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				黄碧云《她是女子,我也是女子》    
				
				Wong Bik-wan / Huang Biyun  « Elle 
				est une femme et moi aussi »        
				 
				par Brigitte Duzan, 09 juin 2011   
					
						| 
						Cette nouvelle 
						est l’une des premières écrites par
						
						Wong Bik-wan. Elle a 
						été publiée en octobre 1994.   
						C’est 
						certainement une nouvelle au moins partiellement 
						autobiographique, écrite avec énormément de sensibilité 
						et de délicatesse. C’est une nouvelle originale par le 
						sujet traité, mais aussi par sa construction et son 
						style. 
						  
						Elle est 
						structurée autour de quelques leitmotivs, dont un qui 
						l’introduit et 
						la conclut, et en contient toute la signification. Quant 
						à son style, recherché, nerveux, rythmé, il est 
						parfaitement adapté au sujet et aux personnages décrits. 
						Complexe, il demande un décryptage particulier : on 
						s’est attaché à expliquer en profondeur un maximum 
						d’expressions. Il serait bon de se reporter au 
						vocabulaire correspondant pour bien comprendre la 
						traduction.  |  |  |  
				  
				L’histoire se passe à 
				Hong Kong ; c’est celle de deux étudiantes : la narratrice,  Ye 
				Xixi (ou Yip Saisai en cantonais, 
				叶细细) 
				et une autre étudiante, Xu Zhihang (Hoi Zihang 
				许之行) 
				  
				I我原以为我可以与之行厮守终生的1。
 
 她叫做许之行。我初见她的时候,我们还是一年级生。我上那“思考的艺术”导修课,那是一年级生必修
 
				
				的科目2,我便遇见了她。
 她是我知道唯一穿旗袍绣花鞋上课的女学生,真造作,但很醒目3。我记得那是一双极艳红4的绣花鞋。她
 
				
				剪着齐耳短发,经常垂着眼,低头记笔记5,一副乖学生的模样。但她涂着桃红寇丹6──涂寇丹的女人都 
				
				是坏女人,不动声色,在小处卖弄诱惑7,更加是彻底的坏女人了。我不知道我会喜欢坏女人。
 果然,她的名声传得很开。我班上的男生告诉我,她叫许之行,中文系,毕业于苏浙公学8,家居蓝塘道9。我们在上柏拉图的课10,他们却三三两两堆在宿舍10讲许之行,我抱手笑,心里却对这些男同学起了两分
 
				
				轻视的意思11,但他们还是喜欢讲她,叫她“小凤仙”11。之行一直缺课12。我在火车站碰过她,她一直低着头走,后面巴巴地12跟一个男生。
 
 翌年13我们在“社会学导论”14课碰了头。老讲师为了怕点名15,规定我们每次坐死一个位置,好让他一目也然。我借机坐在许之行身旁。我记得这天她穿素白黯紫16宽身绵旗袍,手臂长着很细的毛。而且还散
 
				
				发一种味道──是脂粉、香水、17牛奶、墨汁混和的气味──以后我叫“凤仙味”的。她的手这样光滑冰冷,我很想碰她一下。但我没有,因为她没有留意18我的存在。
 她又缺了课。讲到马克思剩余价值论的时候19,她才再出现,问我借笔记。我给她看,笑:“借给你也没
 
				
				有用,这个,也只有我才明白。”她一抬眉:“呵,也不见得。20”我因为懒,速记抄得很短,同学形容 
				
				为“电码笔记”21,就从没人跟我借。我见她下笔如飞,倒把我的“密码”译得整整齐齐22──没上一月 
				
				课也要有点本事23才行的。我喜欢聪明跳脱24的人,这也许是我搭上25之行的原因。
 我说:“请你喝咖啡。”她说:“好。”这种交谈也像电报。
 
 我们坐在斜阳里了,大家无话,我仔细看她,她看我说:“我见过你。叶细细*。你一个人晚上在课室吹
 
				
				尺八26。我听过你。”她戴着一手零零的银手镯27,摇着晃着,铿然有声28:“我知道你上星期丢了一个粉红色的美顿芳胸围29,我在宿舍大堂的大字报见到。那是你,是吗?”她笑:“整个宿舍也知道了,连 
				
				男生宿舍也知道,你丢了一个粉红色32B的美顿芳胸围,真土!”我说:“错了,32A才对,我瘦嘛”我见她的胸脯起起伏伏,我笑:“我打赌你一定起码穿34B,你结婚后有可能增至38!”之行竟轻轻地掩着胸口:“唉呀,我也怕!”我们的谈话了解,竟自一个美顿芳胸围开始。
 
				01 
				厮守终生
				sīshǒu 
				zhōngshēng  
				passer une vie entière 
				02 
				导修课
				dǎoxiūkè
				
				
				 séminaire  必修课 
				
				
				bìxiūkè 
				 cours 
				obligatoire  
				科目
				kēmù 
				 sujet  
				03 
				醒目
				xǐngmù
				 voyant
				 
				04 
				艳红
				
				
				yànhóng 
				 d’un 
				rouge écarlate  
				05
				记笔记
				jìbǐjì
				 prendre 
				des notes 
				06 
				寇丹
				
				
				kòudān  
				
				cutex, vernis à ongles 
				
				07
				卖弄诱惑
				màinòng 
				yòuhuò 
				
				 parader pour se faire remarquer 
				
				08
				苏浙公学
				sūzhè 
				gōngxué 
				  Jiangsu-Zhejiang College (ou Kiangsu-Chekiang), école réputée 
				fondée en 1958 par une association d’émigrés des deux provinces 
				de Chine continentale. 
				09 
				蓝塘道
				Lántáng dào 
				(en 
				cantonais Laamtong dou) Blue Pool Road  (en plein cœur de Hong 
				Kong, rue en pente bordée d’appartements résidentiels dans le 
				quartier huppé de Happy Valley et du champ de courses)   
					
						|  | 
						 
						Happy Valley 
						快活谷 |  |    
				10 
				柏拉图
				Bǎilātú
				  Platon 
				 
				Note : 
				宿舍
				
				sùshè
				
				 est 
				traditionnellement un dortoir. Ici, cependant, dans le contexte, 
				le terme est plutôt à prendre au sens de résidence 
				universitaire, ou résidence étudiante, sur un campus : les deux 
				étudiantes ont une chambre. Il est sans doute question de 
				l’université chinoise de Hong Kong où l’auteur a fait ses 
				études, et qui dispose d’un superbe campus. 
				11 
				轻视
				qīngshì
				 mépriser  
				  
				Note : 
				小凤仙
				peut impliquer 
				deux sens : 
				凤仙
				fèngxiān 
				‘immortelle phénix’ et la fleur 
				凤仙花 
				fèngxiānhuā  balsamine 
				12 
				一直
				
				yìzhí
				
				
				 toujours   
				缺课
				quēkè 
				
				 manquer les cours   
				巴巴地  
				bābāde 
				 tout près  
				13 
				翌年
				yìnián
				 l’année 
				suivante 
				14 
				导论
				dǎolùn 
				
				introduction 
				15 
				点名
				diǎnmíng 
				faire 
				l’appel    
				怕 
				pà 
				 ici : 
				peut-être 
				16 
				素白
				sùbái 
				 blanc (tout 
				simple)  黯紫
				ànzǐ 
				 pourpre/violet 
				foncé 
				17 
				脂粉
				
				zhīfěn
				
				
				 poudre et rouge à lèvres, cosmétiques  
				香水
				
				
				xiāngshuǐ
				 parfum 
				18 
				留意
				
				liúyì
				
				
				 prêter/faire attention à  
				19
				剩余
				shèngyú
				 restant / 
				surplus   
				     
				剩余价值论
				shèngyú 
				jiàzhí lùn 
				 la théorie de la valeur (plus-value) de Marx 
				20 
				不见得
				bújiàndé 
				pas 
				nécessairement 
				21 
				电码
				diànmǎ 
				code 
				télégraphique  
				密码
				mìmǎ 
				 code secret 
				22 
				整齐
				zhěngqí 
				en ordre, 
				régulier 
				23 
				本事
				běnshì 
				aptitude, 
				don 
				24 
				跳脱
				tiàotuō
				 ne pas 
				respecter les règles, se libérer des contraintes d’un système 
				25 
				搭上
				
				
				dāshàng 
				
				 entrer en contact, approcher 
				
				26 
				吹尺八
				chuī  
				
				chǐbā
				
				
				 jouer de la flûte shakuhachi         
				
				
				Note : la flûte shakuhachi est une flûte japonaise droite 
				à embouchure libre, qui s’est développée au Japon dans une secte 
				zen pour accompagner la méditation ; elle est utilisée en 
				musique traditionnelle mais aussi de plus en plus en musique 
				contemporaine. Shakuhachi est la transcription japonaise 
				de 
				尺八
				chǐbā, 
				nom donné à la flûte en raison de sa taille : 1,8 pieds, environ 
				55 cm. 
				L’un des grands maîtres du 
				
				shakuhachi 
				est  Sunny Yeung à Hong Kong. 
				
				
				
				http://www.youtube.com/watch?v=uR5-geVmQlI&feature=related 
				Ce détail contribue, 
				en quelques mots, à définir la personnalité complexe et 
				originale de la narratrice, qui contraste avec l’aspect 
				apparemment superficiel et clinquant de l’autre étudiante.
				 
				27 
				手镯
				shǒuzhuó 
				bracelets
				 
				28 
				铿然
				kēngrán
				 bruyant, 
				sonore 
				29 
				胸围
				xiōngwéi
				tour de 
				poitrine, ici : soutien-gorge (胸罩 
				xiōngzhào) 
				    
				美顿芳
				měidùnfāng
				
				
				 Maidenform, marque américaine devenue trendy dans les 
				années 60 et relookée dans les années 90. 
				  
				II 
				她竟也次次到课,我们便谈。这老讲师真瘪1,穿的是肉色尼龙袜。我问她旗袍哪里买,她说是商业秘密。我约她看校园的戏,那时映刘成汉的《欲火焚琴》2,我们笑得厉害。我拉她去看艾森斯坦的《十月》3, 
				我们两人都睡了,一直睡到所有人都走清光才醒。我们去吃宵夜4,之行也有穿牛仔裤的时候,譬如与我 
				一起吃炒蚬5的日子,但她还坚持那双绣花鞋。 
				  
				三年级下学期,她的同房退了宿。但她没有通知舍监6,我便和之行住。其实,这才是我和之行真正的开始。 
				  
				老实说,我只是觉得之行很妩媚7,有点小聪明,性情随和8,但我其实不大了解她的为人。这也是我们最 
				像一般男女爱情的地方吧,我们起初的吸引力,都是基于对方的卖相9──虽然我不是美女,也没有之行 
				的媚态7,但我是很懂得低调地10推销自己的,我想之行会喜欢我这类人,这是一种,哎,很隐晦11的烟 
				视媚行。她的旗袍绣花鞋何尝不是 
				12。 
				  
				这样,我们的居室是“烟花巷”13。我们都吸烟,她吸红双喜14,我吸薄荷登喜路15,两种都是“扮野”16到无可救药17的香烟。我们都喜欢TOMWAITS,两人在房中跳舞,她的身体极柔软。我们都是女 
				子。我有时会翻点波芙娃18,后来嫌不够身份19,读KRISTEVA。之行喜欢看亦舒20,后来我抗议,她改 
				看沙岗21,我再抗议,她看ANCELA 
				CARTER。我们都渐有进境,我拿了奖学金22,她也有申请22,但她 
				没有。因为她输给了我。 
				  
				那天我拿了奖学金,在校刊上拍了照。我记得和她一起购物的时候,她看上了一件火红色的茄士咩23毛 
				衣,950元,她舍不得买,这时我给她买了下来,打算吃晚饭的时候送她。但她一直没有回来。我等到夜 
				色渐暗,我一个人在房中没有开灯。那时已是晚秋时分,窗外竟是一海疏散的渔灯24,我突然有“郎心如铁”25的感觉。我以前结交过男友,但从来没有这样地牵挂26。之行今天没有叠被。之行今天没有穿绣花鞋。之行的牙膏快用完了,要给她再买。之行的“凤仙味”在房中不散。之行的脂粉。之行的眼泪。我静 
				静倚在窗边,默默地流两滴泪,只两滴,就干了。之行之行。 
				  
				我醒来,吃了点面包,突然发觉面包有一个极馊27的面粉味,很接近饲料28的一种气息。我吃面包十多年了,这时才分晓面包的味道,若得真情,哀矜勿喜29,很俗套的话了30,但这时我实极哀矜,夹着方才31分晓的味道。呵,世味难言。 
				    
					
						| 
						
						
						01 
						瘪
						biě 
						
						dégonflé / ratatiné, desséché   
						
						
						02
						
						刘成汉
						Liú 
						Chénghàn  
						Lau 
						Shing-hon,  réalisateur/scénariste né en 1947 qui fait 
						partie de la « nouvelle vague » hongkongaise (“新浪潮”), 
						également critique cinématographique et professeur ; ses 
						principaux films datent des années 1980, les plus 
						souvent cités étant « The Head Hunter » (《猎头》) 
						et celui cité ici : « House of the Lute » (《欲火焚琴》), 
						qui date de 1979. 
						
