Nouvelles de a à z

 

« Il ne faut jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu’on a lues »

Sei Shōnagon (Notes de chevet)

 
 
 
     

 

 

郁达夫《春风沉醉的晚上》

Yu Dafu  « Enivrantes nuits de printemps »

par Brigitte Duzan, 19 août 2010 

 

Présentation

 

« Enivrantes nuits de printemps » est une nouvelle de

Yu Dafu (郁达夫) datée de juillet 1923, c’est-à-dire l’une de ses premières nouvelles publiées à Shanghai, à son retour du Japon.

 

C’est une nouvelle écrite à la première personne, visiblement influencée par le style autobiographique du shishôsetsu japonais, le « roman du moi », qui était alors en vogue au Japon ; elle se distingue cependant nettement du style des précédentes nouvelles de l’auteur, celles qui ont établi sa réputation d’écrivain à scandale par leur liberté d’écriture et les thèmes traités, « Noyade » (《沉沦》) tout particulièrement. 

 

Rien de tout cela dans cette nouvelle. Le narrateur, « je », est un pauvre écrivain qui vit dans les bas-fonds de Shanghai en tentant de vendre quelques traductions, dans un taudis où il a juste la place de s’asseoir, sur l’une des

 

Couverture du livre

deux piles de livres écornés qui sont les seuls « meubles » qui lui restent. Faute de vêtement décent, il ne sort plus que la nuit, et le manque de sommeil et de nourriture l’a affaibli au point qu’il a même du mal à se concentrer sur un livre.

 

Son seul lien avec le monde extérieur est une jeune ouvrière d’une fabrique de cigarettes qui vit dans la chambre contiguë à la sienne ; elle représente une sorte d’ange de pureté dans un monde de fange qu’il respecte envers et contre tout, et surtout ses propres pulsions. Il y a une sorte de romantisme attardé dans la description de cet univers misérable mais pur, logé dans une soupente sous les toits comme ‘la bohême’ de Murger.

 

La solidarité, fondée sur leur commune misère sociale, entre la jeune ouvrière et l’écrivain obscur, entraînant une sorte de connivence entre eux, est aussi un reflet des idées socialistes dans l’air du temps à l’époque ; comme dit la jeune Ermei : « Ah, mais vous êtes donc comme moi ! » (“唉!你也是同我一样的么?”). Elle, cependant, a un travail tandis que lui n’en a pas…  L’abyme de classe est toujours là.

 

Le manuscrit

 

Les « enivrantes nuits de printemps » du titre – dont l’expression apparaît dans la troisième partie - ne sont finalement qu’un bref épisode d’excitation fébrile due à l’arrivée du printemps, mais sans lendemain : la nouvelle se termine par une réflexion sans illusion sur

l’avenir, et la description d’un ciel d’une infinie tristesse. En fait d’ivresse, « Enivrantes nuits de printemps » est l’histoire d’une déchéance dont aucune issue ne semble possible, et qui va bien au-delà d’une frustration des aspirations

individuelles, comme on le présente souvent. C’est une crise existentielle née de l’opposition frontale à la société, et, comme telle, insoutenable.

 

« Enivrantes nuits de printemps » se termine sur l’errance nocturne du personnage, sans dénouement, comme la plupart des nouvelles de Yu Dafu.

 

 

Note : les passages entre crochets sont simplement résumés.

 


 

Texte :

 

在沪上1闲居了2半年,因为失业的结果,我的寓所迁移了三处3。最初我住在静安寺路4南的一间同鸟笼5似的永也没有太阳晒着的自由的监房里6。这些自由的监房的住民,除了几个同强盗小窃7一样的凶恶裁缝8之外,都是些可怜的无名文士,我当时所以送了那地方一个Yellow Grab Street9的称号。在这Grub Street10里住了一个月,房租忽涨了价,我就不得不拖了几本破书, 搬上跑马厅11附近一家相识的栈房12里去。后来在这栈房里又受了种种逼迫13,不得不搬了,我便在外白渡桥14北岸的邓脱路15中间,日新里对面的贫民窟里16,寻了一间小小的房间,迁移了过去。

 

邓脱路的这几排房子,从地上量到屋顶,只有一丈几尺高17。我住的楼上的那间房间,更是矮小得不堪18。若站在楼板上升一升懒腰19,两只手就要把灰黑的屋顶穿通的。从前面的衖里20踱进了那房子的门,便是房主的住房。在破布洋铁罐21玻璃瓶旧铁器堆满的中间,侧着身子走进两步,就有一张中间有几根横档跌落的梯子22靠墙摆在那里。用了这张梯子往上面的黑黝黝23的一个二尺宽的洞里一接,即能走上楼去。黑沉沉的这层楼上,本来只有猫额那样大,房主人却把它隔成了两间小房,外面一间是一个N烟公司的女工住在那里,我所租的是梯子口头的那间小房,因为外间的住者要从我的房里出入,所以我的每月的房租要比外间的便宜几角小洋24

 

[我的房主,是一个五十来岁的弯腰老人。他的脸上的青黄色里,映射着一层暗黑的油光25。两只眼睛是一只大一只小,颧骨26很高,额上颊上27的几条皱纹里满砌着煤灰28,好像每天早晨洗也洗不掉的样子。他每日于八九点钟的时候起来,咳嗽一阵29,便挑了30一双竹篮出去,到午后的三四点钟总仍旧31是挑了一双空篮回来的,有时挑了满担回来的时候,他的竹篮里便是那些破布破铁器玻璃瓶之类。像这样的晚上,他必要去买些酒来喝喝,一个人坐在床沿上瞎骂出许多不可捉摸的话来32]

 

我与间壁的同寓者33的第一次相遇,是在搬来的那天午后。春天的急景已经快晚了的五点钟的时候,我点了一枝蜡烛34,在那里安放几本刚从栈房里搬过来的破书。先把它们叠成了两方堆35,一堆小些,一堆大些,然后把两个二尺长的装画的画架覆36在大一点的那堆书上。因为我的器具都卖完了,这一堆书和画架白天要当写字台,晚上可当床睡的。摆好了画架的板,我就朝着了这张由书叠成的桌子,坐在小一点的那堆书上吸烟,我的背系朝着梯子的接口的。我一边吸烟,一边在那里呆看放在桌上的蜡烛火,忽而听见梯子口上起了响动。回头一看,我只见了一个自家的扩大的投射影子37,此外什么也辨不出来,但我的听觉分明告诉我说:“有人上来了。

 

我向暗中凝视了38几秒钟,一个圆形灰白的面貌39,半截纤细的40女人的身体,方才映到我的眼帘上来41一见了她的容貌39我就知道她是我的间壁的同居者了33因为我来找房子的时候,那房主的老人便告诉我说,这屋里除了他一个人外,楼上只住着一个女工。我一则喜欢房价的便宜,二则喜欢这屋里没有别的女人小孩,所以立刻就租定了的。等她走上了梯子,我才站起来对她点了点头说:“对不起,我是今朝才搬来的,以后要请你照应42

 

她听了我这话,也并不回答,放了一双漆黑43的大眼,对我深深的看了一眼,就走上她的门口去开了锁,进房去了。我与她不过这样的见了一面,不晓44是什么原因,我只觉得她是一个可怜的女子。她的高高的鼻梁45,灰白长圆的面貌,清瘦不高的身体,好像都是表明她是可怜的特征46,但是当时正为了生活问题在那里操心47的我,也无暇48去怜惜这还未曾失业的女工,过了几分钟我又动也不动的坐在那一小堆书上看蜡烛光了。

在这贫民窟里过了一个多礼拜,她每天早晨七点钟去上工和午后六点多钟下工回来,总只见我呆呆的对着了蜡烛或油灯坐在那堆书上。大约她的好奇心被我那痴不痴呆不呆的态度49挑动了罢。有一天她下了工走上楼来的时候,我依旧50和第一天一样的站起来让她过去。她走到了我的身边忽而停住了脚。看了我一眼,吞吞吐吐51好像怕什么似的问我说:“你天天在这里看的是什么书?”  (她操的是柔和的苏州音51,听了这一种声音以后的感觉,是怎么也写不出来的,所以我只能把她的言语译成普通的白话。)

