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Xu Zhenya 徐枕亞 / 徐枕亚

1889-1937

Présentation

par Brigitte Duzan, 23 avril 2024

 

 

Xu Zhenya

 

 

Xu Zhenya est un célèbre romancier et homme de presse de la fin des Qing et des débuts de la République. Son œuvre la plus connue, le roman « L’âme de Yuli » (Yuli hun 玉梨魂), écrit en langue classique, lui a valu en 1921 le titre de « Père des histoires d’amour tragiques » (yanqing xiaoshuo zhi zu 言情小之祖). Il est l’un des principaux représentants du courant littéraire des Canards mandarins et papillons (鸳鸯蝴蝶派).

 

Un amour malheureux : Yuli hun

 

Xu Zhenya est né en 1889 à Changshu, dans le Jiangsu (江苏常熟). Son père était enseignant et a commencé très tôt l’éducation de son fils. En 1904, Xu Zhenya a arrêté ses études pour enseigner dans l’école primaire dont son père était le directeur. Mais le père meurt en 1907 et l’école est fermée. Xu Zhenya part à Wuxi (无锡).

 

De 1909 à 1911, il est instituteur à l’école primaire Hongxi du bourg de Xicang (西仓镇鸿西小学堂), dans la préfecture de Wuxi. Son frère Xu Tianxiao (徐天啸) l’introduit dans la société Nanshe (南社), l’une des principales sociétés littéraires de l’époque. Il écrit des centaines de poèmes dont beaucoup sont publiés dans la revue de la société (南社丛刊), créée à Wujiang (吴江) par Liu Yazi (柳亚子).

 

Parallèlement, il est le tuteur d’un enfant dans la maison proche de l’école où il enseigne, celle du grand calligraphe Cai Yinting (蔡荫庭). Il a alors une histoire d’amour malheureuse avec la mère de l’enfant, Chen Peifen (陈佩芬). Ils ont été passionnément amoureux, échangeant lettres et poèmes. Mais, étant veuve et ne pouvant donc l’épouser par respect pour son mari défunt, selon les règles de convenance confucéennes, Chen Peifen lui fait épouser sa nièce Cai Ruizhu (蔡蕊珠). Le mariage a lieu en 1910. C’est cette histoire qui a inspiré à Xu Zhenya son roman « L’âme de Yuli »  (Yuli hun《玉梨魂》) dont il écrit les premières ébauches dès 1911.

 

 

Yuli hun (L’ame de Yuli)

 

 

Les relations avec sa belle-mère étant tendues, Xu Zhenya repart enseigner à Changshu. Mais, en 1911, son frère Xu Tianxiao part à Shanghai faire des études de droit ; il écrit pour le journal Minquan bao (《民权报》), alors très populaire, et y introduit son frère.

 

C’est ainsi que, en 1912, Xu Zhenya part à Shanghai avec son camarade de classe Wu Shuangre (吴双热) pour travailler au Minquan bao. Il devient rédacteur en chef du supplément littéraire du journal, et c’est dans ce supplément qu’il publie son roman Yuli hun, « L’âme de Yuli », qui a aussitôt un immense succès.

 

Autofiction en trente chapitres [1], le roman dépeint les amours malheureuses d’un jeune lettré, He Mengxia (何梦霞), qui a été engagé comme précepteur du fils d’un lointain parent décédé. La veuve, Bai Liying (白梨影), tombe amoureuse de lui, mais c’est un amour condamné par les règles confucéennes. Bai Liying présente donc He Mengxia à sa belle-sœur Cui Yunqian (筠倩) et se suicide après leur mariage. Mais Yunqian est une femme moderne qui n’est pas satisfaite du mariage arrangé par sa belle-sœur. Quand elle apprend l’amour qui existait entre He Mengxia et Bai Liying, prise de remords, elle se suicide à son tour. Quant à He Mengxia, suivant les dernières instructions de Liying, il part faire des études au Japon puis revient participer au soulèvement de Wuchang (武昌起义) [2] et meurt pour la patrie.