						  
						Le film 
						raconte l’histoire d’un vieil homme riche qui a une 
						jolie jeune épouse et engage un jeune jardinier ; les 
						deux jeunes tombent amoureux et tuent le vieil homme, 
						mais son esprit vient ensuite hanter la jeune femme… 
						C’est une sorte de Lady Chatterley sinisée. 
						03 
						艾森斯坦
						
						Àisēnsītǎn 
						 Eisenstein, 
						réalisateur mais aussi grand théoricien qui a énormément 
						influencé les cinéastes chinois.   
						《十月》 
						Octobre, film de 1928, le troisième du réalisateur. |  | 
						 
						Lau Shing-hon |  
				04 
				吃宵夜
				chīxiāoyè 
				manger un 
				morceau/prendre un repas rapide la nuit  
					
						| 
						05 
						炒蚬
						
						chǎoxiǎn  
						moules ou 
						coquillages sautés 
						06 
						舍监
						
						shèjiān 
						 gardien, 
						surveillant d’internat, de dortoir, etc.. 
						07 
						妩媚
						
						
						wǔmèi  
						
						qui a du charme, séduisant  
						媚态
						
						
						mèitài 
						
						charme, séduction 
						
						08 
						性情随和
						
						xìngqíng suíhé 
						 d’un 
						caractère facile, accommodant 
						09 
						卖相
						
						màixiàng  
						apparence, 
						allure 
						10 
						低调
						
						dīdiào 
						  discret,
						modéré 
						11 
						隐晦
						
						
						yǐnhuì  
						
						obscur, voilé  
						
						12 
						何尝
						
						hécháng 
						 ce n’est pas 
						que (en général suivi d’une négation) 
						13 
						烟花巷
						
						yānhuāxiàng 
						  ruelle 
						de la fumée et des  |  |   
						
						 
						Photo du film |  
				fleurs -
				妓院所在之地区 : 
				expression imagée pour désigner une rue de maisons de thé 
				(proches des  
					
						| 
						maisons 
						closes) dans la Chine ancienne : on y fumait de 
						l’opium et les 
						femmes étaient des “fleurs”. Voir « Les fleurs de 
						Shanghai » (《海上花》) 
						Il s’agit ici 
						évidemment d’un jeu de mots ironique. 
						14 
						红双喜
						
						hóngshuāngxǐ  
						
						
						double bonheur rouge (marque chinoise de cigarettes) 
						15 
						薄荷
						bòhé
						
						 mentholé 
						登喜路
						
						Dēngxǐlù  
						Dunhill 
						 
						16 
						扮野
						
						bànyě  
						 (se) donner 
						des airs de sauvage (扮
						bàn
						
						jouer un rôle) 
						17 
						无可救药
						
						bùkějiùyào 
						 qu’on ne peut 
						plus sauver, incurable 
						18 
						波芙娃
						
						bōfúwá 
						 (Simone de) 
						Beauvoir 
						19 
						嫌
						
						xián  
						prendre en 
						grippe, se plaindre de    
						    
						不够身份
						
						búgòu shēnfèn 
						ne pas être à 
						la hauteur  (身份
						
						shēnfèn 
						position, 
						sociale ou professionnelle) 
						20 
						亦舒
						yì
						shū   
						Yi Shu, 
						romancière née en 1946 à Shanghai, prolifique auteur 
						d’histoires d’amour ; énormément  |  |   
						 
						
						double bonheur rouge  |  
					
						| 
						populaire, 
						elle fait partie des « trois miracles » littéraires de 
						Hong Kong, avec (son frère) Ni Kuang (倪匡) 
						et Jin 
						Yong (金庸). 
						21 
						沙岗  
						shāgǎng 
						 ici Sagan 
						22 
						奖学金 
						
						jiǎngxuéjīn 
						 bourse 
						d’études  
						申请 
						shēnqǐng 
						
						faire une demande 
						23 
						茄士咩
						
						qiéshìmiē  
						cashmere
						 
						24 
						渔灯
						
						yúdēng 
						 lumières de 
						bateaux de pêche 
						25 
						郎心如铁
						
						lángxīn rútiě 
						 hommes au 
						cœur de pierre (litt. de fer) – référence à une série 
						télévisée cantonaise diffusée en 1994 à Hong Kong. 
						26 
						牵挂 
						qiānguà 
						 se faire du 
						souci, être anxieux 
						27 
						馊
						sōu
						
						 aigre, rance 
						28 
						饲料
						sìliào 
						
						
						fourrage, nourriture pour les animaux |  | 
						 
						Yi Shu |  
				29
				若得真情,哀矜勿喜 
				ruòdé 
				zhēnqíng,
				āijīn wùxǐ    
				(哀矜 āijīn 
				 avoir pitié) 
				Référence aux 
				Entretiens de Confucius (《论语》19.19) : 
				孟氏使阳肤为士师,问于曾子。曾子曰: 
				“上失其道,民散久矣。如得其情,则哀矜而勿喜。”
				 
				Yang Fu, ayant été 
				nommé directeur des tribunaux par le chef de la famille Meng, 
				demanda des conseils à son maître Ceng Zi. 
				Ceng Zi lui dit : 
				« Ceux qui dirigent la société s’écartant du droit chemin, 
				depuis longtemps le peuple se divise¹. Si tu élucides [une 
				affaire], fais-le avec compassion pour les coupables,  et ne te 
				réjouis pas². » 
				1. Et la discorde amène 
				beaucoup de crimes.   2. De ton habileté à les découvrir. 
				(traduction Sébastien 
				Couvreur) 
				30 
				俗套
				sútào 
				
				conventionnel, cliché 
				31 
				方才
				fāngcái
				 à 
				l‘instant (seulement)  夹 
				jiā  
				tenir /insérer 
				 
				32 
				"世味" shìwèi 
				(人世滋味;社会人情) :
				ce qui est 
				perceptible du monde humain (saveurs, odeurs et sentiments) 
				  
				III 
				午夜一时,我靠在窗前,听得马达响。之行自计程车1跳下来,她穿着黑色衣裙,黑色平底鞋。可怜的女人,这时分我还留神她穿什么衣服。我发觉我留意她的衣服、气味多于性情气质2──可能她没有性情气质,我忽然很惭愧3,这样我和其他男人有什么分别呢,我一样重声色4,虽然我没有碰过她;或许因为大 
				家都不肯道破5,我与她从来没有什么接吻爱抚6这回事,也没有觉得有这需要──所谓女同性恋哎哎唧唧 
				的互相拥吻7,那是男人们想像出来搅奇观8,供他们眼目之娱的,我和之行就从没有这样。我甚至没有对 
				之行说过“我爱你”。但此刻我知道,我是非常爱恋她的;爱恋到想发掘9她有没有性情气质的地步10。 
				我靠在窗前,一颗心火热火热,得得得得的,之行来了,之行来了。 
				  
				徐开门,她便跌坐在床上。她满面披红,一身酸馊11的酒气,不知怎的,之行今天化了浓妆12,一脸都化了,我想起了,面包的气味。我便很静默,停在嘴边的话都冷了。 
				她笑:“你今天高兴吧。我今天很高兴。”忽然“撒”的一声,满天硬币13向我飞来。“叶细细,我不过 
				是一个世俗的人。”我掩脸不言。硬币打在我的手背上,很刺痛14,之行掷得15累了,便倚在床边休息。 
				一时死静,我觉得灯光刺眼。"之行。”她没有答我,她睡着了。我替她抹了脸,退去衣服,脱了鞋裤, 
				吻了她的脚。 
				  
				我略为收拾,然后在她桌上留下一张纸条:“之行,如果有天我们湮没16在人潮之中,庸碌一生16,那是 
				因为我们没有努力要活得丰盛。” 
				其实我当时没有野心17。但之行有。 
				  
				当夜我去敲一个男子的房间。此人对我觊觎已久18,一脸猴急的情色19,我岂不知,我也是将就将就地20去了,这可能是对自己及之行及这人的报复,因为我没有心。而且我的身体不属于我。整天我都很呆。我 
				看那人替我租一个房间,那人便去,我也不着意21,一样上课,更加着心功课,一反往日的脾性22。 
				  
				走过宿舍,我总张望,之行在也不在?她在梳头,她在做功课,她在看报?她会不会想我?之行忽然在我 
				生活中消失,我何等平静,无人知我内心起落。之行之行之行。 
				  
				这一夜,晚秋天气,我与那人吃饭,那人言语无味,我只是喝着酒。一顿饭下来,我已满身通红,走在晚 
				风中,我呕吐了23,一身一脸都是泪。那人递我他的手帕,我紧紧地抓着他,在这时分,任何一个有手帕 
				的男人都是好男人。我也不禁把嫌弃24他的心减了几分。真的,这时候如果与他发生感情,自此把之行断了,也未尝不25是好事。那人驶着小日本车,甫进车内26,便把我紧紧抱着,一张脸凑上来,我笑说: 
				“你原本可以是个好男人,但你肯吻一个有酒馊气味的女人,我对你的品味起了极大的疑心。”他悻悻然 
				驶着车,送我回小屋。我说:“且慢27,我想回宿舍,拿点东西。” 
				  
				夜央三时,之行只着了书桌灯,但不见她的人。我立在夜里,引颈张望28,之行就在那明灯之下。我原没 
				有夺她风光的意思呀,之行,我只是一个安份的女人,想与一个人,发展一段单纯的感情关系。何以世皆 
				不容我29。 
				  
				蓦地30之行的影子在窗前一闪,关了灯。这样一闪,之行的头发是不是长了?有没有人替她剪脚甲,涂寇丹?我走了,谁替她扣背后的钮?夜里谁来看她,谁想她?谁知道她快乐,她忧伤?谁与她争那小小的风光?谁是她心所爱,心所患? 
				我很想去看她。就一眼。 
				  
				我急奔上楼,之行锁了门,但我有钥匙。她睡了胸脯一起一伏,依旧丰满。小别数星期,她没有瘦,也没 
				有憔悴31。我细看,她的脚甲仍旧剪得整齐,寇丹好好的,艳红如常。她床上多了几只布娃娃,此时她手 
				抱小白兔,熟睡如婴。何等安好。我走了她仍然生活得很好。太阳仍然爬上,夜幕一样垂32,夜央三时, 
				一样有人熟睡有人清醒。隔壁有谁,还在敲打字机呢,做着功课做着俗世的荣辱33。我忽然流泪如注。我 
				喉里卡卡在响:有人要扼杀我呢34,来人是谁:我扼着自己的喉咙,想今夜星落必如雨。之行枉我一番心 
				意了35。 
				  
				我的泪滴在之行的脸上,我捏得自己满面通红,只拼命呼吸36。之行突然惊醒,紧紧攀着我的手,说: 
				“何必如此?” 
				之行把我抱在怀中,我嗅着她的凤仙味,安然睡去。隐约37听到楼下有汽车喇叭声,管他呢,那人已完成 
				他在我一生的价值,自此与我无干38。眼前只有之行。 
				  
				之行捧着我的脸,说:“你太傻了。”我没有答腔39,只想睡,明天必有太阳。 
				  
				01 
				计程车
				jìchéngchē
				 taxi  
				(avec un compteur qui « calcule le parcours ») 
				02 
				性情气质
				xìngqíng 
				qìzhì  
				humeur, état d’esprit 
				03 
				惭愧
				cánkuì 
				avoir honte
				 
				04 
				重声色
				zhòng 
				shēngsè 
				 accorder beaucoup d’importance aux plaisirs (de la chair entre 
				autres) 
				05 
				道破
				dàopò 
				exposer, 
				révéler, mettre à nu 
				06 
				接吻
				jiēwěn 
				baiser 
				爱抚 àifǔ 
				caresser 
				07 
				哎哎唧唧
				āiāijījī 
				 holé holé 
				拥吻 
				yōngwěn 
				 s’enlacer et s’embrasser 
				08 
				搅奇观
				jiǎo qíguān
				
				 constituer, offrir un spectacle merveilleux  
				Note : 
				搅
				jiǎo 
				 brasser (de l’eau 
				fangeuse, par exemple, en faisant remonter la boue) 
				09 
				发掘
				fājué 
				explorer, 
				faire des fouilles, exhumer 
				10 
				地步
				dìbù  
				état, situation
				 
