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Shen Wei 沈苇

Présentation

par Brigitte Duzan, 4 juin 2016

 

Shen Wei est l’un des principaux écrivains chinois han représentatifs de la génération "post’60" de la littérature du Xinjiang. Il est de ceux qui y sont partis à la fin des années 1980, comme d’autres jeunes Chinois sont partis au Tibet au même moment, et il y est resté près de trente ans, fasciné par la région qui est devenue son second pays natal.

 

Il a traduit cette fascination dans un « Dictionnaire du Xinjiang » (《新疆词典》) désormais célèbre qui est un chef d’œuvre impressionniste de sensibilité poétique nourrie de l’esprit du lieu.

 

Poète dans l’Ouest lointain

 

Shen Wei est né en 1965 à Huzhou, dans le Zhejiang (浙江湖州). 

 

Shen Wei

  

Il a terminé en 1987 ses études de littérature chinoise à l’Université normale du Zhejiang (浙江师范大学中文系). L’année suivante, en 1988, à l’âge de 23 ans, il est parti au Xinjiang comme enseignant, dans un esprit de découverte, comme beaucoup de jeunes à l’époque. Mais, dans son cas, c’étaitaussi pour échapper aux relations tendues avec son père.

 

Il a pris un train pour Urumqi et a voyagé pendant quatre jours et trois nuits :

因为向往边疆,脑子一热,带上简单行李,怀里揣很少一点钱,坐上绿皮火车就去了。

« L’esprit en feu à l’idée de partir vers la frontière, j’ai pris le train vert avec pour tout viatique une simple valise et très peu d’argent. »

 

Il a débarqué dans une chaleur infernale, mais il s’y est vite habitué ; le pays étranger est devenu pays natal (异乡成了故乡). Il garde en fait au cœur le sentiment d’avoir un double pays natal : chaque fois qu’il revient dans son village à Huzhou, il a l’impression de n’en être jamais parti (感到自己从未离开) :

新疆生活反而像是一个‘梦’了,有点不真实。

         « La vie au Xinjiang apparaît comme un ‘rêve’, quelque peu irréelle. »

 

Mais cette expérience a été une riche source d’inspiration, et une initiation à la vie :

 

只有在第二故乡,才能检验自己灵魂的强度和载力。

« C’est seulement dans un second pays natal que l’on peut réaliser l’étendue de sa force d’âme ».

 

Pendant plus de dix ans, il a écrit des poèmes, dont il a publié deux recueils, en 1995 et 1997. Puis, en 2002, il a parcouru plus de 20 000 kilomètres dans l’immensité du Xinjiang, en visitant 90 % des villes et districts de la région. C’est la vision globale que lui a donnée ce voyage qui est d’abord la source de son ouvrage de 2003, « Le festin du Xinjiang » (《新疆盛宴》), une sorte de manuel, de guide de voyage hors circuits organisés, un guide du marcheur.

 

Trois ans plus tard, en 2005, il a publié le « Dictionnaire du Xinjiang » (《新疆词典》) qui en est un approfondissement :

《新疆盛宴》是行走的产物,而《新疆词典》是沉思的结果

« Le festin du Xinjiang » est né du rythme de la marche, le « Dictionnaire du Xinjiang » est le fruit d’une pensée approfondie.

 

C’est comme un long poème en prose. En fait, le « Dictionnaire » dérive directement de son œuvre poétique : Shen Wei lui-même a défini ses poèmes sur le Xinjiang comme « un château de langage », et la série d’essais qui constituent le « Dictionnaire » comme « une petite maison près du château », une sorte de poste de douane donnant accès à la région entière.

 

Le Dictionnaire du Xinjiang 

 

Le dictionnaire du Xinjiang

(édition révisée 2014)

 

Shen Wei a publié la première version de son dictionnaire en 2005. Il est écrit dans un mélange de styles et genres divers, de l’essai à la fiction, au théâtre et aux récits populaires locaux, les entrées ayant des longueurs très diverses, la plus longue dix mille caractères, la plus courte une ligne. Il y en avait cent au départ. Mais il a révisé le texte dix ans plus tard, a supprimé trente entrées, en a ajouté quarante nouvelles : l’édition 2014 en comporte 110 au total.

 

Poussière, voie dégagée

 

Son but était de faire connaître la diversité géographique et la richesse humaine et culturelle de la région en évitant les clichés usuels. Outre la beauté des sites qu’il dépeint dans un style très poétique, on le sent fasciné par l’ancienneté d’une histoire et d’une culture qui s’est développée avec la Route de la soie quand le sud de la Chine était encore sauvage. Il a été attiré en particulier par la poésie et les chants. En même temps, sous la diversité et la spécificité de toutes ces formes de culture traditionnelle, il sait faire ressortir les valeurs humaines de portée universelle.

