Nouvelles de a à z

 

« Il ne faut jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu’on a lues »

Sei Shōnagon (Notes de chevet)

 
 
 
     

 

 

Li Peifu « La libellule noire »

李佩甫《黑蜻蜓》

(extraits)

par Brigitte Duzan, 20 août 2015 

  

Cette nouvelle a été publiée dans un premier recueil de 1997, puis dans un recueil qui porte son titre en 2001, mais sa première publication date de 1996.

 

C’est une nouvelle « moyenne » (中篇小说), en neuf chapitres [1]. Le premier relate un événement mettant en scène deux enfants.

 

Premier chapitre

 

没有人记得那个小脏孩了。
 
三十二年前,小脏孩跟在二姐的屁股后边。一步一步向田野走去。那是八月的黄昏,秋阳浸染在西天的霞彩中,叫吱吱点墨一样在天边舞着,穿枣花布衫的乡下二姐大人似的前边走,细细的身量拖着长长的影儿,影儿是斜的,荡着一窝一窝的热土。小脏孩走在斜斜的影子里,晃晃的像个跟昆虫。

Personne ne se souvient de ce petit garçon tout sale.

Il y a trente-deux ans, cet enfant sale se dirigeait pas à pas

 

La libellule noire (le recueil de 2001)

vers les champs sur les talons de sa deuxième sœur. C’était un soir d’automne, au crépuscule ; le soleil se couchait à l’ouest dans un ciel rougeoyant, aux confins duquel dansait un oiseau, comme un point tracé à l’encre ; vêtue d’un chemisier de toile avec des motifs de fleurs de jujube, la sœur allait de l’avant comme une grande personne, son corps menu projetant une ombre immense, qui tombait en biais sur les mottes de terre chaude. Et c’est dans cette ombre en biais que marchait l’enfant sale, d’un pas mal assuré, comme un insecte.

 

走在乡村的土路上,夕阳中的绿色显得很遥远,很灿烂,一片一片地透着浓重。不断有村人从浓重处钻出来,喝着老牛,扛着锄头,背着沉甸甸的草筐仄上黄黄的村路。遇上了,就有村人野野地喊:妮,谁?!二姐大人样地说:城里俺姑家的……”尔后仄回头,闪一眼给小脏孩,叫舅哩。小脏孩羞羞地低下头,扭扭地蹲着脚下的喧土,不吭。二姐又大人样地说:认生。村人疑惑地望着小脏孩,上下打量了,说不像城里人
Ils allaient sur le chemin de terre du village ; le vert de la nature, dans la lumière du soleil couchant, paraissant resplendissant, et disposé en couches profondes dans le lointain. De ces profondeurs émergeaient sans cesse des paysans qui prenaient le même chemin de terre jaune, l’un appelant un buffle, l’autre portant une houe sur l’épaule, un autre encore une lourde hotte de foin sur le dos. A un moment, l’un d’eux lui cria : « eh gamine, qui es-tu ? » à quoi la grande sœur répondit d’un ton d’adulte « je viens de la ville… », et, tournant la tête pour jeter un coup d’œil à l’enfant sale derrière elle : « et lui, c’est mon beau-frère. » L’enfant baissa la tête d’un air intimidé, en faisant crisser la terre sous ses pieds, sans rien dire. « Il a peur des gens qu’il ne connaît pas » ajouta la sœur du même ton. Le paysan prit un air suspicieux, observa l’enfant des pieds à la tête et objecta : « Il ne m’a pas l’air d’un enfant de la ville. »


    
那时,小脏孩就是一个小要饭的。他赤肚肚儿穿一小裤头,很黑,很瘦,一身肋巴骨,还拖着长长的鼻涕。他八岁了,在城里上小学一年级,饿得不像城里人。他来乡下就是为了糊一糊总也填不饱的肚子。

En fait, l’enfant était un petit mendiant. Il portait un pantalon trop petit qui lui laissait le ventre à l’air ; il était noir, si maigre qu’on lui voyait les côtes, et il avait un long filet de morve qui lui coulait du nez. Il avait huit ans, avait fait un an d’école primaire, mais il avait un air tellement famélique qu’on n’aurait jamais dit un gosse de la ville. Ne mangeant jamais à sa faim, s’il venait à la campagne, c’était pour se remplir un peu le ventre.  

 

[la sœur le laisse assis sur le bord de la route et s’en va en lui disant de ne pas bouger…  l’enfant a peur, mais attend sans oser désobéir … elle revient au bout d’un long moment avec une bêche, des brindilles pour faire du feu, des patates douces et quelques épis de maïs ; elle creuse un trou, enterre le tout pour le faire braiser ; l’enfant la regarde comme dans un rêve …  ils reviennent ensuite dans la nuit, et la grande sœur emplit en chemin son sac de patates douces et de maïs pour rapporter à la ville…. Elle n’avait alors que douze ans].

 

Fin du chapitre :

 多年后,那小脏孩当了作家,没人知道那小脏孩了。可他自己知道,是二姐带他走向田野的。

Bien plus tard, quand ce petit garçon tout sale fut devenu écrivain, plus personne ne s’est souvenu de l’enfant. Mais lui se rappelle toujours que c’est sa deuxième sœur qui l’avait emmené une nuit à la campagne.

 

2ème chapitre 

 

  我的记忆犯了很严重的错误。我记不住二姐的面目。

Ma mémoire, cependant, me fait gravement défaut sur un point bien précis : je ne me souviens plus du visage de ma deuxième sœur….

 

Les chapitres suivants de la nouvelle racontent son histoire, l’histoire d’une enfant pleine de mystère, assez extraordinaire, puis (chapitre 4) son mariage, à dix-huit ans, et le reste de sa vie… et (chapitre 9), sa mort, décrite en trois lignes au début du chapitre – une mort soudaine, dans l’enclos des cochons, une mort paisible, le sourire aux lèvres :

二姐死了。/二姐是突然猝死的。/二姐死在猪圈里。

二姐死时没有痛苦,她是在宁静中带着微笑死去的。

 

On a l’impression de feuilleter un album de photos un peu jaunies, avec des détails incidents sur la vie du village, et un pan d’histoire locale. Ce sont des souvenirs personnels, et ils ne sont pas datés, comme souvent les souvenirs que l’on garde en mémoire. Mais il y a une phrase dans le premier chapitre qui explique laconiquement la situation (juste après la description de l’enfant) :

那会儿,乡下正吃大食堂呢,家里连口铁锅都没有,日子也紧巴。

A l’époque, dans les campagnes, on venait juste d’instaurer les grandes cantines (collectives), il n’y avait plus nulle part le moindre chaudron, la vie, là aussi, était devenue très difficile. 

 

Au début de la nouvelle, on est donc au moment du Grand Bond en avant, et au début de la Grande Famine. L’histoire de la « grande sœur » couvre la période des années 1950 aux années 1970.

 



 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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