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Zheng Xiaoqiong 郑小琼

Présentation

par Brigitte Duzan, 4 avril 2022

 

Travailleuse migrante, Zheng Xiaoqiong est célèbre pour ses poèmes et ses essais sur le thème du travail et de la vie en usine qu’elle publie depuis le début des années 2000. Elle fait partie du courant de littérature « de travailleurs migrants » qui s’est développé à cette époque, travailleurs-poètes dont on a beaucoup parlé après le suicide du jeune poète Xu Lizhi (许立志) en 2014.

 

Travail à la chaîne, d’une usine à l’autre

 

Zheng Xiaoqiong (郑小琼) est née en juin 1980 à Nanchong, dans le Sichuan (四川南充).

 

 

Zheng Xiaoqiong

 

 

 

Elle a fait des études à l’école médicale de Nanchong et a commencé à travailler dans un hôpital rural, mais a abandonné au bout de six mois, pensant qu’elle gagnerait mieux sa vie en travaillant en usine.

 

En mars 2001, elle est donc partie à Dongguan (东莞), surnommée « l’usine du monde », dans le sud du Guangdong. Elle a d’abord été embauchée dans une usine de meubles près de Huangma Ling (黄麻岭) – c’était autrefois une zone de rizières et d’étangs de lotus, et c’est le titre de son premier recueil de poèmes, en 2006. Elle était magasinière et, quand elle sortait, elle achetait dans la rue des numéros des revues littéraires des travailleurs migrants. Elle a commencé à griffonner des poèmes au dos des formulaires comptables de l’entrepôt. Elle en envoya à un journal local qui en publia un premier en mai 2001, intitulé « Lotus » (He《荷》). Le quotidien de Dongguan (《东莞日报》) en publia deux autres à la fin de l’année et lui décerna un prix en mai 2002.

 

Cependant, elle fut licenciée au bout de 40 jours par la fabrique de meubles qui était au bord de la faillite. Elle fut alors embauchée par une usine de lainages. Elle a écrit un essai sur sa vie dans cette usine, qui a été publié en 2015 dans la prestigieuse revue Octobre (Shi yue十月) et primé par la revue.

 

Elle a encore travaillé dans plusieurs usines, dont une usine de hardware où elle est restée de 2002 à 2006. Le turnover du personnel était tel que les gens ne se connaissaient pas et étaient appelés non par leur nom mais par leur numéro sur la chaîne. Elle était le numéro A243 et devait faire des trous dans le métal avec des ultrasons. Elle n’avait même pas de permis de résidence temporaire, si bien qu’elle a dû payer des amendes, travailler douze heures par jour et même emprunter pour vivre.

 

Et puis, un jour, elle a eu un accident de travail : elle s’est fait prendre un doigt dans une machine et elle a vu la moitié de l’ongle de son index disparaître sans un bruit. Douleur irradiant le corps, jusqu’aux os. Flot de sang se mêlant à l’huile de vidange. Elle se retrouve sur un lit d’hôpital au milieu d’une foule d’autres blessés dans des conditions semblables qui avaient tous perdu qui un doigt, qui une main, qui une jambe entière… Le sang sur les bandages prenaient peu à peu la même couleur ocre que la rouille sur les machines, et les gémissements se perdaient dans la cacophonie urbaine, dans le bruit des machines.

 

C’est cet accident, qu’elle a raconté dans un essai [1], qui lui a inspiré son poème : « Fer » (). La poésie est devenue son seul plaisir dans la vie. C’est pendant cette période qu’elle a rencontré le poète Fa Xing (发星) qui lui a fait connaître des poèmes d’autres poètes et lui a offert des livres pour améliorer ses connaissances de l’histoire et la littérature chinoises. En même temps, grâce à internet, elle a eu accès à une mine de ressources et a pris part à tout un réseau d’écrivains et de poètes.

 

 

Au cœur de la nuit, 2006

 

 

Un autre personnage qui a été déterminant dans sa vie est Xu Qiang (许强), le rédacteur en chef du recueil publié en mai 2007 « Poèmes choisis des travailleurs migrants chinois » (《中国打工诗歌精选》) : ayant remarqué un poème qui avait été publié dans la revue « Entrepreneurs » (创业) et décelant un vrai talent, il a aussitôt contacté Zheng Xiaoqiong. Il a publié un long poème d’elle, « Job, un synonyme de vicissitude » (《打工,一个沧桑的词》), en première page du « Journal des travailleurs poètes » (《打工诗人报》).

 

 

Poèmes choisis des travailleurs migrants chinois

 

 

C’est après avoir quitté l’usine de hardware en 2006 que Zheng Xiaoqiong a écrit les poèmes du recueil intitulé « Les travailleuses migrantes » (Nügong ji 《女工) publié en 2012. Elle les a écrits après avoir fait des recherches de terrain et accompagné des travailleuses migrantes jusque dans leurs villages d’origine au Hunan et au Hubei. C’est ce qu’elle raconte dans la postface du recueil.

 

 

Les travailleuses migrantes Nügong ji

 

 

Pendant ce temps, elle a repris du travail, dans une usine de camphre. Mais elle a de nouveau été licenciée en 2008, à cause de la crise économique. Cependant, cette année-là, l’Association des écrivains du Guangdong a lancé un atelier d’écriture pour les travailleurs migrants. Avec une trentaine d’autres migrants, elle a participé au programme, dans les locaux du journal de l’association, le mensuel « Pièces littéraires » (Zuopin 作品). À la fin du programme, en juillet 2008, le journal lui a offert un poste de stagiaire. Elle est devenue rédactrice en septembre 2009, et vice-directrice en 2016.