 

Comme l’a dit sa traductrice américaine Eleanor Goodman, ce qui ressort de son dictionnaire, comme de ses poèmes, c’est la « géographie spirituelle » de cet Ouest lointain. Il ne se refuse pas à dépeindre les beautés du paysage, mais c’est toujours pour rechercher l’esprit profond qui les anime.

  

       “我想还原一个真实的新疆,而不是一个被风景主义和风情主义遮蔽的地区。

J’ai voulu en revenir à un Xinjiang authentique, et non une sorte de région factice dont la réalité est trop souvent occultée par une attention excessive, voire unique, apportée au paysage ou aux coutumes locales.

 

Shen Wei a beau être un natif du Zhejiang, il est aujourd’hui rédacteur en chef de la revue « West » éditée par la Fédération des lettres et des arts du Xinjiang (新疆文联《西部》杂志) et il est reconnu par les écrivains locaux eux-mêmes comme une voix authentique de chez eux, « comme si sa famille était installée dans la région depuis des générations », selon la romancière kazakh Yerkesy Hulmanbiek, vice-présidente de l’Association des écrivains de la région autonome ouïgour du Xinjiang.

 

Dans son « Dictionnaire », il est une entrée intitulée « Migrant » (移民) qui se présente comme l’histoire symbolique d’une grenouille du sud de la Chine [1]. La grenouille se sent déprimée parce qu’elle est seule, que son

 

West, le numéro de juin 2016

univers est limité à sa mare et qu’elle y est toujours dans l’humidité. Alors elle conçoit le projet grandiose de rompre sa solitude et défier le destin en partant sur les routes. Elle va jusqu’au Xinjiang dans l’espoir de voir l’humidité chronique de sa peau s’évaporer dans la chaleur sèche du désert.

 

L’esprit poétique de midi

 

Je me sens un peu comme la grenouille, a dit Shen Wei, mais la grenouille doit malgré tout préserver un minimum d’humidité pour ne pas rendre l’âme. Son dictionnaire est ainsi, selon ses propres termes, un « poème hybride », un poème « de sang mêlé » (混血之诗).

 

Mais c’est aussi une création qui reflète l’esprit, l’essence du Xinjiang, définie, toujours selon lui, comme « esprit de midi » (正午精神) – au sens de la pensée de midi de Camus (正午的思想) [2], pensée solaire, inscrite dans les profondeurs d’un grand héritage méditerranéen, qui cherche à midi, moment d’intense lumière, un équilibre médian entre des pôles opposés. Pensée de midi qui apparaît pour la première fois dans un texte de 1948 paru dans les Cahiers du Sud et dédié à René Char, fruit du dialogue entre Camus et le poète qui dessine un horizon au croisement des civilisations. Pensée de midi comme pensée des limites qui

est tout à fait dans l’esprit du Xinjiang, ces marges aux limites du monde chinois.

 

Le Dictionnaire a été révisé et réédité en 2014, mais le Xinjiang est un sujet inépuisable : on pourrait continuer le dictionnaire à l’infini …Il faudra le réviser à nouveau dans dix ans, a dit Shen Wei.

 

 

Principales publications

 

Recueils de poèmes

1995 Brève halte 《在瞬间逗留》

1997 Hauteurs abyssales 《高处的深渊》

2004 A moi poussière, voie dégagée 《我的尘土我的坦途》

2008 Shanshan, Shanshan 《鄯善鄯善》 [3]

2010 Ode à Kanas 《喀纳斯颂》 [4]

 

Recueils de prose

1999 L’esprit poétique de midi 随笔集《正午的诗神》

 

Ode à Kanas

2003 Journal de voyage : Le festin du Xinjiang 游记《新疆盛宴》

2008 Merveilles végétales 《植物传奇》

2005/2014 Un dictionnaire du Xinjiang 散文集《新疆词典》

 

 

A lire en complément

 

Un extrait du « Dictionnaire du Xinjiang » :

Turfan 《吐鲁番》

 

 


[1] Migrant, texte chinois : http://www.scimao.com/read/3029903

[2] Pensée de midi à laquelle il a rendu un hommage direct dans son recueil intitulé justement « La pensée poétique de midi » (《正午的诗神》), un recueil d’essais sur une cinquantaine de poètes étrangers du passé, en commençant par Homère, les quatrains (ou rubaiyat) d’Omar Khayam, et sans oublier Confucius, comme un « livre des morts », dit-il, dont il s’agirait de transmettre l’héritage.

[3] District autrefois appelé Piqan, rebaptisé d’après l’ancien royaume de Shanshan (ou Loulan 楼兰), bien qu’il ait été, en fait, situé un peu plus loin, à l’extrémité nord-est du désert du Taklamakan. Le nom de Shanshana été proposé à l’empereur Guangxu quand il a décidé d’établir là un district en 1902.

[4] Il s’agit du lac Kanas, dans la préfecture de l’Altay, à l’extrême nord du Xinjiang, non loin de la frontière avec le Kazakhstan et ka Mongolie.

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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