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Zhou Keqin 周克芹

1936-1990

Présentation

par Brigitte Duzan, 03 décembre 2012

 

Zhou Keqin (周克芹) est un auteur dont on trouve rarement mention dans les livres occidentaux sur la littérature chinoise. Il fut pourtant le lauréat du premier prix Mao Dun, en 1982, pour un roman qui fut encensé par les critiques littéraires lors de sa parution, en 1979, et ensuite adapté au cinéma, à la télévision, au théâtre, avec toujours le même succès populaire : « Xumao et ses filles » (许茂和他的女儿们).

 

Ce roman figure parmi les œuvres des débuts de la « littérature des cicatrices » (伤痕文学),  mais Zhou Keqin en représente un courant dont on parle peu : il se place du côté des paysans et dépeint les maux causés à la paysannerie, et à l’agriculture chinoise, par les politiques ultra gauchistes alors attribuées à la Bande des Quatre.

 

Zhou Keqin est en effet un « écrivain paysan », qui a passé sa vie à travailler la glèbe en écrivant la nuit….

 

Zhou Keqin (vers 1979)

 

Villageois du Sichuan

 

Paysan

 

Ses biographies le font naître à l’automne 1936, au village du Pont de Pierre (石桥镇), près de la ville de Jianyang, au Sichuan (四川省简阳市).

 

Ce fils et petit-fils de paysans parvient à entrer à l’Ecole technique agricole de Chengdu (成都农业技术学校), et les mêmes biographies annoncent ensuite laconiquement qu’il en sort diplômé en 1958 et revient chez lui, au village, travailler la terre. On sent un hiatus : un diplômé d’une école agronomique n’était-il pas promis à un avenir plus brillant ?

 

Zhou Keqin jeune

 

En réalité, pendant qu’il est à l’école de Chengdu se déroule la période des Cent Fleurs, puis la reprise en mains du pays par Mao. Le jeune Zhou Keqin rédige une affiche intitulée « Propos de pierre » (右的言论”), où il critique la politique menée envers la paysannerie et la situation de l’agriculture, décrite en termes beaucoup moins enchanteurs que la propagande gouvernementale. C’est ce qui lui vaut d’être bloqué dans sa carrière et renvoyé sur son lopin de terre, qui n’est même plus le sien car il est collectivisé.

 

Zhou Keqin n’est pas déclaré droitier, mais toute sa vie est affectée par ce faux départ : il va passer les vingt années suivantes sans sortir du village du Pont de Pierre, en vivant dans les mêmes conditions que les paysans autour de lui. Il devient bientôt comptable de sa brigade de production, et finit par accéder à la direction de la commune populaire locale.

 

Ecrivain paysan

 

Attiré par la littérature dès son enfance, il commence à écrire dès 1959 ; il a un véritable talent

d’écrivain, mais, dans les conditions où il écrit, il lui faut une profonde passion pour l’écriture, et le désir de témoigner de ce qui se passe autour de lui. « Il manie la houe le jour, et prend le pinceau la nuit »  (他白天用锄,晚上用笔).

 

Un critique littéraire, Liu Xicheng (刘锡诚), lui a rendu visite beaucoup plus tard, après la Révolution culturelle, et son témoignage laisse imaginer ce que furent ces vingt années. Il décrit une petite chaumière au pied d’une montagne, dont le toit de chaume était devenu gris après des années

d’intempéries. A l’intérieur, une petite pièce sombre, chichement éclairée par une seule lucarne au plafond. Dans un mur de terre était creusé une « étagère » qui tenait lieu de rayonnage pour quelques livres, et devant était une petite table au vernis tout écaillé.

 

C’est là que Zhou Keqin travaillait la nuit, à la lueur d’une lampe à huile de fortune, dont la fumée lui abîmait les yeux et lui noircissait le nez. Seul luxe : sa femme, qui élevait des poulets et vendait des œufs pour compléter ses maigres émoluments, lui achetait des paquets de cigarettes bon marché pour

l’aider à tenir jusqu’à l’aube…

 

Ce sont des conditions peu propices à l’éveil intellectuel ; même les livres sont rares. Pour lui, en fait, la période de la Révolution culturelle fournira des occasions de lecture inattendues : les Gardes rouges confisquent et mettent les livres au rebut, beaucoup se retrouvent en tas, oubliés dans les ruelles, un peu partout ; Zhou Keqin fait sa collecte, et lit avidement, plus qu’il n’a jamais lu.