				11 
				酸馊
				suānsōu 
				aigre 
				12 
				浓妆
				nóngzhuāng
				 avoir un 
				maquillage épais  
				13 
				硬币
				
				
				yìngbì  
				pièce 
				de monnaie 
				14
				刺痛
				cìtòng
				 causer une 
				douleur aiguë 
				15 
				掷
				zhì 
				 jeter  
				16 
				湮没
				yānmò 
				 être submergé, 
				noyé, disparaître   
				庸碌
				yōnglù
				 médiocre
				 
				17 
				野心 
				yěxīn 
				 ambition, arrivisme 
				18 
				觊觎
				jìyú 
				  désirer, 
				convoiter   
				19 
				猴急
				hóují 
				
				
				anxieux  情色
				qíngsè
				 ( 
				
				=神色) 
				air, mine 
				20 
				将就
				
				
				jiāngjiu  
				
				accepter faute de mieux, s’accommoder de 
				21
				着意
				zhuóyì
				 agir avec 
				soin et effort, se donner du mal 
				22 
				脾性
				píxìng 
				caractère, 
				tempérament 
				23 
				呕吐
				ǒutù  
				vomir 
				24 
				嫌弃
				xiánqì
				 mépriser 
				25 
				未尝
				
				
				wèicháng 
				(+ 
				nég.)  ce n’est pas que + nég. 
				26
				甫
				fǔ  (class.)
				 à peine 
				27 
				且慢
				
				qiěmàn
				
				
				 attendre un moment 
				28
				引颈
				yǐnjǐng 
				
				se 
				tordre le cou  
				29
				不容
				bùróng 
				ne pas 
				tolérer, ne pas admettre 
				皆 
				jiē
				
				 tout 
				30
				蓦地
				mòde  
				soudain, de façon 
				inattendue 
				31 
				憔悴
				qiáocuì
				 pâle, la 
				mine défaite 
				32 
				夜幕垂
				yèmù chuí
				 la nuit 
				tombe 
				33 
				荣辱
				róngrǔ 
				honneur et 
				disgrâce  
				34 
				扼杀
				
				èshā
				
				
				 étrangler, étouffer 
				35
				枉
				wǎng 
				 fausser, 
				pervertir   
				心意
				xīnyì 
				sentiment / 
				intentions  
				一番
				
				yīfān 
				
				une 
				fois, dans le passé 
				36 
				拼命
				pīnmìng 
				à corps 
				perdu, désespérément 
				37 
				隐约
				yǐnyuē
				 vague, 
				indistinct, lointain 
				38 
				无干
				wúgān 
				 ne rien avoir à 
				faire de quelque chose  
				39 
				答腔
				dāqiāng 
				répondre, 
				‘piper mot’ 
				  
				IV 
				自此之行又见好了些1,晚上我们做功课做得晚,她总替我冲人参茶。之行一向读书很懒散,何以竟一转 
				脾性。我只是隐隐觉得,之行不比从前,连香水也变样,用的是“鸦片”2。我觉得窒息3。 
				  
				之行又夜出。午夜十二时,她总穿火红大毛衣,黑皮靴,豹4也似地游走。楼下有宝蓝色的小跑车等她5。 
				回来她总是双颊通红6,还给我买了暖的汤圆7,但我觉食不下咽,那糯沙汤圆8,不经放,一放就硬了, 
				不能入口。翌晨9我对着几只发硬的汤圆,不知所措10。之行总不在,四年级了哇,她总共才修十一分。 
				  
				圣诞假期,我预备回家过一夜。之行收拾收拾,我问她回家住多久,她摇头说笑:“我要到北京。” 
				  
				我停着,良久不语。我和之行去过日本玩,约了下一次目的地是北京。那是去年圣诞的事了。我静静掩 
				面,说:“之行之行,你记得....." 
				她捉开我双手,看我的眼:“我记得。但那是从前的事了。这次是我的机会,你得为你的将来打算,不 
				见得我就要庸碌一生。”她吻我的额,便去了。 
				  
				我一人跌坐在半空的房间,我以为可以就此坐上一生。我伏在地上,发觉地毡脏了。这还是我和之行在 
				中环11跑了一个下午买的,她坚持要伊朗地毡12,但我嫌不切实际13,主张买印度货。结果折中14买了 
				比利时地毡14。我们抱着地毡吃荷兰菜,之行叫了一打大生蚝15,我们的钱都花清光......那是什么时 
				候的事呢? 
				  
				这个圣诞我整天耽16在图书馆,恹恹度日17。我在翻周刊,忽然见一个又肥又黄的胖子,戴着很惹眼的 
				雪镜18,我正骇然,赫然19发觉此人身旁正是之行!我掩上杂志,若无其事地20去饭堂吃饭,坐的竟是 
				我与之行第一次坐的位置。我一阵晕眩21,险些22流出泪来。咬咬牙,回到图书馆,竟心无旁骛地23做 
				功课。 
				  
				之行回来的时候,我正伏在书桌上睡觉,桌上张着登载24之行照片的杂志。我没有望之行,之行也没有 
				动静,坐着,吸一口烟。然后她说:“赔了夫人又折兵。25” 
				  
				我去泡一杯清茶给她喝。她紧紧捉着我的手,我轻轻地抚她的发。 
				  
				我没有再问,她自此也没有再提此事。直到如今,我还不知道她发生了什么事情。她不再夜出,在房中 
				认认真真地练习仪态,脸孔仰来抑去26,甚有得色。 
				  
				毕业在即27,我也收敛了我的所谓烟视媚行28,毕竟一不是交际花29,二不是舞女,烟视媚行不能当饭吃。我申请了研究院的学位,希望将来在学术界30谋一席位。老实说,要谋一个什么知识分子的职业也 
				不需要什么大智大勇,像我一块无聊的料子包装包装31也行了,于是我埋首32做西方现代哲学的课,这 
				最容易混,老师不懂我也不懂,我那篇论文大家可以看得相视而笑,好歹33做出来了,大家真的如释重 
				负34,皆大欢喜。 
				  
				01 
				见好
				jiànhǎo
				aller mieux 
				(malade…) 
				02 
				鸦片
				yāpiàn 
				opium 
				 
				Ici, parfum d’Yves 
				Saint Laurent, lancé en octobre 1977 : le parfum auquel on 
				s’adonne… et qui fit scandale, devenant rapidement un phénomène 
				de mode mondial. A noter : le parfum est interdit en Chine 
				depuis décembre 2000. Le choix du parfum est cohérent avec 
				l’attitude provocatrice de la jeune fille (au moins au niveau 
				vestimentaire). 
				03 
				窒息
				zhìxī 
				suffoquer 
				04 
				豹
				bào  
				léopard, panthère 
				05 
				宝蓝色
				bǎolánsè
				 bleu 
				saphir  跑车
				pǎochē
				 voiture de 
				sport 
				06 
				颊
				jiá 
				 joue 
					
						| 
						07 
						汤圆
						
						tāngyuán 
						 boules de riz 
						glutineux servies dans de la soupe  
						08 
						糯沙
						
						nuòshā   
						pâte 
						glutineuse  
						09 
						翌晨
						
						yìchén  
						le lendemain 
						matin 
						10 
						不知所措
						
						bùzhīsuǒcuò 
						 être 
						désemparé, ne pas savoir que faire 
						11 
						中环
						
						zhōnghuán  
						(中环地铁站)
						Central 
						Station, station de métro au centre de Hong Kong. 
						12 
						伊朗地毡
						
						Yīlǎngdìzhān 
						 tapis persan
						 
						13 
						不切实际
						
						búqièshíjì 
						 irréaliste, 
						pas pratique 
						14 
						折中
						
						
						zhézhōng 
						
						 faire un compromis   
						比利时
						
						bǐlìshí  
						belge 
						
						15 
						蚝
						háo
						
						 huitre  
						一打
						
						
						yìdǎ 
						
						 une douzaine |  | 
						 
						boules de riz glutineux 
						servies dans de la soupe  |  
				16 
				耽(搁)
				dān(ge)
				 rester, 
				s’attarder 
				17 
				恹恹
				yānyān
				 (litt.) 
				être épuisé 
				18 
				惹眼
				
				rěyǎn
				
				
				 voyant  雪镜
				
				
				 xuějìng
				
				
				 lunettes de ski  
				19
				骇然
				hàirán 
				ébahi, 
				sidéré  赫然
				hèrán 
				 impressionné/-ant 
				20 
				若无其事
				ruòwúqíshì
				 comme si 
				de rien n’était 
				21 
				晕眩
				yūnxuàn
				 vertiges, 
				étourdissement 
				22 
				险些
				xiǎnxiē 
				manquer de, 
				être à deux doigts de 
				23 
				心无旁骛
				xīnwúpángwù 
				(sans 
				regarder à côté)  être totalement concentré  
				24 
				登载
				dēngzǎi
				 publier 
				25 
				赔了夫人又折兵  
				péilefūrenyòuzhébīng  
				donner sa femme à 
				l’ennemi et perdre aussi un soldat = perdre sur les deux 
				tableaux. 
				Note : phrase qui fait 
				référence à un épisode célèbre du Roman des Trois Royaumes (《三国演义》).
				
				 
				 
				A la fin de la 
				dynastie des Han de l’Est, Sun Quan (孙权, 
				souverain du royaume de Wu 
				吴国) 
				voulait récupérer la province de (Jingzhou 
				荆州), 
				alors aux mains de Liu Bei ((刘备)) ; 
				sur les conseils du général Zhou Yu (周瑜), 
				il donna sa sœur Sun Shangxiang (孙尚香) 
				en mariage à Liu Bei.  
				Par la suite, Zhou Yu 
				fut vaincu par l’armée de Liu Bei et grièvement blessé, et il 
				entendit les soldats ennemis  crier en riant :  
				“周郎妙计安天下,赔了夫人又折兵。”
				 
				Le sieur Zhou a fait 
				un plan d’enfer, c’est comme ça qu’on perd et une femme et un 
				soldat (une armée). 
				26 
				仰来抑去
				yǎnglái yìqù 
				- 仰 
				yǎng
				lever (la tête) 
				/抑
				yì 
				contrôler, 
				réfréner + déprimé, abattu  
				Note : exemple du 
				style « visuel » de 
				
				Wong Bik-wai. 
				27 
				在即
				zàijí 
				à 
				l’approche de 
				28 
				收敛
				shōuliǎn
				 (se) 
				modérer, (s’) atténuer  
				     
				烟视媚行
				yānshì  
				mèixíng 
				(chengyu = 
				妖羞
				yāoxiū 
				/ 拘谨 
				
				jūjǐn
				的样子,
				微微一看, 
				慢慢行走) 
				air timide et réservé d’une femme qui avance les yeux baissés, à 
				petits pas. 
				29 
				交际花
				jiāojìhuā
				  mondaine 
				30 
				学术界
				xuéshùjiè
				 milieux, 
				cercles académiques 
				31 
				料子
				
				liàozi
				
				
				 étoffe, tissu  
				包装 
				bāozhuāng
				empaqueter 
				32 
				埋首
				máishǒu 
				litt. 
				enfouir la tête : se consacrer à  
				33 
				好歹
				hǎodǎi
				
				 de 
				toute façon, tant bien que mal, malgré tout 
				34
				如释重负
				
				
				rúshìzhòngfù 
				 être 
				soulagé d’un grand poids 
				35
				皆大欢喜 
				jiēdàhuānxǐ  
				tout le monde est 
				content, c’est le bonheur général.  
				  
				V 
				我和之行的关系就此冷淡下来。她比往日更动人美丽,考试一样打扮得花枝招展1。我听班上同学说,她 
				和某老师有恋情。又有人告诉我,她在某杂志当摄影模特儿。为什么旁人都比我更清楚之行呢?我和之行 
				时日已无多,我希望和之行租一层房子,她继续她的公众事业,我继续读书。我希望和之行养一只猫,拥 
				有一块伊朗手织地毡。夜半的时候我和之行可以一起吃温暖柔软的糯沙汤圆。我对生命的要求很简朴。 
				  
				想着我便买了一束花回房,我想和之行聚一聚。下午的女生宿舍非常安静。 
				  
				我们的房门挂了一条领带2,我拿着一束太阳菊3,立在门口不知进退。之行行的是英式的老规矩,那是 
				说,我们房中有男客了。这怎可以?那是我和之行的地方呀,他们甚至会在我床上做爱,还要我洗床单。 
				这样我一生都不可能再睡那床了,我常觉得男子的精液是最胡混的东西4,比洗洁清5、鼻涕、痰等等更 
				令人恶心。之行你怎么可以这样呢? 
				  
