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黄碧云《她是女子,我也是女子》   

Wong Bik-wan / Huang Biyun  « Elle est une femme et moi aussi »        

par Brigitte Duzan, 09 juin 2011

 

Cette nouvelle est l’une des premières écrites par Wong Bik-wan. Elle a été publiée en octobre 1994.

 

C’est certainement une nouvelle au moins partiellement autobiographique, écrite avec énormément de sensibilité et de délicatesse. C’est une nouvelle originale par le sujet traité, mais aussi par sa construction et son style.

 

Elle est structurée autour de quelques leitmotivs, dont un qui

l’introduit et la conclut, et en contient toute la signification. Quant à son style, recherché, nerveux, rythmé, il est parfaitement adapté au sujet et aux personnages décrits. Complexe, il demande un décryptage particulier : on s’est attaché à expliquer en profondeur un maximum d’expressions. Il serait bon de se reporter au vocabulaire correspondant pour bien comprendre la traduction.

 

 

L’histoire se passe à Hong Kong ; c’est celle de deux étudiantes : la narratrice,  Ye Xixi (ou Yip Saisai en cantonais, 叶细细) et une autre étudiante, Xu Zhihang (Hoi Zihang 许之行)

 

I
我原以为我可以与之行厮守终生的1。
 
她叫做许之行。我初见她的时候,我们还是一年级生。我上那“思考的艺术”导修课,那是一年级生必修

的科目2,我便遇见了她。
 
她是我知道唯一穿旗袍绣花鞋上课的女学生,真造作,但很醒目3。我记得那是一双极艳红4的绣花鞋。她

剪着齐耳短发,经常垂着眼,低头记笔记5,一副乖学生的模样。但她涂着桃红寇丹6──涂寇丹的女人都

是坏女人,不动声色,在小处卖弄诱惑7,更加是彻底的坏女人了。我不知道我会喜欢坏女人。
 
果然,她的名声传得很开。我班上的男生告诉我,她叫许之行,中文系,毕业于苏浙公学8,家居蓝塘道9。我们在上柏拉图的课10,他们却三三两两堆在宿舍10讲许之行,我抱手笑,心里却对这些男同学起了两分

轻视的意思11,但他们还是喜欢讲她,叫她“小凤仙”11。
之行一直缺课12。我在火车站碰过她,她一直低着头走,后面巴巴地12跟一个男生。
 
翌年13我们在“社会学导论”14课碰了头。老讲师为了怕点名15,规定我们每次坐死一个位置,好让他一目也然。我借机坐在许之行身旁。我记得这天她穿素白黯紫16宽身绵旗袍,手臂长着很细的毛。而且还散

发一种味道──是脂粉、香水、17牛奶、墨汁混和的气味──以后我叫“凤仙味”的。她的手这样光滑冰冷,我很想碰她一下。但我没有,因为她没有留意18我的存在。
 
她又缺了课。讲到马克思剩余价值论的时候19,她才再出现,问我借笔记。我给她看,笑:“借给你也没

有用,这个,也只有我才明白。”她一抬眉:“呵,也不见得。20”我因为懒,速记抄得很短,同学形容

为“电码笔记”21,就从没人跟我借。我见她下笔如飞,倒把我的“密码”译得整整齐齐22──没上一月

课也要有点本事23才行的。我喜欢聪明跳脱24的人,这也许是我搭上25之行的原因。
 
我说:“请你喝咖啡。”她说:“好。”这种交谈也像电报。
 
我们坐在斜阳里了,大家无话,我仔细看她,她看我说:“我见过你。叶细细*。你一个人晚上在课室吹

尺八26。我听过你。”她戴着一手零零的银手镯27,摇着晃着,铿然有声28:“我知道你上星期丢了一个粉红色的美顿芳胸围29,我在宿舍大堂的大字报见到。那是你,是吗?”她笑:“整个宿舍也知道了,连

男生宿舍也知道,你丢了一个粉红色32B的美顿芳胸围,真土!”我说:“错了,32A才对,我瘦嘛”我见她的胸脯起起伏伏,我笑:“我打赌你一定起码穿34B,你结婚后有可能增至38!”之行竟轻轻地掩着胸口:“唉呀,我也怕!”我们的谈话了解,竟自一个美顿芳胸围开始。
 

01 厮守终生 sīshǒu zhōngshēng  passer une vie entière

02 导修课 dǎoxiūkè  séminaire  必修课 bìxiūkè  cours obligatoire  科目 kēmù  sujet

03 醒目 xǐngmù  voyant

04 艳红 yànhóng  d’un rouge écarlate

05 记笔记 jìbǐjì  prendre des notes

06 寇丹 kòudān  cutex, vernis à ongles

07 卖弄诱惑 màinòng yòuhuò  parader pour se faire remarquer

08 苏浙公学 sūzhè gōngxué   Jiangsu-Zhejiang College (ou Kiangsu-Chekiang), école réputée fondée en 1958 par une association d’émigrés des deux provinces de Chine continentale.

09 蓝塘道 Lántáng dào  (en cantonais Laamtong dou) Blue Pool Road  (en plein cœur de Hong Kong, rue en pente bordée d’appartements résidentiels dans le quartier huppé de Happy Valley et du champ de courses)

 

 

Happy Valley 快活谷

 

 

10 柏拉图 Bǎilātú   Platon 

Note : 宿舍 sùshè  est traditionnellement un dortoir. Ici, cependant, dans le contexte, le terme est plutôt à prendre au sens de résidence universitaire, ou résidence étudiante, sur un campus : les deux étudiantes ont une chambre. Il est sans doute question de l’université chinoise de Hong Kong où l’auteur a fait ses études, et qui dispose d’un superbe campus.

11 轻视 qīngshì  mépriser   

Note : 小凤仙 peut impliquer deux sens : 凤仙 fèngxiān ‘immortelle phénix’ et la fleur 凤仙  fèngxiānhuā  balsamine

12 一直 yìzhí  toujours   缺课 quēkè  manquer les cours   巴巴地  bābāde  tout près

13 翌年 yìnián  l’année suivante

14 导论 dǎolùn  introduction

15 点名 diǎnmíng  faire l’appel     ici : peut-être

16 素白 sùbái  blanc (tout simple)  黯紫 ànzǐ  pourpre/violet foncé

17 脂粉 zhīfěn  poudre et rouge à lèvres, cosmétiques  香水 xiāngshuǐ  parfum

18 留意 liúyì  prêter/faire attention à

19 剩余 shèngyú  restant / surplus 

     剩余价值论 shèngyú jiàzhí lùn  la théorie de la valeur (plus-value) de Marx

20 不见得 bújiàndé  pas nécessairement

21 电码 diànmǎ  code télégraphique  密码 mìmǎ  code secret

22 整齐 zhěngqí  en ordre, régulier

23 本事 běnshì  aptitude, don

24 跳脱 tiàotuō  ne pas respecter les règles, se libérer des contraintes d’un système

25 搭上 dāshàng  entrer en contact, approcher

26  吹尺八 chuī   chǐbā  jouer de la flûte shakuhachi       

Note : la flûte shakuhachi est une flûte japonaise droite à embouchure libre, qui s’est développée au Japon dans une secte zen pour accompagner la méditation ; elle est utilisée en musique traditionnelle mais aussi de plus en plus en musique contemporaine. Shakuhachi est la transcription japonaise de 尺八 chǐbā, nom donné à la flûte en raison de sa taille : 1,8 pieds, environ 55 cm. L’un des grands maîtres du shakuhachi est  Sunny Yeung à Hong Kong.

http://www.youtube.com/watch?v=uR5-geVmQlI&feature=related

Ce détail contribue, en quelques mots, à définir la personnalité complexe et originale de la narratrice, qui contraste avec l’aspect apparemment superficiel et clinquant de l’autre étudiante.

27 手镯 shǒuzhuó  bracelets

28 铿然 kēngrán  bruyant, sonore

29 胸围 xiōngwéi tour de poitrine, ici : soutien-gorge (胸罩 xiōngzhào)

    美顿芳 měidùnfāng  Maidenform, marque américaine devenue trendy dans les années 60 et relookée dans les années 90.

 

II

她竟也次次到课,我们便谈。这老讲师真瘪1,穿的是肉色尼龙袜。我问她旗袍哪里买,她说是商业秘密。我约她看校园的戏,那时映刘成汉的《欲火焚琴》2,我们笑得厉害。我拉她去看艾森斯坦的《十月》3

我们两人都睡了,一直睡到所有人都走清光才醒。我们去吃宵夜4,之行也有穿牛仔裤的时候,譬如与我

一起吃炒蚬5的日子,但她还坚持那双绣花鞋。

 

三年级下学期,她的同房退了宿。但她没有通知舍监6,我便和之行住。其实,这才是我和之行真正的开始。

 

老实说,我只是觉得之行很妩媚7,有点小聪明,性情随和8,但我其实不大了解她的为人。这也是我们最

像一般男女爱情的地方吧,我们起初的吸引力,都是基于对方的卖相9──虽然我不是美女,也没有之行

的媚态7,但我是很懂得低调地10推销自己的,我想之行会喜欢我这类人,这是一种,哎,很隐晦11的烟

视媚行。她的旗袍绣花鞋何尝不是

12

 

这样我们的居室是烟花巷13。我们都吸烟她吸红双喜14我吸薄荷登喜路15两种都是扮野16到无可救药17的香烟。我们都喜欢TOMWAITS,两人在房中跳舞,她的身体极柔软。我们都是女

子。我有时会翻点波芙娃18,后来嫌不够身份19,读KRISTEVA。之行喜欢看亦舒20,后来我抗议,她改

看沙岗21,我再抗议,她看ANCELA CARTER我们都渐有进境,我拿了奖学金22,她也有申请22,但她

没有。因为她输给了我。

 

那天我拿了奖学金,在校刊上拍了照。我记得和她一起购物的时候,她看上了一件火红色的茄士咩23

衣,950元,她舍不得买,这时我给她买了下来,打算吃晚饭的时候送她。但她一直没有回来。我等到夜

色渐暗,我一个人在房中没有开灯。那时已是晚秋时分,窗外竟是一海疏散的渔灯24,我突然有“郎心如铁”25的感觉。我以前结交过男友,但从来没有这样地牵挂26。之行今天没有叠被。之行今天没有穿绣花鞋。之行的牙膏快用完了,要给她再买。之行的“凤仙味”在房中不散。之行的脂粉。之行的眼泪。我静

静倚在窗边,默默地流两滴泪,只两滴,就干了。之行之行。

 

我醒来,吃了点面包,突然发觉面包有一个极馊27的面粉味,很接近饲料28的一种气息。我吃面包十多年了,这时才分晓面包的味道,若得真情,哀矜勿喜29,很俗套的话了30,但这时我实极哀矜,夹着方才31分晓的味道。呵,世味难言。

 

 

01 biě  dégonflé / ratatiné, desséché  

02 刘成汉 Liú Chénghàn  Lau Shing-hon,  réalisateur/scénariste né en 1947 qui fait partie de la « nouvelle vague » hongkongaise (新浪潮”), également critique cinématographique et professeur ; ses principaux films datent des années 1980, les plus souvent cités étant « The Head Hunter » (《猎头》) et celui cité ici : « House of the Lute » (《欲火焚琴》), qui date de 1979.  

