Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Brève histoire du xiaoshuo

III. Les récits en baihua issus des huaben sous les Ming

2.       Ling Mengchu et les « Deux coups sur la table »

par Brigitte Duzan, 11 juin 2020 

 

Né en 1580, à la fin de la dynastie des Ming, Ling Mengchu (淩濛初/凌蒙初) est un contemporain de Feng Menglong (馮夢龍/冯夢龙), et comme lui auteur de recueils de récits en langue vernaculaire. Il était lui aussi un défenseur et illustrateur de la littérature populaire (tōngsú wénxué通俗文学) qui faisait fureur à la fin des Ming.

 

Petit fonctionnaire sur le tard

 

Ling Mengchu est né dans le district de Wucheng (乌程县) – aujourd’hui Wuxing (吴兴区) - de la préfecture de Huzhou (湖州市), dans le nord du Zhejiang, dans une famille de lettrés ayant brillé dans l’administration locale en leur temps. Troisième de quatre frères, Ling Mengchu réussit les examens impériaux au premier niveau - xiucai (秀才) - à l’âge de 18 ans mais, après la mort de sa mère en 1605, il ne réussit pas le niveau supérieur.

 

Ling Mengchu

 

Ce n’est qu’en 1634, à l’âge de 55 ans (à la chinoise), qu’il obtient  un premier poste à Shanghai en tant que gòngshēng (贡生), soit « élève du tribut », les repêchés en quelque sorte ; mais il lui faudra attendre encore près de dix ans pour être promu magistrat local (tōngpàn 通判) de la ville de Xuzhou.

 

Dix ans plus tard, en février 1644, il se trouve à Fangcun (房村) quand la bourgade est encerclée par les troupes du rebelle Li Zicheng (李自成). Fidèle aux Ming, il refuse de se rendre et meurt exécuté avant même d’avoir vu la chute de la dynastie.

 

Editeur, écrivain et dramaturge

 

Imprimeur par tradition familiale

 

Sa vie ressemble beaucoup à celle de Feng Menglong. Mais il n’était pas aussi dépendant d’un poste officiel car il avait une autre corde à son arc, qui lui venait des activités familiales : l’impression et l’édition.

 

Xixiangji, gravure sur bois pour l’illustration

de l’édition de 1639 par Chen Hongshou

 

L’impression était une occupation traditionnelle de la région de Wuxing, avec pour spécialité l’impression de livres polychromes. La région est juste au nord de Hangzhou et non loin de Suzhou, zone culturelle qui représentait un marché important pour le livre, en demande croissante à l’époque. Ling Mengchu avait donc une double identité de lettré traditionnel et de marchand imprimeur.

 

Associé à son oncle Ling Zhilong (凌稚隆), grand éditeur à qui l’on doit des éditions de grands classiques historiques annotés et commentés comme les « Mémoires historiques » de Sima Qian (司马迁) (《史记评林》) ou le « Livre des Han » (《汉书评林》),

il a édité deux grands classiques du 14e siècle : « L’Histoire du Pavillon de l’ouest » (Xixiangji《西厢记》), pièce zaju du dramaturge Wang Shifu (王实甫), et les « Mémoires du luth » (Pipa ji《琵琶记》) de Gao Ming (高明).

 

Emule de Feng Menglong

 

En 1623, aiguillonné par le succès remporté par Feng Menglong avec son premier recueil de huaben, il décide de se mettre à écrire. Il publie ainsi deux recueils de quarante récits du même genre, également en langue vernaculaire, connus sous le titre général « Frapper sur la table en criant de surprise » (Pāi'àn jīngqí《拍案惊奇》) :

- le premier « Frapper sur la table en criant de surprise, tome I » (Chūkè Pāi'àn jīngqí《初刻拍案惊奇》) paru en 1628 [1],

- le second « Frapper sur la table en criant de surprise, tome II » (Erkè Pāi'àn jīngqí《二刻拍案惊奇》), paru en 1633 [2].  Celui-ci a pour originalité de se terminer par une pièce de théâtre zaju (杂剧) : « Song Gongming sème le désordre à la Fête de la pleine lune » (Sòng Gōngmíng nào yuánxiāo 《宋公明闹元宵》).

 

Comme ceux de Feng Menglong, ces récits sont inspirés de sources antérieures, comme l’anthologie Taiping guangji (《太平广记》) des Song du nord ou encore le Yijianzhi (《夷坚志》) de Hong Mai (洪迈) sous les Song du sud.

