Histoire littéraire

 
 
 
        

 

 

Brève histoire du wuxia xiaoshuo

I. Origines : des Royaumes combattants à la dynastie des Tang

        I.1 Naissance et évolution de l’image du xia

par Brigitte Duzan, 24 novembre 2013

    

Le wuxia xiaoshuo (武侠小说), nouvelle puis roman de wuxia, est l’un des genres les plus populaires de la littérature chinoise, l’un des plus anciens aussi, et le seul de la littérature traditionnelle qui ait survécu à la chute de l’Empire et soit encore vivant aujourd’hui. Son histoire est intimement liée à celle du xiaoshuo lui-même dont il a partagé l’évolution.

     

Alliant les qualités martiales dénotées par le terme à connotations militaires wu () aux valeurs héroïques et chevaleresques du xia (), personnage empreint de noblesse d’âme et d’esprit de sacrifice, le wuxia est intraduisible (1) : il se réfère à une tradition et une culture typiquement chinoises. Il ne se définit que par la personnalité particulière du xia tel qu’elle a évolué au cours de l’histoire.

     

Origines de la tradition et de la symbolique du wuxia

     

Origine du terme de wuxia

     

Le terme même de wuxia est relativement récent, puisqu’il date de la fin de la dynastie des Qing, soit du tout début du 20ème siècle. Comme beaucoup d’autres, il a alors été importé du Japon où le néologisme bukyo avait été inventé à la fin de la période Meiji (dans le titre d’un roman) : bu désignant le samouraï et kyo dénotant un caractère viril. La transcription chinoise de wuxia fut rapportée en Chine par les jeunes intellectuels qui étaient partis étudier au Japon, dans l’espoir que leur pays adopterait les valeurs de modernité scientifique et militaire que le terme véhiculait et qui avaient permis au Japon de devenir une grande puissance.

     

Au 19ème siècle, auparavant, ce genre de littérature était désigné en Chine par le terme de xiayi (侠义) qui mettait donc l’accent sur le yi (), c’est-à-dire la droiture et le sens de la justice inhérents au personnage du xia. Le nouveau terme, lui, soulignait ses qualités chevaleresques de pourfendeur de torts à la pointe de l’épée impliquées par la substitution de wu à yi.   

     

Le terme de wuxia est ensuite devenu courant et populaire au début des années 1920, avec une formidable expansion de ce type de littérature, doublée d’un non moins formidable engouement pour les films de wuxia vers la fin de la décennie.

     

Le xia, associé au wu, cependant, a une longue histoire, qui remonte à la période des Royaumes combattants (403-221 avant JC).

     

Origines du xia

     

Les références les plus anciennes que l’on a trouvées proviennent du Han Feizi (《韩非子》), écrit à la fin de la période des Royaumes combattants. Outre un condensé de la pensée légaliste, l’ouvrage contient nombre d’observations et anecdotes sur l’époque, celle qui précède l’instauration du Premier Empire, donc marquée de conflits incessants. C’est dans ce contexte que Han Fei critique ceux qu’il désigne par le terme de xia en leur reprochant de transgresser les lois en recourant à la violence – wu .

     

Il le fait dans un texte célèbre intitulé « Les cinq poisons » (五蠹) (2) où il critique de la même manière les lettrés et les xia, en rapprochant le wen et le wu que la culture chinoise oppose normalement :

儒以文乱法,侠以武犯禁,而人主兼礼之,此所以乱也。

     les lettrés utilisent leurs écrits () pour perturber les lois,      les xia recourent à la violence () pour transgresser les

     interdits, et comme le souverain les tolère, le désordre

     règne.

 

Le Han Feizi

     

Et si les xia sont respectés au lieu d’être châtiés, ajoute Han Fei un peu plus loin, c’est parce qu’ils mettent leur épée au service de causes privées. On voit donc se profiler l’image de mercenaires parcourant les royaumes en guerre pour s’offrir à qui veut bien les recruter, des youxia (游侠) ou « chevaliers errants » selon la traduction courante. Errants certes, mais très peu chevaliers.