Le film raconte l’histoire d’un vieil homme riche qui a une jolie jeune épouse et engage un jeune jardinier ; les deux jeunes tombent amoureux et tuent le vieil homme, mais son esprit vient ensuite hanter la jeune femme… C’est une sorte de Lady Chatterley sinisée.

03 艾森斯坦 Àisēnsītǎn  Eisenstein, réalisateur mais aussi grand théoricien qui a énormément influencé les cinéastes chinois.   《十月》 Octobre, film de 1928, le troisième du réalisateur.

 

Lau Shing-hon

04 吃宵夜 chīxiāoyè  manger un morceau/prendre un repas rapide la nuit

05 炒蚬 chǎoxiǎn  moules ou coquillages sautés

06 舍监 shèjiān  gardien, surveillant d’internat, de dortoir, etc..

07 妩媚 wǔmèi  qui a du charme, séduisant  媚态 mèitài charme, séduction

08 性情随和 xìngqíng suíhé  d’un caractère facile, accommodant

09 卖相 màixiàng  apparence, allure

10 低调 dīdiào   discret, modéré

11 隐晦 yǐnhuì  obscur, voilé

12 何尝 hécháng  ce n’est pas que (en général suivi d’une négation)

13 烟花巷 yānhuāxiàng   ruelle de la fumée et des

 

 

Photo du film

fleurs - 妓院所在之地区 : expression imagée pour désigner une rue de maisons de thé (proches des

maisons closes) dans la Chine ancienne : on y fumait de

l’opium et les femmes étaient des “fleurs”. Voir « Les fleurs de Shanghai » (《海上花》)

Il s’agit ici évidemment d’un jeu de mots ironique.

14 红双喜 hóngshuāngxǐ  double bonheur rouge (marque chinoise de cigarettes)

15 薄荷 bòhé  mentholé  登喜路 Dēngxǐlù  Dunhill

16 扮野 bànyě   (se) donner des airs de sauvage ( bàn jouer un rôle)

17 无可救药 bùkějiùyào  qu’on ne peut plus sauver, incurable

18 波芙娃 bōfúwá  (Simone de) Beauvoir

19 xián  prendre en grippe, se plaindre de  

    不够身份 búgòu shēnfèn ne pas être à la hauteur  (身份 shēnfèn position, sociale ou professionnelle)

20 亦舒 yì shū   Yi Shu, romancière née en 1946 à Shanghai, prolifique auteur d’histoires d’amour ; énormément

 

 

double bonheur rouge

populaire, elle fait partie des « trois miracles » littéraires de Hong Kong, avec (son frère) Ni Kuang (倪匡) et Jin Yong (金庸).

21 沙岗  shāgǎng  ici Sagan

22 奖学金 jiǎngxuéjīn  bourse d’études  申请 shēnqǐng faire une demande

23 茄士咩 qiéshìmiē  cashmere

24 渔灯 yúdēng  lumières de bateaux de pêche

25 郎心如铁 lángxīn rútiě  hommes au cœur de pierre (litt. de fer) – référence à une série télévisée cantonaise diffusée en 1994 à Hong Kong.

26 牵挂 qiānguà  se faire du souci, être anxieux

27 sōu  aigre, rance

28 饲料 sìliào  fourrage, nourriture pour les animaux

 

Yi Shu

29 若得真情,哀矜勿喜 ruòdé zhēnqíng, āijīn wùxǐ     (哀矜 āijīn  avoir pitié)

Référence aux Entretiens de Confucius (论语》19.19) :

孟氏使阳肤为士师问于曾子。曾子曰

上失其道,民散久矣。如得其情,则哀矜而勿喜。

Yang Fu, ayant été nommé directeur des tribunaux par le chef de la famille Meng, demanda des conseils à son maître Ceng Zi. Ceng Zi lui dit : « Ceux qui dirigent la société s’écartant du droit chemin, depuis longtemps le peuple se divise¹. Si tu élucides [une affaire], fais-le avec compassion pour les coupables,  et ne te réjouis pas². »

1. Et la discorde amène beaucoup de crimes.   2. De ton habileté à les découvrir.

(traduction Sébastien Couvreur)

30 俗套 sútào  conventionnel, cliché

31 方才 fāngcái  à l‘instant (seulement)   jiā  tenir /insérer

32 "世味shìwèi (人世滋味社会人情) : ce qui est perceptible du monde humain (saveurs, odeurs et sentiments)

 

III

午夜一时我靠在窗前听得马达响。之行自计程车1跳下来,她穿着黑色衣裙,黑色平底鞋。可怜的女人,这时分我还留神她穿什么衣服。我发觉我留意她的衣服、气味多于性情气质2──可能她没有性情气质,我忽然很惭愧3,这样我和其他男人有什么分别呢,我一样重声色4,虽然我没有碰过她;或许因为大

家都不肯道破5,我与她从来没有什么接吻爱抚6这回事,也没有觉得有这需要──所谓女同性恋哎哎唧唧

的互相拥吻7,那是男人们想像出来搅奇观8,供他们眼目之娱的,我和之行就从没有这样。我甚至没有对

之行说过“我爱你”。但此刻我知道,我是非常爱恋她的;爱恋到想发掘9她有没有性情气质的地步10

我靠在窗前,一颗心火热火热,得得得得的,之行来了,之行来了。

 

徐开门,她便跌坐在床上。她满面披红,一身酸馊11的酒气,不知怎的,之行今天化了浓妆12,一脸都化了,我想起了,面包的气味。我便很静默,停在嘴边的话都冷了。

她笑:“你今天高兴吧。我今天很高兴。”忽然“撒”的一声,满天硬币13向我飞来。“叶细细,我不过

是一个世俗的人。”我掩脸不言。硬币打在我的手背上,很刺痛14,之行掷得15累了,便倚在床边休息。

一时死静,我觉得灯光刺眼。"之行。”她没有答我,她睡着了。我替她抹了脸,退去衣服,脱了鞋裤,

吻了她的脚。

 

我略为收拾,然后在她桌上留下一张纸条:“之行,如果有天我们湮没16在人潮之中,庸碌一生16,那是

因为我们没有努力要活得丰盛。”

其实我当时没有野心17。但之行有。

 

当夜我去敲一个男子的房间。此人对我觊觎已久18,一脸猴急的情色19,我岂不知,我也是将就将就地20去了,这可能是对自己及之行及这人的报复,因为我没有心。而且我的身体不属于我。整天我都很呆。我

看那人替我租一个房间,那人便去,我也不着意21,一样上课,更加着心功课,一反往日的脾性22

 

走过宿舍,我总张望,之行在也不在?她在梳头,她在做功课,她在看报?她会不会想我?之行忽然在我

生活中消失,我何等平静,无人知我内心起落。之行之行之行。

 

这一夜,晚秋天气,我与那人吃饭,那人言语无味,我只是喝着酒。一顿饭下来,我已满身通红,走在晚

风中,我呕吐了23,一身一脸都是泪。那人递我他的手帕,我紧紧地抓着他,在这时分,任何一个有手帕

的男人都是好男人。我也不禁把嫌弃24他的心减了几分。真的,这时候如果与他发生感情,自此把之行断了,也未尝不25是好事。那人驶着小日本车,甫进车内26,便把我紧紧抱着,一张脸凑上来,我笑说:

“你原本可以是个好男人,但你肯吻一个有酒馊气味的女人,我对你的品味起了极大的疑心。”他悻悻然

驶着车,送我回小屋。我说:“且慢27,我想回宿舍,拿点东西。”

 

夜央三时,之行只着了书桌灯,但不见她的人。我立在夜里,引颈张望28,之行就在那明灯之下。我原没

有夺她风光的意思呀,之行,我只是一个安份的女人,想与一个人,发展一段单纯的感情关系。何以世皆

不容我29

 

蓦地30之行的影子在窗前一闪,关了灯。这样一闪,之行的头发是不是长了?有没有人替她剪脚甲,涂寇丹?我走了,谁替她扣背后的钮?夜里谁来看她,谁想她?谁知道她快乐,她忧伤?谁与她争那小小的风光?谁是她心所爱,心所患?

我很想去看她。就一眼。

 

我急奔上楼,之行锁了门,但我有钥匙。她睡了胸脯一起一伏,依旧丰满。小别数星期,她没有瘦,也没

有憔悴31。我细看,她的脚甲仍旧剪得整齐,寇丹好好的,艳红如常。她床上多了几只布娃娃,此时她手

抱小白兔,熟睡如婴。何等安好。我走了她仍然生活得很好。太阳仍然爬上,夜幕一样垂32,夜央三时,

一样有人熟睡有人清醒。隔壁有谁,还在敲打字机呢,做着功课做着俗世的荣辱33。我忽然流泪如注。我

喉里卡卡在响:有人要扼杀我呢34,来人是谁:我扼着自己的喉咙,想今夜星落必如雨。之行枉我一番心

意了35

 

我的泪滴在之行的脸上,我捏得自己满面通红,只拼命呼吸36。之行突然惊醒,紧紧攀着我的手,说:

“何必如此?”

