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叶弥《天鹅绒》
Ye Mi « Velours »

    
                
Introduction
  
       
Cette nouvelle de Ye Mi sur laquelle est basé le scénario du film de Jiang Wen « Le soleil se lève aussi » (《太阳照常升起》) est un texte relativement court relatant comme une sorte de fait divers l’histoire du fils d’une pauvre villageoise devenue folle, Li Dongfang, et ses rapports avec un citadin « envoyé à la campagne » avec sa femme pour s’y faire « rééduquer », Tang Yulin. Cela correspond seulement aux parties un et trois du film.
       

 

La nouvelle semble factuelle, mais est en fait extrêmement subtile : elle tente d’expliquer les raisons de la liaison entre la femme de Tang Yulin et Li Dongfang et celles du geste de Tang Yulin abattant froidement le jeune garçon. Or, toutes les raisons évoquées par Ye Mi sont d’ordre psychologique, et les ressorts de sa nouvelle ne sont rendus crédibles que par la profondeur de l’analyse des caractères des différents personnages. La conclusion finale renvoie au début de la nouvelle, en un cycle parfait qui assimile la mort du fils au suicide de la mère.

       

La différence entre le film et la nouvelle tient à l’événement initial qui

entraîne la folie de la mère de Li Donfang. Dans la nouvelle, c’est la perte incompréhensible de deux livres de porc qu’elle vient d’acheter avec ses maigres économies ; dans le film, c’est la perte de ses souliers brodés. Dans le premier cas, c’est une situation rendue plausible par les conditions de vie dans les campagnes chinoises au moment où Ye Mi situe sa nouvelle, à la fin des années 1960. Dans le deuxième cas, les scénaristes ont dû broder toute une histoire supplémentaire pour justifier la folie soudaine de la femme ; le film change alors de registre et de logique.
       
Dans les deux cas, on ne peut qu’admirer la maîtrise de la forme.
       


       
La nouvelle
       

  从前有一个乡下女人1,很穷。从小到大,她对于幸福的回忆,不是出嫁2的那一天,也不是儿子生下的那一刻,而是她吃过的有数的几3顿红烧肉4。
    
  这个乡下女人真的非常穷,她家里的炕上一年四季只有一床薄而破的5被子,被子下面一年四季垫着一条芦席6。她有一双干净像样7的布鞋,用作逢年过节8和走亲访友9时穿——光着脚穿,因为她没有袜子。当然她更不可能有牙刷、牙膏、指甲钳10之类的东西。

       

  这是一九六七年的中国,距今不远,想忘也忘不了。问题不在于她的穷,在于有另外一个女人背后嘀咕她11:“连袜子都不买一双,敢情真12想做赤脚13大仙?”这一句话传到了她的耳朵里。她是个自尊要强14的女人,曾经在脱盲班里15学到过一些学问,譬如:地球是椭圆形的16,在宇宙里17像一只鸡蛋那样无休无止地18滚动。毛主席是人民的大救星19。共产党一心救中国等等。但是很多很多的学问在脱盲班里是学不到的,譬如人和人之间怎样协调相处20。她既不能一笑了之,也无法去找那个背后说三道四21的女人吵上一架22。问题是她没有钱买袜子。

       
  她思来想去,想到一个主意。那是冬天,已经过完春节了,她的儿子在学校里读高一,十八岁,功课很好,好到同班的一个女同学送了他一支钢笔。还有几天他就要从高一升到高二了。这个女人把儿子叫到面前,告诉他 :读到高中毕业,又能怎样呢 ? 十八岁, 是帮家里挣工分23 的年龄了,某某的功课不是比你更好,去年就不读了,帮着家里挣工分,还订了一门亲24。

 

       

  她把儿子的几个学费揣在怀里25,不顾一切地26朝集市上27走去。集市上有一家商店,方圆28十几里惟一的一家商店。大号叫“XX供销合作社29”。简称“供销社”。供销社里每一个营业员30都像干部一样有权。
       
  女人要了一双深灰色的腈纶31袜子,仔细打量之间,心里又有了盘算:买了一双袜子,不过是跟别人一样有了一双袜子,不过是逢年过节穿一下。她放下袜子,就在供销社里转悠开了32。转完供销社又到集市上转悠。不觉33天就黑了。她看见集市上一下子冷清下来34,就昏了头35,心里敲响了锣鼓36,越敲越响,越敲越乱……她想到该回去给儿子丈夫弄一点糊口的37,想到有点对不起儿子,想到她这么个又穷又傻的女人,却生了个聪明听话的儿子。突然间,这个女人做出了一个行动:买了两斤猪肉。

       
  悲剧38就这样发生了:进了村,她上了一趟茅厕39,把肉拴在茅厕外面的木棍上40,她出来的时候,肉不见了。但是她这个人还在。这个人从此就负载一个沉重的任务41,她要为失去的两斤肉喊冤42。她不上工,不下灶43,几乎不吃不喝,每天站在她家里的屋门口,脏话连篇骂44,骂谁偷了她的猪肉。
       
  村里的女人一股劲地劝45,告诉她,谁都相信她是买过肉的,也许那块肉被饿狗拖跑了46。她转而骂狗,听上去就像在骂人,比直接骂人还难听。这回没有女人去劝了,因为种种迹象47已表明,她病了。
       
  儿子运气比她好。他回乡务农后48,当了队里的会计49,那个送钢笔给他的同学是大队书记50的三女儿,有点心脏病,有点哮喘,眼睛有点斜视51,但他还是娶了她52。这样他二十多岁就当了他那个队的小队长,管着四十多户人家,二百多号人。
       
Titre : 天鹅绒 tiān'éróng velours
01 乡下女人 xiāngxiànǚrén campagnarde, villageoise
02 出嫁 chūjià se marier (pour une femme)
03 有数的几.. yǒushùde jǐ… seulement quelques.. les rares … (en général + jours, fois, etc…)
04 红烧肉 hóngshāo ròu viande cuite à feu doux avec de la sauce de soja (顿 dùn classificateur)
05 薄而破的 báo’érpòde (couverture) mince, légère et déchirée (床 chuáng classificateur)
06 芦席 lúxí natte de roseau 垫 diàn placer quelque chose sous autre chose
07 像样 xiàngyàng décent, présentable
08 逢年过节 féngniánguòjié à l’occasion du Nouvel An ou d’une autre fête
09 走亲访友 zǒuqīnfǎnɡyǒu rendre visite à ses parents et à ses amis
10 牙刷 /牙膏 yáshuā/ yágāo brosse à dent et dentifrice 指甲钳zhǐjiɑqián pince à ongles
11 嘀咕 dígu murmurer, grommeler
12 敢情 gǎnqing vraiment (renforce 真)
13 赤脚 chìjiǎo (= 光着脚) pieds nus
14 自尊要强的 zìzūnyàoqiángde avoir de l’amour propre et vouloir faire mieux que les autres
(l’expression habituelle est : 自尊心强的 zìzūnxīnqiángde avoir beaucoup d’amour propre)
15 脱盲 tuōmáng s’instruire 脱盲班 tuōmángbān cours du soir, d’alphabétisation
16 椭圆形的 tuǒyuánxíngde ovale
17 宇宙 yǔzhòu univers, cosmos
18 无休(无)止 wúxiū(wú)zhǐ sans cesse, sans fin
19 救星 jiùxīng sauveur
20 协调相处 xiétiáo xiāngchǔ harmoniser
21 说三道四 shuōsāndàosì commérer, cancaner
22 吵上一架 cháoshàngyíjià s’en prendre à, se lancer dans une dispute (吵架 cháojià se disputer)
23 挣工分 zhèng gōngfēn gagner des points de travail (unités utilisées pour répartir la production dans le cadre de l’organisation communautaire du travail, des années 50 jusqu’à la fin des années 70 ; il n’y avait pas de salaire)
24 订一门亲 dìngyìménqīn annoncer ses fiançailles
25 揣 chuāi cacher dans ses vêtements, porter sur soi
26 不顾一切 búgùyíqiè braver tout, risquer le tout pour le tout
27 集市 jíshì marché 朝 cháo ici : vers
28方圆 fāngyuán circonférence, périmètre / alentours
29 供销合作社 gōngxiāohézuòshè coopérative d’achat et de vente
30 营业员 yínɡyèyuán employé (de commerce)
31 腈纶 jīnglún en fibres acryliques
32 转悠 zhuànyou faire le tour de, aller d’un côté à l’autre…
33不觉 bùjué sans qu’on le remarque, qu’on s’en rende compte
34 冷清 lěngqing déserté
35 昏头(昏脑) hūntóu(hūnnǎo) avoir l’esprit confus, les idées troubles
36 敲响 qiāoxiǎng résonner, marteler 锣鼓 luógǔ gongs et tambours, percussions
37 糊口 húkǒu gagner son pain pour nourrir sa famille
38 悲剧 bēijù tragédie
39 茅厕 máocè latrines 一趟 yítàng (classificateur)
40 拴 shuān attacher 木棍 mùgùn bâton (de bois) / ici plutôt : pieu, piquet
41 负载 fùzài se charger de (沉重的任务 chénzhòngde rènwù une lourde tâche)
42 喊冤 hǎnyuān crier à l’injustice (pour demander justice)
43 下灶 xiàzào aller « aux fourneaux » (parallèle de 上工 shàng gōng aller au travail)
44 脏话 zānghuà gros mots, vocabulaire ordurier
连篇骂 liánpiān mà proférer une suite d’insultes, une insulte après l’autre
45 一股劲地 yìgǔjìnrde (ou 劲儿) sans s’arrêter / d’un même élan
46拖跑 tuōpǎo arracher et partir en courant
47 迹象 jìxiàng signe, indice
48 务农 wùnóng travailler comme agriculteur
49 会计 kuàijì comptable 队 duì équipe de travail 大队 dàduì brigade de production
50 大队书记 dàduì shūjì secrétaire de brigade
51 心脏病 xīnzànɡbìnɡ être cardiaque 哮喘xiàochuǎn asthme 斜视 xiéshì strabisme
52 娶 qǔ épouser (pour un homme) = prendre pour femme
       
Traduction
I

    
Il y avait en ce temps-là une villageoise très pauvre. Les seuls instants de bonheur dont elle gardait le souvenir, depuis son plus jeune âge, n’étaient ni le jour où elle s’était mariée, ni le moment où elle avait donné naissance à son fils, mais les rares fois où elle avait pu manger de la viande à la sauce au soja.
    
Cette villageoise était vraiment extrêmement pauvre. Elle n’avait sur son kang (1), en toute saison, qu’une couverture mince et toute usée, et, sous cette couverture, une simple natte de joncs. Elle avait une paire de souliers de toile propres et décents, qu’elle mettait les jours de fête, pour aller visiter ses parents et amis ---- et qu’elle portait pieds nus, parce qu’elle n’avait pas de socquettes. Et il est bien évident qu’elle pouvait encore moins se payer de gadgets du genre brosse à dents, dentifrice ou pince à ongles.
    