 

Une « esthétique du fer »

 

Zheng Xiaoqiong a été lauréate en mai 2007 d’ un prix littéraire pour ses essais, puis en juin 2007 du prix littéraire Liqun décerné par la revue « Littérature du peuple » (“利群·人民文学奖”) pour les poèmes représentant ses six années de travail en usine.

 

Elle en a publié une dizaine de recueils depuis lors. Ses poèmes ont la froideur du métal, souvent du métal rouillé, faisant du fer (tiě ) l’emblème représentatif de cette nouvelle poésie. Ses vers hachés disent l’extrême vulnérabilité ressentie dans un monde bruyant et toxique de machines où les mêmes gestes sont à répéter, à l’identique, sans réfléchir, avec le sentiment de devenir soi-même machine, la fatigue au bout des longues journées de travail, et la nostalgie sans espoir du village d’autrefois.

 

 

Poèmes éparpillés sur des machines

 

 

En même temps, la poésie de Zheng Xiaoqiong abonde en références à la littérature et à l’histoires chinoises, comme ses poèmes en prose « En entrant dans le royaume de Chu » (Ru chu 《入) ou encore « Le monastère de la clarté lunaire » (Mingyue si 《明月). Elle fait appel à d’anciennes légendes pour exprimer le sentiment d’un lien mythique avec la culture classique chinoise. Par ailleurs, dans un environnement déshumanisé de machines, d’acier et de produits toxiques, elle confère à l’art et à la poésie un pouvoir de purification et de libération spirituelle comme elle le dit dans son poème « Plantes pures » (Chun zhong zhiwu 《纯种植).

 

 

Pures plantes

 

 

Au bout du compte, sa poésie finit par se lire elle-même comme un classique, une sorte de pastorale postmoderne un peu déglinguée dont les vers ont le rythme saccadé de la machine, avec une césure à mi-course comme pour reprendre haleine, et non plus celui du geste harmonieux du laboureur ou de la glaneuse.

 

 

Le manoir des roses

 

 

Zheng Xiaoqiong n’en finit pas de susciter l’intérêt et les traductions. Deux analystes ont été déterminants pour faire ressortir la qualité et l’originalité de ses poèmes :

 

- Zhang Qinghua (张清华), professeur de littérature à l’Université normale de Pékin et éditeur d’une anthologie de poésie du 21ème siècle (21世纪文学大系·诗歌卷》) : il a souligné cette esthétique « du fer » qui est le symbole de la poésie de Zheng Xiaoqiong dans un article aujourd’hui devenu une référence, traduit en anglais : « Who Touches the Iron of the Age : On Zheng Xiaoqiong’s Poetry » (Chinese Literature Today, Summer 2010, pp. 31-35).

 

 - Zhou Xiaojing, auteur de l’article « A musical note of our era : Zheng Xiaoqiong’s Poetry » publié dans Poetry International le 17 avril 2014 et parlant lui aussi d’une « nouvelle esthétique du fer », esthétique qui traduit en termes critiques un nouvel engagement « trans-corporel » contre l’embrigadement de l’usine et les disparités croissantes de la société.

 


 

Publications

 

Essais

2006 :    Au cœur de la nuit (《夜晚的深度》

 

Recueils de poèmes

2006 :    Huangma ling (《黄麻岭》) [2]

2007 :    Deux villages (《两个村庄》)

2008 :    Poèmes choisis (《郑小琼诗) ; La nuit noire (《黑)

2009 :    La passerelle (《人行天) ; Poèmes éparpillés sur des machines (《散落在机台上的)

                Douleurs et souffrances  (《疼与痛》)

2011 :    Pures plantes (《纯种植)

2012 :    Les travailleuses migrantes (《女工)  (poèmes et essais)

2017 :    Le manoir des roses (《玫瑰庄园》)

 


 

Traductions en anglais

 

- Quelques-uns de ses poèmes traduits en anglais par Jonathan Stalling ont été publiés dans la revue Chinese Literature Today en 2011 : texte original et traduction sur le site Poetry International.

- Eight Poems, biographie et traduction de huit poèmes (édition bilingue) par Zhou Xiaojing :

https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/21514399.2017.1319221

- D’autres traductions sont dans le vol. 10 de Chinese Literature Today, 2021/2 (voir ci-dessous)

 


 

Bibliographie

 

- Migrant Ecologies, Zheng Xiaoqiong’s Women Migrant Workers, by Zhou Xiaojing, Lexington Books (Lanham, MD), 2021, 152 p.

- Chinese Literature Today, vol. 10, 2021/2 : Special Section on Chinese Women Migrant Workers’Literature

https://www.tandfonline.com/toc/uclt20/10/2

Articles sur Zheng Xiaoqiong par Gong Haomin, pp. 58-76, Eleanor Goodman, pp. 77-87 

Traductions par Zhou Xiaojing 88-97 et Eleanor Goodman pp. 114-116.

 

 

Migrant Ecologies

 

 

 


[1] Essai traduit en anglais et publié sur le site de la Sydney Review of Books :
https://sydneyreviewofbooks.com/essay/iron-zheng-xiaoqiong/

 

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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