 

C’est dans ces conditions qu’il écrit les nombreuses nouvelles publiées à partir de 1963, qui décrivent l’existence vécue et côtoyée tous les jours. Existence misérable : il faut penser que 1958 est l’année du lancement du Grand Bond en avant qui va anéantir l’agriculture et mener à la famine des « trois années de difficultés ». Le Sichuan, province pourtant traditionnellement très riche, depuis les débuts de l’histoire chinoise, souffre beaucoup pendant cette période ; la famine envoie des cohortes d’affamés sur les routes.

 

Zhou Keqin (vers 1990)

 

Ce n’est cependant pas ce que décrit Zhou Keqin, bien plutôt la vie paysanne au quotidien, dans son aspect humain ordinaire, mais aussi reflétant de façon très réaliste les campagnes et mouvement politiques, à travers leur impact sur la vie des gens.

 

Œuvre littéraire

 

Premières œuvres : des nouvelles

 

Recueil de nouvelles édition 1983

 

C’est en juin 1963, dans une période de soudain embellissement au sortir des années « difficiles », que paraît sa première nouvelle, et l’une de ses plus connues, « Au bord du puits » (《井台上》), dans la revue littéraire du Sichuan (《四川文学》).

 

Elle commence au lever du jour, en replaçant l’histoire dans le cadre d’une campagne pour stimuler la production agricole - lutter de bonne heure pour protéger les jeunes pousses (抗早保苗运动) – qui suggère le début des années 1950. Le bord du puits est le lieu de rencontre des gens du village qui viennent chercher de l’eau, et le cadre idéal pour développer l’histoire à partir de leurs dialogues. Elle est courte, et le style est réaliste, vivant et même enjoué.

 

Elle attire l’attention sur Zhou Keqin, qui publie ensuite de nombreuses autres nouvelles dans diverses revues. 

En 1973, une vingtaine sont regroupées dans un recueil intitulé « Le voyageur du matin » (《早行人》). Il est suivi  en 1978 d’un autre recueil « Frères et sœurs de la famille Pierre» (《石家兄妹》).

 

1978 est un tournant dans la vie de Zhou Keqin, comme pour tout le pays. Il entre au Parti, devient écrivain professionnel et acquiert une notoriété nationale, alors qu’il était jusque là reconnu comme simple écrivain régional.

  

1979 : Xumao et ses filles

 

Son roman « Xumao et ses filles » (《许茂和他的女儿们》), publié en 1979, lui confère presque une aura de précurseur de la littérature des cicatrices, mais c’est une voix qui reste en marge : voix de la paysannerie, dans un contexte où

s’expriment surtout les écrivains qui ont été envoyés à la campagne comme « jeunes instruits ».

 

 

Xumao et ses filles, édition 1980

 

Xumao et ses filles, édition 1994

 

En dix chapitres (ou huit selon les éditions) et près de 200 000 caractères, Zhou Keqin dresse avec réalisme le portrait d’un village tout au long de la Révolution culturelle. Ce n’est pas celle à laquelle nous sommes accoutumés, mais le revers de la médaille, en quelque sorte : la période de la Révolution culturelle vécue à la campagne, par les paysans. En spécialiste agricole, Zhou Keqin dresse un réquisitoire acerbe contre les politiques ultra gauchistes du genre modèle de Dazhai (大寨), mais surtout sous l’angle humain.

 

Le roman est ainsi scandé par les campagnes et contre campagnes, et décrit les conséquences sur les mentalités et la vie des villageois, empoisonnée par rivalités et calomnies. L’histoire se situe en 1975, année où un premier retour de Deng Xiaoping au pouvoir fait souffler un vent d’espoir sur tout le pays. Le récit est centré sur le vieux Xumao (许茂) et sa quatrième fille. Xumao a été, dans les années 1950, un

élément actif dans le mouvement de création des coopératives agricoles ; mais, de manière caractéristique, à la suite des revers subis pendant la poursuite à outrance de la collectivisation, il est devenu amer et colérique.

 

L’intrigue tourne autour de la quatrième fille, de son divorce et de ses espoirs de remariage, tandis que, dans le village, se déploient manigances et coups fourrés suscités par un nouveau mouvement extrémiste qui s’oppose au vent de libéralisation dit « déviationniste de droite » qui avait marqué 1975. L’histoire se termine de manière ambiguë, en laissant l’avenir très flou.