 

Les deux pai

 

Les trois propos et les deux coups

sur la table, 三言二拍, rééd. 2018

 

Les deux recueils ayant deux titres comportant le caractère pāi () pour frapper, en l’occurrence sur la table, de surprise, ils sont désignés globalement par « les deux coups (sur la table) » (Er pāi 二拍).  Les cinq recueils, en ajoutant les trois de Feng Menglong, sont donc connus comme « Les trois propos et les deux coups sur la table » (Sān yán Er pāi 三言二拍) : c’est la quintessence de la littérature populaire chinoise en langue vernaculaire de l’époque. Il ne s’agit pas d’édifier, mais de divertir, en privilégiant le réalisme et la satire.

 

C’est surtout pour ces deux recueils que Ling Mengchu est connu, il a pourtant aussi écrit des pièces de théâtre.

 

 

Et dramaturge

 

 

L’homme à la barbe frisée, galerie du Palais d’été

 

 

Ling Mengchu a écrit trois pièces de style chuanqi, malheureusement aujourd’hui perdues. En revanche, il nous reste quatre pièces de type zaju : l’une est une adaptation d’un passage du classique « Au bord de l’eau » (《水浒传》), et deux autres sont inspirées de récits de l’écrivain des Tang Du Guangting (杜光庭, 850-933), dont sa célèbre « Histoire du chevalier à la barbe frisée » (《虬髯客传》) dont Ling Mengchu a tiré une pièce intitulée « Le vieil homme à la barbe frisée » (《虬髯翁》).  

 

Il est également l’auteur d’une anthologie de chuanqi et de nombreux recueil de poèmes.

 


 

Traductions en français

 

- L'Amour de la renarde. Marchands et lettrés de la vieille Chine (Douze contes du xviie siècle), de Ling Mong-tch'ou, trad. André Lévy, Gallimard/Unesco, Connaissance de l’Orient, 1970

- Spectacles curieux d'aujourd'hui et d'autrefois (Jingu qiguan《今古奇观》), anthologie parue vers 1640 à Suzhou, comprenant quarante contes dont vingt-neuf de Feng Menglong (huit du premier recueil des Trois propos, dix du second et onze du troisième) et le reste de Ling Mengchu (huit du tome I des Er Pai, et trois du tome II), trad. Rainier Lanselle, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1996 [3].

 

Le Jingu qiguan

 

Traductions du Jingu qiguan à lire en ligne :

 

- Trois nouvelles chinoises traduites pour la première fois par le marquis d'Hervey-Saint-Denys, Paris, E. Leroux, 1885 : Les alchimistes / Comment le ciel donne et reprend les richesses /Mariage forcé

https://archive.org/details/troisnouvellesc00unkngoog/page/n25/mode/2up

Dans l’avertissement initial, le traducteur salue ses prédécesseurs dans la traduction de ces nouvelles : Rémusat, Stanislas Julien, Samuel Birch, etc. et donne une bibliographie détaillée des traductions alors déjà publiées, en français, anglais et allemand.

Il est amusant de le voir, par ailleurs, se défendre contre les accusateurs qui reprochaient les passages licencieux, intraduisibles, de ces textes : qu’à cela ne tienne, répond-il, on peut très facilement les supprimer car ils semblent être des citations de poèmes érotiques jetés là sans lien avec le corps du texte, qui « ne perd rien à ces coupures ».

 

- Six nouvelles, traduites pour la première fois du chinois par le marquis d'Hervey-Saint-Denys, Paris, J. Maisonneuve, 1892. Réédition : Bleu de Chine, 1999.

Femme et mari ingrats /Chantage / Comment le mandarin Tang Pi perdit et retrouva sa fiancée /Véritable amitié /

Paravent révélateur / Une cause célèbre

Le recueil reprend aussi les nouvelles précédemment traduites, les trois de l’édition de 1885 et trois supplémentaires d’une édition de 1889 : La tunique de perles / Un serviteur méritant / Tang le Kiai-youen.

http://classiques.uqac.ca/classiques/kin_kou/douze_nouvelles_chinoises/douze_nouvelles_chinoises.html

 

 


[3] Cette anthologie, signée d’un certain « Vieillard qui enlace la jarre » (抱瓮老人), montre la popularité de ces histoires à l’époque, mais plus encore sous la dynastie suivante ; elle restera longtemps la seule trace tangible de l’œuvre de Feng Menglong et Ling Mengchu, avant qu’ils soient redécouverts au début du 20e siècle.

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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