之行把我抱在怀中,我嗅着她的凤仙味,安然睡去。隐约37听到楼下有汽车喇叭声,管他呢,那人已完成

他在我一生的价值,自此与我无干38。眼前只有之行。

 

之行捧着我的脸:“你太傻了。”我没有答腔39,只想睡,明天必有太阳。

 

01 计程车 jìchéngchē  taxi  (avec un compteur qui « calcule le parcours »)

02 性情气质 xìngqíng qìzhì  humeur, état d’esprit

03 惭愧 cánkuì  avoir honte

04 重声色 zhòng shēngsè  accorder beaucoup d’importance aux plaisirs (de la chair entre autres)

05 道破 dàopò  exposer, révéler, mettre à nu

06 接吻 jiēwěn  baiser  爱抚 àifǔ  caresser

07 哎哎唧唧 āiāijījī   holé holé  拥吻 yōngwěn  s’enlacer et s’embrasser

08 搅奇观 jiǎo qíguān  constituer, offrir un spectacle merveilleux

Note : jiǎo  brasser (de l’eau fangeuse, par exemple, en faisant remonter la boue)

09 发掘 fājué  explorer, faire des fouilles, exhumer

10 地步 dìbù  état, situation

11 酸馊 suānsōu  aigre

12 浓妆 nóngzhuāng  avoir un maquillage épais

13 硬币 yìngbì  pièce de monnaie

14 刺痛 cìtòng  causer une douleur aiguë

15 zhì  jeter

16 湮没 yānmò  être submergé, noyé, disparaître   庸碌 yōnglù  médiocre

17 野心 yěxīn  ambition, arrivisme

18 觊觎 jìyú   désirer, convoiter 

19 猴急 hóují  anxieux  情色 qíngsè  ( =神色) air, mine

20 将就 jiāngjiu  accepter faute de mieux, s’accommoder de

21 着意 zhuóyì  agir avec soin et effort, se donner du mal

22 脾性 píxìng  caractère, tempérament

23 呕吐 ǒutù  vomir

24 嫌弃 xiánqì  mépriser

25 未尝 wèicháng (+ nég.)  ce n’est pas que + nég.

26 fǔ  (class.)  à peine

27 且慢 qiěmàn  attendre un moment

28 引颈 yǐnjǐng  se tordre le cou

29 不容 bùróng  ne pas tolérer, ne pas admettre  jiē  tout

30 蓦地 mòde  soudain, de façon inattendue

31 憔悴 qiáocuì  pâle, la mine défaite

32 夜幕垂 yèmù chuí  la nuit tombe

33 荣辱 róngrǔ  honneur et disgrâce

34 扼杀 èshā  étrangler, étouffer

35 wǎng  fausser, pervertir   心意 xīnyì  sentiment / intentions  一番 yīfān  une fois, dans le passé

36 拼命 pīnmìng  à corps perdu, désespérément

37 隐约 yǐnyuē  vague, indistinct, lointain

38 无干 wúgān  ne rien avoir à faire de quelque chose

39 答腔 dāqiāng  répondre, ‘piper mot’

 

IV

自此之行又见好了些1晚上我们做功课做得晚她总替我冲人参茶。之行一向读书很懒散,何以竟一转

脾性。我只是隐隐觉得,之行不比从前,连香水也变样,用的是“鸦片”2。我觉得窒息3

 

之行又夜出。午夜十二时,她总穿火红大毛衣,黑皮靴,豹4也似地游走。楼下有宝蓝色的小跑车等她5

回来她总是双颊通红6,还给我买了暖的汤圆7,但我觉食不下咽,那糯沙汤圆8,不经放,一放就硬了,

不能入口。翌晨9我对着几只发硬的汤圆,不知所措10。之行总不在,四年级了哇,她总共才修十一分。

 

圣诞假期,我预备回家过一夜。之行收拾收拾,我问她回家住多久,她摇头说笑:“我要到北京。”

 

我停着,良久不语。我和之行去过日本玩,约了下一次目的地是北京。那是去年圣诞的事了。我静静掩

面,说:“之行之行,你记得....."

她捉开我双手,看我的眼:“我记得。但那是从前的事了。这次是我的机会,你得为你的将来打算,不

见得我就要庸碌一生。”她吻我的额,便去了。

 

我一人跌坐在半空的房间,我以为可以就此坐上一生。我伏在地上,发觉地毡脏了。这还是我和之行在

中环11跑了一个下午买的,她坚持要伊朗地毡12,但我嫌不切实际13,主张买印度货。结果折中14买了

比利时地毡14。我们抱着地毡吃荷兰菜,之行叫了一打大生蚝15,我们的钱都花清光......那是什么时

候的事呢?

 

这个圣诞我整天耽16在图书馆,恹恹度日17。我在翻周刊,忽然见一个又肥又黄的胖子,戴着很惹眼的

雪镜18,我正骇然,赫然19发觉此人身旁正是之行!我掩上杂志,若无其事地20去饭堂吃饭,坐的竟是

我与之行第一次坐的位置。我一阵晕眩21,险些22流出泪来。咬咬牙,回到图书馆,竟心无旁骛地23

功课。

 

之行回来的时候,我正伏在书桌上睡觉,桌上张着登载24之行照片的杂志。我没有望之行,之行也没有

动静,坐着,吸一口烟。然后她说:“赔了夫人又折兵。25

 

我去泡一杯清茶给她喝。她紧紧捉着我的手,我轻轻地抚她的发。

 

我没有再问,她自此也没有再提此事。直到如今,我还不知道她发生了什么事情。她不再夜出,在房中

认认真真地练习仪态,脸孔仰来抑去26,甚有得色。

 

毕业在即27我也收敛了我的所谓烟视媚行28毕竟一不是交际花29二不是舞女烟视媚行不能当饭吃。我申请了研究院的学位,希望将来在学术界30谋一席位。老实说,要谋一个什么知识分子的职业也

不需要什么大智大勇,像我一块无聊的料子包装包装31也行了,于是我埋首32做西方现代哲学的课,这

最容易混,老师不懂我也不懂,我那篇论文大家可以看得相视而笑,好歹33做出来了,大家真的如释重

34,皆大欢喜。

 

01 见好 jiànhǎo aller mieux (malade…)

02 鸦片 yāpiàn  opium 

Ici, parfum d’Yves Saint Laurent, lancé en octobre 1977 : le parfum auquel on s’adonne… et qui fit scandale, devenant rapidement un phénomène de mode mondial. A noter : le parfum est interdit en Chine depuis décembre 2000. Le choix du parfum est cohérent avec l’attitude provocatrice de la jeune fille (au moins au niveau vestimentaire).

03 窒息 zhìxī  suffoquer

04 bào  léopard, panthère

05 宝蓝色 bǎolánsè  bleu saphir  跑车 pǎochē  voiture de sport

06 jiá  joue

07 汤圆 tāngyuán  boules de riz glutineux servies dans de la soupe

08 糯沙 nuòshā   pâte glutineuse

09 翌晨 yìchén  le lendemain matin

10 不知所措 bùzhīsuǒcuò  être désemparé, ne pas savoir que faire

11 中环 zhōnghuán  (中环地铁站) Central Station, station de métro au centre de Hong Kong.

12 伊朗地毡 Yīlǎngdìzhān  tapis persan

13 不切实际 búqièshíjì  irréaliste, pas pratique

14 折中 zhézhōng  faire un compromis 

比利时 bǐlìshí  belge

15 háo  huitre  一打 yìdǎ  une douzaine

 

boules de riz glutineux servies dans de la soupe

16 () dān(ge)  rester, s’attarder

17 恹恹 yānyān  (litt.) être épuisé

18 惹眼 rěyǎn  voyant  雪镜  xuějìng  lunettes de ski

19 骇然 hàirán  ébahi, sidéré  赫然 hèrán  impressionné/-ant

20 若无其事 ruòwúqíshì  comme si de rien n’était

21 晕眩 yūnxuàn  vertiges, étourdissement

22 险些 xiǎnxiē  manquer de, être à deux doigts de

23 心无旁骛 xīnwúpángwù  (sans regarder à côté)  être totalement concentré

24 登载 dēngzǎi  publier

25 赔了夫人又折兵  péilefūrenyòuzhébīng  donner sa femme à l’ennemi et perdre aussi un soldat = perdre sur les deux tableaux.

Note : phrase qui fait référence à un épisode célèbre du Roman des Trois Royaumes (《三国演义》).  

A la fin de la dynastie des Han de l’Est, Sun Quan (孙权, souverain du royaume de Wu 吴国) voulait récupérer la province de (Jingzhou 荆州), alors aux mains de Liu Bei ((刘备)) ; sur les conseils du général Zhou Yu (周瑜), il donna sa sœur Sun Shangxiang (孙尚香) en mariage à Liu Bei.

Par la suite, Zhou Yu fut vaincu par l’armée de Liu Bei et grièvement blessé, et il entendit les soldats ennemis  crier en riant :

周郎妙计安天下,赔了夫人又折兵。

Le sieur Zhou a fait un plan d’enfer, c’est comme ça qu’on perd et une femme et un soldat (une armée).

26 仰来抑去 yǎnglái yìqù - yǎng lever (la tête) / contrôler, réfréner + déprimé, abattu

Note : exemple du style « visuel » de Wong Bik-wai.

27 在即 zàijí  à l’approche de

28 收敛 shōuliǎn  (se) modérer, (s’) atténuer

     烟视媚行 yānshì  mèixíng (chengyu = 妖羞 yāoxiū / 拘谨 jūjǐn 样子, 微微一看, 慢慢行走) air timide et réservé d’une femme qui avance les yeux baissés, à petits pas.

29 交际花 jiāojìhuā   mondaine

30 学术界 xuéshùjiè  milieux, cercles académiques

31 料子 liàozi  étoffe, tissu  包装  bāozhuāng empaqueter

32 埋首 máishǒu  litt. enfouir la tête : se consacrer à

33 好歹 hǎodǎi  de toute façon, tant bien que mal, malgré tout

34 如释重负 rúshìzhòngfù  être soulagé d’un grand poids

35 皆大欢喜 jiēdàhuānxǐ  tout le monde est content, c’est le bonheur général.

 

V

我和之行的关系就此冷淡下来。她比往日更动人美丽考试一样打扮得花枝招展1。我听班上同学说,她

和某老师有恋情。又有人告诉我,她在某杂志当摄影模特儿。为什么旁人都比我更清楚之行呢?我和之行

时日已无多,我希望和之行租一层房子,她继续她的公众事业,我继续读书。我希望和之行养一只猫,拥

有一块伊朗手织地毡。夜半的时候我和之行可以一起吃温暖柔软的糯沙汤圆。我对生命的要求很简朴。

 

想着我便买了一束花回房,我想和之行聚一聚。下午的女生宿舍非常安静。

 

我们的房门挂了一条领带2我拿着一束太阳菊3立在门口不知进退。之行行的是英式的老规矩,那是

说,我们房中有男客了。这怎可以?那是我和之行的地方呀,他们甚至会在我床上做爱,还要我洗床单。

这样我一生都不可能再睡那床了,我常觉得男子的精液是最胡混的东西4,比洗洁清5、鼻涕、痰等等更

令人恶心。之行你怎么可以这样呢?