				对面房间那宿生会会长正好回来,问我:“怎的?忘了带锁匙,要不要替你开?”"不用了。”我急急 
				说,掏出锁匙来。 
				  
				之行和一个男人,果真在我的床上,正在翻滚入港6。我量觉手中的太阳菊摇摇欲堕7,就怕这花瓣会散了 
				一地。之行还在半闭双眼,不为所动,倒是那男的停了动作,也不懂遮掩8。此人一脸疙瘩9,蓬发,有三 
				十上下年纪。我直视他:“先生,这是女生宿舍,请你穿好衣服。”之行斜看着他,说:“别理她。”我 
				把一地的衣裳掷向这双男女,喝道:“快穿衣服!我不和动物谈话。” 
				  
				那男的果真赶紧穿衣,之行翻身吸烟,舒一口气,不言语。我拾起地下散落的避孕袋10,跟他说:“先 
				生,还你,请你放庄重些11。” 
				
				"......对不起。”他忙不迭地12把避孕袋塞进裤袋,我替他开门。我说:“先生,我和之行的关系不比 
				常人,请你尊重我们,不要来这个。”他一时间没有表情,停了好一会,才怵然一惊13,低呼:“你们! 
				变态14!” 
				我一把刮他的脸,砰上门15。 
				  
				之行灼灼望我16,一面泛红,香烟快烧到她手指了,她还一动不动地看我。我靠着门,也是一动不动。 
				时间是什么呢,当一切都毁坏殆尽17,我们还要计算什么时间。我不知我们僵持了多久18,只是她的烟 
				也灭了。冬色甚隆19。 
				  
				天色暗了,夜沉沉。之行忽然轻轻一笑,随而流下两滴泪。我说:“无论如何,我们可以和从前一样。” 
				她说:“不一样了。不一样了。你太天真了20。你将来必败在我手下。”我掩面:“我没有要和你争呀, 
				为何你要四出讨便宜21。” 
				她说:“他可以帮我,上杂志,或许成为一个Isabella Rossellini,你可以吗?” 
				我说:“你何苦要在男人身上讨好处,我们又不是妓女。”她答:“你没有在男人身上讨过便宜吗?在这 
				方面读过书与没有读书没有分别。” 
				  
				我缓缓跌坐。我想起一些人,与我吃早餐,与我吃晚餐,与我吃酒的人。想起那一个人,因为他在我醉洒 
				的时候有一块手帕,我险些托以终生。 
				  
				每人都有每人的弱点。"我饿了。”之行起来,裸着身,随便抓一件衣服,跟我说:“借一借,我要出去。”我让开,她的脚步挞挞远去22。太阳菊在黑暗中静静枯萎23,我闭上眼,忽然明白什么叫“身外物”24。从今事事都是身外物。 
				  
				这天晚上我睡得早,翌晨醒来见之行抱着兔,熟睡如婴。我留下字条,说我晚上在饭堂等她吃饭,便出 
				去上课。我没有想到她会来。 
				  
				我坐在近落地门的桌子等她,冬日之暮垂落如死。之行走来,一把长发半束起25,毛衣长裤,披着围巾, 
				带着明蓝彩石耳环27。她见到我,轻轻笑,我发觉她已长大成一个女人,连笑容也很有分寸28。可见得这 
				些书也没有白读。 
				  
				我们点了菜,喝一点啤酒。之行吃得很少,但喝得很多,饭未吃完已是双颊泛红。我们讲起了教社会学的 
				老师,他猝然被校方劝喻提早退休29,二人额手称庆29,大家齐齐干杯。她说她得了一张模特儿合约30。我们都说好。我告诉她我了写好了论文大纲,又申请了去英国的奖学金,而且约见了,大家都很高兴,笑 
				得一团,我有点打酒颤,之行给我披她的围巾。风很大,我紧紧地贴着之行,说:“冷。”她便搂着我, 
				一直在校园走。夜很碧蓝31,极美,我说:“让我们毕业后搬去一个这样的地方。你出外工作,我在家做 
				功课。”她静一下,然后说:“怕你不安于室。”我笑:“我安于室的呀,你看我这样瘦,有条件不安于 
				室吗?”她又按一下胸口,说:“这样,我怕我不安于室呢。” 
				  
				大家静了好一阵,之行忽然紧紧地拥我一下,我为她突如其来的热情32吓了一跳。她放开我,便说:“晚了,你快到图书馆收拾吧,我先回了。” 
				我扬一扬手,转身便去。她给我挥手说再见,我骂她发神经,又不是生死离别,我头也不回地去了。 
				  
				01 
				花枝招展
				
				huāzhīzhāozhǎn 
				 habillée de manière 
				voyante 
				02 
				领带
				lǐngdài
				 cravate 
				03 
				太阳菊
				tàiyángjú
				 gerbera 
				(fleur qui ressemble au chrysanthème) 
				04 
				胡混
				húhùn 
				 qui relève d’une 
				vie désordonnée 
				05 
				洗洁清(精) 
				xǐjiéqīng 
				 détergent, produit à vaisselle    
				痰 
				tán 
				crachat 
				06  
				翻滚入港
				fāngǔn 
				rùgǎng  
				tourner et retourner pour entrer au port = être en pleins ébats 
				amoureux 
				07 
				摇摇欲堕
				yáoyáo yùduò
				 (ou 
				坠 
				zhuì) 
				trembler et être sur le point de tomber 
				08 
				遮掩
				
				zhēyǎn
				
				
				 cacher, dissimuler 
				09
				疙瘩
				
				gēda
				
				
				 boutons, acné 
				10
				避孕袋
				bìyùndài 
				préservatif 
				11 
				庄重
				
				 zhuāngzhòng  
				grave, solennel  (放庄重
				fàng 
				zhuāngzhòng 
				se comporter 
				solennellement) 
				12 
				忙不迭
				mángbùdié 
				en toute 
				hâte 
				13 
				怵然一惊
				chùrányìjīng
				 sursauter 
				d’un air apeuré 
				14 
				变态
				
				
				biàntài 
				
				 anormal  (性变态 
				
				xìngbiàntài  
				perversion sexuelle) 
				15 
				刮脸
				guāliǎn 
				ici : 
				envoyer une gifle ( ‘souffleter’ : 
				刮 
				guā 
				souffler (vent) 
				砰 
				pèng 
				bang ! 
				16 
				灼灼
				
				
				zhuózhuó 
				
				(litt.) brillant  (灼
				
				zhuó
				
				
				 brûler – cf plus loin 
				烧
				
				shāo 
				brûler, se consumer) 
				17
				毁坏
				huǐhuài
				 détruire
				殆尽
				dàijìn
				 presque 
				totalement  
				18 
				僵持
				jiāngchí
				 rester 
				figé sans bouger 
				19 
				冬色甚隆
				dōngsè 
				shènlóng 
				 l’hiver est très solennel  
				(car tout se fige, 
				mais aussi annonce la phrase suivante : 
				天色暗了
				le ciel 
				s’assombrit) 
				20 
				天真
				tiānzhēn 
				
				
				innocent 
					
						| 
						
						21 
						讨便宜
						
						
						tǎopiányi  
						chercher à tirer profit de (comme 
						
						quelqu’un qui cherche un bon prix en marchandant) 
						
						22 
						挞挞
						
						
						tàtà  
						
						 ici onomatopée 
						
						23 
						枯萎
						
						
						kūwěi 
						
						 se faner 
						
						24身外物
						
						 shēnwàiwù  
						(ou 
						身外之物) 
						des biens matériels, des choses sans importance 
						25 
						长发半束起
						
						chángfà bànshùqǐ 
						  cheveux 
						longs à moitié attachés et relevés (le reste laissé long 
						sur les épaules)    
						26 
						耳环
						
						ěrhuán  
						boucle 
						d’oreilles 
						27 
						分寸
						
						fēncun  
						décence, 
						mesure 
						28 
						猝然
						
						cùrán  
						soudain, tout 
						d’un coup   
						     
						劝喻
						
						quànyù 
						 encourager à
						 
						     
						提早退休
						
						tízǎo tuìxiū 
						 prendre une 
						retraite anticipée 
						29 
						额手称庆
						
						éshǒuchēngqìng 
						 porter la 
						main au front en signe de joie 
						30 
						模特儿合约
						
						mótèr héyuē 
						 contrat de 
						mannequin/modèle 
						31 
						碧蓝
						
						bìlán  
						bleu sombre
						 
						32 
						突如其来
						
						tūrúqílái 
						 soudain, 
						inattendu |  | 
						 
						cheveux longs à moitié 
						 attachés et relevés |  
				  
				VI 
				回到宿舍,在大厦碰到宿生会会长1,见到我,如释重负地拉我:“舍监找你。2”我说先放下书嘛,急什么。她说是急事,死拖活拉地推我。 
				  
				我在舍监家的沙发坐下,手中无聊,翻看《突破》3,有读者问:“明心,我很烦,不知应该怎办,他离 
				开了我...."舍监给我泡了一杯极热的乌龙茶4,她是台湾人,操一口极重鼻音的广东话。我双手捂着杯,待她开口。 
				  
				电视开着,光有画面没有声音,舍监的脸一光一暗,一蓝一白,很可怕。她在光影中耽了一阵,才一字一 
				句地说:“我接到投诉5,说你和许之行有不正常的关系。” 
				  
				乌龙茶极滚热6,灼痛了我的舌尖。我扬起脸看她,不知怎的,我微微地挂一个笑。 
				"大学生不但要有知识,还得品格高尚──” 
				"我不觉得这是低下的事情,许多男女比我们更低下。”我看准她的眼。她没有避开,也望着我。 
				"你们这样──是不正常的,这有碍7人类文明的发展。社会之所以维系8而成一个稳定的制度,全赖9自然 
				的人类关系...."断断续续的我听不清她的话,我便不再看她,自顾自翻《突破》。明心答:“玲,你这 
				样破坏人家的感情是不对的,但全能的神会原谅10你...."我吓得忙不迭把《突破》阖上11。我怔怔地12 
				看没有声音的电视。过了很久很久,我低声说:“为什么要将你们的道德标准加诸我们身上呢,我们又没 
				有妨碍7别人。”我不知道她听到了没有;只是自己的声音那么低幽,好象有谁在我耳边说这些话,我便 
				警觉地13四处张望,但没有人。 
				  
				"舍监。”我放下茶杯,说:“只要之行不离开我,我就不离开她。”说完我便径自离去14,开门。 
				"不过,她今天下午已经答应我迁出宿舍,我亦答应了不将此事公开。我只不过循例征询你吧15。”她远 
				远地说。我立在门口,我推着门柄,触手生凉。“谢谢。”我说。我没有再发出任何声音,轻轻掩上房门 
				而去。 
				  
				我不知道我怎样挣扎回房,那楼梯好长好长的,这是不是雅各的天梯16,通往真理之路17。我举步艰难, 
				四肢竟像撕碎一般18,每一下移动都刺痛我双眼。我掩目,罢了,我自此便盲掉,从今不得见光。 
				  
				房间没锁,走廊有人,我便挺起背,咬牙而进。好之行,一个下午竟收拾得干干净净,只在我床上放了一 
				双簇新19艳红的绣花鞋,一个粉红色的美顿芳胸围,我一翻看,她买错了,是32B。我笑了,自家儿说:“是32A,之行,32A,我瘦嘛!” 
				  
				她走后我也搬出了宿舍,在学校附近租了一个幽暗的小屋。我的生活尤其幽暗,近视益发加深20。戴着不 
				合度数21的有框眼镜,成天在课室与图书馆间跌跌撞撞。我开始只穿蓝紫22与黑。戒了烟。只喝白开水及 
				素食。人家失恋呼天抢地23,我只是觉得再平静没有,心如宋明山水24,夜来在暗夜里听昆曲25,时常踩着自己细碎的脚步声,寂寞如影。抱着我自己,说:“我还有这个。”咬着唇,道:“不要流泪。不要埋 
				怨26。”我希望成为一个明白事理的人──凡事都有迹可寻27。她也有她的难处。 
				  
				我后来在一份杂志的封面28见到了她。丰满的唇与微笑。我却没有掀开杂志29。她不过是千万个美丽女 
				子之一,与我认识的之行不一样。后来我在学校的毕业典礼上见到她,学士袍飞扬,她在阳光里微笑, 
				远远地看过来,用手遮住了阳光。太远了,看不清她的笑容有没有改变。我只站着不动,抱着我自己。 
				她身边有一个男子,看来很面熟,仔细一想,原来是那些在杂志上看见的人。之行有她的选择。她离开 
				我,是我不够好之故。但我记得的之行....我们是不言好坏的..... 
				  