     

Le concept de xia évolue avec Sima Qian (145- ?? avant JC) .

     

Le xia selon Sima Qian

     

Les Mémoires historiques

 

Dans ses « Mémoires historiques » (史记), achevées en 91 avant JC, Sima Qian (司马迁) consacre le chapitre 124 de ses biographies aux youxia : « Biographies de chevaliers errants » (游侠列传), selon la traduction de Jacques Pimpaneau. Il s’agit en l’occurrence de deux personnages présentés comme des exemples-types de xia : Lu Zhujia (魯朱家) et Guo Jie (郭解).

     

     

Mais il faut y ajouter les six biographies du chapitre 86 : « Biographies d’assassins » (刺客列), assassins qui sont en fait des héros : Cao Mo (曹沫), général du duc Zhuang de Lu qui força le duc Huan de Qi à rendre les territoires conquis,  Zhuan Zhu (专诸), assassin du roi Liao de Wu, Yu Rang (豫让) qui vengea son maître d’un geste symbolique avant de se suicider, Jing Ke (荆轲), auteur de la tentative ratée d’assassinat du futur Premier Empereur et Nie Zheng (聂政) (3).

    

Nie Zheng est en fait le cinquième dans l’ouvrage de Sima Qian car les « assassins »

y sont classés par ordre chronologique,

mais c’est un modèle du genre. Pour échapper à ses ennemis, Nie Zheng s’était réfugié, avec sa mère et sa sœur, dans l’Etat de Qi () où il devint l’ami de Yan Zhongzi (严仲子) qui était poursuivi par le premier ministre de l’Etat de Han (韩国), Xia Lei (侠累). Nie Zheng assassina Xia Lei, puis se suicida, mais, pour que sa sœur Nie Rong () ne soit pas inquiétée, il se défigura au préalable. Personne ne sachant qui était

 

Nie Zheng

l’assassin, le souverain de Han fit exposer le corps en public ; Nie Rong reconnut son frère, et dévoila son identité pour que son grand mérite fût connu de tous. 

     

Cette biographie de Nie Zheng combine les principales caractéristiques qui font la noblesse du xia : esprit filial, ici envers la mère, fidélité à ses amis, loyauté envers ses maîtres, lutte contre l’injustice et les persécutions, esprit de sacrifice, et ici non seulement du xia mais de sa sœur aussi. Sima Qian cite bien Han Fei au début de son chapitre, mais son propos est opposé : loin de dénoncer le xia comme fauteur de troubles, il professe son admiration pour son courage et son intégrité ; si ses actions sont un défi au pouvoir établi, et peuvent donc représenter un danger pour l’ordre public, il est toujours du côté des opprimés et des victimes d’injustices, qu’il défend au mépris de sa propre existence.

     

De toutes ces qualités, c’est sans doute la loyauté qui prime : loyauté envers l’ami, ou loyauté

envers celui qui a su reconnaître sa valeur et l’emploie à son service (zhijizhe 知己者) - et l’on ne

peut s’empêcher de penser que c’est là une idée très personnelle de Sima Qian. Comme le dit Yu Rang :

         士为知己者死,女为说己者容。

         L’homme meurt pour celui qui a reconnu sa valeur,

comme la femme se pare pour celui qui apprécie sa beauté.

     

Zhuangzi lui-même – dans son célèbre texte, chapitre 30 du Zhuangzi, « Convaincre par l’épée » (说剑) - avait loué l’efficacité des armes dans les cas où les formes traditionnelles de persuasion prônées par Mencius, celles fondées sur le langage, se heurtaient à  une fin de non recevoir (4). Convaincre par l’épée, c’est la solution qu’avait adoptée Cao Mo… Pour agir sur un souverain ne connaissant que sa volonté de domination et ses désirs de conquête, et sourd aux conseils de modération de ses ministres, la violence devenait le seul recours contre la violence. 