 

Dans le climat de 1979, le roman remporte un grand succès, de même que les deux nouvelles suivantes, « Myosotis » (《勿忘草》) et « La lune ne sait rien des émois du cœur » (《山月不知心里事》), qui, en 1980 et 1981, sont couronnées du prix national de la meilleure nouvelle.

 

 

Xumao et ses filles, réédition 1996

 

Adaptation à la télévision de "Xumao et ses filles"

 

Par ailleurs, le roman « Xumao et ses filles » est aussitôt adapté au cinéma, et tourné au studio du 1er août, ce qui montre bien qu’il était tout à fait dans la ligne idéologique de

l’époque. Quand il sort, en 1981, le succès du film porte Zhou Keqin au pinacle, montrant aussi qu’il touchait une corde sensible dans le public (1). Le roman est couronné du premier prix Mao Dun quand il est instauré, en 1982.

 

Dernières années

 

Dès lors, Zhou Keqin devient un membre éminent de l’association des écrivains du Sichuan, accédant au poste de secrétaire adjoint en 1985. Il quitte son village mais continue d’avoir un hukou local et y revient régulièrement, pour suivre l’évolution des modes de vie et des mentalités parallèlement aux progrès économiques. Comme pour Zhao Shuli (赵树理) dont il reconnaît l’influence, c’est de la vie à la campagne qu’il s’inspire :

 

我是写农村题材的。只有农村生活才是我取之不尽、用之不竭的源泉。有了生活,哪怕把稿纸放在膝盖上也能写得出来;没有生活,就是住进高级宾馆也写不出一个字。”

« Le thème de mes écrits, c’est la vie à la campagne. C’est ma source unique et inépuisable d’inspiration. En partant de là, je peux écrire même en ayant à poser mon papier sur les genoux ; sinon, hébergé même dans l’hôtel le plus luxueux, je n’arriverais pas à écrire une ligne. »

 

Les incertitudes de l’automne (édition 1990)

 

 

Après avoir publié un second roman, « Les incertitudes de l’automne » (《秋之惑》), début 1990, il est atteint d’un cancer du foie et meurt à Chengdu le 5 août 1990, à l’âge de 53 ans.

 

Il est enterré là, dans une tombe entourée de rhododendrons et de fleurs d’osmanthe, dont l’épitaphe porte juste son nom : l’écrivain Zhou Keqin (小说家周克芹之墓”). Mais cette simple mention est entourée de deux sentences parallèles qui symbolisent son œuvre et sa pensée :

 

重大题材只好带回天上;纯真理想依然留在人间。

 zhòngdà tícái zhǐhǎo dàihuí tiānshàng ;
          chúnzhēn lǐxiǎng yīrán liúzài rénjiān
          un grand sujet a forcément une dimension céleste ;
          un idéal pur reste toujours du domaine des hommes.

 

L’épitaphe de Zhou Keqin

 

Note

(1) Sur le film et son réalisateur, voir : http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Li_Jun.htm

 


 

Principales œuvres publiées 

(en chinois)

 

Recueils de nouvelles :

1973 Le voyageur du matin (《早行人》)

1978 Frères et sœurs de la famille Shi (《石家兄妹》)

Romans :

1979 « Xumao et ses filles » (许茂和他的女儿们)

1990 « Les incertitudes de l’automne » (《秋之惑》)

 Œuvres complètes en trois tomes :

- 1er tome : les deux romans

Textes : http://tushu.qidian.com/BookReader/1410632.aspx

- 2ème tome : 31 nouvelles.

Textes à lire en ligne http://tushu.qidian.com/BookReader/1410639.aspx

- 3ème tome : essais, critiques et textes divers, dont  le scénario du film « Xumao et ses filles » 

 

L’œuvre de Zhou Keqin, en trois volumes

 


 

Traduction en français de larges extraits du roman « Xumao et ses filles » :

In Littérature chinoise, numéros 2 et 3 de février et mars 1981

  


 

A voir en complément :

L’émission de CCTV 10 consacrée à Zhou Keqin et son œuvre, 

diffusée en 2011 dans le cadre du programme « Personnages » (人物) :

 

 

 

  

  

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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