 

对面房间那宿生会会长正好回来,问我:“怎的?忘了带锁匙,要不要替你开?”"不用了。”我急急

说,掏出锁匙来。

 

之行和一个男人,果真在我的床上,正在翻滚入港6。我量觉手中的太阳菊摇摇欲堕7,就怕这花瓣会散了

一地。之行还在半闭双眼,不为所动,倒是那男的停了动作,也不懂遮掩8。此人一脸疙瘩9,蓬发,有三

十上下年纪。我直视他:“先生,这是女生宿舍,请你穿好衣服。”之行斜看着他,说:“别理她。”我

把一地的衣裳掷向这双男女,喝道:“快穿衣服!我不和动物谈话。”

 

那男的果真赶紧穿衣,之行翻身吸烟,舒一口气,不言语。我拾起地下散落的避孕袋10,跟他说:“先

生,还你,请你放庄重些11。”

"......对不起。”他忙不迭地12把避孕袋塞进裤袋,我替他开门。我说:“先生,我和之行的关系不比

常人,请你尊重我们,不要来这个。”他一时间没有表情,停了好一会,才怵然一惊13,低呼:“你们!

变态14!”

我一把刮他的脸,砰上门15

 

之行灼灼望我16,一面泛红,香烟快烧到她手指了,她还一动不动地看我。我靠着门,也是一动不动。

时间是什么呢,当一切都毁坏殆尽17,我们还要计算什么时间。我不知我们僵持了多久18,只是她的烟

也灭了。冬色甚隆19

 

天色暗了,夜沉沉。之行忽然轻轻一笑,随而流下两滴泪。我说:“无论如何,我们可以和从前一样。”

她说:“不一样了。不一样了。你太天真了20。你将来必败在我手下。”我掩面:“我没有要和你争呀,

为何你要四出讨便宜21。”

她说:“他可以帮我,上杂志,或许成为一个Isabella Rossellini,你可以吗?”

我说:“你何苦要在男人身上讨好处,我们又不是妓女。”她答:“你没有在男人身上讨过便宜吗?在这

方面读过书与没有读书没有分别。”

 

我缓缓跌坐。我想起一些人,与我吃早餐,与我吃晚餐,与我吃酒的人。想起那一个人,因为他在我醉洒

的时候有一块手帕,我险些托以终生。

 

每人都有每人的弱点。"我饿了。”之行起来,裸着身,随便抓一件衣服,跟我说:“借一借,我要出去。”我让开,她的脚步挞挞远去22。太阳菊在黑暗中静静枯萎23,我闭上眼,忽然明白什么叫“身外物”24。从今事事都是身外物。

 

这天晚上我睡得早,翌晨醒来见之行抱着兔,熟睡如婴。我留下字条,说我晚上在饭堂等她吃饭,便出

去上课。我没有想到她会来。

 

我坐在近落地门的桌子等她,冬日之暮垂落如死。之行走来,一把长发半束起25,毛衣长裤,披着围巾,

带着明蓝彩石耳环27。她见到我,轻轻笑,我发觉她已长大成一个女人,连笑容也很有分寸28。可见得这

些书也没有白读。

 

我们点了菜,喝一点啤酒。之行吃得很少,但喝得很多,饭未吃完已是双颊泛红。我们讲起了教社会学的

老师,他猝然被校方劝喻提早退休29,二人额手称庆29,大家齐齐干杯。她说她得了一张模特儿合约30。我们都说好。我告诉她我了写好了论文大纲,又申请了去英国的奖学金,而且约见了,大家都很高兴,笑

得一团,我有点打酒颤,之行给我披她的围巾。风很大,我紧紧地贴着之行,说:“冷。”她便搂着我,

一直在校园走。夜很碧蓝31,极美,我说:“让我们毕业后搬去一个这样的地方。你出外工作,我在家做

功课。”她静一下,然后说:“怕你不安于室。”我笑:“我安于室的呀,你看我这样瘦,有条件不安于

室吗?”她又按一下胸口,说:“这样,我怕我不安于室呢。”

 

大家静了好一阵,之行忽然紧紧地拥我一下,我为她突如其来的热情32吓了一跳。她放开我,便说:“晚了,你快到图书馆收拾吧,我先回了。”

我扬一扬手,转身便去。她给我挥手说再见,我骂她发神经,又不是生死离别,我头也不回地去了。

 

01 花枝招展 huāzhīzhāozhǎn  habillée de manière voyante

02 领带 lǐngdài  cravate

03 太阳菊 tàiyángjú  gerbera (fleur qui ressemble au chrysanthème)

04 胡混 húhùn  qui relève d’une vie désordonnée

05 洗洁() xǐjiéqīng  détergent, produit à vaisselle    tán crachat

06  翻滚入港 fāngǔn rùgǎng  tourner et retourner pour entrer au port = être en pleins ébats amoureux

07 摇摇欲堕 yáoyáo yùduò  (ou zhuì) trembler et être sur le point de tomber

08 遮掩 zhēyǎn  cacher, dissimuler

09 疙瘩 gēda  boutons, acné

10 避孕袋 bìyùndài  préservatif

11 庄重  zhuāngzhòng  grave, solennel  (放庄重 fàng zhuāngzhòng se comporter solennellement)

12 忙不迭 mángbùdié  en toute hâte

13 怵然一惊 chùrányìjīng  sursauter d’un air apeuré

14 变态 biàntài  anormal  (变态 xìngbiàntài  perversion sexuelle)

15 刮脸 guāliǎn  ici : envoyer une gifle ( ‘souffleter’ : guā souffler (vent)  pèng bang !

16 灼灼 zhuózhuó (litt.) brillant  ( zhuó  brûler – cf plus loin shāo brûler, se consumer)

17 毁坏 huǐhuài  détruire 殆尽 dàijìn  presque totalement

18 僵持 jiāngchí  rester figé sans bouger

19 冬色甚隆 dōngsè shènlóng  l’hiver est très solennel

(car tout se fige, mais aussi annonce la phrase suivante : 天色暗了 le ciel s’assombrit)

20 天真 tiānzhēn  innocent

21 讨便宜 tǎopiányi  chercher à tirer profit de (comme

quelqu’un qui cherche un bon prix en marchandant)

22 挞挞 tàtà   ici onomatopée

23 枯萎 kūwěi  se faner

24身外物  shēnwàiwù  (ou 身外之物) des biens matériels, des choses sans importance

25 长发半束起 chángfà bànshùqǐ   cheveux longs à moitié attachés et relevés (le reste laissé long sur les épaules)  

26 耳环 ěrhuán  boucle d’oreilles

27 分寸 fēncun  décence, mesure

28 猝然 cùrán  soudain, tout d’un coup 

     劝喻 quànyù  encourager à

     提早退休 tízǎo tuìxiū  prendre une retraite anticipée

29 额手称庆 éshǒuchēngqìng  porter la main au front en signe de joie

30 模特儿合约 mótèr héyuē  contrat de mannequin/modèle

31 碧蓝 bìlán  bleu sombre

32 突如其来 tūrúqílái  soudain, inattendu

 

cheveux longs à moitié

 attachés et relevés

 

VI

回到宿舍在大厦碰到宿生会会长1见到我如释重负地拉我:“舍监找你。2”我说先放下书嘛,急什么。她说是急事,死拖活拉地推我。

 

我在舍监家的沙发坐下,手中无聊,翻看《突破》3,有读者问:“明心,我很烦,不知应该怎办,他离

开了我...."舍监给我泡了一杯极热的乌龙茶4,她是台湾人,操一口极重鼻音的广东话。我双手捂着杯,待她开口。

 

电视开着光有画面没有声音舍监的脸一光一暗一蓝一白很可怕。她在光影中耽了一阵,才一字一

句地说:“我接到投诉5,说你和许之行有不正常的关系。”

 

乌龙茶极滚热6,灼痛了我的舌尖。我扬起脸看她,不知怎的,我微微地挂一个笑。

"大学生不但要有知识,还得品格高尚──”

"我不觉得这是低下的事情,许多男女比我们更低下。”我看准她的眼。她没有避开,也望着我。

"你们这样──是不正常的,这有碍7人类文明的发展。社会之所以维系8而成一个稳定的制度,全赖9自然

的人类关系...."断断续续的我听不清她的话,我便不再看她,自顾自翻《突破》。明心答:“玲,你这

样破坏人家的感情是不对的,但全能的神会原谅10...."我吓得忙不迭把《突破》阖上11。我怔怔地12

看没有声音的电视。过了很久很久,我低声说:“为什么要将你们的道德标准加诸我们身上呢,我们又没

有妨碍7别人。”我不知道她听到了没有;只是自己的声音那么低幽,好象有谁在我耳边说这些话,我便

警觉地13四处张望,但没有人。

 

"舍监。”我放下茶杯,说:“只要之行不离开我,我就不离开她。”说完我便径自离去14,开门。

"不过,她今天下午已经答应我迁出宿舍,我亦答应了不将此事公开。我只不过循例征询你吧15。”她远

远地说。我立在门口,我推着门柄,触手生凉。“谢谢。”我说。我没有再发出任何声音,轻轻掩上房门

而去。

 

我不知道我怎样挣扎回房,那楼梯好长好长的,这是不是雅各的天梯16,通往真理之路17。我举步艰难,

四肢竟像撕碎一般18,每一下移动都刺痛我双眼。我掩目,罢了,我自此便盲掉,从今不得见光。

 

房间没锁,走廊有人,我便挺起背,咬牙而进。好之行,一个下午竟收拾得干干净净,只在我床上放了一

双簇新19艳红的绣花鞋,一个粉红色的美顿芳胸围,我一翻看,她买错了,是32B。我笑了,自家儿说:“是32A,之行,32A,我瘦嘛!”

 

她走后我也搬出了宿舍,在学校附近租了一个幽暗的小屋。我的生活尤其幽暗,近视益发加深20。戴着不

合度数21的有框眼镜,成天在课室与图书馆间跌跌撞撞。我开始只穿蓝紫22与黑。戒了烟。只喝白开水及

素食。人家失恋呼天抢地23,我只是觉得再平静没有,心如宋明山水24,夜来在暗夜里听昆曲25,时常踩着自己细碎的脚步声,寂寞如影。抱着我自己,说:“我还有这个。”咬着唇,道:“不要流泪。不要埋

26。”我希望成为一个明白事理的人──凡事都有迹可寻27。她也有她的难处。

 

我后来在一份杂志的封面28见到了她。丰满的唇与微笑。我却没有掀开杂志29。她不过是千万个美丽女

子之一,与我认识的之行不一样。后来我在学校的毕业典礼上见到她,学士袍飞扬,她在阳光里微笑,

远远地看过来,用手遮住了阳光。太远了,看不清她的笑容有没有改变。我只站着不动,抱着我自己。

她身边有一个男子,看来很面熟,仔细一想,原来是那些在杂志上看见的人。之行有她的选择。她离开

我,是我不够好之故。但我记得的之行....我们是不言好坏的.....