     

Les xia ont cependant été pourchassés pendant toute la première période de la dynastie des Han (220 avant JC-23 après JC) et les historiens postérieurs à Sima Qian sont revenus à l’opinion négative de Han Fei. En même temps, cependant, l’imagination populaire s’emparait de l’image de « nobles assassins » transmise par les Mémoires historiques, mais en élaborant peu à peu une tradition que l’on trouve déjà traduite en termes littéraires à l’époque des Six Dynasties (222–589).

     

Les chuanqi des Tang

      

C’est cependant sous la dynastie des Tang, lorsque les contes et récits extraordinaires de la période

des Six Dynasties se transforment en véritables œuvres de fiction et que naissent les contes fantastiques ou chuanqi (传奇), que se développe en même temps toute une tradition littéraire

autour d’une image idéalisée et romancée du xia.

     

L’image abstraite du xia en poésie

     

Les poèmes de l’époque peuvent être de simples versifications d’ouvrages historiques, mais certains sont des portraits de xia, dont l’image devient alors liée au port de l’épée. Le xia devient bretteur et spadassin, jianxia (剑侠), ou jianke (剑客).

     

C’est le titre d’un poème de Jia Dao (贾岛)  - « Le spadassin » (剑侠) –  considéré comme symbolisant l’esprit du xia (5) :

十年磨一剑  voilà dix ans que j’affûte mon glaive

霜刃未曾试  sa lame acérée n’a pourtant point subi d’épreuve

今日把似君 aujourd’hui, seigneur, je la mets à votre service

谁有不平事  pour aider ceux qui souffrent d’injustice.

    

Li Bai Xiakexing

 

Mais le poème le plus célèbre dans ce registre reste celui du grand poète Li Bai (李白) : « La voie du xia » (俠客行). On a dans ce poème une série d’allusions à des personnages devenus légendaires, et une application du principe énoncé par Zhuangzi dans son texte « Convaincre par l’épée ». Le ton est satirique, mais plutôt laudatif. Le titre

du poème a été repris par Jin Yong (金庸) pour son douzième roman, en 1966, preuve que le modèle est devenu emblématique.

     

Le xia dans les chuanqi

     

En même temps, le genre des contes fantastiques, ou chuanqi, se développe à partir des recueils de récits de manifestations surnaturelles de la période des Six Dynasties. L’idée n’est plus d’édifier le

lecteur mais de donner libre cours à l’imagination et au talent littéraire. La plupart des œuvres sont des histoires d’amour complexes où se mêle le merveilleux, traduisant la fascination de l’époque pour le surnaturel et l’insolite.

     

Les histoires de xia y gagnent deux nouvelles caractéristiques qui vont être indissociables du genre : un élément de fantastique et un élément féminin, souvent combinés dans les personnages d’héroïnes martiales ou nüxia (女侠) qui forment l’aspect le plus intéressant des nouvelles créations de la période. Le modèle-type, tiré des Printemps et Automnes de Wuyue (吳越春秋), date de la période des Han orientaux, mais il est développé au neuvième siècle comme personnage de fiction : c’est la Belle de Yue ou Yuenü (), à laquelle est par ailleurs consacrée la dernière œuvre de Jin Yong.

     

Deux autres figures féminines symboliques qui inspireront

de nombreux cinéastes émergent vers la fin du neuvième siècle : l’une est Nie Yinniang (聂隐娘), et l’autre Hongxian (红线), dont les histoires sont attribuées respectivement à Pei Xing (裴铏) et Yuan Jiao (袁郊).

     

La première, fille de général, est kidnappée par une nonne

qui la forme aux arts martiaux et à la pratique de la magie, puis la fait entrer au service d’un gouverneur militaire qu’elle doit défendre contre les assassins envoyés par un rival,

avant de partir, une fois sa mission accomplie, sur un

âne blanc vers une destination inconnue. La seconde, servante d’un autre gouverneur militaire, accomplit des exploits tout aussi extraordinaires, dans un récit conté avec élégance et maîtrise du mystère.