我听了她的话,反而脸上涨红了53。因为我天天呆坐在那里,面前虽则54有几本外国书摊着,其实我的脑筋昏乱55得很,就是一行一句也看不进去。有时候我只用了想像在书的上一行与下一行中间的空白里,填些奇异的模型进去56。有时候我只把书里边的插画翻开来看看,就了那些插画演绎些不近人情的幻想57出来。我那时候的身体因为失眠与营养不良58的结果,实际上已经成了病的状态了。况且又因为我的唯一的财产的一件棉袍子59已经破得不堪,白天不能走出外面去散步和房里全没有光线进来,不论白天晚上,都要点着油灯或蜡烛的缘故60,非但61我的全部健康不如常人,就是我的眼睛和脚力,也局部的非常萎缩了62。在这样状态下的我,听了她这一问,如何能够不红起脸来呢?所以我只是含含糊糊的63回答说:  “我并不在看书,不过什么也不做呆坐在这里,样子一定不好看,所以把这几本书摊放着的”

 

她听了这话,又深深的看了我一眼,作了一种不解的形容64,依旧的走到她的房里去了。

 

那几天里若说我完全什么事情也不去找什么事情也不曾干,却是假的。有时候,我的脑筋稍微清新一点65,也曾译过几首英法的小诗,和几篇不满四千字的德国的短篇小说,于晚上大家睡熟66的时候,不声不响的出去投邮67,在寄投给各新开的书局68。因为当时我的各方面就职的希望,早已经完全断绝了69,只有这一方面,还能靠了我的枯燥70的脑筋,想想法子看。万一中了他们编辑先生的意71,把我译的东西登了出来72,也不难得着几块钱的酬报73所以我自迁移到邓脱路以后,当她第一次同我讲话的时候,这样的译稿已经发出了三四次了。

 

Vocabulaire I :

 

01 ( en caractère non simplifié) : autre nom de Shanghai qui vient du nom d’un ancien village de pêcheurs, 沪渎 (Hùdú), qui était, sous les Tang, au confluent de Suzhou Creek, ou Wusong River (苏州河/吴淞江), et le Huangpu (黄浦江).  (que l’on trouve dans la partie droite du caractère non simplifié) désignait une sorte de clôture en bambou utilisée autrefois pour pêcher (捕鱼的竹栅).

02 闲居 xiánjū       rester chez soi sans travailler

03 迁移寓所 qiānyíyùsuǒ  changer d’adresse

04 静安寺  Jìng'ān  le temple de Jing’an, au centre de Shanghai, à l’ouest de la boucle du Huangpu, aujourd’hui près de la station de  métro du même nom, sur la ligne 2 :

http://maps.google.fr/maps?hl=fr&source=hp&q=%E9%9D%99%E5%AE%89%E5%8C%BA&rlz=1R2GGIE_fr&um=1&ie=UTF8&hq=

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05 鸟笼    niǎolóng  cage d’oiseau

06 监房    jiānfáng     cellule de prison

07 强盗/小窃   qiángdào/xiǎoqiè  brigands et petits voleurs  

08 裁缝    cáiféng       tailleur            凶恶 xiōng'è  terrible

09 Yellow Grab Street : jeu de mots sur Huangpu 黄浦 ( huáng jaune + bǔ, quasi homophone de pǔ,  signifiant ‘saisir’, ‘to grab’ , évoquant les voleurs de l’endroit, 强盗/小窃) qui entraîne le jeu de mots suivant :

10 Grub Street : référence à une rue de Londres qui, au Moyen Age, longeait un fossé servant d’égout, d’où le nom (dérivé du hollandais). L’endroit, extrêmement pauvre, lieu de résidence de petits écrivains et penseurs miteux, devint à partir du milieu du 17ème siècle une métaphore décrite ainsi dans le dictionnaire de Samuel Johnson : "[where] writers of small histories, dictionaries and temporary poems [live], whence any mean production is called grubstreet." Aux Etats-Unis, un « grubstreeter » est un (aspirant) écrivain se battant pour joindre les deux bouts, comme celui de la présente nouvelle.

11 跑马厅  pǎomǎtīng  le club hippique, ou Shanghai Race Club (aussi dans le quartier du Huangpu)

 

tour à l’horloge

Note : créé en 1862, c’était à l’origine un club privé pour propriétaires de chevaux.  Il fut rénové en 1934, et la dernière course eut lieu en 1940. C’est à l’emplacement de l’ancien champ de courses que se

trouve maintenant… la Place du Peuple (人民广场).

Un des derniers vestiges du champ de courses : la ‘tour à l’horloge’

12 栈房    zhànfáng   dialectal : auberge

13 逼迫    bīpò forcer, contraindre

14 白渡桥  bàidùqiáo  le « pont du ferry blanc », un pont célèbre à l’embouchure de Suzhou Creek.

15 邓脱路  dèngtuōlù   Dengtuo lu ou Dent Road

Note : 邓脱路就是如今的丹徒路 (c’est aujourd’hui la rue Dantu) 

 

 

pont ‘du ferry blanc’ par Gong Zhengru 龚铮如

16 贫民窟  pínmínkū   quartier très pauvre, taudis    日新里 Rìxīnlǐ  nom du quartier

Note : 日新里就在今唐山路416弄 (Rixinli est aujourd’hui au niveau de l’allée 416 de la rue de Tangshan)

Carte

http://maps.google.fr/maps?hl=fr&q=%E4%B8%8A%E6%B5%B7%E5%94%90%E5%B1%B1%E8%B7%AF&

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17 丈/尺   zhàng/chǐ  deux unités de longueur : un zhàng = 1m1/3 / un chǐ =1/3m

18 不堪    bùkān       (en fin de phrase) extrêmement

19 升懒腰  shēnglǎnyāo   s’étirer en élevant les bras

20 衖=       lòng allée

21 洋铁罐  yángtiěguàn  boîte en fer blanc  (洋铁 sorte de fer galvanisé autrefois importé,

d’où yánɡ)

22 横档    héngdàng   barreau (d’échelle : 梯子 tīzi)    跌落 diēluò tomber

23 黑黝黝  hēiyǒuyǒu   noir comme du charbon

24 角      jiǎo  1/10 d’unité monétaire    小洋 xiǎoyánɡ  1/10 dollar d’argent

Note : en 1914, une ordonnance établit le dollar d’argent comme monnaie de la République de Chine.

25 映射    yìngshè     éclairer/ émettre ( guāng éclat,  lueur…)

26 颧骨    quángǔ     pommettes

27 额/颊   é/jiá front / joue

28 皱纹    zhòuwén     ride        qì  bâtir    煤灰 méihuī  cendres, poussière de charbon

29 咳嗽一阵 késouyízhèn  avoir une quinte de toux

30 挑      tiāo  ici : porter avec une palanche

31 总仍旧  zǒngréngjiù   toujours, régulièrement (pour une action répétée, habituelle)

32 不可捉摸 bùkězhuōmō  difficile à saisir, à comprendre           xiā  aveugle/en vain/sans raison

33 间壁    jiànbì        voisin (dans la pièce d’à côté)   同寓(居)者 tóngyù(jū)zhě co-résident

34 点一枝蜡烛 diǎn yìzhī làzhú  allumer une bougie

35 叠成两方堆 diéchéng liǎngfāngduī  entasser en deux piles, deux tas

36 画架    huàjià       chevalet /ici : planche à dessiner       couvrir

37 自家    zìjiā son propre        投射 tóushè projeter (影子 yǐngzi une ombre)

38 凝视    níngshì     regarder fixement, scruter

39 面貌 /容貌  miànmào/róngmào   traits (du visage)

40半截     bànjié       une moitié        纤细 xiānxi fin, ténu

41 方才    fāngcái     juste, seulement       映到眼帘 yìngdào yǎnlián  (litt) s’offrir au regard

42  今朝    jīnzhāo     ce matin           

     照应       zhàoyìng   prendre soin de /entretenir de bonnes relations (avec ses voisins)

43 漆黑    qīhēi         noir comme l’encre (comme de la laque)

44 晓      xiǎo ici : savoir/dire

45 鼻梁    bíliáng     arête du nez

46 特征    tézhèng     (trait) caractéristique

47 为.. 操心   wèi.. cāoxīn  se faire du souci pour…

48 无暇    wúxiá        ne pas avoir le temps, le loisir de…

49 大约    dàyuē        ici : probablement           好奇心 hàoqíxīn curiosité    呆痴  dāichī  idiot