Cela se passait en Chine en 1967 (2), il n’y a pas si longtemps pour qu’on puisse l’avoir oublié. Ce n’était pas le fait qu’elle soit pauvre qui était un problème, c’étaient les ragots qu’une femme colportait derrière son dos et qui lui étaient revenus aux oreilles : « Elle n’a même pas une paire de socquettes, elle croit peut-être qu’elle va devenir une immortelle aux pieds nus ? »)
    
C’était une femme de caractère qui avait sa fierté ; elle avait suivi les cours d'alphabétisation et y avait appris une ou deux choses, par exemple que la terre est ovale, et roule sans fin dans le cosmos comme un œuf de poule ; que Mao Zedong est le grand sauveur du peuple ; que le Parti communiste travaille de tout son cœur à sauver la Chine etc, etc. Mais il y avait beaucoup de sujets qui n’étaient pas enseignés, dans ces cours d'alphabétisation, par exemple comment parvenir à harmoniser les relations humaines. Ce n’est pas qu’elle prenait à la légère les histoires que colportait l’autre femme derrière son dos, mais elle ne pouvait pas pour autant aller se disputer avec cette commère. Le problème, c’est qu’elle n’avait pas d’argent pour s’acheter des socquettes.
    
A force de le tourner et le retourner dans sa tête, elle eut une idée. C’était l’hiver, la Fête du Printemps était déjà passée. Son fils était au lycée, en seconde ; il avait dix-huit ans, et c’était un bon élève, raison pour laquelle, d’ailleurs, une de ses camarades de classelui avait offert un stylo à plume. Dans quelques jours, il allait passer en première. Alors cette femme appela son fils et lui dit : si tu termines le secondaire, qu’est-ce que tu vas faire après ? Dix-huit ans, c’est l’âge de gagner des points de travail (3) pour aider la famille. L’an dernier, un de tes camarades, qui n’était pas bien meilleur que toi, a arrêté ses études, il gagne maintenant des points de travail pour sa famille, et il a même annoncé ses fiançailles.
    
Comme elle avait toujours sur elle l’argent pour payer les modestes frais d’étude de son fils, risquant le tout pour le tout, elle se rendit sur la place du marché. Il y avait là le seul magasin à plus de cinq kilomètres à la ronde. Il s’appelait très exactement « Coopérative d’approvisionnement et de vente de X », mais on disait simplement « la coopérative ». Les employés y avaient tous l’air d’avoir autant de pouvoir que des cadres du Parti.
    
La femme demanda des socquettes en fibres acryliques gris foncé ; tout en les examinant soigneusement, elle pensait en elle-même : si je les achète, c’est uniquement pour en avoir une paire comme tout le monde, et seulement pour les porter de temps en temps les jours de fête.
         
Alors elle les reposa, et fit sans se presser le tour du magasin. Quand elle eut fini, elle fit encore le tour du marché. La nuit avait commencé à tomber sans qu’elle s’en fût rendu compte. Brusquement, elle réalisa que le marché était presque désert, et elle eut un vertige, des percussions lui martelaient la tête, en une cacophonie croissante --- elle pensa qu’elle devait rentrer subvenir aux besoins de la maisonnée, et s’excusa mentalement auprès de son fils, ce garçon intelligent et obéissant qu’elle avait mis au monde, elle, pourtant si pauvre et si bête. Sur ce, cette femme prit une décision soudaine : elle acheta deux livres de porc.
    
La tragédie se produisit de la façon suivante : en arrivant au village, elle s’arrêta un moment aux latrines, et, avant d’y entrer, attacha la viande à un pieu à l’extérieur ; lorsqu’elle ressortit, la viande avait disparu. Mais elle, elle était bien là. Elle entreprit alors une lourde tâche : réclamer justice pour la disparition des deux livres de porc. Délaissant et son travail et son fourneau, en oubliant presque de manger et de boire, plantée au seuil de sa maison et proférant des injures à la chaîne, elle se mit à insulter quotidiennement le voleur qui lui avait pris sa viande.
    
Les femmes du village déployèrent tous leurs efforts pour la raisonner, lui disant que tout le monde était convaincu qu’elle avait bien acheté un morceau de viande, mais que c’était peut-être un chien affamé qui l’avait volé. Alors, elle se mit à insulter leschiens ; à l’entendre, on aurait dit qu’elle insultait quelqu’un, mais c’était encore plus ordurier. Cette fois, les femmes ne tentèrent plus de lui faire entendre raison car tous les symptômes indiquaient qu’elle était malade.
    
Le fils eut plus de chance que sa mère. Après être revenu au village travailler aux champs, il devint comptable de son équipe de travail : la camarade de classe qui lui avait offert le stylo à plume était la troisième fille du secrétaire de brigade. Elle avait quelques problèmes cardiaques, était un peu asthmatique, et souffrait d’un léger strabisme, mais il l’épousa quand même. C’est ainsi que, à vingt ans passés, il devint chef d’équipe, responsable de plus de quarante foyers, soit plus de deux cents personnes.
    
Notes
(1) Le « kang » est le lit traditionnel de Chine du Nord, fait d’une base de briques chauffée l’hiver, sur lequel on étend nattes et couvertures.
(2) 1967 est la deuxième année de la Révolution culturelle (1966-76).
(3) Les points de travail étaient une unité de compte permettant de répartir la production d’une équipe, généralement en fin d’année. Cela correspondait à un salaire en nature.
       


       
二  

  我在《司马的绳子》里1这样提过:后来,大批大批“下放2”的人开始返城3。我们一家回去了,唐叔叔吃了官司4,他的老婆拖儿带小地也回去了……
       
  唐叔叔杀了那个乡下穷女人的儿子。这件事人家是这样说的:小队长和姓唐的老婆有了男女关系,女人的丈夫用一杆猎枪毙了5小队长。
       

  唐叔叔大名叫唐雨林。祖父是印尼华侨6,那杆猎枪据说就是他留下来的。唐雨林的老婆叫姚妹妹。姚妹妹上头有五个哥哥,到了她终于是个女孩子了。父母亲又喜又怨地,索性7把她叫做了姚妹妹。

       

 

  姚妹妹到了四十岁还是姚妹妹,会赌气,会俏皮,会耍赖8。圆而白的脸上,总是带着一副观察的神情,观察的目的是为了在该笑的时候奋力大笑9。结婚晚。她三十九岁的时候,女儿才九岁.女儿喜欢在小辫子上系两只蓝蝴蝶结10,偏偏她也喜欢在两根大辫子上系两个蝴蝶结,也喜欢蓝.于是她这样跟女儿商量:“囡11!蝴蝶结是大人戴的。妈给你头上扎一条宽宽的红带子。”

       

  女儿不干。女儿搬来了父亲唐雨林。唐雨林这样跟老婆商量:“乖妹妹12。你们两个人换一换,她戴蓝蝴蝶结,你扎宽宽的红带子。” 姚妹妹不干。唐雨林哄劝了13半天,口干舌燥14,伸出巴掌,恶狠狠地扇了她两大巴掌15。姚妹妹的眼泪还未曾干16,她的爹妈就互相搀扶着跌跌撞撞地17跑来了,坐在客厅里,一把眼泪一把鼻涕地诉苦18:“带大一个女儿不容易啊!生下她也不容易啊!从来不舍得19打她一下。现在倒好,送上门给人家打耳光了20。”然后,她的五个哥哥也来了。

       
  有客人上门,唐雨林总是这样介绍老婆和女儿:“这是我的大女儿,这是我的小女儿。”
       
  唐雨林、司马、我父亲,三个人是棒打不散的赌友21。这三个人在赌场上是好汉22,好汉们各有特点:司马是智者,我父亲是仁者,唐雨林是侠者23。唐雨林脾气火暴24,除了对老婆没办法,什么样的人他都不怕。有时候他会带着那杆猎枪去赌,所以赌场上的小人见了他退避三舍25,不敢赊账,更不敢做手脚26。

       
  大约从六九年“下放”那年开始,三个人约定:每年的大年初一下午聚合到一起27,豪赌一夜28,第二天上午八点分手。为了一夜豪赌;也为了老友相聚,唐雨林要顶着寒风29,骑一个半小时的车子。

       
  一个半小时是指正常的行驶时间30,不包括他在路上打猎的时间。我们记得他当时的样子:背着猎枪,满脸通红,双目发光,鬓边汗湿着31,自行车后面捆着年货32,年货里有他即兴打来的野物33。我们老远就冲着他咧开嘴巴笑34,他的口袋里还装着白果35,他教我们如何把白果埋在灶膛热灰里爆着吃36。有一次,他一本正经地37对我们说,白果爆裂的36声音特别像他放屁的声音。于是我们扔下白果,爬到他的身上,把他揍到求饶38。总而言之39,他一点也不像个杀人犯的样子。
       
  姚妹妹跟着丈夫“下放”那年恰好整四十岁。她一点也不伤感40,她认为将来会有许多变通41的方法。但是唐雨林心情沉重,这儿太穷了,太穷的地方总是像死一般寂静42,他喜欢这种毫无内容的寂静。

       
  他跟在向导43后面,不动声色地44打量路上遇到的每一个当地人,在赌场上他就经常用这种目光打量对手。他发现他走进了一个完全陌生的世界。
       
  她走着走着,就和那个穷女人的儿子碰上了45。穷女人李杨氏,她的儿子叫李东方。李杨氏疯骂了许多年,恰巧46在唐雨林一家来的这一天清醒过来47。她不知道自己能清醒多少时候,赶紧梳了头,洗个澡,穿上鞋子,急急忙忙地跳河了。

       
  她跳河的地方忽然热闹起来,许多人朝河边跑过去,又围着河嚷嚷48:“死了死了。没用了。”向导扔下49唐雨林一家过去看热闹,一会儿过来说:“死的是小队长的老娘。丢掉了二斤猪肉,就疯了。听说今天醒了,梳个头,洗个澡,穿上鞋子,就投河了,洗什么澡? 多此一举50,反 正51要投河嘛。”

       
  于是唐雨林看见了李东方,李东方就看见了唐雨林的那杆猎枪。他一愣52,眼里露出惘然的53神情,一时竟无话可说,他从来没有见过真正的猎枪,这杆猎枪看上去与本地民兵训练53时用的“三八”式步枪54有很大的不同,它很华丽,带着城市里陌生的富足的气息55。它有些咄咄逼人56,他不知道对它说些什么。
       
Personnages :
唐叔叔 Táng Shūshu : l’oncle Tang, Tang Yulin
姚妹妹 Yáo Mèimèi : (petite) sœur Yao, son épouse
李杨氏 Lǐ Yángshì : la villageoise pauvre
李东方 Lǐ Dōngfāng : son fils
       