    

Ces deux héroïnes reprennent la trame dessinée par les histories d’assassins de Sima Qian, mais en fusionnant les

 

Nie Yinniang

personnages du valeureux xia et de l’élégante beauté que Sima Qian avait associés dans les propos de Yu Rang à des fins d’analogie. 

      

L’histoire de l’homme à la barbe frisée

 

L’imaginaire fantastique, dans ces récits, s’oppose à la narration précédemment tirée de la réalité historique. Une génération plus tard, l’art narratif du chuanqi atteint un sommet dans le récit de Du Guangting (杜光庭), l’un des plus célèbres de l’époque Tang : « L’histoire de l’homme à la barbe frisée » (《虬髯客传》).

     

A la fin de la dynastie des Sui, un certain Li Jing (李靖) remarque une jeune et jolie servante du nom de Hongfu (红拂), employée chez un fonctionnaire auquel il a rendu visite.

Elle le rejoint ensuite dans l’auberge où il est descendu, et

lui demande de l’emmener avec elle car elle a lu en lui un avenir plein de promesses. Dans une autre auberge, peu de temps après, ils rencontrent un étranger à l’allure martiale

et à la barbe frisée auquel Li Jing présente l’une de ses connaissances, du nom de Li Shimin (李世民). En le

voyant, l’étranger déclare reconnaître en lui un futur empereur, et renoncer donc lui-même à l’empire qu’il voulait

conquérir, puis disparaît. Dix ans plus tard, ministre de la nouvelle dynastie des Tang fondée par Li Shimin, Li Jing entend parler d’un royaume conquis dans les mers du sud-est : il sait que l’étranger a réalisé ses ambitions dans un autre pays.

     

Du Guangting utilise habilement le contexte historique de la fondation de la dynastie des Tang pour dresser une double narration de fondation dynastique à thème patriotique : le xia étrange à la barbe frisée valide le mandat du ciel du fondateur des Tang tout en réalisant lui-même une fondation en miroir dans un royaume plus ou moins fantastique.

     

Ces thèmes propres aux chuanqi vont ensuite alimenter une littérature vernaculaire de wuxia de plus en plus élaborée sous les Song et les Yuan, puis sous les Ming, où les récits abandonnent la forme courte pour passer à la forme du roman à épisodes.

     

Le développement des récits de wuxia des Song aux Ming

     

Histoires de xia dans les huaben des Song

     

Au début de la dynastie des Song, nous dit Lu Xun dans sa « Brève histoire du roman chinois » (《中国小说史略》) (6), « les contes extraordinaires se voulaient « crédibles », aussi ce genre allait-il désormais s’engager sur la voie du déclin ». Dans le chapitre sur les écrits de type chuanqi de l’époque Song, il nous parle d’un Mémoire en trois volumes sur des « personnages hors du commun dans les vallées du Yangzi et de la Huai » (《江淮异人录》), écrit à la fin du dixième siècle par un certain Wu Shu (吴淑). L’ouvrage comporte en particulier un chapitre sur des redresseurs de tort errants (侠客), magiciens (术士) et prêtres taoïstes (道流) impliqués dans des événements insolites.  

     

Lu Xun souligne que Wu Shu serait le premier à consacrer

un ouvrage entier bâti autour « des évolutions de tout

un peuple imaginaire d’étranges protagonistes, dans un univers chimérique. » C’est cet ouvrage qui fut ensuite

copié à l’époque Ming et lança la mode des « histoires de bandits d’honneur aux prouesses miraculeuses », autant de récits influencés par les croyances taoïstes en la magie et aux esprits.

 

Personnages hors du commun

du Yangzi et de la Huai

     

Mais les plus intéressants développements littéraires, à l’époque des Song, ne sont pas à rechercher du côté des lettrés, ils se passaient sur la place publique. C’est là en effet que s’est développée une littérature en langue populaire, sous forme de livrets appelés huaben (话本), utilisés par les bateleurs et conteurs, où étaient annotées des trames ou des ébauches de récits oraux, souvent colportés par ouï-dire. Or ces conteurs étaient divisés en écoles, que plusieurs documents des Song du Sud cités par Lu Xun classent en quatre catégories (7) ; dans la première, celle des conteurs de xiaoshuo, on trouve les histoires d’amour habituelles, ainsi que celles de monstres et de prodiges, mais aussi les histoires de brigands, de xia et de combats martiaux, auxquelles sont joints cas judiciaires et enquêtes.