50  依旧    yījiù comme auparavant, toujours

51 吞吞吐吐 tūntūntǔtǔ   balbutier

52 操      cāo   ici : parler         柔和 róuhé doux

53 反而    fǎn’ér        au contraire, au lieu de      涨红(脸上) zhànghóng  rougir (visage)

54 虽则    suīzé          bien que

55 脑筋    nǎojīn       cerveau, esprit  昏乱 hūnluàn  confus, embrouillé

56 填空白  tiánkōngbái  remplir un vide   模型 móxíng  modèle           奇异 qíyì étrange, étonnant

57 不近人情 bújìnrénqíng    déraisonnable, contraire au bon sens         幻想  huànxiǎng illusion

58 营养不良 yíngyǎngbùliáng   malnutrition, sous-alimentation

59 棉袍子  miánpáozi  robe ouatée

60 缘故    yuángù     cause, raison

61非但     fēidàn       non seulement

62 局部    júbù local, partiel      萎缩 wěisuō  s’affaiblir, s’atrophier

63 含含糊糊 hánhánhuhu  équivoque, vague, évasif

64 不解的  bújiěde    incompréhensible, mystérieux  形容 xíngróng         un air, une mine

65 稍微    shāowēi    un (tout petit) peu            清新 qīngxīn  pur et frais

66 睡熟    shuìshú     être profondément endormi

67 投邮    tóuyóu      poster du courrier

68 书局    shūjú         maison d’édition

69 断绝    duànjué    interrompre, briser

70 枯燥    kūzào        desséché

71 万一    wànyī        si par chance    zhòng atteindre sa cible     编辑 biānjí  éditer/-eur

72 出来  dēngchūlái  être publié

73 酬报    chóubào     récompense, bonus, rétribution

 

Traduction I :

 

J’ai vécu six mois à Shanghai sans trouver de travail, et, comme je n’avais pas de travail, j’ai déménagé trois fois. J’ai d’abord habité, rue du temple Jing’an, une cellule qui n’avait jamais vu le soleil, prison semblable à une cage d’oiseau sans grillage. Hormis quelques tailleurs à l’aspect aussi féroce que des brigands, la plupart des voisins de cette prison sans barreaux étaient de misérables lettrés totalement inconnus ; j’avais donc appelé l’endroit « Yellow Grab Street ». Je suis resté un mois dans ce « fossé » (voir jeux de mots voc. 9 et 10) ; le loyer ayant alors brusquement augmenté, j’ai été obligé de déménager mes quelques livres écornés pour aller loger dans une petite auberge que je connaissais près du champ de courses. Mais diverses contraintes m’ont ensuite forcé à déménager de nouveau, pour prendre une toute petite chambre rue Dengtuo, sur la rive au nord du pont Baidu, dans le quartier misérable en face de Xinrili.

 

Du sol jusqu’au toit, ces quelques rangées de maisons de la rue Dengtuo ne faisaient même pas deux mètres de haut. Ma chambre, à l’étage, était tellement basse que, si j’avais voulu me lever pour m’étirer, mes deux mains seraient passées à travers le plafond noir de poussière. Quand on pénétrait là en venant de la ruelle, on entrait d’abord dans la pièce où vivait le propriétaire. Il fallait alors se faufiler au milieu de tas de tissus, de boîtes en fer blanc, de bouteilles de verre et rebus de métal pour atteindre, au bout de quelques pas, une échelle appuyée contre le mur à laquelle manquaient quelques barreaux et qui permettait de monter jusqu’à l’étage, par un trou sombre de quelque soixante centimètres de large.

L’étage, sombre, était de la taille d’un mouchoir de poche ; pourtant, le propriétaire l’avait divisé en deux pièces minuscules : celle donnant sur l’extérieur était louée à une ouvrière qui travaillait à l’usine de cigarettes N., la mienne étant la première où l’on accédait par l’escalier ; comme il fallait passer par là pour entrer dans l’autre pièce ou en sortir, mon loyer était quelque peu diminué.

 

[suit la description du propriétaire, un homme d’une cinquante d’années, au dos voûté, au teint jaune, au visage ridé comme imprégné de poussière de charbon, qui partait tous les matins, palanche à

l’épaule, pour revenir le soir chargé des déchets qu’il entassait chez lui ; son seul plaisir était de boire un peu de vin, assis seul sur le bord de son lit]

 

Ma première rencontre avec ma voisine de la chambre mitoyenne eut lieu l’après-midi même de mon déménagement. Au printemps, le crépuscule tombe très vite, et, vers cinq heures, j’allumai une bougie pour ranger les quelques livres racornis que je venais d’apporter avec moi de l’auberge. Je commençai par en faire deux piles, une petite et une plus grande, puis couvrit la plus grande de deux planches à dessin d’une soixantaine de centimètres de long. Comme j’avais vendu tous mes meubles, cette pile de livres avec les planches dessus me servirait d’écritoire pendant la journée, et, le soir, pourrait faire office de lit. Après avoir arrangé les planches à dessin, je m’assis, pour fumer une cigarette, sur la plus petite des piles de livres, devant la table faite avec l’autre tas de livres, en tournant le dos à l’ouverture où débouchait l’échelle. Tout en fumant, je regardais fixement la flamme de la bougie, lorsque j’entendis soudain un mouvement du côté de l’échelle, sous la trappe. Tournant la tête, je ne vis que mon ombre allongée qui se projetait là, sans pouvoir distinguer rien d’autre, mais ce que j’entendais me disait que quelqu’un était en train de monter.

 

Après avoir scruté l’obscurité quelques secondes, je vis apparaître l’ovale d’un visage blême, puis le buste ténu d’un corps de femme. Je compris aussitôt qu’il s’agissait de ma voisine de l’étage. En effet, alors que je cherchais à me loger, le propriétaire m’avait expliqué que, à part lui, la maison n’avait qu’une ouvrière pour tout habitant, à l’étage. Ce qui m’avait plu, c’était d’une part le prix modéré du loyer, mais aussi le fait qu’il n’y avait à cette adresse ni femme ni enfants, j’avais donc tout de suite pris la chambre. Lorsque ma voisine fut arrivée en haut de l’échelle, je me levai et lui dit en inclinant la tête : « Excusez-moi, je viens d’emménager ce matin, j’espère que nous vivrons en bonne amitié.

 

Elle ne répondit rien, se contentant de me jeter un regard insistant de ses deux yeux aussi noirs que du jais, puis s’avança jusqu’à sa porte, ouvrit le verrou et entra. Nous n’avions échangé qu’un regard, mais, sans bien savoir pourquoi, je pensai qu’elle inspirait la pitié. L’arête haute de son nez, l’ovale très pâle de son visage, sa stature, petite et maigre, tout semblait caractériser quelqu’un de pitoyable, mais, à cette époque, j’avais suffisamment de soucis à me faire pour ma propre subsistance sans aller m’apitoyer sur une ouvrière qui avait, elle, du travail ; alors, au bout de quelques minutes, je revins m’asseoir sans bouger sur la petite pile de livres, à regarder la lueur de la bougie.

 

Un peu plus d’une semaine s’écoula ainsi ; elle partait travailler tous les matins très tôt, à sept heures, et rentrait une fois le travail terminé, à un peu plus de six heures ; elle me voyait toujours assis sur ma pile de livres à regarder fixement la chandelle ou la lampe à huile. C’est sans doute mon attitude qui attira sa curiosité quant à mon état mental. Un jour, alors qu’elle revenait du travail, je me levai comme d’habitude pour la laisser passer lorsque, en arrivant à ma hauteur, elle s’arrêta brusquement. Me jetant un regard, elle me demanda en bégayant, comme si quelque chose l’effrayait : « Quel livre est-ce que vous lisez comme ça, tous les jours ? »

(elle avait l’accent très doux de Suzhou, ce qui suscita en moi une sensation indéfinissable, je ne peux que transcrire ses paroles en langage ordinaire.)