 

....我记得她的旗袍,绣花鞋,她抄我的笔记时那种不甘不驯之气30,她轻轻按自己的胸口时的笑靥31,她躺在床上看亦舒的懒相。我记得我冷的时候她给我围巾暖我,我得意的时候她用硬币掷我,我冷漠的时

候她拉紧我的手说“赔了夫人又折兵”。我记得我记得,我替她束过发,剪过脚甲,为她买了一束太阳

菊。我记得我曾热泪盈眶32,卡卡地捏自己的喉咙,她便捉着我的手,说:“何必如此?”

 

──何必如此。我原以为我可以与之行厮守终生的。

 

01 宿生会 sùshēnghuì = 宿舍学生会 sùshè xuéshēnghuì  association des étudiants du dortoir /de la résidence

02 舍监 shèjiān  le gardien, le surveillant du dortoir

03 《突破》 tūpò  faire une brèche, une percée

Titre d’un magazine pour la jeunesse créé à Hong Kong en 1974, disparu en 1999.

04 乌龙茶 wūlóngchá  thé oolong (du dragon noir) : thé à oxydation incomplète, donc entre les thés noirs et les thés verts. Il est originaire du Fujian, mais cultivé aussi à Taiwan.

05 接到投诉 jiēdào tóusù  recevoir une plainte

06 滚热 gǔnrè  bouillant, brûlant

07 ài  gêner, entraver, faire obstacle à  =  妨碍  fáng'ài

08 维系 wéixì  maintenir ensemble

09 lài  dépendre de, s’appuyer sur

10 原谅 yuánliàng  pardonner

11 阖上 héshang  fermer

12 怔怔 zhèngzhèng  fixement

13 警觉地 jǐngjuéde  d’un œil vigilant

14 径自 jìngzì  de soi-même, sans consulter personne

15 循例征询 xúnlì  zhēngxún  consulter selon les règles/l’usage

16 雅各 Yǎgè  (Bible) Jacob

Note : l’Echelle de Jacob (雅各的天梯) est une référence à un passage de la Genèse dans lequel le patriarche Jacob, fuyant son frère Esaü, voit en rêve une échelle montant vers le ciel. Dieu est en haut et lui promet sa protection.

17 通往真理 tōngwǎng zhēnlǐ  mener à la vérité

18 撕碎 sīsuì  déchirer en mille morceaux, mettre en pièces

19 簇新 cùxīn  flambant neuf

20 近视 jìnshì  myopie   益发 yìfā  d’autant plus

21 度数 dùshù  puissance des verres (lunettes)

22 蓝紫 lánzǐ   violet

23 呼天抢地 hūtiānqiāngdì  se lamenter à grands cris

24 如宋明山水 rú sòngmíng shānshuǐ  comme un tableau de paysage de la dynastie des Song ou des Ming (triste et désert)

25 昆曲 kūnqǔ  opéra Kun, ou Kunqu, opéra du sud, originaire de la région de Suzhou et développé à partir de la dynastie des Ming, c’est la forme la plus ancienne et la plus raffinée d’opéra chinois traditionnel ; avec ses mélodies très douces et ses livrets très littéraires basés sur des histoires

d’amour, il convient parfaitement à la narratrice dans le contexte de la nouvelle.

26 埋怨 mányuàn  blâmer, se plaindre

27 凡事 fánshì  tout  有迹可寻 yǒujìkěxún  il y a des traces/vestiges à chercher

28 封面 fēngmiàn couverture

29 掀开 xiānkāi  ouvrir

30 不甘 bùgān  qui ne se résigne pas  不驯 bùxún  indomptable

31 笑靥 xiàoyè  visage souriant

32 热泪盈眶 rèlèiyíngkuàng   avoir les larmes aux yeux

33 厮守终生 sīshǒu zhōngshēng rester toute la vie

Note : l’auteur ajoute   à la fin, donnant à l’expression une forme adjectivale, exprimant une caractéristique de la narratrice : de nature à …

___________________

 

Traduction

I.

J’avais pensé que je pourrais passer toute ma vie avec Zihang.

 

Elle s’appelait Hoi Zihang. Quand je l’ai connue, nous étions encore en première année de fac. Je suivais un cours intitulé « L’art de la pensée critique », un cours obligatoire pour les étudiants de première année, et c’est là que je l’ai rencontrée.

 

Elle était la seule étudiante que je connaisse à aller en cours en qipao et chaussures brodées. C’était terriblement affecté, mais en même temps cela ne passait pas inaperçu. Je me souviens que c’était une paire de chaussures brodées rouge vif. Elle avait les chevaux coupés court au niveau des oreilles, et prenait souvent des notes les yeux baissés, la tête penchée, comme une élève studieuse. Mais elle se passait du vernis à ongles couleur pêche – or les femmes qui ont les ongles faits sont toutes des femmes de mauvaise vie, et celles qui, d’un air affecté, paradent pour se faire remarquer sont encore pires. Je ne savais pas que je pourrais aimer une femme comme ça.

 

De fait, tout le monde parlait d’elle. Les étudiants de la classe m’apprirent qu’elle s’appelait Hoi Zihang, qu’elle étudiait le chinois, qu’elle venait du collège Su-Zhe, et que sa famille habitait Blue Pool Road. Pendant que nous étions en cours à étudier Platon, eux, par petits groupes, parlaient de Zihang, dans la résidence, et  j’en ricanais, la main sur la bouche ; en mon for intérieur, cependant, je me mis à ressentir pour ces camarades un sentiment dichotomique de mépris. Mais ils aimaient bien parler d’elle etl’appelaient « Petite Phénix divine ».

 

Zihang manquait constamment les cours. Je la rencontrai un jour par hasard à la gare, les yeux baissés, elle traînait un étudiant sur les talons.

 

L’année suivante, nous nous sommes retrouvées ensemble à un cours d’ « Introduction à la sociologie ». Sans doute parce qu’il détestait faire l’appel, le professeur institua comme règle que nous restions toujours assis à la même place, il pouvait ainsi repérer les absents d’un seul coup d’œil. Je profitai de l’occasion pour m’asseoir à côté de Zihang. Je me souviens que, ce jour-là, elle portait un qipao de coton pas trop serré, blanc et mauve foncé,  et qu’elle avait sur les bras des poils très fins. Elle dégageait en outre une odeur très particulière –  un mélange de maquillage, de parfum, de lait et d’encre – que j’ai appelée par la suite « Senteur du phénix divin ». Quant à ses mains, elles étaient si lisses et glacées que cela me donnait très envie de les toucher. Mais je ne l’ai pas fait car elle ne semblait pas avoir noté ma présence.

 

Elle recommença à manquer les cours. Ce n’est que lorsqu’on en arriva à la théorie de la plus-value de Marx qu’elle réapparut, et me demanda de lui prêter mes notes. Je les lui montrai en riant : « Même si je te les prête, tu ne pourras rien en faire, il n’y que moi qui puisse les comprendre. » Sur quoi elle haussa les sourcils : « Ah,  pas forcément. » Par paresse, je gribouillais mes notes à toute vitesse en sténo, les autres étudiants les appelaient « les notes télégraphiques », et du coup personne ne songeait à me les emprunter. Je la vis se mettre à écrire à toute vitesse, et transcrire mes « codes » en une écriture claire et régulière – si l’on ne va pas en cours pendant un mois, il faut bien avoir quelques aptitudes, autrement on n’arriverait à rien. J’aime les gens intelligents et originaux, c’est sans doute la raison pour laquelle je me suis intéressée à elle.

 

 « Je t’invite à prendre un café. » lui ai-je dit, à quoi elle a répondu : « OK ». Notre conversation aussi était du genre télégraphique.

 

Assises dans la lumière oblique du soleil couchant, nous sommes restées sans rien dire ; comme je

l’observais attentivement, elle me dit en me regardant : « Je te connais. Tu es Yip Saisai. Le soir, tu joues de la flûte shakuhachi, toute seule, dans la salle de classe. Je t’ai entendue. » Elle portait au bras une pléiade de menus bracelets d’argent qui ne cessaient de bouger en cliquetant. « Je sais que, la semaine dernière, tu as perdu un soutien-gorge Maidenform rose, j’ai vu la notice sur le panneau

d’affichage de la résidence. C’est bien toi ? » Elle rit : « Tout le monde, sur le campus, est au courant, même les garçons savent que tu as perdu un soutien-gorge Maidenform rose taille 32B, c’est malin ! » - « Faux, lui dis-je, c’est seulement 32A, je suis plutôt maigre. ». En regardant sa poitrine bouger, j’ajoutai en riant : « Je parie que toi, tu fais au moins du 34B, et quand tu seras mariée, tu pourrais bien aller jusqu’au 38 ! » - « Ah, j’en ai bien peur ! » dit-elle en se couvrant doucement la poitrine des mains.

C’est ainsi que notre histoire commença, par une discussion sur les soutiens-gorge Maidenform.

 

II.

 

Elle se mit à venir régulièrement en cours, et nous discutions. Ce prof, vraiment, quel vieux schnock, avec ses chaussettes en nylon couleur chair. Je lui ai demandé où elle achetait ses qipaos, elle m’a dit que c’était un secret professionnel. Je suis allée voir avec elle « House of the Lute » de Lau Shing-hon,

qu’on donnait sur le campus, et nous sommes tordues de rire. Mais, pour « Octobre » d’Eisentein, nous nous sommes endormies toutes les deux, et ne nous sommes réveillées qu’une fois tout le monde parti. Quand nous allions manger un morceau, la nuit, des moules sautées,  par exemple, Zihang aussi mettait un jean, mais elle ne quittait pas pour autant ses chaussures brodées.

 

Au deuxième semestre de notre troisième année, la fille qui partageait sa chambre est partie. Mais elle

n’en a pas avisé la surveillante, et je suis allée loger avec elle. En fait, c’est à ce moment-là que notre histoire a vraiment commencé.

 

Il faut dire que je trouvais Zihang très séduisante, astucieuse, et d’un caractère accommodant, mais je ne comprenais pas vraiment son comportement. C’est d’ailleurs ce qui, entre nous, ressemblait le plus à une relation amoureuse entre un homme et une femme : une attirance initiale, fondée sur le charme respectif de chaque partie –  je n’étais pas une beauté, et ne prétendais pas être aussi aguicheuse que Zihang, mais je savais quand même me mettre en valeur, discrètement, et je pense que Zihang appréciait ce genre de personne, cette sorte de charme, disons, voilé, diffus. Qui n’était pas totalement étranger à celui de ses qipaos et de ses chaussures brodées.

