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Ye Guangqin 叶广芩

Présentation

par Brigitte Duzan, 5 juillet 2013, actualisé 6 mars 2017

    

Ye Guangqin n’est guère connue hors de Chine ; elle n’est pratiquement pas traduite. Pourtant, elle jouit en Chine d’une grande popularité, de par ses origines, par les histoires qu’elle raconte et les nombreuses adaptations cinématographiques et télévisées qui en ont été réalisées, la dernière en date – à la télévision - datant du début de 2013.

     

Dans ses romans et nouvelles, c’est sa patrie d’adoption, le Shaanxi, que l’on sent vivre, mais aussi sa ville natale, la vieille ville de Pékin, que l’on sent renaître : mandchoue comme Lao She, elle a le même amour que lui des vieux siheyuan où elle a passé son enfance, et met la même passion à les évoquer.

     

Ancienne aristocrate mandchoue

 

Ye Guangqin

    

Née en 1948 à Pékin, Ye Guangqin (叶广芩) est issue d’une vieille famille de l’aristocratie mandchoue. Ye est l’abréviation du nom du clan à laquelle la famille appartenait : Yehe, qui faisait partie de la Bannière bleue à bordure, ou plus précisément Yehe Nara, le clan ayant été fondé par un ancêtre mogol

qui s’établit sur les bords du fleuve Yehe après avoir vaincu les Nara.

      

Souvenirs nostalgiques du vieux Pékin

      

 Ye Guangqin est une petite nièce de l’impératrice Cixi (慈禧太后) qui appartenait au même clan. C’est dire combien la vie de la famille est devenue difficile après l’instauration du régime communiste, surtout quand le père est mort, peu de temps plus tard. Restée seule, la mère a dû élever ses quatre enfants en subsistant comme beaucoup de familles mandchoues à Pékin à l’époque : en mettant en gage les biens familiaux. A un demi-siècle de distance, elle partage donc bien des souvenirs avec Lao She (老舍).

     

Comme lui, et pour les mêmes raisons, elle garde un souvenir ému de sa mère, dont l’ombre plane sur nombre de ses récits, liée à la mémoire du siheyuan familial et de ses habitants (1) :

     

“母亲是个追求完美与精致的人,这大概与她的家庭背景有关。我对北京城东那座宽展的四合院至今记忆犹新,那是我的姥姥家。母亲在那座院子里出生、成长,那里盛满了叶赫家族的故事,盛满了母亲的记忆。母亲和她的兄长们在这个院里养过鸽子、蛐蛐、蝈蝈、金鱼,糊过风筝,荡过秋千……那个老旧衰落的庭院,那些剥落红漆的廊柱,长满绿苔的墙根,那些挑剔、不合群又满肚子学问的舅舅们让我说不出是喜爱、敬重还是畏惧。…我读母亲的小说,…读出生活与文学的嬗变,十分的微妙,这是我作为母亲作品读者的得天独厚。”

« Ma mère était quelqu’un de raffiné en quête de perfection, ce qui tenait sans doute à ses origines familiales. Je garde encore aujourd’hui un souvenir très net de notre vaste siheyuan de l’est de Pékin qui était la maison de ma grand-mère maternelle. C’est là que ma mère était née, avait grandi ; l’endroit fourmillait d’histoires du clan Yehe, et des souvenirs de ma mère, souvenirs des pigeons, des criquets, des sauterelles, des poissons rouges, qu’elle et ses frères y élevaient, des cerfs-volants qu’ils y fabriquaient et des balançoires sur lesquelles ils jouaient… Cette vieille cour décrépite, ces corridors aux piliers à la laque rouge écaillée, ces murs envahis à la base de mousse verte, et mes oncles, au caractère difficile et peu sociable, mais incroyablement érudits, je ne sais pas si ce qu’ils m’inspiraient, c’était de l’amour, du respect ou de la crainte…. A travers les histoires écrites par ma mère, on perçoit des changements très subtils dans le mode de vie et la littérature ; c’est pour moi un privilège insigne d’être la lectrice des récits de ma mère. »