 

En entendant sa question, cependant, je me sentis rougir, car, si je passais mes journées stupidement assis là, quelques livres étrangers ouverts devant moi, j’avais en fait l’esprit tellement confus que je

n’arrivais à rien retenir, ni une ligne ni même une phrase. A certains moments, j’utilisais mon imagination simplement pour peupler de figures étranges les espaces entre les lignes. A d’autres moments, je me contentais de feuilleter les illustrations insérées dans le texte, et en tirais des fantasmes illusoires. A cette époque-là, en raison du manque de sommeil et de nourriture, j’étais devenu quelque peu maladif. En outre, comme le seul bien que je possédais, ma robe ouatée, était élimée au dernier degré, je n’osais pas sortir me promener en plein jour, et comme, dans ma chambre, ne filtrait pas la moindre lumière, j’étais obligé d’allumer une bougie ou une lampe à huile à toute heure de la journée, nuit et jour, alors non seulement mon corps s’était affaibli, mais mes yeux aussi.

 

Comment, dans ces conditions, en l’entendant me poser cette question, aurais-je pu ne pas rougir ? Je lui répondis donc de manière très évasive : « Je ne lis pas, je ne fais rien, mais, si je reste juste assis ici, sans rien faire, j’aurai l’air idiot, alors j’étale ces livres devant moi. »

Sur ce, elle me regarda longuement, l’air intrigué, puis, comme d’habitude, partit dans sa chambre.

 

Je ne peux pas dire, cependant, que, tous ces jours-là, je ne suis pas allé chercher du travail et que je

n’ai strictement rien fait, ce serait faux. Par moments, il m’est arrivé d’avoir l’esprit un peu plus clair, alors j’ai traduit quelques courts poèmes anglais et français, ainsi que quelques nouvelles allemandes, de moins de quatre mille caractères, et, la nuit, quand tout le monde dormait profondément, je suis allé les expédier, sans faire de bruit, à de nouvelles maisons d’édition. Comme j’avais, depuis longtemps déjà, perdu tout espoir de trouver un travail, il ne me restait que la possibilité d’utiliser mon  cerveau desséché pour tenter d’imaginer une solution. Si mes traductions plaisaient à un éditeur, et si elles étaient publiées, cela me vaudrait une petite rétribution. Aussi, depuis mon déménagement rue Dengtuo, lors de cette première conversation avec elle, j’avais déjà posté trois ou quatre traductions.

 

 

  在乱昏昏的上海租界1里住着,四季的变迁和日子的过去是不容易觉得的。我搬到了邓脱路的贫民窟之后,只觉得身上穿在那里的那件破棉袍子一天一天的重了起来,热了起来,所以我心里想:“大约春光也已经老透了罢!” 

    

但是囊中很羞涩的我2,也不能上什么地方去旅行一次,日夜只是在那暗室的灯光下呆坐。在一天大约是午后了,我也是这样的坐在那里,间壁的同住者忽而手里拿了两包用纸包好的物件走了上来,我站起来让她走的时候,她把手里的纸包放了一包在我的书桌上说:

“这一包是葡萄浆3的面包,请你收藏着,明天好吃的。另外我还有一包香蕉4买在这里,请你到我房里来一道吃罢!”

 

[我替她拿住了纸包,她就开了门邀我进她的房里去,共住了这十几天,她好像已经信用我是一个忠厚的人5的样子。我见她初见我的时候脸上流露出来的那一种疑惧6的形容完全没有了。我进了她的房里,才知道天还未暗,因为她的房里有一扇朝南的窗7,太阳反射的光线从这窗里投射进来8,照见了小小的一间房,由二条板铺成的一张床,一张黑漆的半桌,一只板箱,和一条圆凳9。床上虽则没有帐子10,但堆着有二条洁净的青布被褥11。半桌上有一只小洋铁箱摆在那里,大约是她的梳头器具,洋铁箱上已经有许多油污的点子了12。她一边把堆在圆凳上的几件半旧的洋布棉袄13,粗布裤等收在床上,一边就让我坐下。我看了她那殷勤待14我的样子,心里倒不好意思起来,所以就对她说:                          

“我们本来住在一处,何必15这样的客气。

“我并不客气,但是你每天当我回来的时候,总站起来让我,我却觉得对不起得很。”

这样的说着,她就把一包香蕉打开来让我吃。她自家也拿了一只,在床上坐下,一边吃一边问我说:

“你何以15只住在家里,不出去找点事情做做?”

“我原是这样的想,但是找来找去总找不着事情。”

“你有朋友么?”

“朋友是有的,但是到了这样的时候,他们都不和我来往了。”

“你进过学堂么?”

“我在外国的学堂里曾经念过几年书16

“你家在什么地方?何以不回家去?”]

                                      

她问到了这里,我忽而感觉到我自己的现状了17。因为自去年以来,我只是一日一日的萎靡18下去,差不多把我是什么人?”“我现在所处的是怎么一种境遇19”“我的心里还是悲还是喜?”这些观念都忘掉了。经20她这一问,我重新把半年来困苦的情形一层一层的想了出来。所以听她的问话以后,我只是呆呆的看她,半晌21说不出话来。她看了我这个样子,以为我也是一个无家可归的流浪人22。脸上就立时起了一种孤寂的表情23,微微的叹着说:

  “唉!你也是同我一样的么?”

 

[微微的叹了一声之后,她就不说话了。我看她的眼圈上有些潮红起来24,所以就想了一个另外的问题问她说:

“你在工厂里做的是什么工作?”

“是包纸烟的。”

“一天作几个钟头工?”

“早晨七点钟起,晚上六点钟止,中午休息一个钟头,每天一共要作十个钟头的工。少作一点钟就要扣钱的25

“扣多少钱26?”

“每月九块钱,所以是三块钱十天,三分大洋一个钟头27

“饭钱多少?”

“四块钱一月。”

“这样算起来,每月一个钟点也不休息,除了饭钱,可省下五块钱来。够你付房钱买衣服的么?”

“哪里够呢28!并且那管理人要……啊啊!我……我所以非常恨工厂的。你吃烟的么?”

“吃的。”

“我劝你顶好还是不吃29。就吃也不要去吃我们工厂的烟。我真恨死它在这里。”

  我看看她那一种切齿怨恨30的样子,就不愿意再说下去。把手里捏着的半个吃剩31的香蕉咬了几口向四边一看觉得她的房里也有些灰黑了我站起来道了谢,就走回到了我自己的房里她大约作工倦了32的缘故,每天回来大概是马上就入睡的,只有这一晚上,她在房里好像是直到半夜还没有就寝33]从这一回之后,她每天回来,总和我说几句话。我从她自家的口里听得,知道她姓陈,名叫二妹,是苏州东乡人,从小系在上海乡下长大的,她父亲也是纸烟工厂的工人,但是去年秋天死了。她本来和她父亲同住在那间房里,每天同上工厂去的,现在却只剩了她一个人了。她父亲死后的一个多月,她早晨上工厂去也一路哭了去,晚上回来也一路哭了回来的。她今年十七岁,也无兄弟姊妹34,也无近亲的亲戚35。她父亲死后的葬殓等事36,是他于未死之前把十五块钱交给楼下的老人,托这老人包办的37她说:

“楼下的老人倒是一个好人,对我从来没有起过坏心,所以我得同父亲在日一样的去作工,不过工厂的一个姓李的管理人却坏得很,知道我父亲死了,就天天的想戏弄我38

她自家和她父亲的身世39,我差不多全知道了,但她母亲是如何的一个人?死了呢还是活在哪里 ?假使40还活着,住在什么地方?等等,她却从来还没有说及过。

 

Vocabulaire II :

 

01 租界    zūjiè  concession

Note : territoires chinois sous contrôle étranger, les concessions furent établies à partir du milieu du 19ème siècle.

02 囊中羞涩 nángzhōnɡxiūsè        être embarrassé de n’avoir pas un sou en poche = être pauvre

03 葡萄浆     pútáojiāng  sirop/pulpe de raisin

04 香蕉    xiāngjiāo  banane

05 信用    xìnyòng      créditer quelqu’un de (qualités…)          忠厚 zhōnghòu loyal et sincère

06 疑惧    yíjù  appréhensions, craintes

07 一扇窗  yíshànchuāng  une fenêtre

08 射 /投射  fǎnshè/tóushè   refléter/projeter, darder         光线 guāngxiàn la lumière, des rayons

09 一条圆凳 yìtiáo yuándèng       un tabouret rond 

10 帐子    zhàngzi     rideaux de lit

11 洁净    jiéjìng       propre      青布qīngbù  tissu noir 被褥 bèirù  literie, couette   

12 油污的点子  yóuwūde diǎnzi         tache de graisse

13 棉袄    mián’ǎo      veste ouatée, molletonnée

14 殷勤    yīnqín       attentionné, courtois                   dài  s’occuper, prendre soin de..

