Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Brève histoire du xiaoshuo et de ses diverses formes, de la nouvelle au roman

IV. Du chuanqi des Tang au chuanqi des Ming  

par Brigitte Duzan, 28 décembre 2019

 

        3A. Tang Xianzu et le chuanqi sous les Ming

 

Célèbre dramaturge de la fin des Ming, né en septembre 1550, Tang Xianzu (汤显祖/湯顯祖) est mort en juillet 1616, la même année que Shakespeare. On n’a donc cessé de les rapprocher. Ils ont certes des points communs, mais, si Tang Xianzu était un éminent homme de lettres, il n’a écrit ses principales pièces de théâtre qu’entre 1598 et 1601, et n’en a produit que quatre au total. L’histoire officielle des Ming, publiée au 18e siècle, comporte bien une notice biographique à son nom, mais elle ne mentionne pas son activité de dramaturge. Son « Pavillon aux pivoines » ou Mudanting (《牡丹亭》) est pourtant l’un des grands chefs d’œuvre de la littérature chinoise.

 

Eléments biographiques

 

Tang Xianzu est né dans le district de Linchuan (临川区), aujourd’hui district de la ville de Fuzhou (抚州), dans la province méridionale du Jiangxi.

 

Tang Xianzu, portrait de 1838

conservé dans le Memorial Hall

de Suichang, dans le Zhejiang

 

Brillant rejeton d’une famille de lettrés, il a pour maître le penseur néo-confucéen Luo Rufang (罗汝芳), très critique envers la politique du Grand Secrétaire Zhang Juzheng (张居正). A l’âge de 21 ans, il réussit les examens impériaux au niveau provincial (niveau juren 举人), mais ce n’est qu’un an après la mort de Zhang Juzheng, en 1583, qu’il est reçu, à l’âge de 34 ans, au niveau supérieur (jinshi 进士). Il obtient alors un poste au prestigieux Ministère des Rites dans la « capitale du sud », c’est-à-dire à Nankin.

 

Mais, fonctionnaire intègre, il ne supporte pas la corruption ambiante. En 1591, il envoie un mémoire à l’empereur critiquant le gouvernement qui provoque l’ire impériale. L’empereur l’envoie comme gardien de prison dans un coin perdu du Guangdong. En 1593, cependant, Tang Xianzu obtient un poste de magistrat à Suichang (遂昌县), dans le Zhejiang, où il reste cinq ans et fait œuvre réformatrice, expérience que l’on retrouve avec une note satirique dans le personnage du préfet Du, dans le Mudanting.

 

En 1598, dans le contexte de la décadence du pouvoir impérial, il décide de se retirer sur ses terres, et revient à Linchuan pour se consacrer au théâtre. Mort en 1616, il n’a écrit que quatre pièces, mais elles ont fait de lui le grand dramaturge de la fin des Ming.

 

Œuvres théâtrales

 

Pièces

 

Auteur de plusieurs recueils de poèmes et de trois textes en prose rythmée écrits entre 1577 et 1579, Tang Xianzu est cependant surtout célèbre pour ses quatre pièces sur le thème du songe [1] que l’on désigne sous le titre de « Quatre Rêves de Linchuan » (临川四梦), ou « Quatre Rêves du Yumingtang » (玉茗堂四梦), du nom de son studio.

 

Ces pièces relèvent du genre chuanqi (传奇) : un genre théâtral développé sous les Ming, en rupture avec le zaju (杂剧) de la période Yuan, dérivé en fait du nanxi (南戏)

 

Nanke ji, édition illustrée

des Song, « théâtre du sud » combinant passages parlés et séquences en vers chantés sur des musiques populaires.  

 

Ces « Quatre Rêves » sont par ordre chronologique :

- 1577 : « La Flûte écarlate » (Zǐxiāo Jì《紫箫记》), remaniée en 1987 et rebaptisée « L’épingle à cheveux écarlate » (Zǐchāi Jì《紫钗记》), écrite sur « l’air de Yihuang » qui était populaire à Linchuan.

- 1598 : « Le Pavillon aux pivoines » ou Mudanting (《牡丹亭》)

- 1600 : « Chronique de la Commanderie du sud » (Nánkē Jì《南柯记》), adapté d’un chuanqi des Tang intitulé « Le Gouverneur de Nanke » (Nánkē Tàishǒu Zhuàn《南柯太守传》)

- 1601 : « Le Rêve de Handan » (Hándān Jì《邯郸记》)

 

Handan ji

 

Ces pièces étaient publiées en riches éditions illustrées, qui faisaient bien plus pour leur célébrité et celle de leurs auteurs que les représentations : celles-ci restaient le plus souvent limitées à quelques extraits, interprétés par des troupes familiales, les lettrés étant capables grâce au livre de replacer ces extraits dans leur contexte [2].

 

Après la publication du « Pavillon aux pivoines », Tang Xianzu reçut deux fois la visite d’un moine qui tenta de le convertir au bouddhisme. S’il échoua dans sa tentative,

il exerça une influence non négligeable sur les deux pièces suivantes, qui reflètent une pensée bouddhiste autant que taoïste : elles se concluent sur la renonciation du rêveur réveillé à la poursuite des plaisirs terrestres et de la renommée, pour se consacrer à la recherche du sens de l’existence humaine.  