 

Notre chambre est ainsi devenue la « ruelle de la fumée et des fleurs » . Nous fumions, elle des « Double bonheur rouge », et moi des Dunhill mentholées, deux marques qui vous donnaient un look irrémédiablement sauvage. Nous aimions Tom Waits et dansions toutes les deux dans la chambre, elle était extrêmement souple. Nous étions des femmes. A l’occasion, je traduisais quelques pages de Simone de Beauvoir, mais ce n’était pas génial, alors je suis passée à Kristeva. Zihang, elle, aimait Yi Shu, mais, comme je protestais, elle changea pour Sagan, ce qui me fit protester derechef, alors elle se mit à lire Angela Carter. On avançait peu à peu, j’ai décroché une bourse d’études, elle en avait demandé une elle aussi, mais ne l’a pas obtenue. J’avais gagné un point sur elle.

 

Le jour où j’ai obtenu ma bourse, ma photo est parue dans le journal de la fac. Je me suis souvenue que, un jour que nous étions allée faire des courses ensemble, elle avait eu envie d’un pull en cashmere rouge feu, mais il coûtait 950 yuans (1) et elle n’avait pas osé l’acheter ; je l’ai donc fait pour elle, en pensant le lui offrir le soir, au moment du dîner. Mais elle n’est pas rentrée de toute la soirée. Je l’ai attendue jusqu’à la nuit tombée ; seule dans la chambre, je n’avais pas allumé la lumière. C’était déjà la fin de l’automne ; par la fenêtre, on voyait des lumières de bateaux de pêche éparpillées sur toute la mer. J’eus soudain le sentiment qu’ont dans les romans les femmes délaissées par des hommes sans cœur. J’avais eu des petits amis, auparavant, mais n’avais jamais ressenti une telle anxiété. Zihang, ce jour-là, n’avait pas plié sa couette. Zihang n’avait pas mis ses chaussures brodées. Il ne lui restait presque plus de dentifrice, il faudrait que je lui en rachète. Il flottait toujours dans la chambre l’odeur du parfum de Zihang, le parfum de « divine phénix ». Le maquillage de Zihang. Les larmes de Zihang. Appuyée, immobile, sur le rebord de la fenêtre, je versai deux larmes en silence, deux larmes seulement, c’est tout. Zihang, Zihang.

 

A mon réveil, je mangeai un morceau de pain, et j’eus soudain la sensation que le pain avait un goût de farine rance, un peu comme de la nourriture pour animaux. Cela faisait plus de dix ans que je mangeais du pain, et c’était la première fois que je remarquais cette odeur et ce goût. Comme disait Confucius, quand on traite une affaire, il faut le faire avec compassion pour la victime et ne pas se réjouir de son succès, c’est un cliché bien connu, mais, ce matin-là, je me sentis envahie de compassion, en humant et goûtant ce morceau de pain. Ah, que ce monde est difficile à cerner.

 

 (1) Soit près de 100 euros, ce qui est très cher compte tenu des pouvoirs d’achat respectifs.

 

III

 

A minuit, appuyée devant la fenêtre, j’entendis un bruit de moteur. Zihang descendit d’un taxi, vêtue

d’une robe noire et portant des chaussures plates noires. Pauvre de moi, même à cette heure, je me souciais encore de la manière dont elle était habillée. Je m’aperçus en fait que, si je faisais attention à ses vêtements, à son odeur, c’était en grande partie parce qu’ils reflétaient son humeur, et j’eus soudain honte en pensant qu’il n’y avait là aucune différence entre moi et n’importe quel homme : je donnais de

la même manière énormément d’importance aux plaisirs des sens, bien que je ne l’aie jamais touchée ;

peut-être parce que personne n’aime s’exposer, nous ne nous étions jamais embrassées, jamais caressées, je pensais même que ce n’était pas une nécessité – les enlacements et embrassades holé

holé de ce qu’on appelle l’amour lesbien, c’est le genre de spectacle émoustillant sorti de l’imagination masculine, propre à procurer aux hommes un plaisir visuel ; Zihang et moi, ce n’était pas comme ça. Je

ne lui avais même jamais dit « je t’aime ». Mais, à ce moment précis, j’ai réalisé à quel point je l’aimais… Appuyée devant la fenêtre, j’avais le cœur en feu, le cœur qui brûlait, ça y est, Zihang était arrivée, Zihang était là.

 

Elle ouvrit doucement la porte, et se laissa tomber assise sur le lit. Elle était tout rouge, avait le corps

qui empestait l’alcool, et, je ne sais pourquoi, s’était fait un maquillage épais qui lui transformait le visage ; je pensai à l’odeur du pain. Je restai silencieuse, les mots se figèrent sur mes lèvres.

Elle rit : « Il faut que tu sois contente, aujourd’hui, moi je suis très contente. » Et brusquement, dans

un bruit métallique, elle m’envoya des pièces de monnaie par la figure. « Yip Saisai, je ne suis qu’une personne ordinaire. » Je me couvris le visage sans rien dire. Les pièces heurtèrent le dos de ma main et me firent une douleur aiguë ; Quant à Zihang, que le geste avait épuisée, elle s’adossa contre le bord

du lit pour se reposer. Il se fit un grand silence, j’avais la sensation que la lumière de la lampe m’éblouissait. « Zihang. » Elle ne me répondit rien, elle s’était endormie. Je lui ai essuyé le visage, l’ai déshabillée, lui ai enlevé ses chaussures et lui ai embrassé les pieds.

 

J’ai un peu rangé les affaires, puis lui ai laissé un mot sur la table : « Zihang, s’il arrive un jour que nous soyons noyées dans la foule, et que nous menions une existence médiocre, c’est parce que nous n’aurons pas fait suffisamment d’efforts pour vivre pleinement. »

En fait, à cette époque-là, je n’avais pas d’ambition. Mais Zihang, elle, en avait.

 

Cette nuit-là, je suis allée frapper à la porte d’un homme qui me convoitait depuis longtemps, l’air anxieux ; je le savais, j’y suis allée faute de mieux,  mais il est aussi possible que ç’ait été pour moi une façon de se venger et de Zihang et de cet homme, car je n’ai pas hésité. En outre, mon corps ne

m’appartenait pas. Je suis restée toute la journée dans un état d’hébétude. J’ai vu cet homme me louer une chambre, puis y aller, moi cela m’était égal, j’ai continué à aller en cours, et j’ai travaillé encore plus, mais c’était tout le contraire de ma vie passée.

 

En passant devant la résidence, je jetais toujours un long regard, en me demandant si Zihang était là.

Si elle était en train de se peigner, de préparer ses cours, ou de lire le journal. Si elle pensait à moi. Zihang avait brusquement disparu de ma vie, comment aurais-je pu être sereine ? Personne ne savait

par quels tourments que je passais. Zihang Zihang Zihang.

 

Cette nuit-là, par un temps de fin d’automne, nous avions dîné ensemble, cet homme et moi, il avait

une conversation sans intérêt, je me contentais de boire. Le dîner terminé, j’étais repue, écarlate, en marchant dans le vent du soir, j’ai vomi, et me suis mise à pleurer comme une madeleine. Cet homme

m’a tendu son mouchoir, et je l’ai serré très fort ; à ce moment-là, tout homme m’offrant un mouchoir

ne pouvait être que quelqu’un de bon. En même temps, je ne pus m’empêcher de sentir se serrer mon cœur de  mépris. En vérité, si, à cet instant-là, j’avais ressenti une certaine affection pour lui, en renonçant à Zihang, cela n’aurait peut-être pas été plus mal. Cet homme avait une petite voiture japonaise ; à peine dedans, il me serra très fort dans ses bras, en approchant son visage, alors je lui dis en riant : « Il est possible que tu sois quelqu’un de bon, mais, si tu as envie d’embrasser une femme qui empeste l’alcool, cela me fait douter sérieusement de ton goût. » Il me ramenait à la chambre en conduisant rageusement, quand je lui dis : « Attends un peu, je voudrais passer à la résidence prendre quelques affaires. »

 

Il était trois heures du matin, Zihang avait juste laissé allumée la lampe du bureau, mais on ne la voyait pas. Debout dans l’obscurité, je me tordis le cou pour regarder, Zihang était bien là, sous la lampe allumée. Jusque là, je n’avais pas bien saisi le sens de cette scène. Zihang, je ne suis qu’une femme paisible qui désire juste développer une relation affective toute simple avec quelqu’un. Comment se

fait-il que le monde ne me le permette pas.

 

Soudain, l’ombre de Zihang passa furtivement devant la fenêtre, et éteignit la lumière. Aperçus tout

aussi furtivement, les cheveux de Zihang avaient-ils poussé ? Y avait-il quelqu’un, maintenant, pour lui couper les ongles de pied, lui passer du vernis à ongles ? Maintenant que je n’étais plus là, qui lui attachait les boutons dans le dos ? Et la nuit, qui venait la regarder, qui pensait à elle ? Qui savait si

elle était gaie, si elle était triste ? Qui aimait-elle, qui la faisait souffrir ?

J’avais très envie d’aller la voir. Allez, juste un coup d’œil.

 

Je suis montée à toute vitesse, Zihang avait fermé à double tour, mais j’avais la clef. Elle s’était endormie, sa poitrine montait et descendait, toujours aussi généreuse. En ces quelques semaines, elle

n’avait pas maigri, n’avait pas la mine défaite non plus. En regardant de plus près, je vis qu’elle avait

les ongles de pied parfaitement coupés, et que son vernis était impeccable, rouge vif comme d’habitude. Elle y avait quelques poupées de chiffon de plus dans son lit, et, pour l’heure, profondément endormie telle un bébé, elle serrait un petit lapin blanc dans les bras. On ne pouvait imaginer plus paisible. Après mon départ, elle avait très bien continué à vivre ; le soleil continuait sa course, la nuit tombait comme auparavant, et à trois heures du matin, il y avait, comme toujours, des gens endormis et d’autres

éveillés. Dans la chambre à côté, quelqu’un tapait encore à la machine, préparant un cours ou quelque vain écrit. Je fondis soudain en larmes. J’avais la gorge nouée, l’impression que quelqu’un voulait m’étouffer, mais c’était moi qui m’étouffais, imaginant dans la nuit une pluie d’étoiles filantes. Zihang

avait transformé mon être.

 

Mes larmes tombaient sur son visage, j’avais le visage rouge de l’avoir frotté, et haletais à perdre

l’âme. Zihang s’éveilla soudain, me serra la main très fort et me dit : « A quoi bon se mettre dans un

tel état ? » Zihang me prit dans ses bras, je sentis son parfum de phénix divin, et m’endormis paisiblement. J’entendis vaguement, en bas dans la rue, une voiture qui klaxonnait, quelle importance,

cet homme ne pouvait désormais plus avoir aucune valeur dans ma vie, je n’en avais rien à faire. Il n’y avait plus maintenant que Zihang.

 

Zihang a pris ma tête entre ses mains et m’a dit : « Tu es trop bête. »  Je n’ai pas pipé mot, j’avais

juste envie de dormir, demain serait un autre jour.