15 何必/何以   hébì/héyǐ   pourquoi, à quoi bon / pourquoi, comment se fait-il ? 

16 念书             niànshū    étudier

17 感觉到  gǎnjuédào  prendre conscience de          现状 xiànzhuàng  situation actuelle, présente

18 萎靡    wěimǐ        abattu, déprimé

19 境遇    jìngyù       circonstances, situation

20 经      jīng  ici : après que, à la suite de

21 半晌    bànshǎng  longtemps, un long moment

22 流浪    liúliàng    errer, ne pas avoir d’attaches fixes

23 立时    lìshí immédiatement                 

孤寂 gūjì  désolé

24 潮红    cháohóng  rougir

26 扣      kòu   ici : déduire       扣钱 kòuqián  faire une retenue (sur le salaire)

27 大洋    dàyàng     dollar d’argent : monnaie de la République de Chine – les pièces furent frappées à

l’effigie de Yuan Shikai après 1915

28 哪里    nǎli  comment est-ce que cela pourrait … ? (sous entendant la négation)

29 (你)顶好 dǐnghǎo   il vaudrait mieux, vous feriez mieux de…

30 切齿 怨恨   qièchǐ yuànhèn         serrer les dents (grincer des dents) de haine, de ressentiment

31 (吃)剩   (chī)shèng  ce qui reste (à manger)

32 倦      juàn fatigué

33 寝      qǐn   dormir

34 兄弟姊妹 xiōngdì zǐmèi    frères et sœurs  (sœur aînée = )

35 近亲的亲戚  jìnqīnde qīnqi  parents proches

36 葬殓    zàngliàn     mettre en bière et enterrer          等事 děngshì et autres (choses du même genre)

 

 exemple de pièce Yuan Shikai des années 20

37 托… 包办   tuō… bāobàn   confier (à..) la charge de…       (包办 bāobàn s’occuper seul d’une affaire)

38 戏弄    xìnòng      taquiner, importuner

39 身世    shēnshì     expérience (vécue)

40 假使    jiǎshǐ        si

 

Traduction II :

 

Quand on vit à Shanghai dans la sombre confusion des Concessions, il n’est pas facile de remarquer les changements de saison ou le passage des jours. Après mon déménagement rue Dengtuo, j’eus simplement l’impression que ma robe ouatée toute élimée pesait chaque jour davantage, se faisait chaque jour un peu plus chaude, alors je me dis en moi-même : « Le printemps doit être là depuis déjà un bout de temps ! »

 

Mais, sans un sou en poche, je ne pouvais aller nulle part ; j’étais bien forcé de rester assis nuit et jour dans l’obscurité de ma chambre, à la lumière de la lampe. Un jour, ce devait être en fin d’après-midi, que j’étais assis ainsi, ma voisine rentra en tenant dans les mains deux paquets enveloppés dans du papier ; comme je m’étais levé pour la laisser passer, elle posa l’un des paquets sur ma table en me disant :

« Ce paquet est un pain aux raisins pour vous, mettez-le de côté, vous le mangerez demain. J’ai aussi acheté des bananes, je vous invite à venir les manger dans ma chambre. »

 

[Elle semble avoir abandonné sa méfiance initiale. La chambre est ensoleillée, simple mais propre. Pendant qu’ils mangent, la jeune fille pose des questions : pourquoi restez-vous ici ? pourquoi ne cherchez-vous pas du travail ? n’avez-vous pas d’amis, de famille ?...]

 

Ces questions me firent brusquement prendre conscience de ce qu’était devenue mon existence. Parce que j’avais été chaque jour un peu plus déprimé, j’avais fini par oublier les notions fondamentales du genre : « Qui suis-je ? », « Quel genre de vie est maintenant la mienne ? », « Suis-je, au fond, heureux ou malheureux ? ». C’est lorsqu’elle me posa ses questions que je revis en moi-même, jour après jour, les conditions de vie misérables qui avaient été les miennes les six mois précédents, et je ne pus que rester bouche bée, sans pouvoir articuler un mot. En me voyant ainsi, elle dut penser que j’étais un pauvre hère sans famille et sans toit. Une expression de triste solitude se peignit aussitôt sur son visage, et elle me dit avec un soupir imperceptible :

« Ah ! Alors, vous êtes comme moi ? »

 

[C’est à lui de poser les questions : elle raconte qu’elle travaille à l’usine de cigarettes, dix heures par jour, gagne neuf yuans par mois, en dépense quatre pour la nourriture, ce qui lui permet tout juste de payer son loyer ; elle hait l’usine et lui demande de cesser de fumer. Sur quoi le narrateur revient dans sa chambre.]

 

…A partir de ce soir-là, elle me dit un mot chaque fois qu’elle rentrait, le soir. J’appris ainsi qu’elle

s’appelait Chen Ermei, était originaire de la région à l’est de Suzhou, mais avait grandi dans un des villages de la périphérie de Shanghai ; son père travaillait à l’usine de cigarettes, mais était mort

l’automne précédent. Elle vivait avec son père dans cette chambre, et, tous les jours, ils partaient ensemble à l’usine ; sa mort l’avait laissée terriblement seule. Le premier mois, quand elle partait de bonne heure travailler, elle pleurait tout le long du chemin, et le soir, elle pleurait à nouveau tout le chemin du retour. Elle avait dix sept ans, cette année, et n’avait ni frères ni sœurs ni parents proches. Avant de mourir, son père avait donné quinze yuans au vieil homme du bas, pour qu’il s’occupe de ses funérailles, et il l’avait fait.

« C’est un homme bon, dit-elle, il n’a jamais eu de mauvaises intentions à mon égard, j’ai donc pu continuer à travailler comme quand mon père était vivant ; à l’usine, par contre, il y a un contremaître du nom de Li qui, lui, est mauvais : sachant que mon père est mort, il cherche constamment à abuser de moi. »

J’appris ainsi à peu près tout de sa vie, la sienne et celle de son père ; en revanche, qu’en était-il de sa mère ? Etait-elle morte, encore vivante ? Et dans ce cas, où était-elle ? Cela, elle ne m’en parla jamais.

 

 

天气好像变了。几日来我那独有的世界,黑暗的小房里的腐浊的空气1,同蒸笼里的蒸气2一样,蒸得人头昏欲晕3,我每年在春夏之交要发的神经衰弱的重症4,遇了这样的气候,就要使我变成半狂。所以我这几天来到了晚上,等马路上人静之后,也常常想出去散步去。一个人在马路上从狭隘5的深蓝天空里看看群星,慢慢的向前行走,一边作些漫无涯涘的空想6,倒是于我的身体很有利益。当这样的无可奈何,春风沉醉的晚上,我每要在各处乱走,走到天将明的时候才回家里。我这样的走倦了7回去就睡,一睡直可睡到第二天的日中,有几次竟要睡到二妹下工回来的前后方才起来,睡眠一足,我的健康状态也渐渐的回复起来了。平时只能消化半磅8面包的我的胃部,自从我的深夜游行的练习开始之后,进步得几乎能容纳9面包一磅了。这事在经济上虽则是一大打击,但我的脑筋,受了这些滋养10,似乎比从前稍能统一。我于游行回来之后,就睡之前,却做成了几篇Allan Poe 式的短篇小说,自家看看,也不很坏。我改了几 次,抄了几次,一一投邮寄出之后,心里虽然起了些微细的希望,但是想想前几回的译稿的绝无消息,过了几天,也便把它们忘了。

 

邻住者的二妹,这几天来,当她早晨出去上工的时候,我总在那里酣睡11,只有午后下工回来的时候,有几次有见面的机会,但是不晓是什么原因,我觉得她对我的态度,又回到从前初见面的时候的疑惧状态12去了。有时候她深深的看我一眼,她的黑晶晶,水汪汪的眼睛里,似乎是满含着责备我规劝我的意思13 

[我搬到这贫民窟里住后,约莫14已经有二十多天的样子,一天午后我正点上蜡烛,在那里看一本从旧书铺里买来的小说的时候,二妹却急急忙忙的走上楼来对我说:

“楼下有一个送信的在那里,要你拿了印子去拿信15

她对我讲这话的时候,她的疑惧我的态度更表示得明显,她好像在那里说:“呵呵!你的事件是发觉了啊!”我对她这种态度,心里非常痛恨16,所以就气急了一点16,回答她说:

“我有什么信?不是我的!”