     

Déracinement brutal et refuge dans l’écriture

     

La vie n’était pas facile pour ces éléments noirs, exploiteurs féodaux, honnis de la Chine nouvelle, mais la cohésion familiale aidait à survivre. Tout cet univers vole en miettes avec le lancement de la Révolution culturelle. En 1968, Ye Guangqin est envoyée « à la campagne », comme toute sa

génération ; elle doit quitter sa mère, aveugle et gravement malade, pour partir dans le Shaanxi ; elle ne la reverra jamais.

     

Elle devient infirmière. En même temps, les lieux l’inspirent, ils sont gorgés d’histoire impériale ; elle rêve devant les tombeaux, et se met à écrire. Sa première nouvelle date de 1970 : « Un couple » (《夫妻之间》). Elle a trente deux ans, mais il lui reste encore beaucoup à apprendre.

    

En 1983, elle entre comme rédactrice adjointe au « Journal des travailleurs du Shaanxi » (《陕西工人报》) et, la même année, s’inscrit aux cours par correspondance de journalisme de l’Université du peuple (人民大学).

      

En 1990, elle part continuer se perfectionner au Japon,

à l’université Chiba. Elle rentre en 1995 en Chine et devient alors écrivain professionnel, élue vice-présidente

de l’Association des écrivains de Xi’an en 1999.

     

C’est donc à partir du milieu des années 1990 que démarre

 

Gare à l’ours

véritablement sa carrière, mais elle devient vite un auteur prolifique.

      

La réalité du Shaanxi et la mémoire du vieux Pékin

            

Ye Guangqin est installée à Xi’an depuis plus de quarante ans, le Shaanxi est devenu sa patrie d’adoption. Ses écrits reflètent donc son attachement à la culture locale, et à la culture chinoise traditionnelle, en général.

            

La culture pékinoise reste cependant son autre source d’inspiration, culture liée aux siheyuan, aux vieux hutong et aux familles mandchoues qui y vivaient ; ce Pékin embaumé par la mémoire est le thème vers lequel elle revient régulièrement. En ce sens, on peut dire qu’elle poursuit dans la même ligne que celle tracée par Lao She.     

            

Culture traditionnelle chinoise revisitée

            

A ses débuts, c’est la culture traditionnelle qui est son thème privilégié, mais toujours illustrée par des histoires de familles. Ainsi, en 1997, la nouvelle "moyenne" « Médecine

 

Serait-ce en rêve…

traditionnelle » (.厚朴) est typique de cette thématique (2). Ye Guangqin y raconte l’histoire de l’ex-bru d’un vieux praticien de la cour impériale dont elle est l’élève, Yu Lianfang (于莲舫). Bien que divorcée, elle continue à résider avec son beau-père et à se former auprès de lui. Ye Guangqin  construit une riche trame narrative autour d’elle et de la jeune Américaine que son ex-mari ramène des Etats-Unis, et qui fait des recherches sur l’ancienne famille impériale…

            

Vive Poisson noir

 

Son amour de la culture locale passe aussi par la défense

de l’environnement et des animaux sauvages qu’elle aime

à célébrer, témoin sa nouvelle « Le tigre Da Fu » (老虎大福), sorte de conte écologique élégiaque des temps modernes, paru en 2004.

            

Mais sa plus belle réussite, dans le domaine de la

préservation de la mémoire populaire de la région du

Shaanxi, est son roman « Le village de Qingmu Chuan » (青木川), paru au début de 2008. Elle a passé une dizaine d’années à l’écrire et il a fait partie de la sélection pour le prix Mao Dun en 2011..