01 《司马的绳子》Sīmǎde shéngzi (la corde de Sima) : autre nouvelle de Ye Mi, publiée en 2002.
02 下放 xiàfàng transférer à un échelon inférieur, rétrograder, renvoyer « à la base »
03 返城 fǎnchéng revenir à la ville (pour les jeunes qui avaient été « envoyés à la campagne »
pendant la Révolution culturelle)
04 吃官司 chīguānsi être traîné au tribunal
05 一杆猎枪 yìgān lièqiāng un fusil de chasse 毙 bì tuer (d’un coup de fusil), exécuter
06 祖父 zǔfù grand-père (paternel) 印尼 Yìnní Indonésie 华侨 huáqiáo Chinois d’outre-mer
07索性 suǒxìng tout simplement
08 赌气 dǔqì bouder, faire la tête 俏皮 qiàopí élégant, coquet 耍赖 shuǎlài mal se comporter
09 奋力大笑 fènlìdàxiào partir d’un grand rire, rire à gorge déployée
10 蝴蝶结 húdiéjié nœud papillon 系 jì attacher = 扎 zā
11囡 nān enfant (dialecte)
12 乖 guāi sage (enfant) /éveillé, astucieux
13 哄劝 hǒngquàn tenter de convaincre, encourager à (en cajolant, etc..)
14口干舌燥 kǒugānshèzào avoir la bouche et la gorge sèches
15 伸出巴掌 shénchū bāzhang envoyer une gifle 扇 shān ici : gifler 恶狠狠 éhěnhěn féroce
16 未曾 wèicéng pas encore
17 搀扶 chānfú soutenir (par le bras) 跌跌撞撞 diēdiēzhuàngzhuàng tituber, chanceler
18 诉苦 sùkǔ se plaindre de (litt. exprimer son amertume)
19 不舍得 búshěde hésiter à, ne pas avoir le cœur à (=舍不得)
20 打耳光 dǎ ěrguāng flanquer une gifle
21 棒打不散 bàngdǎbúsàn inséparables (amis) 赌友 dǔyǒu amis, compagnons de jeu
22 好汉 hǎohàn un héros, un brave
23 智者 zhìzhě sage 仁者 rénzhě plein d’humanité, de bonté 侠者xiázhě plein d’esprit chevaleresque
24 脾气火暴 píqìhuǒbào caractère explosif, colérique
25 退避三舍 tuìbbìsānshè reculer pour ne pas affronter un adversaire
26 赊账 shēzhàng avoir des dettes 手脚 shǒujiǎo ruse, subterfuge
27 大年初一 dàniánchūyī le premier jour de l’année (lunaire) 聚合 jùhé se réunir (到一起)
28豪赌一夜 háodǔyíyè passer toute la nuit à jouer
29 顶寒风 dǐng hánfēng braver un vent glacial
30 行驶时间 xíngshǐ shíjiān temps de parcours
31 鬓 bìn tempe 湿 shī humide
32 捆 kǔn attacher 年货 niánhuò achats du Nouvel An
33 即兴 jíxìng impromptu, improvisé 野物 yěwù gibier
34 咧开嘴巴笑 liěkāizuǐba xiào avoir un large sourire
35 白果 báiguǒ gingko (ou 银杏 yínxìng abricot d’argent, symbole de prospérité)
36 灶膛 zàotáng intérieur de la cuisinière, du foyer
爆 bào faire griller (comme du pop corn) 爆裂 bàoliè éclater
37 一本正经 yíběnzhéngjìng très sérieux, solennel
38 揍到求饶 zòudàoqiúráo frapper quelqu’un jusqu’à ce qu’il demande pardon, implore grâce
39总而言之 zǒng’éryánzhī bref, en un mot
40 伤感 shānggǎn mélancolique/sentimental
41 变通 biàntōng s’adapter, être flexible
42 寂静 jìjìng paisible, calme
43 向导 xiàngdǎo guide
44 不动声色 búdòngshēngsè rester calme, serein
45 和.. 碰上 hé… pèngshàng tomber sur, se heurter à
46恰巧 qiàqiǎo par hasard
47 清醒 qīngxǐng retrouver ses esprits, sa raison
48 嚷嚷 rāngrang crier, hurler
49 扔下 rēngxià laisser tomber, abandonner
50多此一举 duōcǐyíjǔ faire une action inutile
51反正 fǎnzhèng de toute façon
52 愣 lèng rester stupéfait, ébahi
53 惘然 wǎngrán frustré, déçu
54 本地民兵 běndì mínbīng milice locale 训练 xùnliàn exercices, entraînement
55三八式 sānbā shì fusil « 38 » (fusil japonais, fabriqué dans la 38ème année de l’ère Showa)
56 富足 fùzú abondant, riche 气息 qìxī saveur, senteur /signe
57咄咄逼人 duōduōbīrén agressif, menaçant
       
Traduction
II

    
Dans ma nouvelle « La corde de Sima », j’ai raconté comment, par la suite (4), une foule de gens qui avaient été « envoyés à la campagne » ont commencé à revenir en ville. Notre famille fut du nombre, et, après le procès de l’oncle Tang, sa femme revint en traînant ses enfants derrière elle…..
    
L’oncle Tang avait tué le fils de cette villageoise pauvre. On raconte que cela s’est passé ainsi : le chef d’équipe et la femme du dénommé Tang ont eu une affaire, le mari de cette femme a tué le chef d’équipe d’un coup de fusil de chasse.
    
L’once Tang s’appelait Tang Yulin. Son grand-père paternel était un expatrié chinois en Indonésie ; d’après ce que l’on dit, le fusil de chasse faisait partie de son héritage. Quant à la femme de Tang Yulin, elle s’appelait Yao Meimei ; à sa naissance, elle avait déjà cinq frères, elle était la seule fille dans la famille. Ses parents, à la fois ravis et furieux, l’ont simplement appelée Meimei [c’est-à-dire petite sœur].
    
A près de quarante ans, elle s’appelait encore ainsi ; elle pouvait se montrer tour à tour boudeuse, coquette ou indisciplinée. Son visage rond et blanc avait toujours une expression réfléchie ; cette attitude d’observation perpétuelle avait pour but de ne pas laisser passer une occasion de rire à gorge déployée. Elle s’était mariée tard. Elle avait maintenant trente-neuf ans et sa fille seulement neuf ; l’enfant aimait attacher des nœuds papillon bleusau bout de ses courtes nattes, or sa mère aimait faire de même, et aimait aussi le bleu. Alors elle proposa à sa fille : « ma chérie, les nœuds papillon sont pour les adultes, maman va te nouer un large ruban rouge sur la tête. »
    
La fillette s’entêta et fit venirson père, qui tenta de raisonner sa femme : « Vous n’avez qu’à changer, laisse lui porter des nœuds papillon bleuset toi, prends le ruban rouge. » Mais Yao Meimei n’était pas d’accord. Après s’être égosillé en vain un long moment, Tang Yulin exaspéré finit par lui envoyer deux énormes claques. Sur quoi Yao Meimeifondit en larmes et, comme elle ne se calmait pas, ses parents accoururent, en claudiquant et se soutenant tant bien que mal, s’assirent dans le salon, et se mirent à geindre tout en pleurnichant et se mouchant : « Ah, élever une fille, ce n’est pas facile ! La mettre au monde, non plus ! On hésite toujours à la corriger. Et maintenant, voilà, on la confie à quelqu’un, et il lui envoie des gifles. » Ensuite, ses cinq frères débarquèrent eux aussi.
    
Quand il avait des invités, Tang Yulin présentait toujours son épouse et sa fille en disant : « Voilà ma grande fille, et voilà ma petite fille. »
    
Tang Yulin, Sima et mon père étaient des compagnons de jeu inséparables. Ces trois personnages étaient des héros de salle de jeu, et chacun d’entre eux avait sa propre particularité : Sima était le héros plein de sagesse, mon père était le héros au grand cœur, et Tang Yulin était le héros chevaleresque. Il avait un caractère irascible, était intraitable, sauf dans ses rapports avec sa femme, et ne craignait personne. Parfois, il venait jouer avec son fusil de chasse, si bien que, lorsque les petits joueurs dans la salle le voyaient arriver, ils évitaient de le provoquer, n’osant pas ne pas payer leur dû et encore moins tenter de tricher.
    
Vers 1969, lorsque commença le mouvement de « renvoi à la base » (5), les trois compères se promirent, dans les années à venir, de se réunir chaque année l’après-midi du Nouvel An chinois, de jouer toute la nuit, et de se séparer le matin suivant à huit heures. Pour aller retrouver ses copains, et jouer la nuit entière, Tang Yulin devait faire une heure et demiede bicyclette en bravant une bise glaciale.
    
Une heure et demieétait une duréede parcours normal, maissans compter les temps de pause pour chasser en chemin. Il avait alors une allure inoubliable : le fusil en bandoulière, le visage rougi, les yeux brillants, la sueur lui dégoulinant sur les tempes, les paquets du Nouvel An attachés derrière la bicyclette, et, parmi eux, le gibier tué de façon impromptue. Lorsque nous le voyions arriver de très loin, nous arborions aussitôt un sourire épanoui ; il avait des graines de gingko (6) dans les poches, il nous apprenait à les enfouir dans la cendre chaude du foyer pour les faire griller, et nous les mangions une fois éclatées. Une fois, il nous dit le plus sérieusement du monde que le bruit que faisaient les graines en éclatant ressemblait tout à fait à celui qu’il faisait en pétant. Nous avons alors jeté les graines de gingko, nous sommes rués sur lui et l’avons rossé jusqu’à ce qu’il demande pardon.
    
Bref, il ne ressemblait en rien à un assassin.
    
L’année où Yao Meimei suivit son époux quand il fut « envoyé à la campagne » était justement l’année de ses quarante ans. Elle n’en était absolument pas attristée, maiselle pensait qu’elle aurait à l’avenir à faire pas mal d’efforts d’adaptation. Tang Yulin, lui, était d’humeur grave, l’endroit était trop pauvre, ce genre d’endroit semblait toujours d’un calme mortifère, mais il aimait ce calme qui donnait un sentiment de vide.
    
Il suivait son guide, observant avec sérénité les gens du coin rencontrés au hasard du chemin, du même genre de regard que celui avec lequel il jaugeait souvent son adversaire quand il jouait. Il réalisait qu’il était entré dans un monde qui lui était totalement étranger.
    
Quant à elle, de fil en aiguille, elle tomba sur le fils de la femme pauvre. La femme pauvres’appelait Li Yangshi, et son fils s’appelaitLi Dongfang. Après avoir, dans sa folie, passé son temps à injurier les gens pendant de nombreuses années, le jour même où Tang Yulin arriva au village avec sa famille, elle recouvra ses esprits. Ne sachant pas combien de temps elle allait pouvoir rester saine d’esprit, elle se dépêcha de se peigner, de se laver, et de mettre ses chaussures, et courut se jeter dans la rivière.
    
L’endroit où elle s’était jetée à l’eau devint soudain très animé, une foule de gens accourut, et tous se mirent à crier à qui mieux mieux : « Elle est morte, elle est morte, il n’y a rien à faire. » Laissant là Tang Yulin et sa famille, leur guide alla voir ce qui se passait, et revint un moment plus tard en disant : « C’est la mère du chef d’équipe qui est morte. Elle avait perdu deux livres de porc, ça l’a rendue folle. J’ai entendu dire que, aujourd’hui, elle était bien ; elle s’est peignée, s’est lavée, a mis ses chaussures, et est allée se jeter dans la rivière. Pourquoi s’est-elle lavée ? Puisque, de toute façon, elle voulait se jeter à l’eau, ça ne servait pas à grand-chose. »
    
C’est dans ces circonstances que Tang Yulin vit Li Dongfang, et que Li Dongfang, lui, vit son fusil. Il en resta muet de stupéfaction, et dans ses yeux passa une expression de frustration ; il n’avait jamais vu de véritable fusil, celui-là n’avait rien à voir avec les vieux fusils japonais que la milice locale utilisait pour son entraînement ; c’était quelque chose de superbe, l’image d’une richesse inconnue, qui n’existait qu’en ville, mais aussi légèrement menaçant, il ne savait trop qu’en dire.
    