 

Très moderne dans sa thématique, à la fois dans sa dénonciation des tabous sociaux concernant le mariage et dans sa note nationaliste, le roman annonce les œuvres sur le même sujet de la période de la Nouvelle Culture. Mais le roman est aussi original et novateur dans sa forme. Il est écrit en langue classique, et en prose parallèle (pianti wen 骈体), mais avec une structure syntaxique personnalisée qui ne suit pas strictement les règles. En outre, Xu Zhenya a utilisé des poèmes et des lettres (quatorze au total) qui permettent aux personnages d’exprimer leurs sentiments, dans un style lyrique et avec une évolution progressive de l’exaltation au désespoir. Xu Zhenya a ajouté à la fin la forme du journal (que tient Yunqian avant sa mort), innovation stylistique qui va devenir populaire.

 

« L’âme de Yuli » a exercé une profonde influence sur la littérature de l’époque, tant pour la forme que pour le fond. Après la publication en feuilleton dans le journal, il a été édité en livre en 1913 par les presses du Minquan bao et réédité des dizaines de fois aux cours des années suivantes. Immense succès d’édition, il a même été piraté, à Hong Kong et à Singapour. Ensuite, il a été adapté au cinéma en 1924, 1939 et 1953 (voir ci-dessous).

 

 

Yuli hun, film cantonais de 1953

 

 

De tous les romans du courant des Canards mandarins et papillons, c’est certainement le plus connu et celui qui aura eu le plus de retentissement – on le considère même comme le roman fondateur du mouvement. Il a suscité un véritable engouement, surtout chez les lectrices. L’une d’elles, Liu Yuanying (刘沅颖) [3], est même venue de Pékin à Shanghai dans l’intention d’en épouser l’auteur… ce qu’elle réussira à faire après la mort de la première épouse de Xu Zhenya, quinze ans plus tard.

 

Après le succès

 

Xu Zhenya est désormais célèbre. Mais, pendant l’hiver 1913, le Minquan bao est obligé de suspendre sa publication pour avoir critiqué le projet de restauration monarchique de Yuan Shikai.

 

En janvier 1914, il devient rédacteur en chef de la revue littéraire « Le monde de la fiction » (《中华小说界》) des éditions Zhonghua (中华书局). Mais il quitte Zhonghua en mai pour devenir rédacteur en chef de la nouvelle collection de textes de fiction Xiaoshuo congbao (《小说丛报》) créée par un groupe de jeunes autour de Liu Tieleng (刘铁冷).

 

Il réécrit alors « L’âme de Yuli » sous forme de journal, en ajoutant de nombreux poèmes [4], et le publie dans le Xiaoshuo congbao sous le titre « Les larmes de l’oie des neiges » (Xue hong lei shi《雪鸿泪史》). Le roman a le même succès que le précédent.

 

 

Les larmes de l’oie des neiges,

premier roman sous forme de journal

 

 

Il publie dans la même collection la courte nouvelle Jue () [5], au sens de « Conscience », qui est tout aussi caractéristique de son style et de ses thèmes, en reflétant le courant de fiction populaire de la période. C’est une réflexion introspective [6] d’un jeune révolutionnaire qui a quitté la femme qu’il aime pour participer à la révolution de 1911 : après plusieurs années d’errances, déçu par une cause à laquelle il ne croit plus, bourré de remords et honteux de ne pas être devenu un héros, il ne voit d’autre solution que la réclusion [7]. Cette méditation sur le sens du sacrifice se conclut sur l’idée que le dévouement inconditionnel à la nation ne vaut pas qu’on lui sacrifie ses sentiments intimes et ses aspirations personnelles. L’impression finale est celle d’une vie gâchée, tout comme celle de He Mengxia.

 

En juillet 1918, cependant, en raison de désaccords avec la rédaction, Xu Zhenya quitte le Xiaoshuo congbao et fonde sa propre maison d’édition, Qinghua (清华书局), avec une revue trimestrielle (xiaoshuo jibao《小说季报》). Mais la revue cesse très vite d’être publiée. La maison d’édition n’est pas un succès non plus.

 

Difficiles dernières années

 

En septembre 1922, sa femme Cai Ruizhu tombe malade et meurt. Il écrit cent « Poèmes du souvenir » (《悼亡词》) sous le nom de plume Qizhusheng (泣珠生), c’est-à-dire « l’homme qui pleure des larmes comme des perles ». Puis, en 1923, il devient un temps le rédacteur du mensuel « Bambou vert » (《绿竹》). En 1926, il finit par épouser Liu Yuanying (刘沅颖) (voir note 1). Mais cela ne fait que créer des tensions familiales.