				....我记得她的旗袍,绣花鞋,她抄我的笔记时那种不甘不驯之气30,她轻轻按自己的胸口时的笑靥31,她躺在床上看亦舒的懒相。我记得我冷的时候她给我围巾暖我,我得意的时候她用硬币掷我,我冷漠的时 
				候她拉紧我的手说“赔了夫人又折兵”。我记得我记得,我替她束过发,剪过脚甲,为她买了一束太阳 
				菊。我记得我曾热泪盈眶32,卡卡地捏自己的喉咙,她便捉着我的手,说:“何必如此?” 
				  
				──何必如此。我原以为我可以与之行厮守终生的。 
				  
				01 
				宿生会
				
				sùshēnghuì
				
				=
				宿舍学生会
				
				sùshè xuéshēnghuì 
				association 
				des étudiants du dortoir /de la résidence  
				02 
				舍监
				shèjiān
				 le 
				gardien, le surveillant du dortoir 
				03 
				《突破》
				tūpò 
				 faire une brèche, 
				une percée  
				Titre d’un magazine 
				pour la jeunesse créé à Hong Kong en 1974, disparu en 1999. 
				04 
				乌龙茶
				wūlóngchá
				 thé oolong 
				(du dragon noir) : thé à oxydation incomplète, donc entre les 
				thés noirs et les thés verts. Il est originaire du Fujian, mais 
				cultivé aussi à Taiwan.  
				05 
				接到投诉
				jiēdào 
				tóusù  
				recevoir une plainte 
				06 
				滚热
				gǔnrè 
				 bouillant, 
				brûlant 
				07 
				碍
				ài 
				 gêner, entraver, 
				faire obstacle à  =  
				妨碍  fáng'ài 
				08 
				维系
				wéixì 
				 maintenir 
				ensemble  
				09 
				赖
				lài 
				 dépendre de, 
				s’appuyer sur  
				10 
				原谅
				yuánliàng 
				pardonner 
				11 
				阖上
				héshang 
				fermer 
				12 
				怔怔
				zhèngzhèng 
				fixement 
				13 
				警觉地
				jǐngjuéde 
				d’un œil 
				vigilant 
				14 
				径自
				jìngzì 
				de 
				soi-même, sans consulter personne 
				15 
				循例征询
				xúnlì 
				 zhēngxún  
				consulter selon les règles/l’usage  
				16 
				雅各
				Yǎgè  
				(Bible) Jacob
				 
				Note : l’Echelle de 
				Jacob (雅各的天梯) 
				est une référence à un passage de la Genèse dans lequel le 
				patriarche Jacob, fuyant son frère Esaü, voit en rêve une 
				échelle montant vers le ciel. Dieu est en haut et lui promet sa 
				protection. 
				17 
				通往真理
				tōngwǎng 
				zhēnlǐ 
				 mener à la vérité 
				18 
				撕碎
				sīsuì 
				déchirer en 
				mille morceaux, mettre en pièces 
				19 
				簇新 
				cùxīn  
				flambant neuf 
				20 
				近视 
				jìnshì 
				 myopie   
				益发 yìfā
				 d’autant 
				plus 
				21 
				度数
				dùshù 
				puissance 
				des verres (lunettes) 
				22 
				蓝紫
				lánzǐ 
				 violet 
				23 
				呼天抢地
				
				hūtiānqiāngdì  
				se lamenter à grands 
				cris 
				24 
				如宋明山水
				rú sòngmíng 
				shānshuǐ 
				 comme un tableau de paysage de la dynastie des Song ou des Ming 
				(triste et désert) 
				25 
				昆曲
				kūnqǔ 
				 opéra Kun, ou 
				Kunqu, opéra du sud, originaire de la région de Suzhou et 
				développé à partir de la dynastie des Ming, c’est la forme la 
				plus ancienne et la plus raffinée d’opéra chinois traditionnel ; 
				avec ses mélodies très douces et ses livrets très littéraires 
				basés sur des histoires 
				d’amour, il convient 
				parfaitement à la narratrice dans le contexte de la nouvelle. 
				26 
				埋怨
				mányuàn 
				blâmer, se 
				plaindre 
				27 
				凡事
				
				
				fánshì  
				tout 
				有迹可寻
				yǒujìkěxún 
				il y a
				des traces/vestiges à chercher 
				28 
				封面
				
				fēngmiàn
				couverture 
				29 
				掀开
				xiānkāi 
				ouvrir
				 
				30 
				不甘
				bùgān 
				qui ne se 
				résigne pas  
				不驯
				bùxún 
				 indomptable 
				31 
				笑靥
				xiàoyè 
				visage 
				souriant 
				32 
				热泪盈眶
				
				rèlèiyíngkuàng   
				avoir les larmes aux 
				yeux 
				33 
				厮守终生
				sīshǒu 
				zhōngshēng 
				rester toute la vie 
				Note : l’auteur ajoute 
				 的
				à la fin, 
				donnant à l’expression une forme adjectivale, exprimant une 
				caractéristique de la narratrice : de nature à …  
				___________________ 
				  
				Traduction 
				I. 
				J’avais pensé que je 
				pourrais passer toute ma vie avec Zihang. 
				  
				Elle s’appelait Hoi 
				Zihang. Quand je l’ai connue, nous étions encore en première 
				année de fac. Je suivais un cours intitulé « L’art de la pensée 
				critique », un cours obligatoire pour les étudiants de première 
				année, et c’est là que je l’ai rencontrée. 
				  
				Elle était la seule 
				étudiante que je connaisse à aller en cours en qipao et 
				chaussures brodées. C’était terriblement affecté, mais en même 
				temps cela ne passait pas inaperçu. Je me souviens que c’était 
				une paire de chaussures brodées rouge vif. Elle avait les 
				chevaux coupés court au niveau des oreilles, et prenait souvent 
				des notes les yeux baissés, la tête penchée, comme une élève 
				studieuse. Mais elle se passait du vernis à ongles couleur pêche 
				– or les femmes qui ont les ongles faits sont toutes des femmes 
				de mauvaise vie, et celles qui, d’un air affecté, paradent pour 
				se faire remarquer sont encore pires. Je ne savais pas que je 
				pourrais aimer une femme comme ça. 
				  
				De fait, tout le monde 
				parlait d’elle. Les étudiants de la classe m’apprirent qu’elle 
				s’appelait Hoi Zihang, qu’elle étudiait le 
				chinois, qu’elle venait du collège Su-Zhe, et que sa famille 
				habitait Blue Pool Road. Pendant que nous étions en cours à 
				étudier Platon, eux, par petits groupes, parlaient de Zihang, 
				dans la résidence, et  j’en ricanais, la main sur la bouche ; en 
				mon for intérieur, cependant, je me mis à ressentir pour ces 
				camarades un sentiment dichotomique de mépris. Mais ils aimaient 
				bien parler d’elle etl’appelaient « Petite 
				Phénix divine ». 
				  
				Zihang manquait 
				constamment les cours. Je la rencontrai un jour par hasard à la 
				gare, les yeux baissés, elle traînait un étudiant sur les 
				talons. 
				  
				L’année suivante, nous 
				nous sommes retrouvées ensemble à un cours d’ « Introduction à 
				la sociologie ». Sans doute parce qu’il détestait faire l’appel, 
				le professeur institua comme règle que nous restions toujours 
				assis à la même place, il pouvait ainsi repérer les absents d’un 
				seul coup d’œil. Je profitai de l’occasion pour 
				m’asseoir à côté de Zihang. Je me souviens que, ce jour-là, elle 
				portait un qipao de coton pas trop serré, blanc et mauve 
				foncé,  et qu’elle avait sur les bras des poils très fins. Elle 
				dégageait en outre une odeur très particulière –  un mélange de 
				maquillage, de parfum, de lait et d’encre – que j’ai appelée par 
				la suite « Senteur du phénix divin ». Quant à ses mains, elles 
				étaient si lisses et glacées que cela me donnait très envie de 
				les toucher. Mais je ne l’ai pas fait car elle ne semblait pas 
				avoir noté ma présence.  
				  
				Elle recommença à 
				manquer les cours. Ce n’est que lorsqu’on en arriva à la théorie 
				de la plus-value de Marx qu’elle réapparut, et me demanda de lui 
				prêter mes notes. Je les lui montrai en riant : « Même si je te 
				les prête, tu ne pourras rien en faire, il n’y que moi qui 
				puisse les comprendre. » Sur quoi elle haussa les 
				sourcils : « Ah,  pas forcément. » Par paresse, je gribouillais 
				mes notes à toute vitesse en sténo, les autres étudiants les 
				appelaient « les notes télégraphiques », et du coup personne ne 
				songeait à me les emprunter. Je la vis se mettre à écrire à 
				toute vitesse, et transcrire mes « codes » en une écriture 
				claire et régulière – si l’on ne va pas en cours pendant un 
				mois, il faut bien avoir quelques aptitudes, autrement on 
				n’arriverait à rien. J’aime les gens intelligents et originaux, 
				c’est sans doute la raison pour laquelle je me suis intéressée à 
				elle. 
				  
				 « Je t’invite à 
				prendre un café. » lui ai-je dit, à quoi elle a 
				répondu : « OK ». Notre conversation aussi était du genre 
				télégraphique. 
				  
				Assises dans la 
				lumière oblique du soleil couchant, nous sommes restées sans 
				rien dire ; comme je 
				l’observais 
				attentivement, elle me dit en me regardant : « Je te connais. Tu 
				es Yip Saisai. Le soir, tu joues de la flûte
				
				
				shakuhachi, 
				toute 
				seule, dans la salle de classe. Je t’ai entendue. » Elle portait 
				au bras une pléiade de menus bracelets d’argent qui ne cessaient 
				de bouger en cliquetant. « Je sais que, la semaine dernière, tu 
				as perdu un soutien-gorge Maidenform rose, j’ai vu la notice sur 
				le panneau 
				
				
				d’affichage de la résidence. C’est bien toi ? » Elle rit : 
				« Tout le monde, sur le campus, est au courant, même les garçons 
				savent que tu as perdu un soutien-gorge Maidenform rose taille 
				32B, c’est malin ! » - « Faux, lui dis-je, c’est seulement 32A, 
				je suis plutôt maigre. ». En regardant sa poitrine bouger, 
				j’ajoutai en riant : « Je parie que toi, tu fais au moins du 
				34B, et quand tu seras mariée, tu pourrais bien aller jusqu’au 
				38 ! » - « Ah, j’en ai bien peur ! » dit-elle en se couvrant 
				doucement la poitrine des mains. 
				
				C’est 
				ainsi que notre histoire commença, par une discussion sur les 
				soutiens-gorge Maidenform. 
				
				
				  
				
				
				II. 
				  
				Elle se mit à venir 
				régulièrement en cours, et nous discutions. Ce prof, vraiment, 
				quel vieux schnock, avec ses chaussettes en nylon couleur chair. 
				Je lui ai demandé où elle achetait ses qipaos, elle m’a 
				dit que c’était un secret professionnel. Je suis allée voir avec 
				elle « House of the Lute » de Lau Shing-hon, 
				qu’on donnait sur le 
				campus, et nous sommes tordues de rire. Mais, pour « Octobre » 
				d’Eisentein, nous nous sommes endormies toutes les deux, et ne 
				nous sommes réveillées qu’une fois tout le monde parti. Quand 
				nous allions manger un morceau, la nuit, des moules sautées,  
				par exemple, Zihang aussi mettait un jean, mais elle ne quittait 
				pas pour autant ses chaussures brodées. 
				  
				Au deuxième semestre 
				de notre troisième année, la fille qui partageait sa chambre est 
				partie. Mais elle 
				n’en a pas avisé la 
				surveillante, et je suis allée loger avec elle. En fait, c’est à 
				ce moment-là que notre histoire a vraiment commencé. 
				  
