’ai entendu raconter une histoire concernant une petite brigade de production d’une dizaine de familles éparpillées sur une distance de plusieurs kilomètres.

 

En 1968, le chef de brigade avait commencé à attribuer des quotas par famille, ce qui était interdit [on était en pleine collectivisation, au début du Grand Bond en avant], et il avait continué sans rien dire jusqu’en 1977. Les faits avaient alors été découverts, et, bien que ce fût après la chute de la Bande des quatre, il avait été condamné à neuf ans de prison pour avoir suivi pendant neuf ans " la voie capitaliste" [7]. » (ma traduction)

 

Même dispersés sur des kilomètres, les malheureux montagnards étaient obligés de se rassembler tous les jours pour travailler, selon une organisation très rigide en vertu du slogan « action collective pour une production collective », et conformément au modèle de Dazhai qui n’était pas adapté aux conditions locales. La nouvelle est inspirée de cette histoire.

 

Gu Hua l’a écrite en 1981, quand il fut avéré que, bien que le chef de brigade ait été emprisonné et sa famille persécutée, il avait en fait sauvé les montagnards du désastre. La nouvelle est une page d’histoire qui rend hommage au courage de cet homme, et, à travers lui, à tous ceux qui ont montré le même dévouement et la même droiture dans ces temps difficiles.

 

A partir de 1984, Gu Hua multiplie les publications de recueils, nouvelles et essais. En 1985, « Les veuves vierges » (贞女) est une autre nouvelle célèbre qui reflète le caractère immuable du misérable sort des femmes dans la société chinoise : le récit déroule en deux fils narratifs alternés l’histoire de deux femmes séparées par près d’un siècle, sous des régimes différents, mais pourtant condamnées à un destin très semblable.

 

Serious Women

 

Sa dernière publication est un recueil de nouvelles moyennes, « La légende du mont Wujie » (《雾界山传奇》), paru en 1987.

 

En 1988, Gu Hua a émigré au Canada.

 


 

Principales publications

 

Révolution culturelle

 

Nouvelles courtes

1971 La vallée des pins rouges 《红松谷》

1972 Sur la voie d’une récolte record 《丰收路上》

1972 Nouvelle histoire de la « tornade verte » 绿旋风新传》[8]

1973 La petite sœur dans la montagne 《山里妹娃》

1974 Chronique du village du Tertre du printemps 《春陵村纪事》

1974 Le chant de Mangchuan 《莽川歌》

 

Nouvelle moyenne

1974  La légende du lac Yangtian 《仰天湖传奇》

 

Roman

1976  Bruissements à Shanchuan《山川呼啸》

 

Années 1980

 

1981 Une petite maison de bois couverte de lierre 《爬满青藤的木屋》

1981 Le Village Hibiscus 《芙蓉镇》

1982 La Crête de la Pagode 《浮屠岭》

1984 Le Village de la sœur 《姐姐寨》

1985 Les Veuves vierges 贞女

 

Traductions en français

 

- Une maisonnette de bois couverte de lierre, tr. Liu Hanyu, dans Les meilleures œuvres chinoises 1949-1989, Littérature chinoise collection Panda, Pékin 1989, pp. 157-176.

- Hibiscus, tr. Philippe Grangereau, Laffont 1987.

 

Traductions en anglais

 

- A Small Town Called Hibiscus, tr. Gladys Yang, Panda Books 1983

- Pagoda Ridge and Other Stories, tr. Gladys Yang, Panda Books 1986.