            

Il s’agit d’un petit bourg aux confins des trois provinces du Shaanxi, du Gansu et du Sichuan. Le roman raconte la

vie d'un brigand légendaire qui y aurait vécu nommé Wei Futang (魏富堂) et, à travers lui, brosse un tableau vivant

de ce coin de terre de la fondation de la République populaire jusqu’à nos jours, de la vie locale, des paysages, et des us et coutumes.

                     

Ye Guangqin a commencé par faire une enquête sur ce personnage, mais s’est vite rendu compte que ce n’était pas une simple histoire de brigand. Wei Futang était aussi quelqu'un qui avait fait construire des ponts et ouvert des écoles dans son village natal, et y avait fait venir des enseignants. Il était parvenu à créer un collège moderne au fin fond de la montagne, où l'on enseignait le russe

et l'anglais. Bref, c’était autant un bienfaiteur qu’un bandit.

            

Culture pékinoise et mandchoue

           

Tout un autre pan de son œuvre est constitué des récits concernant Pékin et ses antécédents mandchous. Ces histoires reflètent et retracent les multiples

changements qu’ont vécus les gens autour d’elle, et sa mère  avant elle, pendant un peu plus d’un siècle, en gros de la fin des Qing et de la Révolution de 1911 à aujourd’hui. Elle se

 

Bonheur familial

            

Xiaoyaojin

 

sert ici aussi, très souvent, de la forme courante dans la littérature chinoise pour retracer l’histoire d’une époque sur plusieurs générations : la saga familiale, comme « Bonheur familial » (《全家福》) qui décrit cinquante ans de la vie d’une famille et de leurs voisins dans un siheyuan et a été couronné du sixième prix Mao Dun.

            

L’un des meilleurs exemples, dans ce domaine, est sans doute la nouvelle de taille moyenne « Chronique du lait de soja » (《豆汁记》), qui décrit une grande famille pékinoise sur le déclin à travers la vie de sa cuisinière, arrivée toute jeune avec une horrible cicatrice lui barrant le visage, mais d’extraordinaires dons culinaires.

           

Elle était en fait entrée à onze ans au service d’une concubine impériale, à la fin du dix-neuvième siècle, et avait été mariée au chef cuisinier du dernier empereur, alcoolique et opiomane, qui l’avait défigurée et vendue à la famille pour

rembourser ses dettes, puis était réapparu avec un enfant. Au début des années 1960, au moment de la Grande Famine, le mari en question réussit à fournir à la famille du lait de soja providentiel.

                

Un autre thème récurrent dans l’œuvre de Ye Guangqin, concernant Pékin, est l’opéra jingju, qui lui sert parfois de toile de fond ou de motif structurel. Ainsi, sa nouvelle « Xiaoyaojin » ou Gué Xiaoyao (逍遥津) fait référence à un opéra éponyme dont l’action se passe pendant la période des Trois Royaumes, le titre étant le nom d’une bataille célèbre : craignant que son premier ministre Cao Cao n’usurpe le trône, Liu Xie, dernier empereur des Han de l’Est, tente de l’éliminer, mais le complot est découvert… Pour cette nouvelle, Ye Guangqin a été couronnée en 2007 du prix littéraire Xiao Hong.

                

Ye Guangqin a annoncé par ailleurs être en train de préparer

 

              

Cai Sangzi

un roman relatant une centaine d'années d'histoire de la capitale, où chacun des chapitres portera le nom d'une pièce d'opéra de Pékin. L'action de ce roman se passe à l'extérieur de la porte de Chaoyang (朝阳), un lieu très connu du vieux Pékin où habitait sa grand-mère maternelle….

                     

                      

Notes

(1) Modèle architectural traditionnel datant de plus de deux mille ans et répandu dans toute la Chine, les siheyuan (四合院) sont les maisons traditionnelles à cour intérieure typiques du vieux Pékin. Le siheyuan de la grand-mère de Ye Guangqin, où elle a passé son enfance et son adolescence, était situé dans un hutong à l’extérieur de la porte de Chaoyang (朝阳门).