				Il faut dire que je 
				trouvais Zihang très séduisante, astucieuse, et d’un caractère 
				accommodant, mais je ne comprenais pas vraiment son 
				comportement. C’est d’ailleurs ce qui, entre nous, ressemblait 
				le plus à une relation amoureuse entre un homme et une femme : 
				une attirance initiale, fondée sur le charme respectif de chaque 
				partie –  je n’étais pas une beauté, et ne prétendais pas être 
				aussi aguicheuse que Zihang, mais je savais quand même me mettre 
				en valeur, discrètement, et je pense que Zihang appréciait ce 
				genre de personne, cette sorte de charme, disons, voilé, diffus. 
				Qui n’était pas totalement étranger à celui de ses qipaos 
				et de ses chaussures brodées. 
				  
				Notre chambre est 
				ainsi devenue la « ruelle de la fumée et des fleurs » . Nous 
				fumions, elle des « Double bonheur rouge », et moi des Dunhill 
				mentholées, deux marques qui vous donnaient un look 
				irrémédiablement sauvage. Nous aimions Tom Waits et dansions 
				toutes les deux dans la chambre, elle était extrêmement souple. 
				Nous étions des femmes. A l’occasion, je traduisais quelques 
				pages de Simone de Beauvoir, mais ce n’était pas génial, alors 
				je suis passée à Kristeva. Zihang, elle, aimait Yi Shu, mais, 
				comme je protestais, elle changea pour Sagan, ce qui me fit 
				protester derechef, alors elle se mit à lire Angela Carter. On 
				avançait peu à peu, j’ai décroché une bourse d’études, elle en 
				avait demandé une elle aussi, mais ne l’a pas obtenue. 
				J’avais gagné un 
				point sur elle. 
				  
				Le jour où j’ai obtenu 
				ma bourse, ma photo est parue dans le journal de la fac. Je me 
				suis souvenue que, un jour que nous étions allée faire des 
				courses ensemble, elle avait eu envie d’un pull en cashmere 
				rouge feu, mais il coûtait 950 yuans (1) et elle n’avait pas osé 
				l’acheter ; je l’ai donc fait pour elle, en pensant le lui 
				offrir le soir, au moment du dîner. Mais elle n’est pas rentrée 
				de toute la soirée. Je l’ai attendue jusqu’à la nuit tombée ; 
				seule dans la chambre, je n’avais pas allumé la lumière. C’était 
				déjà la fin de l’automne ; par la 
				fenêtre, on voyait des lumières de bateaux de pêche éparpillées 
				sur toute la mer. J’eus soudain le 
				sentiment qu’ont dans les romans les femmes délaissées par des 
				hommes sans cœur. J’avais eu des petits 
				amis, auparavant, mais n’avais jamais ressenti une telle 
				anxiété. Zihang, ce jour-là, n’avait pas plié sa couette. Zihang 
				n’avait pas mis ses chaussures brodées. Il ne lui restait 
				presque plus de dentifrice, il faudrait que je lui en rachète. 
				Il flottait toujours dans la chambre l’odeur du parfum de 
				Zihang, le parfum de « divine phénix ». Le maquillage de Zihang. 
				Les larmes de Zihang. Appuyée, immobile, sur le rebord de la 
				fenêtre, je versai deux larmes en silence, deux larmes 
				seulement, c’est tout. Zihang, Zihang. 
				  
				A mon réveil, je 
				mangeai un morceau de pain, et j’eus soudain la sensation que le 
				pain avait un goût de farine rance, un peu comme de la 
				nourriture pour animaux. Cela faisait plus de dix ans que je 
				mangeais du pain, et c’était la première fois que je remarquais 
				cette odeur et ce goût. Comme disait Confucius, quand on traite 
				une affaire, il faut le faire avec compassion pour la victime et 
				ne pas se réjouir de son succès, c’est un cliché bien connu, 
				mais, ce matin-là, je me sentis envahie de compassion, en humant 
				et goûtant ce morceau de pain. Ah, que ce monde est difficile à 
				cerner.  
				  
				 (1) Soit près de 100 
				euros, ce qui est très cher compte tenu des pouvoirs d’achat 
				respectifs. 
				  
				III 
				  
				A minuit, appuyée 
				devant la fenêtre, j’entendis un bruit de moteur. Zihang 
				descendit d’un taxi, vêtue 
				d’une robe noire et 
				portant des chaussures plates noires. Pauvre de moi, même à 
				cette heure, je me souciais encore de la manière dont elle était 
				habillée. Je m’aperçus en fait que, si je faisais attention à 
				ses vêtements, à son odeur, c’était en grande partie parce 
				qu’ils reflétaient son humeur, et j’eus soudain honte en pensant 
				qu’il n’y avait là aucune différence entre moi et n’importe quel 
				homme : je donnais de 
				 
				la même manière énormément d’importance 
				aux plaisirs des sens, bien que je ne l’aie jamais touchée ;
				 
				peut-être parce que 
				personne n’aime s’exposer, nous ne nous étions jamais 
				embrassées, jamais caressées, je pensais même que ce n’était pas 
				une nécessité – les enlacements et embrassades holé  
				holé de ce 
				qu’on appelle l’amour lesbien, c’est le genre de spectacle 
				émoustillant sorti de l’imagination masculine, propre à procurer 
				aux hommes un plaisir visuel ; Zihang et moi, ce n’était pas 
				comme ça. Je  
				ne lui avais même jamais dit « je t’aime ». Mais, à 
				ce moment précis, j’ai réalisé à quel point je l’aimais… Appuyée 
				devant la fenêtre, j’avais le cœur en feu, le cœur qui brûlait, 
				ça y est, Zihang était arrivée, Zihang était là. 
				  
				Elle ouvrit doucement 
				la porte, et se laissa tomber assise sur le lit. Elle était tout 
				rouge, avait le corps  
				qui empestait l’alcool, et, je ne sais 
				pourquoi, s’était fait un maquillage épais qui lui transformait 
				le visage ; je pensai à l’odeur du pain. Je restai silencieuse, 
				les mots se figèrent sur mes lèvres. 
				Elle rit : « Il faut 
				que tu sois contente, aujourd’hui, moi je suis très contente. » 
				Et brusquement, dans  
				un bruit métallique, elle m’envoya des 
				pièces de monnaie par la figure. « Yip Saisai, je ne suis qu’une 
				personne ordinaire. » Je me couvris le visage sans rien dire. 
				Les pièces heurtèrent le dos de ma main et me firent une douleur 
				aiguë ; Quant à Zihang, que le geste avait épuisée, elle 
				s’adossa contre le bord  
				du lit pour se reposer. Il se fit un 
				grand silence, j’avais la sensation que la lumière de la lampe 
				m’éblouissait. « Zihang. » Elle ne me répondit rien, elle 
				s’était endormie. Je lui ai essuyé le visage, l’ai déshabillée, 
				lui ai enlevé ses chaussures et lui ai embrassé les pieds. 
				  
				J’ai un peu rangé les 
				affaires, puis lui ai laissé un mot sur la table : « Zihang, 
				s’il arrive un jour que nous soyons noyées dans la foule, et que 
				nous menions une existence médiocre, c’est parce que nous 
				n’aurons pas fait suffisamment d’efforts pour vivre 
				pleinement. » 
				En fait, à cette 
				époque-là, je n’avais pas d’ambition. Mais Zihang, elle, en 
				avait. 
				  
				Cette nuit-là, je suis 
				allée frapper à la porte d’un homme qui me convoitait depuis 
				longtemps, l’air anxieux ; je le savais, j’y suis allée faute de 
				mieux,  mais il est aussi possible que ç’ait été pour moi une 
				façon de se venger et de Zihang et de cet homme, car je n’ai pas 
				hésité. En outre, mon corps ne 
				m’appartenait pas. Je 
				suis restée toute la journée dans un état d’hébétude. J’ai vu 
				cet homme me louer une chambre, puis y aller, moi cela m’était 
				égal, j’ai continué à aller en cours, et j’ai travaillé encore 
				plus, mais c’était tout le contraire de ma vie passée. 
				  
				En passant devant la 
				résidence, je jetais toujours un long regard, en me demandant si 
				Zihang était là.  
				Si elle était en train de se peigner, de 
				préparer ses cours, ou de lire le journal. Si elle pensait à 
				moi. Zihang avait brusquement disparu de ma vie, comment 
				aurais-je pu être sereine ? Personne ne savait  
				par quels 
				tourments que je passais. Zihang Zihang Zihang. 
				  
				Cette nuit-là, par un 
				temps de fin d’automne, nous avions dîné ensemble, cet homme et 
				moi, il avait  
				une conversation sans intérêt, je me contentais de 
				boire. Le dîner terminé, j’étais repue, écarlate, en marchant 
				dans le vent du soir, j’ai vomi, et me suis mise à pleurer comme 
				une madeleine. Cet homme  
				m’a tendu son mouchoir, et je l’ai 
				serré très fort ; à ce moment-là, tout homme m’offrant un 
				mouchoir  
				ne pouvait être que quelqu’un de bon. En même temps, je 
				ne pus m’empêcher de sentir se serrer mon cœur de  mépris. En 
				vérité, si, à cet instant-là, j’avais ressenti une certaine 
				affection pour lui, en renonçant à Zihang, cela n’aurait 
				peut-être pas été plus mal. Cet homme avait une petite voiture 
				japonaise ; à peine dedans, il me serra très fort dans ses bras, 
				en approchant son visage, alors je lui dis en riant : « Il est 
				possible que tu sois quelqu’un de bon, mais, si tu as envie 
				d’embrasser une femme qui empeste l’alcool, cela me fait douter 
				sérieusement de ton goût. » Il me ramenait à la chambre en 
				conduisant rageusement, quand je lui dis : « Attends un peu, je 
				voudrais passer à la résidence prendre quelques affaires. » 
				  
				Il était trois heures 
				du matin, Zihang avait juste laissé allumée la lampe du bureau, 
				mais on ne la voyait pas. Debout dans l’obscurité, je me tordis 
				le cou pour regarder, Zihang était bien là, sous la lampe 
				allumée. Jusque là, je n’avais pas bien saisi le sens de cette 
				scène. Zihang, je ne suis qu’une femme paisible qui désire juste 
				développer une relation affective toute simple avec quelqu’un. 
				Comment se 
				 
				fait-il que le monde ne me le permette pas. 
				 
				  
				Soudain, l’ombre de 
				Zihang passa furtivement devant la fenêtre, et éteignit la 
				lumière. Aperçus tout  
				aussi furtivement, les cheveux de Zihang 
				avaient-ils poussé ? Y avait-il quelqu’un, maintenant, pour lui 
				couper les ongles de pied, lui passer du vernis à ongles ? 
				Maintenant que je n’étais plus là, qui lui attachait les boutons 
				dans le dos ? Et la nuit, qui venait la regarder, qui pensait à 
				elle ? Qui savait si  
				elle était gaie, si elle était triste ? 
				Qui aimait-elle, qui la faisait souffrir ?  
				J’avais très envie 
				d’aller la voir. Allez, juste un coup d’œil.  
				  
				Je suis montée à toute 
				vitesse, Zihang avait fermé à double tour, mais j’avais la clef. 
				Elle s’était endormie, sa poitrine montait et descendait, 
				toujours aussi généreuse. En ces quelques semaines, elle 
				n’avait pas maigri, 
				n’avait pas la mine défaite non plus. En regardant de plus près, 
				je vis qu’elle avait  
				les ongles de pied parfaitement coupés, et 
				que son vernis était impeccable, rouge vif comme d’habitude. 
				Elle y avait quelques poupées de chiffon de plus dans son lit, 
				et, pour l’heure, profondément endormie telle un bébé, elle 
				serrait un petit lapin blanc dans les bras. On ne pouvait 
				imaginer plus paisible. Après mon départ, elle avait très bien 
				continué à vivre ; le soleil continuait sa course, la nuit 
				tombait comme auparavant, et à trois heures du matin, il y 
				avait, comme toujours, des gens endormis et d’autres  
				éveillés. 
				Dans la chambre à côté, quelqu’un tapait encore à la machine, 
				préparant un cours ou quelque vain écrit. Je fondis soudain en 
				larmes. J’avais la gorge nouée, l’impression que quelqu’un 
				voulait m’étouffer, mais c’était moi qui 
				m’étouffais, imaginant dans la nuit une pluie d’étoiles 
				filantes. Zihang  
				avait transformé mon être.  
				  