她听了我这气愤愤的回答17,更好像是得了胜利似的,脸上忽涌出了18一种冷笑说:

“你自家去看罢!你的事情,只有你自家知道的!”

同时我听见楼低下门口果真19有一个邮差似的人在催着说20

“挂号信21

 

我把信取来一看,心里就突突的跳了几跳,原来我前回寄去的一篇德文短篇的译稿,已经在某杂志上发表了,信中寄来的是五圆钱的一张汇票22。我囊里正是将空的时候,有了这五圆钱,非但23月底要预付的来月的房金可以无忧23,并且付过房金以后,还可以维持24几天食料,当时这五圆钱对我的效用的扩大,是谁也能推想得出来的。

 

第二天午后,我上邮局去取了钱,在太阳晒着的大街上走了一会,忽而觉得身上就淋出了许多汗来。我向我前后左右的行人一看,复向我自家的身上一看,就不知不觉的把头低俯25了下去。我颈上头上的汗珠,更同盛雨似的,一颗一颗的钻出来了26。因为当我在深夜游行的时候,天上并没有太阳,并且料峭的春寒27,于东方微白的残夜28,老在静寂的街巷中留着,所以我穿的那件破棉袍子,还觉得不十分与节季违异29。如今到了阳和的春日晒着的这日中,我还不能自觉,依旧穿了这件夜游的敝30,在大街上阔步31,与前后左右的和节季同时进行的我的同类一比,我哪得不自惭形秽ì32?我一时竟忘了几日后不得不付的房金,忘了囊中33本来将尽的些微的积聚,便慢慢的走上了闸路的估衣铺去34。好久不在天日之下行走的我,看看街上来往的汽车人力车,车中坐着的华美的少年男女,和马路两边的绸缎铺35金银铺窗里的丰丽的陈设36,听听四面的同蜂衙似的嘈杂的人声37,脚步声,车铃声,一时倒也觉得是身到了大罗天上的样子。我忘记了我自家的存在,也想和我的同胞一样的欢歌欣舞起来38,我的嘴里便不知不觉的唱起几句久忘了的京调来了。这一时的涅槃幻境39,当我想横越过马路,转入闸路去的时候,忽而被一阵铃声惊破了。我抬起头来一看,我的面前正冲来了一乘无轨电车40,车头上站着的那肥胖的机器手,伏出了半身,怒目的大声骂我说:            

“猪头三!侬(你)艾(眼)睛勿散(生)咯!跌杀时,叫旺(黄)够(狗)来抵侬(你)命噢!”41

我呆呆的站住了脚,目送那无轨电车尾后卷起了一道灰尘,向北过去之后,不知是从何处发出来的感情,忽而竟禁不住42哈哈哈哈的笑了几声。等得四面的人注视我的时候,我才红了脸慢慢的走向了闸路里去。

 

我在几家估衣铺里,问了些夹衫43的价线,还了他们一个我所能出的数目,几个估衣铺的店员,好像是一个师父教出的样子,都摆下了脸面,嘲弄着说:

“侬(你)寻萨咯(什么)凯(开心)!马(买)勿起好勿要马(买)咯!”

一直问到五马路边上的一家小铺子里,我看看夹衫是怎么也买不成了,才买定了一件竹布单衫44,马上就把它换上。手里拿了一包换下的棉袍子,默默的走回家来。一边我心里却在打算:

“横竖45是不够用了,我索性45来痛快的用它一下罢。”同时我又想起了那天二妹送我的面包香蕉等物46。不等第二次的回想我就寻着了一家卖糖食的店,进去买了一块钱巧格力香蕉糖鸡蛋糕等杂食。站在那店里,等店员在那里替我包好来的时候,我忽而想起我有一月多不洗澡了,今天不如顺便也去洗一个澡罢。

 

洗好了澡,拿了一包棉袍子和一包糖食,回到邓脱路的时候,马路两旁的店家,已经上电灯了。街上来往的行人也很稀少47,一阵从黄浦江上吹来的日暮48的凉风,吹得我打了几个冷噤48我回到了我的房里,把蜡烛点上。向二妹的房门一照,知道她还没有回来。那时候我腹中虽则饥饿得很,但我刚买来的那包糖食怎么也不愿意打开来。因为我想等二妹回来同她一道吃。我一边拿出书来看,一边口里尽在咽唾液下去49。等了许多时候,二妹终不回来,我的疲倦不知什么时候出来战胜了我,就靠在书堆上睡着了。]

 

Vocabulaire III :

 

01 腐浊的空气  fǔzhuóde kōngqì       air vicié, confiné               (腐浊 fǔzhuó pourri + trouble)

02 蒸笼    zhēnglóng   étuve pour la cuisson des aliments  蒸气 zhēngqì  vapeur

03 昏欲晕  hūnyùyùn   être pris de vertige

04 神经衰弱 shénjīng shuāiruò  neurasthénie  重症 zhòngzhèng  maladie

05 狭隘    xiá'ài        étroit

06 漫无涯涘 mànwúyásì   libre, sans restreinte/borne     空想 kōngxiǎng  songe creux, rêverie

07 (走)倦   (zǒu)juàn   être fatigué (à force de marcher)

08 磅      bàng  livre (anglaise) = environ 450 g.

09 容纳    róngnà     contenir / tolérer

10 滋养    zīyǎng   nutritif

11 酣睡    hānshuì  dormir à poings fermés

12 疑惧    yíjù   appréhension, inquiétude

13 责备/规劝   zébèi/guīquàn   blâmer et exhorter

14 约莫    yuēm à peu près

15 拿印子  ná yìnzi  prendre son sceau, son cachet  (pour accuser réception de la lettre)

16 痛恨    tònghèn  détester   气急 qìjí  s’énerver, se mettre en colère

17 气愤愤  qìfènfèn   indigné, furieux, exaspéré

18 涌出    yǒngchū  jaillir / surgir, émerger

19 果真    guǒzhēn     effectivement

20 邮差    yóuchāi   facteur             cuī  presser, activer

21挂号信   guàhàoxìn  lettre recommandée

22 汇票    huìpiào   mandat

23 非但    fēidàn       non seulement          无忧 wúyōu  sans souci / sans problème

24 维持    wéichí  conserver / suffire à, permettre de payer…

25 低俯    dīfǔ    incliner bas, baisser (la tête…)

26 颗      kē   ici classificateur pour les gouttes de sueur (汗珠 hànzhū) 钻出 zuānchū  percer, traverser

27  料峭    liàoquiào   plutôt froid, derniers froids (du début du printemps : 春寒 chūnhán)

28 残夜    cányè  dernières heures de la nuit, petit matin

29 与节季违异 yújiéjì wéiyì  ici : ne pas être habillé conformément à la saison   (违异 wéiyì  enfreindre)

30 敝      bì  usé

31 阔步    kuòbù  marcher à grands pas

32 自惭形秽 zìcánxínghuì  avoir honte de sa saleté = de soi, avoir un sentiment d’infériorité

33 囊中    nángzhōnɡ  en poche

34 闸路    zhálù   la rue de l’écluse    估衣铺 gūyībù  boutique de vêtements d’occasion

Note : Le quartier de Zhabei (闸北区, soit le quartier ‘au nord de l’écluse’) était un quartier industriel, pauvre, du nord de Shanghai, à l’est de Hongkou.                   

35 绸缎    chóuduàn   soieries

36 陈设    chénshè  meubler, arranger

37 蜂衙    fēngyá   ruche (=蜂房)            嘈杂 cáozá  bruyant

38同胞     tóngbāo   germain (frère, cousin…) / compatriote

     欢歌欣舞   huāngē xīnwǔ   chanter et danser de joie

39涅槃     nièpán  nirvâna      幻境 huànjìng  monde illusoire/imaginaire

40无轨电车 wúguǐdiànchē   trolleybus

41猪头三 !   zhūtóusān  (injure calquée sur la manière de former un prénom) enfoiré, espèce de crétin !