 

IV

 

Avec Zihang, ensuite, les choses allèrent à nouveau beaucoup mieux. Nous restions très tard à

travailler, le soir ; elle me faisait du thé, mais était toujours aussi paresseuse, c’était son caractère. Pourtant je trouvais, en moi-même, qu’elle avait changé, même son parfum n’était plus le même, maintenant c’était  « Opium ». Je le trouvais suffoquant.

 

Elle continuait à sortir la nuit. A minuit, toujours vêtue d’un pull rouge vif, de chaussures de cuir noir,

elle partait d’un pas de panthère. En bas, une petite voiture de sport bleu saphir l’attendait. Quand elle rentrait, elle était écarlate, et me rapportait des boulettes de riz encore chaudes, mais je n’arrivais pas

à les avaler ; or, le riz glutineux durcit si on ne le mange pas tout de suite ; et le lendemain matin, je

me retrouvais avec des boulettes dures dont je ne savais que faire. Comme toujours, Zihang manquait constamment en cours, en quatre ans elle n’avait réussi à passer au total que onze unités de valeur.

 

Pour les vacances de Noël, je me préparais à rentrer chez moi passer les fêtes. Zihang, de son côté, faisait sa valise. Je lui ai demandé combien de temps elle allait rester chez elle, mais elle a hoché la

tête et m’a dit en riant : « Je vais à Pékin. »

 

Je me suis figée sur place, et suis restée un long moment sans rien dire. Après avoir fait un voyage au Japon, Zihang et moi, nous nous étions promis que, la prochaine fois, nous irions à Pékin. C’était l’année précédente, à Noël. Je me cachai doucement le visage dans les mains et lui dit : Zihang, Zihang, tu te souviens… »

Elle écarta mes mains et me regarda droit dans les yeux : « Je me souviens. Mais c’est le passé. Cette fois, je tiens ma chance, il faut penser à l’avenir, je n’ai pas envie de mener une vie médiocre. » Elle

m’embrassa sur le front et partit.

 

Je suis restée seule, assise dans la chambre à moitié vide, pensant que j’aurais pu rester assise ainsi

tout le restant de ma vie. Comme j’étais penchée en avant, j’ai remarqué que le tapis était sale. Ce

tapis, nous l’avions acheté, Zihang et moi, un matin à la gare centrale ; elle voulait absolument un

tapis persan, mais je trouvais cela irréaliste, et préférais un tapis indien. Finalement, nous avons

transigé et acheté un tapis belge. Le tapis sous le bras, nous avons mangé dans un restaurant belge, Zihang a commandé une douzaine d’huîtres, nous avons dépensé tout notre argent… c’était quand,

déjà ?

 

Ce Noël-là, je suis restée toute la journée à la bibliothèque, épuisée. Je feuilletais un magazine, lorsque brusquement, ébahie et sidérée, à côté d’un type à la fois gras et tanné, arborant des lunettes de ski tape-à-l’œil, je vis nulle autre que Zihang ! J’ai refermé le magazine, et suis allée manger à la cantine, comme si de rien n’était, mais, en fait, m’asseyant à la place où je m’étais assise la première fois, avec Zihang. J’eus un étourdissement, et fus à deux doigts de m’effondrer en pleurs, mais, serrant les dents,

je revins à la bibliothèque, et me mis à travailler sans plus me laisser distraire.

 

Lorsque Zihang revint, j’étais endormie sur mon bureau, le magazine avec la photo de Zihang ouvert devant moi. Je n’ai pas regardé Zihang, elle n’a pas bronché non plus ; elle s’est assise en fumant une cigarette. Puis elle m’a dit : « J’ai perdu sur tous les tableaux. »

 

Je suis allée lui faire une tasse de thé. Elle m’a saisi la main en la serrant très fort, et je lui ai caressé doucement les cheveux.

 

Je ne lui ai pas posé plus de questions, et elle n’a plus jamais abordé le sujet. Aujourd’hui encore, je ne sais toujours pas ce qui s’est réellement passé. Mais elle n’est plus sortie la nuit ; elle est restée sagement travailler, tête baissée, l’air triste, mais très satisfaite d’elle-même.

 

Comme j’en étais presque à la fin de mes études, j’ai adopté une attitude moins réservée, après tout

je n’étais ni une mondaine ni une danseuse, ce n’est pas cela qui m’aiderait à gagner mon pain. J’ai fait une demande de poste de recherche, dans l’espoir de me faire une place dans les cercles académiques.

Il faut bien reconnaître que, pour une profession intellectuelle, il n’y a pas besoin de beaucoup de savoir ni d’audace, c’est comme une pièce de tissu assez terne, une fois bien emballée, le tour est joué ;

alors je me suis plongée dans un cours de philosophie occidentale moderne, c’est vraiment hyper facile,

le prof n’y comprenait rien et moi non plus, si on lit ma thèse, il y a de quoi rire, mais je m’en suis sortie tant bien que mal, tout le monde était soulagé. Réjouissance générale.

 

V

Dans ces conditions, mes rapports avec Zihang se sont quelque peu refroidis. Elle était plus belle que jamais, et habillée de manière voyante même pour aller passer les examens. J’entendis ses camarades

de classe dire qu’elle était amoureuse d’un professeur. Quelqu’un d’autre me dit qu’elle était modèle photo et qu’un magazine avait publié des photos d’elle. Comment les autres pouvaient-ils être bien

mieux renseignés sur Zihang que moi ? C’est qu’on ne passait plus beaucoup de temps ensemble ; j’aurais aimé louer un appartement avec elle, elle aurait continué son travail public, moi mes études. J’avais envie d’élever un chat avec Zihang, et d’avoir un tapis persan fait main. Vers minuit, on aurait

pu aller manger des boulettes de riz chaudes et tendres. J’avais des besoins très simples, dans la vie.

 

Toute à ces pensées, j’ai acheté un bouquet de fleurs en rentrant ; je voulais me retrouver avec Zihang. Le matin, la résidence des étudiantes était très calme.

 

Il y avait une cravate accrochée à la porte de la chambre ; avec mon bouquet de gerberas à la main,

je suis restée plantée là, sans savoir que faire. Ce que Zihang voulait dire, selon une vieille coutume britannique, c’était qu’elle avait un hôte masculin. Comment était-ce possible ? Cette pièce était à

nous, Zihang et moi, ils étaient même peut-être en train de faire l’amour sur mon lit, il faudrait encore que je lave les draps. Je ne pourrais plus jamais dormir dans ce lit, pour moi, le sperme masculin était la chose la plus répugnante qui soit, bien plus répugnante que l’eau de vaisselle, la morve, ou un crachat. Zihang, comment peux-tu me faire ça ?

 

Juste à ce moment-là, la présidente de l’association des étudiantes de la résidence, qui habitait la chambre en face, revint et me demanda : « Que se passe-t-il ? Tu as oublié ta clef ? Tu veux que je

t’ouvre ? » - « Non, ce n’est pas la peine, » lui dis-je précipitamment en sortant ma clef.

 

Zihang était avec un homme, dans mon lit effectivement, en pleins ébats amoureux. J’ai senti le

bouquet de gerberas me glisser des mains, mais j’ai eu peur qu’il y ait des pétales partout. Zihang

avait les yeux à moitié fermés et continuait sans se laisser impressionner, mais l’homme, lui, s’arrêta

net, sans comprendre ce dont il s’agissait. Il avait le visage plein de boutons, les cheveux en bataille, une trentaine d’années. Je le regardai droit dans les yeux : « Monsieur, vous êtes dans la résidence

des étudiantes, habillez-vous convenablement. » Zihang lui dit en me regardant de travers : « Fais pas attention. » Je leur jetai les vêtements étalés par terre en leur criant : « Habillez-vous, en vitesse ! Je ne discute pas avec des bêtes. »

 

L’homme s’habilla effectivement à toute vitesse, Zihang, elle, se retourna pour fumer tranquillement une cigarette, sans rien dire. Ramassant les préservatifs éparpillés par terre, je dis à l’homme : « C’est à vous, monsieur, essayez d’avoir l’air un peu plus digne. »

« … Pardon. » dit-il en fourrant précipitamment les préservatifs dans la poche de son pantalon. « Monsieur, ajoutai-je, Zihang et moi ne vivons pas une relation ordinaire, vous êtes priés de nous respecter, ceci est intolérable. » Il resta médusé, un instant immobile, puis eut un sursaut effrayé et

s’écria d’une voix étouffée : « Vous alors ! Quelles perverses ! »

Je lui ai envoyé une gifle et claqué la porte au nez.

 

Zihang me regardait, les yeux brillants, toute rouge, en laissant la cigarette se consumer entre ses doigts, sans bouger. Appuyée contre la porte, je suis restée immobile moi aussi. Sans avoir aucune idée de l’heure qu’il était. Quand tout serait presque terminé, il serait temps de se le demander. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restées ainsi, simplement sa cigarette a fini par s’éteindre. L’hiver, tout se fige.

 

Le ciel s’était obscurci, la nuit était tombée. Zihang se mit brusquement à rire doucement, au milieu de quelques larmes. « Quoi qu’il en soit, » dis-je, « on peut continuer comme avant. »

« Non, » dit-elle, « ce n’est pas possible. Tu es trop candide. Je te ferais trop souffrir. » - « Je ne voulais pas me disputer avec toi, » dis-je en me couvrant le visage, « mais pourquoi faut-il que tu ailles faire du racolage de tous côtés ? ».

« Il peut m’aider » dit-elle, « à entrer dans un journal, à devenir peut-être une Isabella Rossellini, tu peux faire ça, toi ? »

« Mais pourquoi diable faut-il que tu ailles racoler des hommes, on n’est pas des putes. » - « Et toi, alors, tu n’as pas fait la même chose, peut-être ? De ce côté-là, qu’on ait fait des études ou pas, ça

ne fait aucune différence. »

 

Je me suis assise lentement. J’ai repensé à tous ces homme avec lesquels j’avais déjeuné, avec

lesquels j’avais dîné, avec lesquels j’avais bu. Repensé à cet homme-là avec lequel j’avais failli passer

le reste de mon existence parce qu’il m’avait tendu un mouchoir un soir que j’étais ivre.

 

Nous avons tous nos faiblesses. « J’ai faim, » me dit Zihang en se levant, nue comme un ver, et attrapant des vêtements au hasard. « Prête-moi de l’argent, j’ai envie de sortir. » Je me suis écartée,

et son pas a résonné en s’éloignant. Les gerberas se fanaient tranquillement dans l’obscurité ; j’ai

fermé les yeux, et brusquement ai compris ce que l’on veut dire quand on parle de « choses sans importance ». Tout n’était plus désormais que choses sans importance.

