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Yu Xiuhua 余秀华

Présentation

par Brigitte Duzan, 31 mars 2022

 

Poétesse qui, en d’autres temps, serait restée anonyme et inconnue, Yu Xiuhua (余秀华) est aujourd’hui l’auteure célèbre et célébrée de plus de deux mille poèmes, publiés d’abord sur internet puis, depuis 2015, en recueils et traduits en anglais et en français.

 

Le poids du handicap

 

Yu Xiuhua est un cas étonnant où

 

Yu Xiuhua

le handicap, dans un contexte de pauvreté rurale, est devenu un élément déterminant définissant une personnalité et une écriture hors normes. 

 

Née en mars 1976 dans une famille de paysans du village de Hengdian du district de Zhongxiang (钟祥市横店村), dans le Hubei,  où elle réside toujours, elle souffre depuis sa naissance d’une infirmité motrice cérébrale (ou IMC) affectant ses capacités d’élocution et de motricité. Elle n’a pu se mouvoir qu’en rampant jusqu’à l’âge de six ans, apprenant alors à marcher, de manière instable, en s’aidant de béquilles.

 

Pour cette raison, elle a dû arrêter ses études à la fin du lycée. Mais elle n’était pas capable non plus de travailler la terre, juste de couper de l’herbe pour élever des lapins. C’est alors qu’elle a commencé à écrire de la poésie, comme un kit de survie, un job qui lui permette d’éviter d’avoir à mendier.

 

En 1995, alors qu’elle avait 19 ans, elle a été mariée selon un mariage arrangé par sa mère, qui considérait de manière traditionnelle qu’avec son handicap elle avait besoin de quelqu’un pour subvenir à ses besoins. Son mari, Yin Shiping (尹世平), avait douze ans de plus qu’elle. Travailleur migrant, il est resté vivre dans la famille de sa femme, en parcourant les villes pour trouver du travail ; il n’était pas souvent là, mais quand c’était le cas, les deux époux se disputaient souvent.

 

Yu Xiuhua a donné naissance à un fils, puis, grâce à un début de notoriété qui lui donnait un peu plus de sécurité financière, elle a divorcé à l’automne 2015. Après le divorce, elle a continué de vivre avec ses parents à Hengdian. En 2016, sa mère est morte d’un cancer du poumon. Mais Yu Xiuhua avait déjà publié son premier recueil de poèmes, et elle était devenue célèbre.

 

La force de la poésie

 

La poésie comme force vitale

 

Yu Xiuhua a publié son premier poème en 1998 (à l’âge de 22 ans) : « Empreinte » (Yinhen印痕). Elle y décrit l’empreinte de son corps laissée dans la boue en rampant.

 

Ce n’est cependant qu’en 2009 qu’elle a commencé à écrire régulièrement des poèmes, à raison d’un par jour, sur des thèmes personnels : manque d’affection, handicap, sentiment d’enfermement dans le village avec impossibilité d’évasion, mais aussi évocation en termes souvent crus de ses frustrations sexuelles. Des poèmes célébrant aussi la volonté qu’il faut pour vivre chaque jour quand la vie est si précaire et si difficile.

 

C’est internet qui lui a permis de se connecter avec le monde, le jour où elle a trouvé un café internet dans la bourgade à côté. Puis des amis lui ont offert un ordinateur. Elle a longtemps publié ses poèmes sur un blog.

 

La lumière de la lune sur ma main gauche 月光落在左手上

 

Des lendemains incertains摇摇晃晃的人间

 

En novembre 2014, son poème « J’ai traversé la moitié de la Chine pour coucher avec toi » (《穿过大半个中国去睡你》), publié sur le microblog de la revue « Poésie » (《诗刊》), devient viral et attire l’attention sur elle [1].

 

En 2015, elle devient soudain célèbre. En janvier est publié son premier recueil de poèmes, « La lumière de la lune sur ma main gauche » (月光落在左手上), aux presses de l’Université normale du Guangdong. Le 28 janvier suivant, elle est élue vice-présidente de l’association des écrivains de la ville de Zhongxiang. En février, la maison d’édition des Arts et des lettres du Hunan (湖南文艺出版社) publie son deuxième recueil de poèmes : « Des lendemains incertains » (摇摇晃晃的人间).

 

Son troisième recueil paraît en mai 2016 aux éditions des Arts et des lettres d’octobre, à Pékin (北京十月文艺出版社) : « Nous avons aimé puis oublié » (《我们爱过又忘记》). Le 1er novembre 2016, Yu Xiuhua est lauréate du 3ème prix de littérature paysanne (农民文学奖), doté de cent mille yuans.

 

Autres publications

 

Depuis 2018, Yu Xiuhua diversifie ses écrits. Outre ses recueils de poésie, elle a également publié en juin 2018 un recueil d’essais sanwen : « Joie irraisonnée » (《无端欢喜》).

 

Elle a aussi publié une autobiographie, parue en janvier 2019 de nouveau aux éditions des Arts et des lettres du Hunan : « Et pour le moment ici-bas » (《且在人间》).