- Virgin Widows, tr. Howard Goldblatt, University of Hawaii Press 1996

 

Adaptations au cinéma

 

1984 A Cabin Covered with Ivy 《爬满青藤的木屋》 de Xiang Lin 向霖

1986 Hibiscus Town 《芙蓉镇》 de Xie Jin 谢晋

1987 Serious Women 贞女 de Huang Jianzhong 黄健中

 


 

Roman illustré et adaptations en lianhuanhua du Village Hibiscus

 

- Roman illustré (édition Littérature du peuple après le prix Mao Dun) :

Juillet 1983

http://www.360doc.com/content/16/0213/10/1003261_534245423.shtml

 

- Adaptations du roman en lianhuanhua

Janvier 1984 

http://v.wxrw123.com/?url=http://mmbiz.qpic.cn/mmbiz/lN4Wg6fcQsamkHaQsicZHk6Hiavmmog

tjNE2f6vroBqnGPDJl05uJerOAsDyILyic9p4TlP1msJW2CgyqIv9Lj21Q/0

pp. 108-134 http://blog.sina.com.cn/s/blog_5c2501bb0102dvpk.html

 

Mai 2007

http://v.wxrw123.com/?url=http://mmbiz.qpic.cn/mmbiz/lN4Wg6fcQsamkHaQsicZHk6Hiavmmo

gtjN4ibxBcE5kwlthSKd0qfZhiacoGGSC9fotmX8aksY0IxiaX4ibZUpveJReg/0

 

- Adaptation du film de Xie Jin « Hibiscus Town »

http://sanwen8.cn/p/Ta8xH6.html

 


 

Un autre Shen Congwen ?

 

Les récits de Gu Hua ont pour thème la vie rurale dans le sud du Hunan de son temps. On le considère donc souvent comme le « Shen Congwen des années 1980 ». C’est l’éditeur de la revue Dangdai qui a publié « Le Village Hibiscus » qui a proclamé que le Hunan avait produit « un autre Shen Congwen ». Mais ce jugement doit être nuancé.

 

Gu Hua admirait Shen Congwen (沈从文), l’élégance de son style et la beauté de ses descriptions de la nature. C’est alors qu’il préparait ses récits du début des années 1980 que, selon sa traductrice Gladys Yang, il a étudié Shen Congwen, mais aussi Zhao Shuli (赵树理).

 

Au printemps 1980, avant d’écrire « Une petite maison de bois couverte de lierre » et « Le village Hibiscus », quand il a participé à une classe de formation organisée par l’Association de écrivains, Gu Hua a demandé que Shen Congwen soit invité comme professeur, mais en vain. L’année suivante, il est allé rendre une première visite à l’écrivain ; Shen Congwen avait lu « Le Village Hibiscus » et l’avait bien aimé. Shen Congwen lui donna des conseils, et il s’ensuivit une longue amitié. Shen Congwen a été une profonde source d’inspiration pour Gu Hua.

 

Mais les deux œuvres sont très différentes. Gu Hua a été marqué par l’idéologie littéraire des années de la Révolution culturelle, et son œuvre est un reflet et une critique des politiques menées jusqu’à la chute de la Bande des quatre. Gu Hua a une tendance au didactisme que l’on ne trouve jamais chez son aîné, dont la qualité de l’œuvre tient justement au fait qu’il a su s’évader des discours convenus et des limites régionales.  

 


 

Gu Hua 古华

II. Gu Hua /Shen Congwen: similarités et différences


 


[1] Ces instituteurs étaient le plus souvent des jeunes collégiens recrutés par des villages isolés pour pallier le manque d’enseignants dans les campagnes. Ils venaient en grande partie de familles pauvres qui n’avaient pas les moyens de payer des études supérieures à leurs enfants. Le système a été supprimé en octobre 1979.

[3] La date de publication coïncide avec la condamnation à mort de Jian Qing et de Zhang Chunqiao, en janvier 1981. Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/reperes_Le_cinema_chinois_reperes_historiques_1978_1983.htm

[4] Voir : chinesemovies (à venir)

[5] Dans la préface à sa traduction, A Small Town Called Hibiscus, Panda 1983.

[7] Ce n’est qu’en 1979, après le 3ème plénum du XIème Congrès, qu’un certain degré de flexibilité a été peu à peu introduit dans les rouages de production agricole.

[8] 《绿旋风》凤凰传奇 la tornade verte, la légende du phénix : chanson militaire, aujourd’hui adaptée en danse de square 广场舞

 

 

 

 

  

 

 

 

 

     

 

 

 

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