 

Théorie

 

Tang Xianzu est aussi l’auteur d’une monumentale théorie sur l’art théâtral : « Epigraphe pour le dieu du théâtre Qingyuan du temple du district de Yihuang » (Yihuang xian xishen Qingyuan shi miao ji 《宜黄县神清源师庙记》). Il y expose des idées sur les origines du théâtre, ses relations avec la réalité, sa fonction sociale ainsi que sur l’idéal de perfectionnement des interprètes. C’est en outre un ouvrage fondamental sur l’art de la mise en scène du théâtre chinois.

 

Liens et influences

 

Après son retrait de la vie publique et sa retraite dans sa ville natale, Tang Xianzu cultiva ses relations avec ses amis dramaturges, éditeurs et metteurs en scène comme Mei Dingzuo (梅鼎祚), Zou Diguang (邹迪光), Lü Yusheng (呂玉繩) et Sun Rufa (孙如法) [3], ces deux derniers de Shaoxing, lauréats jinshi en 1583, la même année que Tang Xianzu qui les connut quand il arriva à Suichang. Après avoir achevé le manuscrit du « Pavillon aux pivoines », il en envoya des copies à ses amis. Ayant reçu la sienne, Mei Dingzuo projeta d’écrire une préface pour la pièce et proposa à Tang Xianzu de le rencontrer à Nankin l’année suivante. Mais Tang Xianzu soupçonnait Mei Dingzuo d’avoir pris parti pour le Grand Secrétaire dans la dispute qui l’avait opposé à lui. La préface resta en projet.

 

Tang Xianzu avait eu par ailleurs quelques démêlés avec certains metteurs en scène concernant la représentation de ses pièces. Le chuanqi était répandu dans toute la région du sud-est (Anhui, Zhejiang, Jiangsu, Jiangxi), c’est là qu’avaient lieu les représentations. Vivant dans le nord du Jiangxi, Tang Xianzu était en lien avec les meilleurs dramaturges, et voyageait pour assister à de nombreuses représentations. C’était un véritable vivier, dont il était certainement le membre le plus éminent.

 

En 1608, fort de ses succès, Zou Diguang fit part à Tang Xianzu de son désir de monter ses quatre « Rêves », dont le Mudanting ; pour cela, il lui proposa de prendre un bateau pour venir jusqu’à Liangxi (梁溪区), [aujourd’hui un district de Wuxi (无锡)], où il habitait, afin qu’il puisse juger de son travail, soulignant dans son courrier qu’il s’attacherait à préserver la complexité de ses pièces [4]. Zou Diguang mit en scène « L’épingle à cheveux écarlate » et « Le Pavillon aux pivoines ». Par la suite, il écrivit une biographie de Tang Xianzu – « Biographie du monsieur Tang de Linchuan » (《临川汤先生传》) - et le dramaturge lui écrivit pour lui dire qu’il avait été « ému jusqu’aux larmes » en la lisant.

 

Tombe

 

Pendant longtemps, on n’a eu aucune trace de l’endroit où il avait été enterré.

 

Puis soudain, fin 2016, des ouvriers travaillant sur un chantier dans la ville de Fuzhou ont découvert un ensemble de 42 tombes, dont 40 datant de la période Ming. Les archéologues ont acquis la conviction que l’une de ces tombes est celle de Tang Xianzu et de sa troisième épouse, car ils ont découvert six épitaphes qui pourraient être de la main du dramaturge et qui donnent des renseignements sur sa vie et sa famille.

 

Avant cette découverte, dans les années

 

Les tombes découvertes à Fuzhou

1980, la ville de Fuzhou avait construit une tombe vide dans le Parc du peuple de la ville à la mémoire du grand dramaturge.  

 


 

Bibliographie sélective

 

En anglais

- 1616: Shakespeare and Tang Xianzu's China, ed. by Tian Yuan Tan, Paul Edmondson, Shih-pe Wang, Bloomsbury Publishing, 2016, 352 p.

- Elite Theatre in Ming China, de Grant Guangren Shen, Routledge 2005, p. 124.

 

En chinois

Lun Tang Xianzu ji qita 《论汤显祖及其de Xu Shuofang 徐朔方, 上海古籍出版社, 1983年.

(Xu Shuofang est un grand spécialiste du théâtre classique chinois, et en particulier de Tang Xianzu, sur lequel il a écrit plusieurs ouvrages de références, dont Tang Xianzu nianpu 《汤显祖年谱》en 1958 et Mudanting jiaozhu 《牡丹亭校注》en 1963)

 

Lun Tang Xianzu ji qita

 


 

A lire en complément

 

Mudanting I (1) : La pièce et ses sources

Mudanting I (2) : Les représentations de l'autorité
Mudanting II : Contexte et influence
Mudanting III : Adaptations et représentations


 


[1] Ce qui le rapproche aussi de Calderón, né cinquante ans plus tard (1600-1681)

[3] Grands artistes contemporains de Tang Xianzu, membres comme lui d’une élite théâtrale aux principes artistiques rigoureux, qui correspondaient de manière plus ou moins symbolique à leurs exigences en matière politique aussi, et à leur retrait de la vie publique pour se consacrer au théâtre. Zou Diguang, en particulier, avait un style de mise en scène d’une grande pureté et avait développé une méthode de formation pour les interprètes ; mais il était critiqué pour privilégier la perfection technique en enlevant toute liberté d’expression aux acteurs.

 


 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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