Note : les expressions dialectales, transcrites en mandarin, sont typiques du langage populaire = très imagées :

叫旺(黄)够(狗)来抵侬(你)命 

jiào aboyer       抵命dǐmìng  hypothéquer son destin, son sort

42 竟/禁不住   jìng/ jǐnbúzhù  contre toute attente /ne pas pourvoir s’empêcher de

43 夹衫    jiáshān  veste doublée             单衫 dānshān  veste non doublée

44 竹布     zhúbù  tissu de coton léger, bleu pâle, pour faire des vêtements d’été 

45 横竖    héngshù  de toutes façons               我索性 wǒsuǒxìng  je ferais aussi bien de…

46 香蕉    xiāngjiāo  banane

47 稀少    xīshǎo  rare

48 日暮    rìmù   soir, crépuscule     打个冷噤 dǎ gèlěngjìn  frissonner

49 咽唾液  yàntuòyè  avaler sa salive

 

Traduction III :

 

Le temps, semble-t-il, avait changé. Ces derniers jours, l’air confiné de ma petite chambre obscure, ce monde solitaire qui était le mien, était devenu une véritable étuve, au point de me donner des vertiges et me faire sentir mal ; à chaque changement de saison, quand la fin du printemps annonce l’été, je souffre d’une nervosité pathologique : je deviens à moitié fou. C’est pourquoi, ces jours-là, à la tombée de la nuit, une fois calmée l’animation de la journée, j’avais envie de sortir me promener. Seul dans l’avenue, j’avançais lentement devant moi en contemplant la foule d’étoiles qui brillaient dans l’étroite bande de ciel bleu foncé au-dessus de moi, tout en laissant mon esprit vagabonder en toute liberté; cela me faisait beaucoup de bien.  Livré à l’aventure, pendant ces nuits enivrantes de printemps, je marchais sans but et ne rentrais qu’au point du jour. Epuisé, je m’endormais aussitôt, jusqu’au lendemain midi ; il arriva même plusieurs fois que je dormais encore quand Ermei me réveilla en rentrant du travail, et je ne me levai qu’alors ; dormant à satiété, je vis ma santé s’améliorer peu à peu. Alors que, jusque là, mon estomac ne supportait guère qu’une demi-livre de pain, avec l’exercice que je faisais pendant mes randonnées nocturnes, je pus bientôt en avaler une livre entière. Dans ma situation financière, c’était un coup sévère, mais mon cerveau, bien nourri, pouvait bien mieux se concentrer. Aussi, une fois rentré, avant de m’endormir, j’écrivais quelques nouvelles dans le genre d’Edgar Poe que, à la relecture, je trouvais assez bien. Après les avoir revues et recopiées plusieurs fois, je les postais, puis, bien que chaque fois plein d’un infime espoir, je les oubliais vite au bout de quelques jours en repensant au nombre de traductions que j’avais envoyées sans en avoir ensuite aucune nouvelle.

 

Quand ma voisine Ermei partait travailler, tous ces jours-là, je dormais profondément, ce n’est que lorsqu’elle rentrait, en fin de journée, que j’avais l’occasion de la voir, mais, sans trop savoir pourquoi,

j’eus l’impression qu’elle en était revenue à sa première attitude de suspicion envers moi. Elle me regardait parfois longuement, et, dans ses yeux noirs et limpides, il y avait comme une lueur de reproche et d’exhortation.

 

[Un jour, elle monte précipitamment lui annoncer que le facteur l’attend en bas : c’est une lettre recommandée – un mandat de cinq yuans pour une traduction qui a été publiée. Mais, quand il sort – au grand jour - pour aller l’encaisser, il réalise qu’il fait une chaleur insupportable, et décide de s’acheter une robe légère. Tout joyeux et absorbé dans ses pensées, il manque se faire renverser par un trolley… Après ses emplettes, il n’a à nouveau plus l’argent du loyer, il décide donc d’en profiter jusqu’au bout, et achète avec ce qui lui reste des friandises pour partager avec Ermei. Il s’endort sur le coin de sa table en l’attendant…]

 



[二妹回来的响动把我惊醒的时候,我见我面前的一枝十二盎司1一包的洋蜡烛已经点去了二寸的样子,我问她是什么时候了?她说:
“十点的汽管刚刚放过。”
“你何以今天回来得这样迟?”
“厂里因为销路大了,要我们作夜工。工钱是增加的,不过人太累了。”
“那你可以不去做的。”
“但是工人不够,不做是不行的。”
她讲到这里,忽而滚了两粒眼泪出来,我以为她是作工作得倦了,故而动了伤感,一边心里虽在可怜她,但一边看她这同小孩似的脾气,却也感着了些儿快乐。把糖食包打开,请她吃了几颗之后,我就劝她说:
“初作夜工的时候不惯,所以觉得困倦,作惯了以后,也没有什么的。”
她默默的坐在我的半高的由书叠成的桌上,吃了几颗巧格力,对我看了几眼,好像是有话说不出来的样子。我就催她说:
“你有什么话说?”
她又沉默了一会,便断断续续的问我说:
“我……我……早想问你了,这几天晚上,你每晚在外边,可在与坏人作伙友么?”

我听了她这话,倒吃了一惊,她好像在疑我天天晚上在外面与小窃恶棍混在一块2。她看我呆了不答,便以为我的行为真的被她看破了,所以就柔柔和和的3连续着说:
“你何苦4要吃这样好的东西,要穿这样好的衣服。你可知道这事情是靠不住的。万一被人家捉了去,你还有什么面目做人。过去的事情不必去说它,以后我请你改过了罢。……”
我尽是张大了眼睛张大了嘴呆呆的在看她,因为她的思想太奇怪了,使我无从辩解起5。她沉默了数秒钟,又接着说:
“就以你吸的烟而论,每天若戒绝了不吸,岂不可6省几个铜子。我早就劝你不要吸烟,尤其是不要吸那我所痛恨的N工厂的烟,你总是不听。”

她讲到了这里,又忽而落了几滴眼泪。我知道这是她为怨恨N工厂而滴的眼泪,但我的心里,怎么也不许我这样的想,我总要把它们当作因规劝我而洒的。我静静儿的想了一回,等她的神经镇静下去之后,就把昨天的那封挂号信的来由说给她听,又把今天的取钱买物的事情说了一遍。最后更将我的神经衰弱症7和每晚何以必要出去散步的原因说了。她听了我这一番辩解,就信用了我,等我说完之后,她颊上忽而起了两点红晕8,把眼睛低下去看看桌上,好像是怕羞似的说:

“噢,我错怪你了9,我错怪你了。请你不要多心,我本来是没有歹意的10。因为你的行为太奇怪了,所以我想到了邪路里去11。你若能好好儿的用功,岂不是很好么?你刚才说的那——叫什么的——东西,能够卖五块钱,要是每天能做一个,多么好呢?”
我看了她这种单纯的态度,心里忽而起了一种不可思议12的感情,我想把两只手伸出去拥抱她一回,但是我的理性却命令13我说:
“你莫再作孽了14!你可知道你现在处的是什么境遇,你想把这纯洁的处女毒杀了么?恶魔,恶魔,你现在是没有爱人的资格的呀!15”

我当那种感情起来的时候,曾把眼睛闭上了几秒钟,等听了理性的命令以后,我的眼睛又开了开来,我觉得我的周围,忽而比前几秒钟更光明了。对她微微的笑了一笑,我就催她说:
“夜也深了,你该去睡了吧!明天你还要上工去的呢!我从今天起,就答应你把纸烟戒下来吧。”
她听了我这话,就站了起来,很喜欢的回到她的房里去睡了。

她去之后,我又换上一枝洋蜡烛,静静儿的想了许多事情:
“我的劳动的结果,第一次得来的这五块钱已经用去了三块了。连我原有的一块多钱合起来,付房钱之后,只能省下二三角小洋来16,如何是好呢!“就把这破棉袍子去当吧17!但是当铺里恐怕不要。]