 

Ce soir-là, je me suis endormie très tôt, et le lendemain matin, en me réveillant, j’ai vu Zihang son lapin dans les bras, profondément endormie comme un bébé. Je lui ai laissé une note, disant que je

l’attendrais pour dîner, le soir, à la cantine, et suis partie en cours. Je ne pensais pas qu’elle viendrait.

 

En  l’attendant, je me suis assise à une table à côté de la porte-fenêtre, le soir hivernal tombait tel un linceul de mort. Zihang est venue, ses cheveux longs relevés en demi-chignon, en pull et pantalon, une écharpe autour du cou, et aux oreilles des boucles d’oreilles aux pierres bleues étincelantes. Elle sourit doucement en me regardant, et j’ai alors réalisé qu’elle était devenue une femme, même son sourire avait acquis une sorte de mesure. Lire tous ces livres n’avait peut-être pas été en vain.

 

On a commandé des plats, bu de la bière. Zihang a peu mangé, mais beaucoup bu, et, à la fin du

repas, elle avait les joues écarlates. Nous avons parlé du professeur de sociologie, qui avait

inopinément été poussé à la retraite, et qui avait fêté ça dans la joie générale. Elle m’apprit qu’elle

avait obtenu un contrat de modèle. On s’est tout raconté. Je lui ai dit que j’avais terminé mon projet

de thèse, et fait une demande de bourse pour aller étudier en Angleterre, j’avais même un rendez-vous. Nous étions contentes et avons ri en chœur ; comme je tremblais, Zihang m’a prêté son écharpe. Il y avait beaucoup de vent, je me suis serrée contre Zihang et lui ai dit : « J’ai froid. » Alors elle m’a enlacée, et nous sommes allées ainsi jusqu’au campus. La nuit était bleu sombre, très belle, je lui ai dit : « Quand nous aurons terminé nos études, ce serait bien de venir vivre ici. Tu sortirais pour ton travail, moi je resterais travailler à la maison. » Elle resta un instant silencieuse, puis me dit : « J’ai bien peur que tu ne sois pas satisfaite de rester à la maison. » - « Mais si, » répondis-je en riant, « regarde, maigre comme je suis, ce ne sont pas des conditions idéales pour se satisfaire de rester à la maison ? » Elle se passa la main sur la poitrine et dit : «  C’est moi, alors, qui ne m’en satisferais pas. »

 

Nous sommes restées un moment silencieuses, puis Zihang m’a soudain enlacée en me serrant très fort, et ce brusque élan passionné m’a fait un peu peur. Mais elle m’a relâchée en me disant : « Il est tard, va vite ranger tes affaires à la bibliothèque, moi je rentre tout de suite. »

 

J’ai levé la main en signe d’adieu, ai tourné les talons et suis partie. Mais elle m’a dit au revoir en me faisant des grands signes de la main, je me suis dit qu’elle était devenue folle, ce n’était quand même pas une séparation ad vitam aeternam, et j’ai continué sans même tourner la tête.

 

VI

De retour à la résidence, je suis tombée sur la responsable de l’association des élèves qui eut l’air soulagée en me voyant et m’agrippa en me disant : « La surveillante te cherche. » Je lui dis de me laisser d’abord poser mes livres, qu’il n’y avait pas le feu. Mais elle répondit que c’était urgent, et

m’entraîna illico.

 

Je m’assis sur le sofa chez la surveillante, et, comme je n’avais rien à faire, me mis à feuilleter un magazine populaire ; un lecteur demandait : « Mingxin, je suis bien embêtée, je ne sais pas quoi faire,

il m’a quittée… » La surveillante me fit une tasse de thé oolong ; elle était originaire de Taiwan, et parlait le cantonais avec un accent fortement nasalisé. Je tenais ma tasse à deux mains, attendant qu’elle parle.

 

La télévision était allumée, mais le son était coupé, le visage de la surveillante apparaissait tour à tour brillant et sombre, bleu puis blanc, c’était effrayant. Elle resta un instant dans l’ombre, et me dit alors en détachant bien les mots : « J’ai reçu une plainte, selon laquelle Zihang et toi avez des relations anormales. »

 

Le thé était bouillant, et je me suis brûlé le bout de la langue. Désemparée, j’ai levé la tête pour la regarder, en esquissant un minuscule sourire.

« Les étudiants ne doivent pas seulement accumuler les connaissances, ils doivent aussi avoir une conduite irréprochable  ----- »

« Je ne pense pas ce que ce soit une conduite ignoble, il y a beaucoup d’hommes et de femmes qui

sont bien plus ignobles que nous. » Je la fixais droit dans les yeux. Elle n’a pas esquivé mon regard, au contraire elle m’a regardée elle aussi.

« Il n’empêche – ce n’est pas normal, c’est une entrave au développement de la civilisation humaine.

La société n’arrive à constituer un système stable qu’en restant bien soudée, et en étant totalement fondée sur les relations naturelles propres à la nature humaine…. » Certaines bribes de son discours

étant par moment incompréhensibles, j’ai cessé de la regarder, reprenant la lecture du magazine.

Mingxin avait répondu : «  Ling, ce n’est pas bien d’avoir ainsi ce sentiment d’avoir été lésée, il faut

que tu fasses tous tes efforts pour lui pardonner…. » J’ai sursauté et refermé le journal, en regardant fixement l’écran muet de la télévision. Au bout d’un très long, très long moment, j’ai dit tout bas : « Pourquoi vos critères moraux devraient-ils nous être imposés ? Nous ne gênons personne. » Je ne

sais pas si elle m’a entendue ; mais le son de ma voix était si faible que j’ai eu l’impression que

quelqu’un m’avait dit cela à l’oreille, et j’ai regardé autour de moi, pour être sûre, mais il n’y avait personne.

 

« Madame la surveillante, » dis-je en posant la tasse de thé, « Si Zihang ne me quitte pas, je ne la quitterai pas. » Sur quoi je me suis préparée à partir et ai ouvert la porte.

« Oui mais, ce matin, elle a déjà accepté de quitter la résidence, et, en retour, j’ai promis de ne pas ébruiter l’affaire. Si je t’ai consultée, c’est seulement pour être en conformité avec le règlement. »

Ses paroles venaient de très loin. Debout près de la porte, j’ai appuyé sur la poignée, glaciale au

contact de ma main. « Merci, » dis-je. Et comme je n’entendais plus rien, j’ai doucement refermé la

porte et suis partie.

 

Je ne sais pas comment j’ai pu me traîner jusqu’à la chambre, l’escalier me parut interminable, aussi 

long que l’échelle de Jacob, cette voie menant à la vérité. J’avais du mal à monter les marches, comme

si l’on m’avait rompu les quatre membres, à chaque mouvement la lumière m’éblouissait. Je me couvris

les yeux, après tout, désormais, autant être aveugle, je n’avais plus besoin de voir.

 

La chambre n’était pas fermée à clef, mais, comme il y avait des gens dans le couloir, j’ai redressai le

dos et serré les dents avant d’entrer. Très bien Zihang, pour un matin, c’était super bien nettoyé, il y avait juste une paire de chaussures brodées rouges, toutes neuves, posées sur mon lit, et un

soutien-gorge Maidenform rose ; je l’ai retourné, elle s’était trompée, c’était du 32B. Je me suis dit en riant : « Je fais du 32A, Zihang, du 32A, je suis maigre ! »

 

Après son départ, j’ai moi aussi déménagé de la résidence, pour louer une petite pièce sombre près du campus. Tout devint sombre, dans ma vie, et cela n’arrangea pas ma myopie. Avec sur le nez des lunettes à montures dont les verres n’étaient pas de la bonne puissance, je passais toute la journée

en cours ou à la bibliothèque. J’ai commencé à ne porter que du violet et du blanc, j’ai arrêté de fumer

et me suis mise à faire un régime végétarien en ne buvant que de l’eau. Tous ceux qui ont perdu un amour se désespèrent et se lamentent, moi je pensais juste ne jamais pouvoir retrouver la sérénité, j’avais le cœur aussi désolé qu’un tableau de paysage Song ou Ming, la nuit, dans l’obscurité, j’écoutais des disques d’opéra kunqu, en battant parfois la mesure du pied, solitaire comme une ombre. Je me

disais en serrant mes bras autour de moi : « Il me reste au moins cela. » Et ajoutais en serrant les

dents : « Pas la peine de pleurer. Pas la peine de se plaindre. » Je désirais comprendre la logique des choses – il reste des traces de tout, il suffit de chercher. Elle aussi avait ses problèmes.

 

Plus tard, j’ai vu une photo d’elle dans un magazine. Les lèvres pleines et souriantes. Je n’ai cependant pas ouvert le magazine. Elle n’était qu’une jolie femme sur des dizaines de millions, et n’avait rien à voir avec la Zihang que j’avais connue. Par la suite, je l’ai revue à l’université, à la cérémonie de fin d’étude, sa toge flottant au vent, souriant dans le soleil, très loin, une main levée pour se protéger les yeux du soleil. Elle était trop loin, je n’ai pas pu voir si son sourire avait changé. Je suis restée là sans bouger,

les bras croisés autour de moi. A côté d’elle, il y avait un homme, je connaissais ce visage, et en y réfléchissant, j’ai réalisé que c’était l’homme dont j’avais vu la photo dans le magazine. Zihang avait choisi. Si elle m’avait quittée, c’était parce que je ne pouvais pas lui apporter assez. Mais la Zihang

dont je me souviens…  nous ne faisions pas de différence entre ce qui était bien et ce qui était mal.

 

… Je me souviens de ses qipaos, de ses chaussures brodées, de l’air résolu et déterminé qu’elle avait quand elle copiait mes notes, de son sourire quand elle se touchait délicatement la poitrine, de sa indolence quand elle lisait Yi Shu étendue sur son lit. Je me souviens que, un soir que j’avais froid, elle

m’avait prêté son châle pour me réchauffer, un soir où j’avais été orgueilleuse, elle m’avait jeté des

pièces par la figure, et un soir où j’avais été froide avec elle, elle m’avait serré la main en disant « j’ai perdu sur tous les tableaux ». Je me souviens, je me souviens, je lui attachais les cheveux, lui coupais

les ongles de pied, je lui avais même acheté un bouquet de gerberas. Je me souviens de ce soir où je pleurais à chaudes larmes, en me serrant le cou à m’étouffer, elle m’avait saisi la main et m’avait dit :

« A quoi bon se mettre dans un tel état ? »

 

…..« A quoi bon se mettre dans un tel état ? ». J’avais pensé que je pourrais passer ma vie entière

avec Zihang.

 

 

 



 

 

 

     

 

 

 

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