 

Sa maison d’édition périclite. En 1934, il la vend aux éditions Dazhong (大众书局), et rentre dans sa ville natale. Pour vivre, il ouvre un magasin d’antiquités qu’il nomme « Le zhen lu » (乐真庐) – soit : la vraie chaumière du bonheur - et dans lequel il vend ses calligraphies et des sceaux. Il noie son chagrin dans l’alcool et n’écrit pratiquement plus. Il n’a que quarante ans, mais il est atteint de tuberculose.

 

 

Une calligraphie de Xu Zhenya

 

 

Liu Yuanying meurt de maladie pendant l’hiver 1936. En novembre 1937, Changshu tombe aux mains des Japonais. Malade, Xu Zhenya s’enfuit à la campagne. Il meurt de maladie, dans la pauvreté, à l’âge de 49 ans.

 

Outre une dizaine de romans, ses œuvres complètes comportent quatre volumes de textes divers, dont des poèmes, des souvenirs (《杂忆》) et même une « Brève histoire des romanciers modernes » (《近代小说家小史》). 

 


 

Quelques publications

(fiction et autofiction)

 

1912 : L’âme de Yuli  Yuli hun 玉梨魂

1915 : Les larmes de l’oie des neiges Xue hong lei shi《雪鸿泪史》

1916 : Le sac de brocard  Jin nang 锦囊(avec Wu Shuangre 吴双热)

1916 : La femme de trop  Yu zhi qi 余之妻

1916 : Les deux servantes Shuang huan ji《双鬟记》

1917 : Les regrets de la chambre des femmes Lan gui hen 《兰闺恨》

1918 : Devenir gendre Rang xu ji《让婿记》

 


 

Adaptations cinématographiques

 

1924 : The Death of Yuli (《玉梨魂》) de Zhang Shichuan (张石川) et Xu Hu (徐琥), scénario Zheng Zhengqiu (郑正秋).

1939 : Yuli hun (《玉梨魂》), film cantonais co-réalisé par Shi Youyu (石友宇) et Li Lianqia (李连洽).

1953 : Yuli hun (《玉梨魂》), film cantonais de Lee Sun-fung (李晨风).

 

Yuli hun 1953, extrait 1

 

Yuli hun 1953, extrait 2

 


 

Bibliographie

 

- Xu Zhenya sur le blog de Joachim Boittout :

https://joachimboittout.home.blog/%E5%BE%90%E6%9E%95%E4%BA%9E-xu-zhenya/

- Le calme avant la tempête ? Littérature chinoise en langue classique et fabrique de la modernité chinoise au début de la période républicaine, Joachim Boittout, China Perspectives, 2019-2.

À lire en ligne : https://www.jstor.org/stable/26743210

(en anglais : The Calm Before the Storm, Early Republican Classical Literature and the Making of Chinese Modernity. https://journals.openedition.org/chinaperspectives/9206)

Et en complément le blog de Joachim Boittout sur les années 1910-1918 :

https://joachimboittout.home.blog/

- en chinois : Analyse comparée de Yulihun et de « La Cangue d’or » de Zhang Ailing (chinawriter.com)

《玉梨魂》与《金锁记》的互文解读

 


 

Traduction en anglais

 

The Death of Yuli, trad. Gong Xiaohui/ Lu Xiaoqian, Great Wall Publishing, mars 2023, 300 p.

 

 

The Death of Yuli

 

 

 


[2] C’est le soulèvement qui marque le début de la révolution de 1911.

[3] C’était la fille de Liu Chunlin (刘春霖,1872 1942), le dernier zhangyuan (狀元), c’est-à-dire le lettré classé premier à l’ultime examen impérial.

[4] Y compris des poèmes qui ne sont pas de lui et qu’il supprimera dans les éditions ultérieures.

[5] Signée de son autre nom de plume : Xu Jue ().

[7] Ce qui rappelle aussi Su Manshu (苏曼殊).

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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