Notes
(4) Sous-entendu : après la fin de la Révolution culturelle.
(5) Le mouvement d’envoi des jeunes intellectuels à la campagne a été lancé officiellement le 22 décembre 1968, par une déclaration de Mao publiée dans le Quotidien du Peuple (《人民日报》).
(6) Fruits, ou plutôt graines, d’un arbre considéré comme un fossile vivant, symboles de prospérité.
       


       

  李东方黑而瘦,裤管和袖管看上去空荡荡的1,没有屁股,肩膀宽宽的,因而整个人像个T字形状2,硬而且冷,设着一道防线3。但是他的神情却是不设防的,他细长的眼睛里流露出对什么都认真的样子——什么都认真,却什么都不准备问的样子。眼梢略略上扬4,眼眸晶亮5,令人 想起某种驯顺6的食草动物。另外,他经常随着外部情况而变换表情,这个习惯使他像一个没有多少心思的孩子。    

       
  这是唐雨林一家和李东方初次见面的情景。说实话,唐雨林有点看不起这个顶头上司7,但是他知道不能流露出这样的感受。唐雨林阅人多多8,唐雨林百战百胜9,唐雨林从不伤害好人。
  但是姚妹妹在伤害人了。姚妹妹皱起了鼻子10,说:“有问题吧?我妈总说他们是有问题的。你看看,二斤……二斤……又不是二百斤。”

       
  她的女儿问:“二斤?二斤是多少啊?”  

       
  姚妹妹说:“二斤嘛,比一斤多一斤。”

       

  她突然大笑。二斤,比一斤多一斤,这样的回答确实让人想起来觉得好笑。这样,唐雨林就不得不板起了脸11,说:“姚妹妹,人家悲伤的时候,不要这么大笑。让人家听见了不好。我们下乡来接受人家再教育的。”
       

  冬天,做什么样的事最美呢? 吃饱了饭,穿得很暖和,坐在无风的太阳底下,吃姚妹妹炒的葵花子12,喝从苏州带来的五窨碧螺春茶13,听女儿唱简简单单的儿歌。唐雨林几乎适应了改变生活后的巨大落差14,但是他知道这样悠闲着15会有一些麻烦。李东方上工的时候,经常绕着路16走过唐雨林的家门口,不吭声17,不回头,给唐雨林看一个僵硬的后背18。他是小队长,唐雨林知道会有一些麻烦,他必须跟这位李东方达成某种协议19。李东方的娘下葬那天,唐雨林也去吊唁20。

 

       
  他扛着21那把猎枪,大刀金马地22朝桌子旁边一坐,人群哄然一声23朝后退避,像潮水一样,留下了搁浅的24李东方。李东方和唐雨林在空无人处面面相觑25,中间搁着那把猎枪,都有些慌张26。突然,两个人不约而同地27给了对方一个微笑,笑的含义是各不相同的,突如其来的尴尬境地28让他们有了第一次和善的交流。
       
  唐雨林这一天收获颇丰29:李东方一个半生不熟的然而友善的微笑30,一只野兔子,一只五彩斑斓的野鸡31。他把猎物扔到姚妹妹脚下,说:“去!用盐腌了32,挂在风口上吹着。改天33请李队长来吃饭。”

       
  李队长来吃饭的情景值得一说。他穿上了新褂子和干净的解放鞋34,两只手背在身后,耷拉着脑壳35,扛着一对瘦而笔直的肩膀,来到唐家大门口。他小心地叫了一声:“老唐。”

       
  老唐和妻女都在灶房里忙活,没有听见。他站在那儿缓慢地36转动着脑袋,认真地四下里37看了几眼,不知为什么突然一惊,迅速地几步跳到了屋后。过了一会儿,他看上去轻松了38,浑身从脖子那儿开始松弛38,松弛的结果是,他慢悠悠地36蹲下了,眼睛看着河边几根没有收割的芦苇39。

       
  唐雨林和姚妹妹轮流到大门口去张望40,已经过了吃午饭的时间,唐雨林心中焦躁41。姚妹妹说:“不会掉到河里去了吧?”唐雨林刚想责备她几句,就听得女儿惊喜地大叫:“找到了。” ——她在屋后找到李队长了,并且拖着他的袖子不放。唐雨林跟着姚妹妹笑起来。

       
  趁着吃饭42,唐雨林和李东方达成协议:他可以暂时不出工,替李东方管教队里的几个痞子43。那几个痞子老在集市上转悠,喝酒赌钱,扰乱地方治安44。
       
  这顿饭,姚妹妹喝的酒比他们两个人加起来的还多。酒至酣处45,她撇开丈夫跟李东方发牢骚46:“说什么我也要离开你们这个地方。我是很认真的一个人,我说的话都是真话。我为什么说真话,因为我是家里的老小,父母哥哥都宠我,所以我胆子大,不怕得罪人47。我这个人天生有福,从来没有吃过亏48。你是农民阶级,我是工人阶级。哪,农民阶级和工人阶级都应该说真话。我要得罪人了,你们这个地方真是野猫不拉屎的地方,什么东西都没有。我保证你没见过小笼汤包和虾仁烧卖。50”

       
  李东方神往地问51:“虾仁烧卖是什么?”

       
  唐雨林从来就管不住姚妹妹。他站起来对好脾气的李队长说:“她这种言论,该枪毙。交给你好好教育,我要溜之大吉了51。”

       
  唐雨林提着枪出去了一阵52。傍晚,他一无所获地53回到家。姚妹妹在房间里睡觉,圆脸上睡得一团粉红。厨房里,李东方还呆呆地54坐在那里,看见唐雨林走进来,脸上什么表示也没有,站起来就走了。唐雨林走到屋子外面,问踢毽子55的女儿:“你妈下午怎么了?”
女儿说:“下午没怎么。”
       
01 裤管/袖管 kùguǎn/xiùguǎn jambe de pantalon/manche 空荡荡 kōngdàngdàng vide
02 T字形状 Tzì xíngzhuàng en forme de T
03 设一道防线 shè yídào fángxiàn établir une ligne de défense 设防 shèfáng fortifier
04 眼梢 yǎnshāo coin de l’œil 略略上扬 lüèlüè shàngyáng remonter légèrement
05 眼眸晶亮 yǎnmóu jīngliàng les pupilles brillantes
06 驯顺 xùnshùn docile, apprivoisé
07 顶头上司 dǐngtóushàngi supérieur (hiérarchique) direct
08 阅 yuè lire/étudier, observer, passer en revue
09 百战百胜 bǎizhànbǎishèng livrer cent batailles, être cent fois victorieux : être toujours vainqueur
10 皱(起) zhòu(qǐ) froncer (眉头sourcils), pincer (鼻子nez)..
11 不得不 bùdébù ne pouvoir s’empêcher de 板脸 bǎnliǎn montrer un visage sévère
12 葵花子 kuíhuāzǐ graines de tournesol
13 碧螺春茶 bìluóchūnchá sorte de thé vert dont les feuilles sont en forme de spirale (螺 luó)
窨 xūn mélanger les feuilles de thé avec du jasmin pour lui en donner l’arôme (五窨 qualité supérieure)
14 适应 shèyìng s’adapter à 落差 luòchā chute, détérioration
15 悠闲 yōuxián être désoeuvré, oisif
16 绕路 ràolù faire un détour
17 不吭声 bùkēngshēng ne pas dire un mot
18 僵硬 jiānyìng raide
19 达成 协议 dáchéng xiéyì arriver à un accord, une entente
20 下葬 xiàzàng enterrer 吊唁 diàoyán présenter ses condoléances
21 扛 káng porter sur l’épaule
22 大刀金马 dàdāo jīnmǎ avoir fière allure, l’air impressionnant comme un chevalier « au cheval d’or »
23 哄然 一声 hōngrányìshēng dans un grand tumulte
24 搁浅的 gēqiǎn échoué (bateau) 搁 gē être posé (浅 à un endroit peu profond)
25 面面相觑 miànmiànxiāngqù être face à face et se regarder fixement, sans rien dire
26 慌张 huāngzhāng confus, précipité
27 不约而同地 búyuē’értóngde faire la même chose au même moment sans s’être mis d’accord (coïncidence)
28 突如其来 tūrúqílái apparaître soudain 尴尬境地 gānggà jìngdì situation embarrassante
29 收获颇丰 shōuhuò pōfēng avoir une récolte assez abondante
30 半生不熟 bànshēngbùshú à moitié mûr 然而友善 rán’ér yǒushàn bien qu’amical (même si…)
31 五彩斑斓 wúcǎibānlán multicolore 野鸡 yějī faisan
32 盐腌 yányān saler (conserver dans du sel)
33改天 gǎitiān dans, d’ici quelques jours
34 褂子 guàzi veste
解放鞋 jiěfàngxié chaussures de l’armée de libération (en toile verte, à lacets et semelles de caoutchouc) :
http://www.core77.com/blog/images/ospop.jpg
35 耷拉 dāla baisser 脑壳 nǎoké tête, crâne (voir plus bas 脑袋 nǎodài)
36 缓慢 huǎnmàn lent 慢悠悠地 mànyōuyōude tout doucement
37 四下里 sìxiàlǐ de tous côtés
38 看上去 kànshàngqù apparemment, semble-t-il 轻松 qīngsōng/松弛 sōngchí se détendre
39 收割 shōugē faucher, récolter 芦苇 lúwěi roseaux
40 张望 zhāngwàng regarder de tous côtés
41 焦躁 jiāozào anxieux, nerveux
42 趁 chèn profiter de (occasion..)
43 痞子 pǐzi mauvais élément, voyou
44 扰乱 rǎoluàn déranger, troubler 治安 zhì’ān l’ordre public
45酒至酣处 jiǔzhì hānchù complètement ivre (l’expression usuelle est : 酒至半酣 passablement ivre)
46 撇开 piēkāi laisser de côté 发牢骚 fāláosāo se plaindre de, étaler ses griefs…
47 胆子 dǎnzi courage 得罪 dézuì offenser
48 吃亏 chīkuī souffrir de privations
49 小笼汤包 xiǎolóngtāngbāo petits pâtés de viande cuits à la vapeur (spécialité de Shanghai)
虾仁烧卖 xiārénshāomai beignets de crevettes (虾仁crevettes décortiquées)
50 神往 shénwǎng captivé, sous le charme
51 溜之大吉 liūzhīdàjí s’esquiver
52 一阵 yízhèn un bon moment, pendant longtemps
53 一无所获地 yìwúsuǒhuòde les mains vides
54 呆呆 地 dāidāide l’air hébété
55 踢毽子 tījiànzi jouer au volant
       
Traduction
III

    

La peau sombre, Li Dongfang était si maigre qu’on avait l’impression que ses manches et ses jambes de pantalon étaient vides ; comme il n’avait pas de fesses, ses larges épaules lui donnaient une étonnante silhouette en forme de T, toute raide, comme une ligne de défense. Son regard, en revanche, n’était pas sur la défensive, ses yeux, longs et minces, avaient une expression de profond sérieux --- reflétant une attitude consciencieuse envers toute chose, mais, en même temps, pas du genre à poser des questions. Ses yeux aux pupilles brillantes, qui remontaient légèrement du côté des tempes, faisaient penser à quelque herbivore docile. En outre, il changeait couramment d’expression au gré des circonstances extérieures, donnant l’impression d’un enfant peu réfléchi.
    