				Mes larmes tombaient 
				sur son visage, j’avais le visage rouge de l’avoir frotté, et 
				haletais à perdre  
				l’âme. Zihang s’éveilla soudain, me serra la 
				main très fort et me dit : « A quoi bon se mettre dans un  
				tel 
				état ? » Zihang me prit dans 
				ses bras, je sentis son parfum de phénix divin, et m’endormis 
				paisiblement. J’entendis vaguement, en bas dans la rue, une 
				voiture qui klaxonnait, quelle importance,  
				cet homme ne pouvait 
				désormais plus avoir aucune valeur dans ma vie, je n’en avais 
				rien à faire. Il n’y avait plus maintenant que Zihang. 
				  
				Zihang a pris ma tête 
				entre ses mains et m’a dit : « Tu es trop bête. »  Je n’ai pas 
				pipé mot, j’avais 
				juste envie de dormir, demain serait un autre 
				jour. 
				  
				IV 
				  
				Avec Zihang, ensuite, 
				les choses allèrent à nouveau beaucoup mieux. Nous restions très 
				tard à  
				travailler, le soir ; elle me faisait du thé, mais était 
				toujours aussi paresseuse, c’était son caractère. Pourtant je 
				trouvais, en moi-même, qu’elle avait changé, même son parfum 
				n’était plus le même, maintenant c’était  « Opium ». Je le 
				trouvais suffoquant. 
				  
				Elle continuait à 
				sortir la nuit. A minuit, toujours vêtue d’un pull rouge vif, de 
				chaussures de cuir noir,  
				elle partait d’un pas de panthère. En 
				bas, une petite voiture de sport bleu saphir l’attendait. Quand 
				elle rentrait, elle était écarlate, et me rapportait des 
				boulettes de riz encore chaudes, mais je n’arrivais pas  
				à les 
				avaler ; or, le riz glutineux durcit si on ne le mange pas tout 
				de suite ; et le lendemain matin, je  
				me retrouvais avec des 
				boulettes dures dont je ne savais que faire. Comme toujours, 
				Zihang manquait constamment en cours, en quatre ans elle n’avait 
				réussi à passer au total que onze unités de valeur.  
				  
				Pour les vacances de 
				Noël, je me préparais à rentrer chez moi passer les fêtes. 
				Zihang, de son côté, faisait sa valise. Je lui ai demandé 
				combien de temps elle allait rester chez elle, mais elle a hoché 
				la  
				tête et m’a dit en riant : « Je vais à Pékin. » 
				  
				Je me suis figée sur 
				place, et suis restée un long moment sans rien dire. Après avoir 
				fait un voyage au Japon, Zihang et moi, nous nous étions promis 
				que, la prochaine fois, nous irions à Pékin. C’était l’année 
				précédente, à Noël. Je me cachai doucement le visage dans les 
				mains et lui dit : Zihang, Zihang, tu te souviens… » 
				Elle écarta mes mains 
				et me regarda droit dans les yeux : « Je me souviens. Mais c’est 
				le passé. Cette fois, je tiens ma chance, il faut penser à 
				l’avenir, je n’ai pas envie de mener une vie médiocre. » Elle 
				m’embrassa sur le 
				front et partit. 
				  
				Je suis restée seule, 
				assise dans la chambre à moitié vide, pensant que j’aurais pu 
				rester assise ainsi  
				tout le restant de ma vie. Comme j’étais 
				penchée en avant, j’ai remarqué que le tapis était sale. Ce 
				 
				tapis, nous l’avions acheté, 
				Zihang et moi, un matin à la gare centrale ; elle voulait 
				absolument un  
				tapis persan, mais je trouvais cela irréaliste, et 
				préférais un tapis indien. Finalement, nous avons  
				transigé et 
				acheté un tapis belge. Le tapis sous le bras, nous avons mangé 
				dans un restaurant belge, Zihang a commandé une douzaine 
				d’huîtres, nous avons dépensé tout notre argent… c’était quand, 
				 
				déjà ? 
				  
				Ce Noël-là, je suis 
				restée toute la journée à la bibliothèque, épuisée. Je 
				feuilletais un magazine, lorsque brusquement, ébahie et sidérée, 
				à côté d’un type à la fois gras et tanné, arborant des lunettes 
				de ski tape-à-l’œil, je vis nulle autre que Zihang ! J’ai 
				refermé le magazine, et suis allée manger à la cantine, comme si 
				de rien n’était, mais, en fait, m’asseyant à la place où je 
				m’étais assise la première fois, avec Zihang. J’eus un 
				étourdissement, et fus à deux doigts de m’effondrer en pleurs, 
				mais, serrant les dents,  
				je revins à la bibliothèque, et me mis 
				à travailler sans plus me laisser distraire. 
				  
				Lorsque Zihang revint, 
				j’étais endormie sur mon bureau, le magazine avec la photo de 
				Zihang ouvert devant moi. Je n’ai pas regardé Zihang, elle n’a 
				pas bronché non plus ; elle s’est assise en fumant une 
				cigarette. Puis elle m’a dit : « J’ai perdu sur tous les 
				tableaux. »  
				  
				Je suis allée lui 
				faire une tasse de thé. Elle m’a saisi la main en la serrant 
				très fort, et je lui ai caressé doucement les cheveux. 
				  
				Je ne lui ai pas posé 
				plus de questions, et elle n’a plus jamais abordé le sujet. 
				Aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas ce qui s’est 
				réellement passé. Mais elle n’est plus sortie la nuit ; elle est 
				restée sagement travailler, tête baissée, l’air triste, mais 
				très satisfaite d’elle-même. 
				  
				Comme j’en étais 
				presque à la fin de mes études, j’ai adopté une attitude moins 
				réservée, après tout  
				je n’étais ni une 
				mondaine ni une danseuse, ce n’est pas cela qui m’aiderait à 
				gagner mon pain. J’ai fait une demande de poste de recherche, 
				dans l’espoir de me faire une place dans les cercles 
				académiques.  
				Il faut bien reconnaître que, pour une profession 
				intellectuelle, il n’y a pas besoin de beaucoup de savoir ni d’audace, c’est comme 
				une pièce de tissu assez terne, une fois bien emballée, le tour 
				est joué ;  
				alors je me suis plongée dans un cours de philosophie 
				occidentale moderne, c’est vraiment hyper facile,  
				le prof n’y comprenait rien et 
				moi non plus, si on lit ma thèse, il y a de quoi rire, mais je 
				m’en suis sortie tant bien que mal, tout le monde était soulagé. 
				Réjouissance générale. 
				  
				V 
				Dans ces conditions, 
				mes rapports avec Zihang se sont quelque peu refroidis. Elle 
				était plus belle que jamais, et habillée de manière voyante même 
				pour aller passer les examens. J’entendis ses camarades  
				de 
				classe dire qu’elle était amoureuse d’un professeur. Quelqu’un 
				d’autre me dit qu’elle était modèle photo et qu’un magazine 
				avait publié des photos d’elle. Comment les autres pouvaient-ils 
				être bien  
				mieux renseignés sur Zihang que moi ? C’est qu’on ne 
				passait plus beaucoup de temps ensemble ; j’aurais aimé louer un 
				appartement avec elle, elle aurait continué son travail public, 
				moi mes études. J’avais envie d’élever un chat avec 
				Zihang, et d’avoir un tapis persan fait main. Vers minuit, on 
				aurait  
				pu aller manger des boulettes de riz chaudes et tendres. 
				J’avais des besoins très simples, dans la vie. 
				  
				Toute à ces pensées, 
				j’ai acheté un bouquet de fleurs en rentrant ; je voulais me 
				retrouver avec Zihang. Le matin, la résidence des étudiantes 
				était très calme. 
				  
				Il y avait une cravate 
				accrochée à la porte de la chambre ; avec mon bouquet de 
				gerberas à la main,  
				je suis restée plantée là, sans savoir que 
				faire. Ce que Zihang voulait dire, selon une vieille coutume 
				britannique, c’était qu’elle avait un hôte masculin. Comment 
				était-ce possible ? Cette pièce était à  
				nous, Zihang et moi, ils 
				étaient même peut-être en train de faire l’amour sur mon lit, il 
				faudrait encore que je lave les draps. Je ne pourrais plus 
				jamais dormir dans ce lit, pour moi, le sperme masculin était la 
				chose la plus répugnante qui soit, bien plus répugnante que 
				l’eau de vaisselle, la morve, ou un crachat. Zihang, comment 
				peux-tu me faire ça ? 
				  
				Juste à ce moment-là, 
				la présidente de l’association des étudiantes de la résidence, 
				qui habitait la chambre en face, revint et me demanda : « Que se 
				passe-t-il ? Tu as oublié ta clef ? Tu veux que je 
				t’ouvre ? » - « Non, 
				ce n’est pas la peine, » lui dis-je précipitamment en sortant ma 
				clef.  
				  
				Zihang était avec un 
				homme, dans mon lit effectivement, en pleins ébats amoureux. 
				J’ai senti le  
				bouquet de gerberas me glisser des mains, mais 
				j’ai eu peur qu’il y ait des pétales partout. Zihang  
				avait les 
				yeux à moitié fermés et continuait sans se laisser 
				impressionner, mais l’homme, lui, s’arrêta  
				net, sans comprendre 
				ce dont il s’agissait. Il avait le visage plein de boutons, les 
				cheveux en bataille, une trentaine d’années. Je le regardai 
				droit dans les yeux : « Monsieur, vous êtes dans la résidence 
				 
				des étudiantes, habillez-vous convenablement. » Zihang lui dit 
				en me regardant de travers : « Fais pas attention. » Je leur 
				jetai les vêtements étalés par terre en leur 
				criant : « Habillez-vous, en vitesse ! Je ne discute pas avec 
				des bêtes. » 
				  
				L’homme s’habilla 
				effectivement à toute vitesse, Zihang, elle, se retourna pour 
				fumer tranquillement une cigarette, sans rien dire. Ramassant 
				les préservatifs éparpillés par terre, je dis à l’homme : 
				« C’est à vous, monsieur, essayez d’avoir l’air un peu plus 
				digne. » 
				« … Pardon. » dit-il 
				en fourrant précipitamment les préservatifs dans la poche de son 
				pantalon. « Monsieur, ajoutai-je, Zihang et moi ne vivons pas 
				une relation ordinaire, vous êtes priés de nous respecter, ceci 
				est intolérable. » Il resta médusé, un instant immobile, puis 
				eut un sursaut effrayé et 
				s’écria d’une voix 
				étouffée : « Vous alors ! Quelles perverses ! » 
				Je lui ai envoyé une 
				gifle et claqué la porte au nez.  
				  
				Zihang me regardait, 
				les yeux brillants, toute rouge, en laissant la cigarette se 
				consumer entre ses doigts, sans bouger. Appuyée contre la porte, 
				je suis restée immobile moi aussi. Sans avoir aucune idée de 
				l’heure qu’il était. Quand tout serait presque terminé, il 
				serait temps de se le demander. Je ne sais pas combien de temps 
				nous sommes restées ainsi, simplement sa cigarette a fini par 
				s’éteindre. L’hiver, tout se fige. 
				  
				Le ciel s’était 
				obscurci, la nuit était tombée. Zihang se mit brusquement à rire 
				doucement, au milieu de quelques larmes. « Quoi qu’il en soit, » 
				dis-je, « on peut continuer comme avant. » 
				« Non, » 
				dit-elle, « ce n’est pas possible. Tu es trop candide. Je te 
				ferais trop souffrir. » - « Je ne voulais pas me disputer avec 
				toi, » dis-je en me couvrant le visage, « mais pourquoi faut-il 
				que tu ailles faire du racolage de tous côtés ? ».  
				« Il peut m’aider » 
				dit-elle, « à entrer dans un journal, à devenir peut-être une 
				Isabella Rossellini, tu peux faire ça, toi ? » 
				« Mais pourquoi diable 
				faut-il que tu ailles racoler des hommes, on n’est pas des 
				putes. » - « Et toi, alors, tu n’as pas fait la même chose, 
				peut-être ? De ce côté-là, qu’on ait fait des études ou pas, ça 
				 
				ne fait aucune différence. » 
				  
				Je me suis assise 
				lentement. J’ai repensé à tous ces homme avec lesquels j’avais 
				déjeuné, avec  
				lesquels j’avais dîné, avec lesquels j’avais bu. 
				Repensé à cet homme-là avec lequel j’avais failli passer  
				le 
				reste de mon existence parce qu’il m’avait tendu un mouchoir un 
				soir que j’étais ivre. 
				  