(2) Le titre 《黄连.厚朴》huánglián hòupò  désigne un rhizome et une plante utilisés en médecine traditionnelle chinoise, qui apparaissent dans le courant de l’histoire.

    


     

Adaptations cinématographiques

    

Beaucoup d’œuvres de Ye Guangqin ont été adaptées au cinéma et à la télévision.

       

A la télévision :

                     

-  Bonheur familial《全家福》 : adapté au théâtre en 2005, puis en feuilleton télévisé de 48 épisodes, diffusé en janvier 2013.

                

Au cinéma :

                  

- 2004 : The Marriage Certificate / ou Who Cares ?《谁说我不在乎》réalisé par Huang Jianxin (黄建新)*,au studio de Xi’an, avec Feng Gong (冯巩), Lü Liping (吕丽萍), Li Xiaomeng (李小萌)

- 1997 :  Our Tradition 《黄连.厚朴》par Ding Yinnan  (丁荫楠)

- 1995 : Signal Left, Turn Right 《红灯停,绿灯行》 réalisé par Huang Jianxin *, tourné au studio de Xi’an et

adapté de la nouvelle « Anecdotes d’une école de conduite » 《学车轶事》     

 

Film Our Tradition

              

* sur Huang Jianxin, voir www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Huang_Jianxin.htm

                   


               

Principales œuvres publiées

(les titres donné en français sont des traductions à titre indicatif)

     

1970 Un couple 《夫妻之间》

1994 On a les mêmes racines 《本是同根生》

1997 Médecine traditionnelle 《黄连.厚朴》中篇小说集

1998 Gare à l’ours 《注意熊出没》

2001 Le bonheur de toute la famille 《全家福》

2002 Le pont Xie, un rêve sans doute 《梦也何曾到谢桥》

2004 Le tigre Da Fu 《老虎大福》

2005 Vive Poisson noir 《黑鱼万岁》

2005 Histoires du Japon 《日本故事》

2007 Xiaoyaojin 《逍遥津》

2008 Le village de Qingmu Chuan 《青木川》

2009 Cai Sangzi《采桑子》

2009 Chronique du lait de soja 《豆汁记》

2010 La vieille ville du district (édition illustrée)《老县城》 (全彩图文版)

2010 La solitude du Palais d’été – recueil d’essais 《叶广芩散文选:颐和园的寂寞》

2010 L’hôte du bois, esprit de la montagne – recueil de nouvelles 《叶广芩短篇小说选:山鬼木客》

2011 L’ennui malgré l’ivresse 《醉也无聊》

2012 L’entremetteuse du lauréat 《状元媒》

2016 La tombe du revenant 《鬼子坟》
Sélection des meilleures nouvelles de l’année 2015 du Bureau de recherche de l’Association des écrivains
(2015年中国短篇小说精选, 中国作协创研部 pp. 77-100)

 


 

Traductions en anglais

 

- Back Quarters at Number Seven 后罩楼, tr. Bruce Humes, Pathlight June 2014.

Un récit partiellement autobiographique sur la vie dans un hutong de Pékin, dans une famille mandchoue, au début de la Chine nouvelle, quand leur résidence princière est devenue propriété des masses et que s’y tiennent des activités collectives, réunions de quartier ou danses populaires.

Introduction et extrait de la traduction : http://bruce-humes.com/archives/8079#more-8079

 

- Rain : the Story of Hiroshima (又名《广岛故事》), nouvelle moyenne tr. Qin Quan’an, in : Old Land, New Tales, 24 short stories by writers of the Shaanxi region of China, ed. by Chen Zhongshi & Jia Pingwa, Amazon Crossing juillet 2014, pp. 181-222.

Un récit à la première personne, écrit en 2002 à Hiroshima : l’histoire de deux Japonaises âgées qui ont survécu au bombardement, et n’osent plus sortir quand il pleut…

 

- Mountains Stories, Valley Press (à paraître juillet 2017)

 

 

     

    

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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