Ce fut donc dans ces circonstances que Tang Yulin et consort rencontrèrent Li Dongfang pour la première fois. A dire vrai, Tang Yulin ressentit un peu de mépris à l’égard de ce supérieur hiérarchique, mais il savait qu’il ne pouvait laisser paraître ce genre de sentiment. Tang Yulin avait une grande expérience des hommes et savait se rendre maître de toutes les situations, jamais il n’aurait inutilement blessé quelqu’un.
    
Mais Yao Meimei, elle, s’y entendait à blesser les gens. Elle dit en pinçant le nez : « Où est le problème ? Maman a toujours dit que ces gens-là faisaient des histoires pour rien. Vois toi-même, deux livres… deux livres… ce n’est quand même pas deux cents livres. »
Sa fille lui demanda : « Deux livres ? C’est combien, deux livres ? »
Yao Meimeiluirépondit : « Deux livres, c’est une livre plus une. »
    
Elle éclata brusquement de rire. Deux livres, c’est une livre plus une, ce genre de réponse était vraiment à mourir de rire. Tang Yulin, cependant, resta de glace et lui dit gravement : «Yao Meimei, lorsque les gens ont eu un malheur, il n’y a pas de quoi rire. C’est blessant pour eux. Si nous avons été envoyés ici, c’est pour nous faire rééduquer par les gens. »
    
L’hiver, qu’y avait-il de mieux à faire pour passer le temps ?
Manger tout son content, chaudement vêtu, s’asseoir au soleil les jours sans vent et manger des graines de tournesol grillées préparées par Yao Meimei, en buvant le meilleur thé vert apporté de Suzhou et en écoutant sa fille chanter des chansons enfantines toutes simples. Tang Yulin s’était à peu près adapté à la baisse de niveau considérable de son existence, mais il savait qu’une vie oisive de ce genre pourrait poser des problèmes. Lorsque Li Dongfang allait travailler, il faisait fréquemment un détour pour passer devant la porte de Tang Yulin, mais sans rien dire, sans même tourner la tête, lui offrant la seule vue de son dos raide. Il était le chef d’équipe, Tang Yulin savait que cela pouvait être une source d’ennuis, il lui fallait donc s’entendre avec lui. Le jour de l’enterrement de sa mère, Tang Yulin alla lui présenter ses condoléances.
    
Il arriva son fusil de chasse à l’épaule et, tel un chevalier de légende, alla s’asseoir à la table, la foule des présents refluant dans un bruit sourd, comme les flots à marée descendante, laissant Li Dongfang échoué devant eux. Tout cela s’était passé très vite, et Tang Yulin et Li Dongfang se retrouvèrent face à face dans l’espace laissé libre, le fusil posé entre eux. Soudain, sans s’être donné le mot, chacun des deux hommes adressa un sourire à l’autre, avec chacun sa signification propre ; la gêne brusquement ressentie, étonnamment, fut ce qui induisit leur premier échange cordial.
    
Tang Yulin, ce jour-là, récolta un abondant butin : un sourire hésitant mais amical de Li Dongfang, un lièvre et un faisan au plumage multicolore. Il jeta le gibier aux pieds de Yao Meimei en lui disant : « Allez, sale-les et suspends-les dans un endroit en plein vent. Dans quelques jours, on va inviter Li Dongfang à venir déjeuner. »
    
La scène de Li Dongfang arrivant déjeuner vaut la peine d’être contée. Il avait mis une veste neuve et des chaussures de l’armée de libération toutes propres (7). Les mains derrière le dos, la tête baissée, ses épaules maigres très droites, il arriva devant la porte d’entrée de la maison des Tang et appela timidement : « Tang ! »
    
Tang, son épouse et sa fille, occupés dans la cuisine, ne l’entendirent pas. Debout devant la porte, tournant lentement la tête de côté et d’autre, Li Dongfang jeta sérieusement quelques coups d’œil alentour, puis, sans savoir pourquoi il avait soudain si peur, il se précipita en courant derrière la maison. Au bout d’un moment, il sembla se relaxer, une vague de détente partit de son cou pour gagner tout son corps ; résultat : il s’accroupit tout doucement, les yeux fixés sur les quelques roseaux, au bordde la rivière, qui n’avaient pas encore été coupés.
    
Tang Yulin et Yao Meimei allèrent tour à tour à la porte jeter un coup d’œil, l’heure du déjeuner était déjà passée, Tang Yulin se sentait nerveux ; Yao Meimei lui dit : « Il ne se serait pas jeté à l’eau, par hasard ? »Tang Yulin ouvrait la bouche pour lui reprocher ces paroles,lorsqu’il entendit le cri d’heureuse surprise de sa fille : « Je l’ai trouvé ! » -- elle avait trouvé Li Dongfang derrière la maison, et l’amenait en le tirant par la manche. Tang Yulin partit avec Yao Meimeid’un immense éclat de rire.
    
Le déjeuner fut l’occasion pour Tang Yulin de parvenir à un accord avec Li Dongfang : il pourrait provisoirement être exempté de travail, si, à la place, il aidaitLi Dongfang, au sein de l’équipe éducative, à venir à bout de quelques mauvais éléments qui arpentaient le marché, buvaient, jouaient, et troublaient l’ordre public local.
    
Pendant le repas, Yao Meimei but bien plus que les deux autres. Complètement ivre, elle se rapprocha de Li Dongfang pour se plaindre : « Si tu veux savoir, je veux m’en aller d’ici. Je suis une personne très sérieuse, je ne dis que la vérité, et la raison, c’est que tout le monde dans la famille m’a gâtée, mes parents comme mes frères, alors cela m’a donné beaucoup d’assurance, je n’ai pas peur de choquer. Moi, je viens d’un milieu aisé, je n’ai jamais souffert de privations. Toi, tu es de la classe paysanne, moi de la classe ouvrière. Or la classe paysanne et la classe ouvrière doivent être sincères. Alors je vais te choquer, mais votre coin, ici, est vraiment un trou paumé de merde, il n’y a rien, je suis prête à parier que tu n’as jamais vu de petits pains farcis à la vapeur comme on en fait à Shanghai, ni de beignets de crevettes. Captivé, Li Dongfang demanda : « Des beignets de crevettes, c’est comment ? »
    
Tang Yulin n’avait jamais réussi à contrôler Yao Meimei; il se leva et dit au chef d’équipe qui était de très bonne humeur : « Quand elle part dans ce genre de baratin, il faudrait la flinguer. Je te laisse faire sa rééducation, il faut que je file. »
    
Prenant son fusil, Tang Yulin sortit en coup de vent. Il revint vers le soir les mains vides. Yao Meimei dormait dans la chambre, son visage rond rosi par le sommeil. Li Dongfang était encore assis dans la cuisine, l’air hébété. Quand il vit entrer Tang Yulin, son visage resta totalement inexpressive ; il se leva et s’en alla. Tang Yulin sortit demander à sa fille qui jouait dehors au volant: « Ta mère, elle a fait quoi, cet après-midi ? » - « Rien de spécial », dit l’enfant.
    
Note
(7) Voir vocabulaire III,34
       


       

  唐雨林、司马、我父亲,三人中,我父亲是仁者,司马是智者,唐雨林是侠客1。这三种人,只有侠客具有这样的两面性2:既有3令人生畏的铁石心肠4,又有3无处不在的悲天悯人5。

       
  唐雨林遵照6与李东方订下的协议,每日到集市上去转悠。那几个泼皮确实难缠7,但唐雨林是何等样人8,连吓带骗,没几天就把这帮泼皮收服了9,令他们不再扰乱百姓10。他也确实向他们动过武11,那是他实在生气不过,把猎枪搁在一边,捋下几根柳条12,狠狠地揍他们的屁股,把他们揍得四下里逃窜13。后来,他就给他们表演枪法,谈城里的见闻和吃穿用度14,给他们做红烧野鸭煲15西瓜野鸡盅什么的。

       
  如此不出半年,他就是几个泼皮家的常客了。他们在一起有许多事情可做,譬如打猎、赌博16、空谈。他们都觉得相识是缘分17。

       
  唐雨林对泼皮们说:“有时候,我是你们的朋友……”泼皮们响应:“朋友啊!”

       

  唐雨林又说:“有时候,我是你们爹。”泼皮们再次响应:“老爹啊!”

       

 

  这种富有层次18的关系肯定给唐雨林带来了莫大的愉悦19,不然的话20,他为什么经常在外面不回家呢 ?不想姚妹妹炒的葵花子,也不想苏州带来的五窨碧螺春茶。

  
  这就冷落了21姚妹妹。

  
     姚妹妹确实是在这时候与李东方好上了,一件看上去极不可能发生的事发生了,一件非理性22的事件,一件考验人类智商23的事件,一件不是第一次发生也不会是最后一次发生的事件。每当这样的事发生后,

我们冥思苦想24,智商受到极大挑战。我们只能这样猜度25:这是不正常的事情。
       

  初夏的一天,唐雨林如往常一样,扛着枪到他一个小泼皮家里去。坐在人家屋外的苦楝树26下,喝酒猜拳27,热闹到半夜,他觉得露水渐重,就对泼皮们说:“散了散了吧28。”泼皮们上来按住他说:“老爹不是说今晚要住这里吗 ?”唐雨林诧异道29:“我什么时候说了?” 泼皮们 一齐回应:“说了。”唐雨林一头迷雾30,抓耳挠腮地31想了片刻,站起来果断地32说:“没说。回去。”他说走就走。

       
  泼皮们跟在他后面,不住嘴地劝:“住吧住吧,老爹!再睡一刻天就亮了,不在乎这一时半刻地33赶回去。”唐雨林不理睬他们34,他心里一个劲地想赶回去。他突然发现,这世界太空旷了35,令人想起一些让人不安的物事。

       
  他大步流星地36走了片刻,觉得身后有异样。回头一看,泼皮们全都跟着他,默默地,像一群鬼魅37,难怪38他听不到声音。他生气了,把枪从肩膀上卸下来39,举起枪柄作势40要打过去。这一次,没有发生他预想中的逃窜场面,泼皮们不动。

       
  那,我们就不送老爹了。老爹你留神脚下41,慢慢走。不管有什么事,老爹你明天一定要过来喝酒。

       
  雾渐渐地深了,漫过了路面,淹没了42唐雨林的脚,四周围全是湿淋淋的麦田43。湿透的麦苗在深夜里也醒着,发出异样的香味。有一点风吹过来,卷不动浓重的雾,却把唐雨林的脸吹得冰凉。到了家。