 

En mars 2022, elle a publié un poème contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce qui lui a valu d’être attaquée par les suppôts du régime chinois soutenant l’invasion. Comme les autres critiques de la Russie, le poème a vite disparu des réseaux sociaux.

 

Elle est devenue un personnage médiatique, invitée sur les plateaux télévisés. On peut cependant noter qu’à cette date (mars 2022), elle n’a rien publié depuis trois ans (depuis janvier 2019).

 

Le cas Yu Xiuhua

 

On l’a présentée comme un cas de démocratisation de l’écriture par internet. C’est peut-être généraliser excessivement. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a réussi à captiver un auditoire d’internautes chinois, puis des

 

Nous avons aimé puis oublié

《我们爱过又忘记》(affiche promotionnelle)

 

Et pour le moment ici-bas 《且在人间》

 

La femme sur le toit (Picquier 2021)

 

lecteurs étrangers grâce aux traductions, par la sincérité, l’authenticité de l’histoire qui se profile derrière ses poèmes - bien souvent des poèmes d’amour très directs, sans la restreinte exercée par les conventions, ni les raffinements allusifs et les obscurités traditionnels. Sa poésie n’est pas un jeu de l’esprit. 

 

Son langage est cru, traduisant ouvertement un désir féminin, des émotions dont l’expression est d’ordinaire réprimée. Sans doute est-ce parce que sa poésie est empreinte du sentiment de la nature, et que tout ce qu’elle exprime d’espoir, d’angoisse, de douleur, d’amertume et d’attente du lendemain se fond dans ce cadre naturel d’une simplicité originelle qui est celui de sa vie quotidienne. Elle écrit comme elle vit, avec une sorte de réalisme dépressif.

 

Documentaire

 

En 2016, un documentaire intitulé « Still Tomorrow » (摇摇晃晃的人间) [2] sur ses relations avec sa famille, son divorce et son histoire personnelle a été couronné du Prix spécial du jury au festival d’Amsterdam.

 

Le documentaire a été réalisé à la suite de la sensation créée sur internet par son court poème « J’ai traversé la moitié de la Chine pour coucher avec toi ». Il met ouvertement l’accent sur les désirs frustrés de la poétesse qui a eu des histoires d’amour ratées, y compris durant le tournage qui a dû être arrêté un moment le temps qu’elle s’en remette. Fan Jian, comme beaucoup d’autres, avait au départ pensé faire un film de fiction, mais son budget ne le lui a pas permis. Le tournage a duré un an, année pendant laquelle, se sentant en confiance, Yu Xiuhua lui a raconté sa vie, ses espoirs et ses (dés)illusions.

 

Le documentaire Still Tomorrow

 

Pour la promotion du documentaire, Yu Xiuhua est allée à Pékin, Shenzhen et Hong Kong. Répondant aux questions des journalistes et de ses lecteurs, elle est apparue sous une autre image. Elle n’en reste pas moins très attachée à la campagne qui lui fournit le cadre de son inspiration et de sa créativité, bien que, là aussi, le développement local, à son grand dam, soit en train de faire disparaître les champs sous des maisons.

 

Des commentateurs ont hasardé un parallèle avec Emily Dickinson – fondé sur un phénomène semblable d’isolement. Mais c’est un parallèle rapide – et peut-être dû tout simplement au fait que le documentaire est sorti en même temps que celui de Terence Davies sur la poétesse américaine : Emily Dickinson avait choisi son isolement ; celui de Yu Xiuhua était contraint, il est dissipé aujourd’hui par la célébrité. Les poèmes, de toute façon, sont difficilement comparables, ne serait-ce que dans le style.

 


 

Publications

 

Recueils de poésie

Janvier 2015        La lumière de la lune sur ma main gauche月光落在左手上

Février 2015        Des lendemains incertains摇摇晃晃的人间

Mai 2016              Nous avons aimé puis oublié《我们爱过又忘记》

 

Autres

Juin 2018             Joie irraisonnée《无端欢喜》 (essais)

Février 2019        Et pour le moment ici-bas《且在人间》(autobiographie)

 


 

Traduction en français

 

La femme sur le toit, poèmes traduits par Brigitte Guilbaud, éd. Picquier, coll. Poésie, 2021, 112 p.

 


 

Traduction en anglais

 

Moonlight Rests on My Left Palm, poems and essays translated by Fiona Sze-Lorrain, Penguin Random House, 2021.

 


 

À regarder en complément

 

Emission télévisée de la chaîne Nengliang (能量传播官方频道) avec Yu Xiuhua (30.12.2018) https://www.youtube.com/watch?v=P0AV49dE1tY


 

[1] Le titre suffisait : titre provocateur comportant le verbe transitif shuì «  » signifiant coucher avec, terme cru du langage courant que l’on n’a pas l’habitude de trouver dans des poésies. Surtout qu’elle l’utilise ensuite au passif dans le premier vers.

[2] Réalisé par Fan Jian (范俭), monté par Matthieu Laclau et produit par Youku Tudou.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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