				Nous avons tous nos 
				faiblesses. « J’ai faim, » me dit Zihang en se levant, nue comme 
				un ver, et attrapant des vêtements au hasard. « Prête-moi de 
				l’argent, j’ai envie de sortir. » Je me suis écartée,  
				et son pas 
				a résonné en s’éloignant. Les gerberas se fanaient 
				tranquillement dans l’obscurité ; j’ai  
				fermé les yeux, et 
				brusquement ai compris ce que l’on veut dire quand on parle de 
				« choses sans importance ». Tout n’était plus désormais que 
				choses sans importance. 
				  
				Ce soir-là, je me suis 
				endormie très tôt, et le lendemain matin, en me réveillant, j’ai 
				vu Zihang son lapin dans les bras, profondément endormie comme 
				un bébé. Je lui ai laissé une note, disant que je 
				l’attendrais pour 
				dîner, le soir, à la cantine, et suis partie en cours. Je ne 
				pensais pas qu’elle viendrait. 
				  
				En  l’attendant, je me 
				suis assise à une table à côté de la porte-fenêtre, le soir 
				hivernal tombait tel un linceul de mort. Zihang est venue, ses 
				cheveux longs relevés en demi-chignon, en pull et pantalon, une 
				écharpe autour du cou, et aux oreilles des boucles d’oreilles 
				aux pierres bleues étincelantes. Elle sourit doucement en me 
				regardant, et j’ai alors réalisé qu’elle était devenue une 
				femme, même son sourire avait acquis une sorte de mesure. Lire 
				tous ces livres n’avait peut-être pas été en vain. 
				  
				On a commandé des 
				plats, bu de la bière. Zihang a peu mangé, mais beaucoup bu, et, 
				à la fin du  
				repas, elle avait les joues écarlates. Nous avons 
				parlé du professeur de sociologie, qui avait  
				inopinément été 
				poussé à la retraite, et qui avait fêté ça dans la joie 
				générale. Elle m’apprit qu’elle  
				avait obtenu un contrat de 
				modèle. On s’est tout raconté. Je lui ai dit que j’avais terminé 
				mon projet  
				de thèse, et fait une demande de bourse pour aller 
				étudier en Angleterre, j’avais même un rendez-vous. Nous étions 
				contentes et avons ri en chœur ; comme je tremblais, Zihang m’a 
				prêté son écharpe. Il y avait beaucoup de vent, je me suis 
				serrée contre Zihang et lui ai dit : « J’ai froid. » Alors elle 
				m’a enlacée, et nous sommes allées ainsi jusqu’au campus. La 
				nuit était bleu sombre, très belle, je lui ai dit : « Quand nous 
				aurons terminé nos études, ce serait bien de venir vivre ici. Tu 
				sortirais pour ton travail, moi je resterais travailler à la 
				maison. » Elle resta un instant silencieuse, puis me dit : 
				« J’ai bien peur que tu ne sois pas satisfaite de rester à la 
				maison. » - « Mais si, » répondis-je en riant, « regarde, maigre 
				comme je suis, ce ne sont pas des conditions idéales pour se 
				satisfaire de rester à la maison ? » Elle se passa la main sur 
				la poitrine et dit : «  C’est moi, alors, qui ne m’en 
				satisferais pas. » 
				  
				Nous sommes restées un 
				moment silencieuses, puis Zihang m’a soudain enlacée en me 
				serrant très fort, et ce brusque élan passionné m’a fait un peu 
				peur. Mais elle m’a relâchée en me disant : « Il est tard, va 
				vite ranger tes affaires à la bibliothèque, moi je rentre tout 
				de suite. » 
				  
				J’ai levé la main en 
				signe d’adieu, ai tourné les talons et suis partie. Mais elle 
				m’a dit au revoir en me faisant des grands signes de la main, je 
				me suis dit qu’elle était devenue folle, ce n’était quand même 
				pas une séparation ad vitam aeternam, et j’ai continué sans même 
				tourner la tête. 
				  
				VI 
				De retour à la 
				résidence, je suis tombée sur la responsable de l’association 
				des élèves qui eut l’air soulagée en me voyant et m’agrippa en 
				me disant : « La surveillante te cherche. » Je lui dis de me 
				laisser d’abord poser mes livres, qu’il n’y avait pas le feu. 
				Mais elle répondit que c’était urgent, et 
				m’entraîna illico. 
				  
				Je m’assis sur le sofa 
				chez la surveillante, et, comme je n’avais rien à faire, me mis 
				à feuilleter un magazine populaire ; un lecteur demandait : 
				« Mingxin, je suis bien embêtée, je ne sais pas quoi faire,  
				il 
				m’a quittée… » La surveillante me fit une tasse de thé oolong ; 
				elle était originaire de Taiwan, et parlait le cantonais avec un 
				accent fortement nasalisé. Je tenais ma tasse à deux mains, 
				attendant qu’elle parle. 
				  
				La télévision était 
				allumée, mais le son était coupé, le visage de la surveillante 
				apparaissait tour à tour brillant et sombre, bleu puis blanc, 
				c’était effrayant. Elle resta un instant dans l’ombre, et me dit 
				alors en détachant bien les mots : « J’ai reçu une plainte, 
				selon laquelle Zihang et toi avez des relations anormales. » 
				  
				Le thé était 
				bouillant, et je me suis brûlé le bout de la langue. Désemparée, 
				j’ai levé la tête pour la regarder, en esquissant un minuscule 
				sourire. 
				« Les étudiants ne 
				doivent pas seulement accumuler les connaissances, ils doivent 
				aussi avoir une conduite irréprochable  ----- » 
				« Je ne pense pas ce 
				que ce soit une conduite ignoble, il y a beaucoup d’hommes et de 
				femmes qui  
				sont bien plus ignobles que nous. » Je la fixais 
				droit dans les yeux. Elle n’a pas esquivé mon regard, au 
				contraire elle m’a regardée elle aussi. 
				« Il n’empêche – ce 
				n’est pas normal, c’est une entrave au développement de la 
				civilisation humaine.  
				La société n’arrive à constituer un 
				système stable qu’en restant bien soudée, et en étant totalement 
				fondée sur les relations naturelles propres à la nature 
				humaine…. » Certaines bribes de son discours  
				étant par moment 
				incompréhensibles, j’ai cessé de la regarder, reprenant la 
				lecture du magazine.  
				Mingxin avait répondu : «  Ling, ce n’est 
				pas bien d’avoir ainsi ce sentiment d’avoir été lésée, il faut 
				 
				que tu fasses tous tes efforts pour lui pardonner…. » J’ai 
				sursauté et refermé le journal, en regardant fixement l’écran 
				muet de la télévision. Au bout d’un très long, très long moment, 
				j’ai dit tout bas : « Pourquoi vos critères moraux devraient-ils 
				nous être imposés ? Nous ne gênons personne. » Je ne  
				sais pas si 
				elle m’a entendue ; mais le son de ma voix était si faible que 
				j’ai eu l’impression que  
				quelqu’un m’avait dit cela à l’oreille, et j’ai 
				regardé autour de moi, pour être sûre, mais il n’y avait 
				personne. 
				  
				« Madame la 
				surveillante, » dis-je en posant la tasse de thé, « Si Zihang ne 
				me quitte pas, je ne la quitterai pas. » Sur quoi je me suis 
				préparée à partir et ai ouvert la porte. 
				« Oui mais, ce matin, 
				elle a déjà accepté de quitter la résidence, et, en retour, j’ai 
				promis de ne pas ébruiter l’affaire. Si je t’ai consultée, c’est 
				seulement pour être en conformité avec le règlement. »  
				Ses 
				paroles venaient de très loin. Debout près de la porte, j’ai 
				appuyé sur la poignée, glaciale au  
				contact de ma main. 
				« Merci, » dis-je. Et comme je n’entendais plus rien, j’ai 
				doucement refermé la  
				porte et suis partie. 
				  
				Je ne sais pas comment 
				j’ai pu me traîner jusqu’à la chambre, l’escalier me parut 
				interminable, aussi   
				long que l’échelle de Jacob, cette voie 
				menant à la vérité. J’avais du mal à monter les marches, comme 
				 
				si l’on m’avait rompu les 
				quatre membres, à chaque mouvement la lumière m’éblouissait. Je 
				me couvris  
				les yeux, après tout, désormais, autant être aveugle, 
				je n’avais plus besoin de voir. 
				  
				La chambre n’était pas 
				fermée à clef, mais, comme il y avait des gens dans le couloir, 
				j’ai redressai le  
				dos et serré les dents avant d’entrer. Très 
				bien Zihang, pour un matin, c’était super bien nettoyé, il y 
				avait juste une paire de chaussures brodées rouges, toutes 
				neuves, posées sur mon lit, et un  
				soutien-gorge Maidenform 
				rose ; je l’ai retourné, elle s’était trompée, c’était du 32B. 
				Je me suis dit en riant : « Je fais du 32A, Zihang, du 32A, je 
				suis maigre ! » 
				  
				Après son départ, j’ai 
				moi aussi déménagé de la résidence, pour louer une petite pièce 
				sombre près du campus. Tout devint sombre, dans ma vie, et cela 
				n’arrangea pas ma myopie. Avec sur le nez des lunettes à 
				montures dont les verres n’étaient pas de la bonne puissance, je 
				passais toute la journée  
				en cours ou à la bibliothèque. J’ai 
				commencé à ne porter que du violet et du blanc, j’ai arrêté de 
				fumer  
				et me suis mise à faire un régime végétarien en ne buvant 
				que de l’eau. Tous ceux qui ont perdu un amour se désespèrent et 
				se lamentent, moi je pensais juste ne jamais pouvoir retrouver 
				la sérénité, j’avais le cœur aussi désolé qu’un tableau de 
				paysage Song ou Ming, la nuit, dans l’obscurité, j’écoutais des 
				disques d’opéra kunqu, 
				en battant parfois la mesure du pied, solitaire comme une ombre. 
				Je me  
				disais en serrant mes bras autour de moi : « Il me reste 
				au moins cela. » Et ajoutais en serrant les  
				dents : « Pas la 
				peine de pleurer. Pas la peine de se plaindre. » Je désirais 
				comprendre la logique des choses – il reste des traces de tout, 
				il suffit de chercher. 
				Elle aussi avait ses 
				problèmes. 
				  
				Plus tard, j’ai vu une 
				photo d’elle dans un magazine. Les lèvres pleines et souriantes. 
				Je n’ai cependant pas ouvert le magazine. Elle n’était qu’une 
				jolie femme sur des dizaines de millions, et n’avait rien à voir 
				avec la Zihang que j’avais connue. Par la suite, je l’ai revue à 
				l’université, à la cérémonie de fin d’étude, sa toge flottant au 
				vent, souriant dans le soleil, très loin, une main levée pour se 
				protéger les yeux du soleil. Elle était trop loin, je n’ai pas 
				pu voir si son sourire avait changé. Je suis restée là sans 
				bouger,  
				les bras croisés autour de moi. A côté d’elle, il y 
				avait un homme, je connaissais ce visage, et en y réfléchissant, 
				j’ai réalisé que c’était l’homme dont j’avais vu la photo dans 
				le magazine. Zihang avait choisi. Si elle m’avait quittée, 
				c’était parce que je ne pouvais pas lui apporter assez. Mais la 
				Zihang  
				dont je me souviens…  nous ne faisions pas de différence 
				entre ce qui était bien et ce qui était mal.  
				  
				… Je me souviens de 
				ses qipaos, de ses chaussures brodées, de l’air résolu et 
				déterminé qu’elle avait quand elle copiait mes notes, de son 
				sourire quand elle se touchait délicatement la poitrine, de sa 
				indolence quand elle lisait Yi Shu étendue sur son lit. Je me 
				souviens que, un soir que j’avais froid, elle 
				m’avait prêté son 
				châle pour me réchauffer, un soir où j’avais été orgueilleuse, 
				elle m’avait jeté des 
				 
				pièces par la figure, et un soir où 
				j’avais été froide avec elle, elle m’avait serré la main en 
				disant « j’ai perdu sur tous les tableaux ». Je me souviens, je 
				me souviens, je lui attachais les cheveux, lui coupais 
				 
				les 
				ongles de pied, je lui avais même acheté un bouquet de gerberas. 
				Je me souviens de ce soir où je pleurais à chaudes larmes, en me 
				serrant le cou à m’étouffer, elle m’avait saisi la main et 
				m’avait dit : 
				 
				« A quoi bon se mettre dans un tel état ? » 
				 
				  
				…..« A quoi bon se 
				mettre dans un tel état ? ». J’avais pensé que je pourrais 
				passer ma vie entière  
				avec Zihang. 
				  
				  
				  
				
 
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