       
  家是三间草房,冬暖夏凉。西边是吃饭的地方,女儿的小床安在中间,他和姚妹妹的大床在东边,那是他的天堂。天堂里有了陌生的声音,这就是泼皮们送了他一程又一程的原因44。

       
  唐雨林愣(二52)在窗口。

       
  他听到两句话。第一句话是姚妹妹说的:“我家老唐说我的皮肤像天鹅绒。”第二句话是李东方先生说的:“我要做你用的草纸45。”

       
  唐雨林把枪倚在窗子下面,走到邻居的屋后,那里有一座隔年的46麦草堆,他就坐下来,偎47在草上。他有些后悔48回来了,按照惯例49,过了半夜,他就住在别人家里了。

       
  一觉睡到大天亮,唐雨林拖着沉重的脚步走回去。姚妹妹在厨房里烧粥50。唐雨林走近她坐下。枪就靠在墙壁上。唐雨林对姚妹妹说:“你过来。”姚妹妹看了他一眼,坚决地说51:“不。”唐雨林再次命令:“过来!”姚妹妹再次拒绝“不。”  于是唐雨林问:“是不是你比我有道理?”姚妹妹看都不看他一眼,说:“我要把粥烧好。”

       
  唐雨林无可奈何地说52:“好吧,等你把粥烧好,我就狠狠地揍你一顿。”姚妹妹说:“你揍!” 过了一会儿,姚妹妹把粥烧好了。她拿了酱菜53和筷子放在唐雨林的面前,盛了满满的一碗烫粥端过来了54,到了唐雨林面前,她跪下了55。认真地跪着,把粥放到他的桌子上,然后把脸伸过来,说:“你打吧。打了,大家就好过了。”

       
  唐雨林想,我要上了这样的女人,就得为她放弃正常生活的愿望。美貌的女人56会害死男人,头脑简单的女人也会害死男人。这个头脑简单的女人会害死两个男人的。他伸手摸摸姚妹妹散乱的头发57,心情沉重地告诉她:“你这是送人家死啊!”

       
  侠者唐雨林一手拉起姚妹妹,把她拉到自己的腿上坐下,一手端起粥碗,“呼噜呼噜”地57一气喝完。然后,一手推开粥碗,一手推开姚妹妹,提了猎枪就走了。

       
01 侠客 xiákè chevalier (voir二23)
02 两面性 liǎngmiànxìng double nature, caractère ambivalent
03 既有.. 又有 jì yǒu…yu yǒu d’une part… d’autre part
04 生畏 shēngwèi  être terrifié 铁石心肠 tiěshíxīncháng être impitoyable, sans pitié
05 无处不在 wúchùbúzài omniprésent, universel
悲天悯人 bēitiānmǐnrén se lamenter sur le sort de l’univers et le destin de l’humanité
06 遵照 zūnzhào agir conformément à
07 泼皮 pōpí voyou (= 痞子 : 三43) 难缠 nánchán difficile à gérer, à contrôler
08 何等样人 héděng yàngrén le genre de personne (à)
09 收服 shōufú soumettre, subjuguer
10 扰乱百姓 rǎoluàn bǎixìng troubler, perturber la vie, les activités des gens
11 动武 dòngwǔ user de la force
12 捋(下) luō(xià) ici : effeuiller (一根柳条 yìgēn liútiáo une baguette de saule)
13 逃窜 táocuàn s’enfuir en désordre (四下里 dans toutes les directions)
14 用度 yòngdù dépenses
15 煲 bāo faire mijoter ou bouillir dans une grande casserole
16赌博 dǔbó jouer, parier
17 缘分 yuánfèn heureux coup du sort, coup de chance
18 富有层次 fùyǒucèngcì à de multiples niveaux
19 莫大的愉悦 mòdàde yúyuè un immense plaisir
20不然的话 bùrándehuà autrement, sinon
21 冷落 lěngluò laisser seul, isolé – négliger
22 非理性 fēilǐxìng de nature irrationnelle
23 考验 kǎoyàn tester, mettre à l’épreuve 智商 zhìshāng QI
24 冥思苦想 míngsīkǔxiǎng se plonger dans de profondes et obscures réflexions
25 猜度 cāiduó se livrer à des conjectures
26 苦楝树 kǔliànshù lilas de Perse (ou arbre à chapelets)
27 猜拳 cāiquán jouer au jeu des ciseaux ou mourre
28 散 sàn se disperser, lever la séance
29 诧异 chàyì étonné
30 一头迷雾 yìtóumíwù perplexe, confus (la tête comme dans un brouillard dense)
31 抓耳挠腮 zhuā'ěrnáosāi se gratter la tête (en signe de sentiments divers : étonnement, perplexité, etc)
32 果断 地 guǒduànde résolument
33 不在乎 búzàihu être indifférent à, ne pas s’inquiéter de 一时半刻 yìshíbànkè un court instant
34 不理睬 bùlǐcǎi ne pas faire/prêter attention à, ignorer
35 空旷 kōngkuàng vaste, spacieux
36 大步流星 dàbùliúx īng à grands pas et à toute vitesse (comme une étoile filante : 流星)
37 鬼魅 guǐmèi esprits malins, démons
38难怪 nánguài pas étonnant que..
39 卸(下来) xiè(xiàlái) décharger, déposer
40 举起 枪柄 jǔqǐ qiāngbǐng lever la crosse du fusil 作势 zuòshì faire semblant, comme si
41 留神脚下 liúshén jiǎoxià faire attention où l’on met les pieds
42 淹没 yānmò submerger, inonder
43 湿淋淋 shīlínlín dégoulinant /湿透shītòu détrempé麦田 màitián champ de blé /麦苗 màimiáo pousses
44 送一程 sòng yìchéng accompagner un bout de chemin
45 草纸 cǎozhǐ papier de paille/papier hygiénique
46 隔年 的 géniánde d’il y a deux ans
47偎 wēi se blottir, se pelotonner
48 后悔 hòuhuǐ regretter
49按照惯例 anzhào guànlì selon l’usage / comme à son habitude
50 烧粥 shāo zhōu faire cuire du gruau 烫 tàng brûlant
51 坚决地 jiānjué fermement, résolument
52 无可奈何 wúkěnàihé ne pas avoir d’autre choix, d’alternative
53 酱菜 jiàngcài légumes marinés dans de la sauce de soja
54 盛/端 chéng/duān verser (avec une cuillère, louche..) / porter, tenir des deux mains
55 跪下 guìxià s’agenouiller
56 美貌 的女人 měimàode.. une belle/jolie femme
57 散乱 sǎnluàn en désordre
58 呼噜 hūlū (onomatopée) 一气喝完 yíqì hēwán tout boire d’un trait
       
Traduction
IV

    

Dans le trio formé par Tang Yulin, Sima et mon père, mon père était l’homme de bien, Sima le sage, et Tang Yulin le chevalier. Des trois, seul le chevalier a une personnalité ambivalente : d’une part, il terrifie par son caractère impitoyable, d’autre part, il fait constamment preuve d’une grande compassion envers le sort des affligés.
    
Tang Yulin fit ce dont il était convenu avec Li Dongfang : il alla tous les jours faire un tour au marché. Les voyous en question étaient effectivement difficiles à gérer, mais Tang Yulin avait plus d’un tour dans son sac, il ne lui fallut que quelques jours pour soumettre la bande et les amener à ne plus perturber la vie des gens. Il usa en fait de la force, en passant sur eux sa colère. Il posa son fusil sur le côté, enleva les feuilles de quelques baguettes de saules, et leur fouetta furieusement le derrière, jusqu’à ce qu’ils s’enfuient en désordre dans tous les sens. Par la suite, il leur montra comment se servir d’un fusil, leur raconta des histoires sur la ville, leur donna une idée des dépenses de nourriture et d’habillement, leur prépara des petites assiettes de canard sauvage braisé à la sauce de soja, du faisan à la pastèque, et que sais-je encore.
    
De la sorte, en moins de six mois, il était devenu l’hôte régulier des familles de ces jeunes voyous. Ils faisaient beaucoup de choses ensemble, par exemple ils chassaient, jouaient, discutaient, en pensant que c’était un heureux coup du sort qui les avait fait se rencontrer.
Tang Yulin disait aux voyous : « Je suis votre ami, de temps en temps… » et les voyous répétaient en écho : «Ami ! »
Tang Yulin leur disait aussi : « Je suis votre vieux père, de temps en temps… » et les voyous répétaient de même : «Vieux père ! »
    
Tang Yulin trouvaitsans aucun doute énormément de plaisir dans cette relation à plusieurs niveaux, autrement pourquoi serait-il resté fréquemment à l’extérieur sans rentrer chez lui, en oubliant totalement les graines de tournesol grillées préparées par Yao Meimeiou le thé vertrapporté de Suzhou ?
    
Du coup, Yao Meimei se sentit délaissée.
C’est alors, effectivement, qu’elle s’éprit de Li Dongfang. Il se produisit là une chose qui semblait a priori d’une impossibilité absolue, quelque chose de totalement irrationnel, quelque chose à faire douter de son QI, mais ce n’était pas la première fois que cela arrivait et ce ne serait certainement pas la dernière. Bien sûr, c’est quelque chose qui vous plonge dans des abîmes de réflexions, après coup, c’est tel un défi pour l’entendement. La seule chose que l’on peut trouver à dire, c’est que ce n’est pas normal.
    
Au début de l’été, Tang Yulin alla un jour, fusil à l’épaule, comme à son habitude, chez l’un des jeunes voyous. Assis sous le lilas de Perse devant la maison, il resta jusque vers minuit à boire en jouant avec entrain au jeu des ciseaux, mais il sentait l’humidité tomber peu à peu, il dit donc aux voyous : « On arrête, je vais y aller. » Les voyous tentèrent de le retenir : « Tu n’avais pas dit que tu resterais coucher, cette nuit ? » Tang Yulin, étonné, répliqua : « Quand est-ce que j’ai dit ça? » Les gamins lui répondirent d’une seule voix : « Tu l’as dit. » Tang Yulin qui n’en avait pas le moindre souvenir se creusa la tête un moment, puis se leva en disant résolument : « Non, je ne l’ai pas dit. Je rentre. » Sur quoi il partit.
    
Les voyous lui emboîtèrent le pas en le harcelant : « Reste, ne t’en vas pas, vieux père ! Reste dormir un peu, il va faire jour bientôt, ne t’en fais pas, il n’y en a pas pour longtemps, tu partiras vite chez toi. » Tang Yulin ne les écoutait pas, il n’avait plus qu’une idée en tête, c’était de se dépêcher à rentrer chez lui. Il se dit soudain que l’immensité du monde offrait trop de champ à l’esprit qui en concevait les idées les plus folles.
    
Il marcha un moment à grands pas, à toute vitesse, en sentant quelque chose de bizarre derrière son dos. Il se retourna, et vit que c’étaient les voyous qui le suivaient tous en silence, comme une horde de fantômes, pas étonnant qu’ils ne fissent aucun bruit. Il se mit en colère, prit son fusil et les menaça en levant la crosse. Mais cela ne produisit pas la réaction habituelle de fuite éperdue qu’il avait prévue : les voyous ne bougèrent pas.
    