“这女孩子真是可怜,但我现在的境遇,可是还赶她不上,她是不想做工而工作要强迫她做,我是想找一点工作,终于找不到。就去作筋肉的劳动吧!啊啊,但是我这一双弱腕,怕吃不下一部黄包车的重力。
“自杀!我有勇气,早就干了。现在还能想到这两个字,足证我的志气还没有完全消磨尽哩18!
“哈哈哈哈!今天的那天轨电车的机器手!他骂我什么来?
“黄狗,黄狗倒是一个好名词。
“………”
我想了许多零乱断续19的思想,终究没有一个好法子,可以救我出目下的穷状来。听见工厂的汽笛,好像在报十二点钟了,我就站了起来,换上了白天那件破棉袍子,仍复吹熄了蜡烛20,走出外面去散步去。

贫民窟里的人21已经睡眠静了。对面日新里的一排临邓脱路的洋楼里22,还有几家点着了红绿的电灯,在那里弹罢拉拉衣加23。一声二声清脆24的歌音,带着哀调24,从静寂的深夜的冷空气里传到我的耳膜上来25,这大约是俄国的飘泊26的少女,在那里卖钱的歌唱。天上罩满了灰白的薄云27,同腐烂的尸体似的沉沉的盖在那里。云层破处也能看得出一点两点星来,但星的近处,黝黝28看得出来的天色,好像有无限的哀愁蕴藏着的样子29。
 

Vocabulaire IV :

 

01 盎司    àngsī   once

02 小窃    xiǎoqiè  petit voleur / 恶棍 ègùn  vaurien, canaille 混在一块 hùn zàiyíkuài  se mêler à

03 柔柔和和 róuróuhéhé   doux, souple, accommodant

04 何苦    hékǔ   à quoi bon ?

05 无从    wúcóng   ne pas savoir comment  辩解 biànjiě  s’expliquer, se justifier

06 若... 岂不... ruò … qǐbù… si… ne serait-ce pas…  ?

07 衰弱症  shuāiruò  faible      zhèng  maladie

08 红晕    hóngyùn  rouge (sur le visage)

09 错怪    cuòguài  blâmer à tort

10 歹意    dǎiyì   une mauvaise idée, une pensée mauvaise

11 邪路里去 xiélùlǐqù  prendre la mauvaise voie, mal tourner

12 不可思议 bùkěsīyì  incroyable, inimaginable

13  理性    lǐxìng  raison           命令 mìnglìng  ordre

14 作孽    zuòniè  commettre un péché

15  恶魔    èmó   diable, démon   资格 zīgé  capacités

16 小洋    xiǎoyánɡ   1/10 dollar d’argent  (voir première partie, voc. 24)

17 当/当铺 dàng/dàngpù   ici : mettre en gage/ mont de piété

18 足证    zúzhèng  suffire à montrer  志气 zhìqì  volonté   消磨 xiāomó  user, miner, épuiser

19 零乱    língluàn   désordonné, épars 断续 duànxù  discontinu, sans suite

20 吹熄    chuīxī souffler, éteindre

21 贫民窟  pínmínkū  quartier pauvre, de taudis  (voir description en première partie)

22 洋楼    yánglóu  bâtiment, immeuble à l’occidentale

23 罢拉拉衣加  bàlālāyījiā  balalaïka

24  清脆    qīngcuì  mélodieux          哀调 āidiào  air triste, mélancolique

25 耳膜    ěrmó   tympan

26 飘泊    piāobó ( = 漂泊litt. ‘flottante’ : émigrée

27 薄云    báoyún  de minces, légers nuages

28 黝黝    uyǒu  très sombre

29 哀愁    āichóu  tristesse                        蕴藏 yùncáng  contenir

 

Traduction IV :

 

[Ermei rentre très tard, à dix heures du soir parce qu’elle a dû faire des heures supplémentaires. En grignotant les chocolats qu’il a rapportés, elle finit par expliquer son attitude : elle a cru qu’il s’était mis à fréquenter les voleurs et la racaille des bas quartiers, et que c’est pour cela qu’il sortait la nuit et

s’était acheté une robe neuve. Sidéré, il lui explique qu’il a reçu cinq yuans pour une traduction… Sur quoi elle se répand en excuses, d’un air si candide que le narrateur se sent pris d’un violent désir de la serrer dans ses bras, mais il se reprend et la renvoie dans sa chambre. Resté seul, il fait le point sur son existence et la trouve sans espoir…]

 

« C’est vrai que cette pauvre fille fait pitié, mais moi, maintenant, je suis dans une situation pire que la sienne ; elle n’aime pas son travail, et le fait contrainte et forcée ; moi, j’aurais bien aimé en trouvé un, mais, finalement,  je n’y suis pas parvenu. Faire un travail manuel, alors ? Ah ah, mais je n’aurais même pas la force de tirer un pousse.

« Je pourrais me suicider. Mais si j’en avais eu le courage, je l’aurais fait depuis longtemps. Pourtant, puisque je viens d’en évoquer l’idée, cela prouve qu’il me reste encore un peu de volonté.

« Ah ah ah ! Ce conducteur de trolley, aujourd’hui ! Comment m’a-t-il appelé, déjà ?

« Chien jaune. En fait, ce n’est pas mal du tout, comme appellation !

« …….. »

 

J’étais ainsi assailli d’une foule d’idées désordonnées et décousues, mais qui, en fin de compte, ne

m’apportaient aucune solution qui pût me sauver de la pauvreté. J’entendis la sirène de l’usine, il devait être minuit ; je me levai alors, remis ma vieille robe élimée, soufflai la chandelle, et sortis me promener.

 

Dans ce quartier vétuste, les gens dormaient, tout était calme. Dans la rangée d’immeubles modernes bordant la rue Dengtuo, face à Xinrili, quelques lampes colorées étaient encore allumées çà et là, et,

là-bas, quelqu’un jouait de la balalaïka. Dans l’air froid de la nuit, des bribes d’un chant mélodieux, un air mélancolique, me parvenaient dans le profond silence ; c’était probablement une jeune émigrée russe qui chantait pour gagner de l’argent. Le ciel était couvert de nuages grisâtres qui s’effilochaient par endroits, tels la chair en putréfaction de cadavres entassés là. Aux endroits où se déchirait la couverture nuageuse apparaissaient quelques étoiles, mais, tout autour, le ciel sombre semblait recéler une tristesse sans bornes.

 

1923年7月15日

15 juillet 1923

 


 

Un mot sur le film de Lou Ye

 

Le cinquième film du réalisateur Lou Ye (娄烨), sorti en mai 2009, au festival de Cannes, a repris le titre chinois de la nouvelle de Yu Dafu, mais en le traduisant différemment : « Nuits d’ivresse printanière ».

 

Ce n’est cependant pas une adaptation de la nouvelle. Lou Ye en fait juste lire un passage à l’un des personnages dans le courant du film. Il a en fait surtout utilisé la référence à un auteur qui a fait scandale en son temps pour sa liberté

d’expression et qui est emblématique d’une période d’intense fermentation intellectuelle liée à la libération spirituelle en cours dans les années 1920-1930. Dans un entretien publié dans l’hebdomadaire Shidai Zhoukan (时代周刊), Lou Ye a mis l’accent sur ce legs historique, en rattachant son film à une tradition d’individualisme propre à cette époque. Cela va bien au-delà.

 

Affiche du film

 

Yu Dafu s’est rendu célèbre pour ses écrits décrivant, avec luxe détails pour l’époque, des expériences intimes à caractère érotique, et ce, dès 1921, avec la publication de son premier livre. Zhou Zuoren (周作人), le frère de Lu Xun, l’a alors défendu en disant que l’érotisme du roman avait pour but artistique de lutter contre la morale conventionnelle, et que les théories de Freud faisaient de la sexualité un élément créatif de première importance. Il est symptomatique que la répression sexuelle, pour Yu Dafu et ses amis, allait de pair avec la répression sociale et économique qui prévalait à l’époque en Chine, et que lutter contre elle équivalait à dénoncer l’hypocrisie de la société chinoise.

 

Lou Ye se place donc dans une optique similaire, transposée à notre époque, c’est-à-dire en allant beaucoup plus loin dans les exigences de libération sexuelle, et sociale en général. Mais il est ironique qu’il ait choisi pour symboliser ce thème une nouvelle où, justement, il est absent, et qui traite de tout autre chose.

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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