Bon, d’accord, vieux père, on ne te raccompagne pas, mais fais attention où tu mets les pieds, vas-y doucement. Et demain, quoi qu’il arrive, reviens sans faute prendre un verre.
    
Le brouillard s’épaississait peu à peu, gagnant lentement le chemin et noyant les pieds de Tang Yulin ; tout autour de lui, ce n’étaient que champs de blé dégoulinant d’humidité. Les jeunes pousses gorgées d’eau, bien éveillées au cœur de la nuit, exhalaient un arôme étrange. Il y avait un peu de vent, insuffisant pour vaincre l’épaisseur du brouillard, mais qui glaçait au passage le visage de Tang Yulin.
Il arriva devant chez lui.
    
C’était une chaumière de trois pièces, chaude l’hiver et fraîche l’été. La pièce où ils mangeaient était du côté ouest, le petit lit de leur fille était au milieu, et leur grand lit à eux, Yao Meimei et lui, était du côté est. C’était son paradis.
    
De ce paradis étaient venus des bruits inhabituels, c’était la raison pour laquelle les voyous l’avaient accompagné un bon bout de chemin. Tang Yulin resta planté devant la fenêtre, abasourdi.
    
Il entendit deux phrases. L’une prononcée par Yao Meimei: « Mon mari dit que ma peau est comme du velours. » L’autre prononcée par Li Dongfang : « Je veux te servir de papier toilettes. » (8) Il posa son fusil sous la fenêtre et se dirigea vers la maison des voisins ; il y avait là un vieux tas de paille sur lequel il alla s’asseoir et se recroquevilla. Il regrettait d’être rentré, normalement, passé minuit, il restait coucher ailleurs.
    
Il faisait grand jour quand il se réveilla, et il regagna sa maison en traînant lourdement les pieds. Yao Meimei faisait cuire du gruau dans la cuisine. Tang Yulin alla s’asseoir près d’elle en posant son fusil contre le mur et lui dit : « Viens voir un peu. » Yao Meimei lui jeta un coup d’œil et lui dit fermement : « Non. » Tang Yulin répéta : « Viens voir ici » et Yao Meimei refusa à nouveau : « Non. » Alors Tang Yulin lui demanda : « Serait-ce que tu aurais une meilleure raison que moi ? » Evitant son regard, Yao Meimei répliqua : « Je veux terminer ce gruau. »
    
Tang Yulin n’eut d’autre alternative que de lui dire : « Bien, j’attends que tu aies terminé, mais ensuite je vais te rosser comme il faut. » Yao Meimei répondit : « D’accord. » Un moment plus tard, elle avait terminé. Elle prit des légumes à la sauce au soja et des baguettes et les posa devant Tang Yulin, puis elle remplit à ras bord un bol de gruau brûlant qu’elle saisit à deux mains pour le lui apporter ; arrivant devant lui, elle s’agenouilla, consciencieusement, posa le bol sur la table et tendit la tête vers lui en lui disant : « Vas-y, frappe. Après, on se sentira mieux tous les deux. »
    
Tang Yulin pensa, si je veux coucher avecce genre de femme, il vaut mieux que je renonce à tout espoir de vie normale. Une jolie femme peut ruiner un homme, cette femme sans beaucoup de jugeote peut en ruiner deux. Il passa la main dans les cheveux en désordre de Yao Meimei et lui dit d’un ton grave : « Tu as envoyé un homme à la mort. »
    
Le chevalier Tang Yulin, relevant Yao Meimei d’une main, la fit s’asseoir sur ses genoux, et de l’autre saisit le bol de gruau et le vida d’un trait, bruyamment. Puis il repoussa le bol d’une main, Yao Meimei de l’autre, prit son fusil et sortit.
    
Note
(8) Ye Mi explique dans une postface que cette idée bizarre lui a été inspirée d’une déclaration similaire qu’aurait faite le prince Charles à son amie Camilla au téléphone, et qui aurait été enregistrée à leur insu…
       


       

     他在李东方必经的土路上1候了三天。第四天,李东方出现了,空着两手,一脸憔悴2,裤管和袖管看上去更空空荡荡了,“T”字形的人小了一圈。奇怪的是,面对猎枪,他的神情竟是坦然的3,眼眸还是晶亮的4——亮得和先前不大一样,先前是认真,现在有点像是营养不良5。 唐雨林知道,三天,足以让这个疯女人的儿子找到生存下去的办法,他比他的母亲要顽强6得多。
       
      唐雨林放下枪,让他说话。他说话了。他的语气是不卑不亢不温不火的7,没有任何让唐雨林挑剔的地方8。“我是该死。”他仿佛是在说一件与己无关的事9,“但是有一件事我搞不清楚,死不瞑目10。”唐雨林点点头。
       
      李东方面不改色地说下去:“什么叫天鹅绒?”
      唐雨林又端起枪:“天鹅绒是一种布料。”李东方呆滞地11看着唐雨林的枪。唐雨林想,毫无疑问12,这是个阴谋。他在乞命。13
       “滑溜溜的14一种布料,有点像草地,有点像面粉。”
       

      这一次,李东方的脸露出了唐雨林熟悉的迷惘15,那种真实的迷惘,他在日常生活中经常毫不掩饰的16迷惘。唐雨林想,这确实是个阴谋,是一个不同寻常的17阴谋。这个阴谋里有着让人不可忽略的18东西,你无法让一个人带着真正的遗憾19死去。况且这个人有过那样的母亲。

       
      唐雨林放下枪,点点头。李东方慢慢地离开了。

       
  现在的问题是,唐雨林必须让李东方明

 

白什么是天鹅绒。如果李东方拒绝明白的话,唐雨林的计划将变得遥遥无期20。唐雨林扛起枪回家了。他从不后悔。[…]  

       
       那一阵子,村子里的人都看见了这两个人垂头丧气的模样21,经常有人问李东方,你在干什么呢?李东方就沮丧地说22,我在想事呢。也有人问唐雨林,你老人家在干什么呢?唐雨林就恶狠狠地说,想事呢。于是很多人都说,他们都在想姚妹妹呢。

       
  这样过了一个月,唐雨林知道李东方确实无法明白天鹅绒是什么东西。这个叫李东方的男人已经越过了死亡的恐惧23,专注于24某一样事物的研究。这种特性与他的母亲是一样的,坚韧和脆弱25相隔着一条细线26,自我的捍卫和自我的崩溃27同时进行着。

       
      唐雨林明了这一点。他怜悯28李东方,他又别无选择29。

       
  又过了一个月,已经很热了。有一天的傍晚,唐雨林站在屋前眺望落日30。西边的天空上不断变幻色彩,从橘红到橘黄32是一个长长的芬芳的叹息33,从橘黄到玫瑰红,到紫色,到蓝灰,到烟灰34,是一系列转瞬即逝的秋波35。然后,炊烟升起来了,表达着生活里简单的愿望。土地上生长的每一样庄稼36、每一棵树、每一丛草,都散发出生命的气息。生机是这么直白而一览无余37,令人感动。
       
      唐雨林当天晚上就出发回苏州了。他的心越来越柔软38,再不行动的话,也许他就要放开李东方了。

       
  他先是到了苏州,所有的布店都没有他要的东西。他又到了上海,上海有他的一些曾经发达过的亲戚39,他小时候见过几位女眷40用过天鹅绒的制品。在上海一无所获后41,他又到了北京,北京的亲朋做着不大不小的官,不大不小的官说,这种布料非常稀少42,相当可观的官才能凭票凭证购买到43。
       
      他一无所获地回来了,但他给姚妹妹带来了扎辫子的绸带子,给女儿带来了一只小布娃娃,给那群泼皮们带来了几瓶酒。和去时一样,他回来的时候也是傍晚,要暗不暗的当口。他已经看见李东方放工回家了,正在自家屋后的菜地里干活。
唐雨林提起枪就走。姚妹妹跟在他身后,走了一程,不敢再跟下去。
  片刻之后,唐雨林和李东方见面了。李东方蹲在菜地里,略显惊慌地44打量从天而降的唐雨林,他的前后左右,全是高而茂密的芦苇45——一个绿色的深渊46。唐雨林威风凛凛地47问: “我就是跑遍全中国48,也不一定找得到那样东西。你说怎么办?”

       
  李东方从地里慢悠悠地49站起来,用平常的口吻50对唐雨林说:“你不必去找了,我想来想去,已经知道天鹅绒是什么样子了。”他接着说:“跟姚妹妹的皮肤一样。”
唐雨林端起枪,以迅雷不及掩耳之势51一枪打死了李东方。他终于找到了行动的机会,他知道,若是他放弃这次机会的话,也许他一辈子都没有机会了。

       
  一切都结束了,唐雨林进了监狱52,到现在他还在监狱里度他的漫漫长夜53。每年的大年初一,我父亲想起老朋友唐雨林,总会像个妇人一样感时伤怀54。
       
      这个杀人事件有意思的地方在于:如果李东方拒不明白天鹅绒这样东西,唐雨林会不会让李东方生命一直寄存55在他的枪口上?

       
     答案56是会的。所有的人都这样说,雨林是个侠骨柔肠的男人57。他如果想杀李东方,早就下手了58,何必等到一定的时候。可以这么说,这是李东方自己找死 …
  
       
01必经的路 bìjīngdelù passage obligé, route que l’on est forcé de prendre
02 一脸憔悴 yíliǎn qiáocuì le visage blême, défait
03 坦然 tǎnrán calme, sans état d’âme
04 眼眸还是晶亮 : rappel de la description initiale (voir 3ème partie, voc 5)
05 营养不良 yīngyǎngbúliàng mal nourri, sous-alimenté
06 顽强 wánqiáng opiniâtre, tenace
07 不卑不亢 bùbēibúkàng ni vil/humble ni arrogant 不温不火 bùwēnbúhuǒ no tiède ni enflammé
08 挑剔 tiāotī trouver à redire
09 与己无关的yújǐwúguānde qui ne concerne en rien la personne qui parle/dont on parle
10死不瞑目 sǐbùmíngmù ne pas pouvoir mourir en paix (瞑 míng fermer les yeux)
11 呆滞地 dāizhìde d’un air éteint, atone
12毫无疑问 háowúyíwèn sans le moindre doute, assurément
13 阴谋 yīnmóu ruse, stratagème 乞命 qǐmìng prier pour sa vie : gagner du temps
14 滑溜溜 huáliūliū tout lisse, tout doux
15 熟悉的 shúxīde bien connu, familier 迷惘 míwǎng perplexité
16 毫不掩饰的 háobúyǎnshìde absolument impossible à dissimuler
17 不同寻常 bùtóngxúncháng peu ordinaire
18 不可忽略 búkěhūlüè qu’on ne peut négliger, non négligeable
19 遗憾 yíhàn regret(ter)
20 遥遥无期 yáoyáowúqī (reporté) dans un avenir lointain et indéfini
21 垂头丧气 chuítóusàngqì abattu, découragé 模样 múyàng air, aspect
22 沮丧 jǔsàng déprimé, abattu
23 死亡的恐惧 sǐwángde kǒngjù avoir peur de la mort
24专注于 zhuānzhù yú.. se concentrer sur
25 坚韧 /脆弱 jiānrèn/cuìruò persévérant, tenace/ fragile, délicat
26 相隔 xiānggé être séparé par 一条细线 yìtiáo xìxiàn un mince fil
27 自我的捍卫 zìwǒde hànwèi auto-défense 崩溃 bēngkuì s’effondrer
28 怜悯 liánmǐn avoir pitié de
29 别无选择 biéwúxuǎnzé ne pas avoir d’autre choix, d’alternative
30 眺望落日 tiàowàng luòrì regarder (au loin) le coucher du soleil (déclin du jour)
31 不断变幻 búduàn biànhuàn changer sans cesse, être en perpétuel changement (色彩 secǎi couleurs)
32 橘红/橘黄 júhóng/júhuáng rouge orangé/ jaune orangé
33 叹息 tànxī soupirer 芬芳 fēnfāng odorant, qui embaume
34 玫瑰红 méiguīhóng rouge rosé 紫色 zǐsè pourpre 蓝灰 lánhuī bleu cendré 烟灰 yānhuī gris cendré
35 转瞬即逝 zhuǎnshùn jíshì fugace, disparu en un instant 秋波 qiūbō clin d’œil, œillade
36 庄稼 zhuāngjia cultures, récoltes 样 yàng (classificateur)
37 生机 shēngjī vie, vitalité 直白 zhíbái droit et honnête, sans détours
一览无余 yīlǎnwúyú comme un vaste panorama embrassé d’un regard
38 柔软 róuruǎn doux
39 亲戚 qīnqī parents 发达(过的) fādá(guode) enrichis
40 女眷 nǚjuàn les/des femmes de la famille
41 一无所获 yīwúsuǒhuò revenir/repartir les mains vides
42 稀少 xīshǎo rare
43 相当可观 xiāngdāng kěguān relativement important, haut placé
凭 píng ici : sur présentation de 票 piào bons d’achat 证 zhèng carte, papiers d’identité
43 当口 dāngkou juste le moment où… de…
44 略显惊慌 lüèxiǎn jīnghuāng avoir l’air légèrement effrayé
45 茂密 màomì épais, dense 芦苇 lúwěi roseaux
46 深渊 shēnyuān gouffre, abime
47 威风凛凛地 wēifēnɡlǐnlǐnde d’un air inspirant crainte et respect
48 跑遍全(中国) pǎo biànquán .. parcourir tout le pays, dans tous les coins
49 慢悠悠地 mànyōuyōude tout doucement, sans se presser
50 平常的口吻 píngchángde kǒuwěn ton égal
51 迅雷不及掩耳 xùnléibùjíyǎn'ěr rapide comme l’éclair qui ne laisse pas le temps de se boucher les oreilles
52 监狱 jiānyù prison
53 漫长 màncháng très long, interminable
54 感时伤怀 gǎnshí shānghuái ressentir la mélancolie, la tristesse du temps (qui passe)
55 寄存 jìcún déposer, mettre à la consigne
56答案 dá’àn réponse
57 侠骨柔肠 xiágǔ róucháng esprit chevaleresque au cœur tendre
58 下手 xiàshǒu frapper
       
Traduction
V

    

Il attendit pendant trois jours sur le sentier que Li Dongfang était obligé d’emprunter. Le quatrième, Li Dongfang apparut : les mains vides, le visage défait, les manches et les jambes de pantalon paraissant encore plus vides que d’habitude, l’homme en forme de T semblait avoir rapetissé d’un cran. Etonnamment, face au fusil de chasse, il garda son calme ; ses pupilles brillaient toujours, mais pas tout à fait comme auparavant : auparavant, ce regard brillant était sérieux, maintenant il reflétait plutôt un état de malnutrition. Tang Yulin savait que trois jours étaient tout à fait suffisants pour permettre à ce fils de la folle de trouver un moyen de survivre, il était bien plus attaché à la vie que sa mère.
    
Tang Yulin baissa le fusil et le laissa parler. Il le fit d’un ton ni servile ni arrogant, ni tiède ni enflammé, il n’y avait rien à quoi Tang Yulin pût trouver à redire. « Je dois mourir » dit-il comme s’il parlait d’une affaire qui ne le concernait pas, « mais il y a une chose que je n’arrive pas à comprendre, et cela m’empêcherait de mourir en paix. » Tang Yulin acquiesça de la tête.
    
Li Dongfang continua sans changer d’expression : « Qu’est-ce qu’on appelle du velours ? »
Tang Yulin braqua à nouveau son fusil sur lui : « Le velours est une sorte de tissu. » Li Dongfang fixait le fusil d’un air atone. Tang Yulin pensa que c’était sans aucun doute un stratagème pour gagner du temps.
« C’est une sorte de tissu très lisse, qui ressemble un peu à de l’herbe rase, ou à de la farine de blé. »
    
Cette fois-ci, le visage de Li Dongfang arbora cet air perplexe que Tang Yulin connaissait bien, cette perplexité devant la réalité, une perplexité souvent impossible à dissimuler dans la vie de tous les jours.
    
Lin Yutang pensa que c’était véritablement un stratagème, mais un stratagème peu ordinaire. Il reposait sur une chose qu’on ne peut négliger : on ne peut pas faire mourir quelqu’un qui emporterait avec lui d’authentiques regrets. Surtout quelqu’un qui avait eu une telle mère. Tang Yulin baissa son fusil, et opina. Li Dongfang s’éloigna lentement.
    
Le problème était désormais que Tang Yulin devait faire comprendre à Li Dongfang ce qu’est du velours. Au cas où Li Donfang refuserait de comprendre, le plan de Tang Yulin serait repoussé aux calendes grecques. Il reprit son fusil en bandoulière et rentra chez lui. Il ne regrettait jamais rien. […]
    
Les gens du village remarquèrent alors la mine abattue des deux hommes ; certains demandaient fréquemment à Li Dongfang ce qu’il faisait. Li Dongfang répondait, l’air sombre : je réfléchis à quelque chose. D’autres demandaient aussi à Tang Yulin : eh, vieux frère, qu’est-ce que tu fais ? Et Tang Yulin répondait, l’air mauvais : je réfléchis à quelque chose. Alors l’opinion générale en conclut que c’était Yao Meimei qui était le sujet de leurs réflexions.
    
Il s’écoula ainsi un mois. Tang Yulin savait que Li Dongfang n’avait réellement aucun moyen de comprendre ce qu’était du velours. Du coup, Li Dongfang surmonta la peur de la mort et se concentra sur la recherche d’une chose similaire. D’un certain côté, il ressemblait beaucoup à sa mère : ils étaient à la fois persévérants et fragiles, mais la ligne de démarcation entre les deux était très ténue, si bien qu’ils en arrivaient simultanément à se protéger et à se détruire. Tang Yulin était conscient de cela. Il avait donc pitié de Li Dongfang, mais, d’un autre côté, il n’avait pas le choix.
    
Un autre mois s’écoula, il se mit à faire très chaud. Un jour, en fin de journée, Tang Yulin regardait devant chez lui le soir tomber. Le ciel à l’ouest n’en finissait pas de changer de couleur, passant du rouge orangé au jaune orangé en un long soupir parfumé, puis du jaune orangé au rouge rosé, au pourpre, au bleu cendré et au gris cendré, comme en une série d’œillades fugaces. Puis montèrent les fumées de cuisine, expression des désirs simples de l’existence humaine. Chaque plante cultivée, chaque arbre, chaque touffe d’herbe sortant de la terre exhalait le souffle de la vie. C’était si simple, la vie, et en même temps si vaste, insondable et émouvant.
    
Ce même soir, Tang Yulin partit pour Suzhou. Sa résolution faiblissait de jour en jour, s’il n’agissait pas, il n’en finirait peut-être jamais avec Li Dongfang.
    
A Suzhou, aucun des magasins de tissu n’avait ce qu’il cherchait. Il alla alors à Shanghai ; il avait là des parents qui avaient acquis une certaine richesse dans le passé, et, enfant, il avait vu du velours dans les mains de certaines femmes de la famille. Mais il n’en trouva pas là non plus et alla à Pékin où il avait des parents et amis dans la bureaucratie, à tous les niveaux. Tous, quel que soit leur niveau, lui dirent que ce genre de tissu était extrêmement rare, seuls les fonctionnaires les plus haut placés pouvaient s’en procurer, moyennant des bons d’achat et sur présentation de leurs papiers d’identité.
    
Il repartit donc les mains vides, mais en rapportant du ruban de soie pour les nattes de Yao Meimei, une petite poupée de chiffon pour sa fille, et quelques bouteilles de vin pour les voyous. Comme à son départ, il faisait presque nuit quand il arriva, c’était le moment entre chien et loup. Il avait vu Li Dongfang revenir du travail, et aller s’occuper de ses légumes, dans son lopin personnel, derrière sa maison (9). Il prit son fusil et partit. Yao Meimeile suivit un moment mais n’osa pas continuer.
    
Quelques instants plus tard, Tang Yulin et Li Dongfang étaient face à face, ce dernier accroupi dans son carré de légumes, regardant le premier d’un air légèrement effrayé comme s’il tombait du ciel. Il était entouré de tous côtés de hautes tiges d’épais roseaux, comme dans un gouffre verdoyant. Imposant, Tang Yulin lui demanda d’un air sévère : « J’ai parcouru tout le pays mais j’ai pourtant fait chou blanc. Dis un peu, on fait quoi ? »
    
Li Dongfang se redressa tout doucement, et dit à Tang Yulin de son ton habituel : « Ce n’était pas la peine de chercher comme ça, j’ai bien réfléchi, je sais maintenant à quoi ressemble le velours. » Et il ajouta : « C’est comme la peau de Yao Meimei. »
    
Tang Yulin épaula son fusil et tira un coup fulgurant qui tua net Li Dongfang. Il avait finalement trouvé l’occasion d’agir, et savait que, s’il l’avait laissé passer, il n’en aurait probablement jamais plus retrouvé d’autre.
    
Au bout du compte, Tang Yulin fut incarcéré ; il l’est toujours, traînant en prison des nuits interminables. Tous les ans, le jour du Nouvel An chinois, mon père se remémore son vieil ami Tang Yulin, avec la même tristesse qu’une épouse inconsolée.
    
Dans cette histoire d’assassinat, la question intéressante est la suivante : si Li Dongfang avait refusé de comprendre ce qu’est le velours, Tang Yulin aurait-il pu continuer indéfiniment à garder son existence en consigne dans le canon de son fusil ?

La réponse est oui. De l’avis général, Tang Yulin était un homme à l’esprit chevaleresque mais au cœur tendre. S’il avait vraiment songé à tuer Li Dongfang, il l’aurait fait bien avant, sans attendre d’y être obligé. On peut dire que c’est Li Dongfang lui-même qui a voulu mourir.
    
Note
(9) Après l’échec du Grand Bond en avant, et la famine qui s’ensuivit, les communes ne furent pas supprimées, mais les lopins personnels furent à nouveau autorisés à partir de 1962.
    
       

       
traduction Brigitte Duzan

  
       

       

 

 

 

 

     

 

 

 

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