     

L’important ici est la différence d’approche narrative, liée à l’oralité : les huaben n’ont plus rien de la concision de la langue classique procédant par allusions, mais sont au contraire prolixes et riches en développements mélodramatiques, voire burlesques, aptes à captiver un auditoire populaire. Au croisement de ce nouveau genre, la tradition des récits de xia prend un tour nouveau, où l’héroïsme se teinte d’humour populaire. On n’est pas très loin des personnages incarnés au cinéma par Jacky Chan.

      

Parmi les récits populaires des huaben de l’époque, on trouve ainsi quelques histoires qui forment comme une légende dorée de l’empereur Taizu avant la fondation de la dynastie des Song : il y apparaît comme un xia martial et impulsif – mais un tantinet excessif - à la fois digne descendant des xia des Royaumes combatttants et précurseur des bandits d’honneur du jianghu dont la légende commence aussi à se former à l’époque.

     

Ainsi, dans « Zhao Taizu enfourche le dragon » (《赵太祖飞龙记》), le futur empereur est figuré, déjà, en conquérant, mais dans « Zhao Taizu escorte Jingniang sur mille lis » (赵太祖千里送京娘), l’image tourne à la caricature de foire : il insiste noblement pour ramener chez elle une jeune paysanne qui a été enlevée par des bandits, et recueillie dans un monastère à des milliers de lieues de chez elle ; mais il fera tant et si bien qu’il la conduira au suicide. L’histoire sera reprise par Feng Menglong (冯梦龙) dans son deuxième recueil, à la fin des Ming, mais dans un esprit différent.

     

Les huaben perpétuent aussi la tradition des chuanqi des Tang, en particulier en brodant sur les personnages féminins de xia. On en trouve des échos dans les huaben des Ming, comme, par exemple, le récit intitulé « Cheng Yuanyu paie la note de quelqu’un à l’auberge, la Onzième sœur discute de xia sur le mont Yungang » (程元玉店肆代偿钱,十一娘云冈纵谭侠), développé dans un recueil de Ling Menchu (凌濛初), écrit en 1627, à la toute fin des Ming.

     

A la fin des Song du Sud, les spectacles populaires subirent une éclipse ; en même temps les conteurs se firent plus rares, mais les huaben subsistèrent, avec la tradition qu’ils avaient établie, et ils inspirèrent les écrivains ultérieurs.

     

Premier récit du jianghu sous les Yuan

     

Sous  les Yuan, les récits des chuanqi et huaben ont alimenté le genre prévalent de l’époque : le théâtre. Mais les récits de xia n’y sont pas une source d’inspiration fréquente.

     

Vestiges de l’ère Xuanhe

 

En revanche, c’est dans un livre vraisemblablement écrit

sous les Yuan (mais repris de textes antérieurs) que l’on trouve le premier récit sur la  rébellion des marais de Liangshan (梁山泺聚义) qui va donner sous les Ming l’un

des récits fondateurs du roman de  wuxia. Le livre est

intitulé « Vestiges de l’ère Xuanhe des Song » (《大宋宣和遗事》) ; c’est une compilation de textes qui retracent les événements survenus depuis les souverains mythiques Yao et Shun jusqu’à l’établissement de Gaozong à Lin’an (Hangzhou) en 1127.

     

Il est en dix parties ; la quatrième raconte comment, après deux autres rebelles, Song Jiang (宋江) est obligé de se retirer dans le temple de la déesse noire Xuannü (玄女庙) après avoir tué Poxi (婆惜), et comment, alors que les soldats qui le poursuivaient se sont retirés, un rouleau tombe du ciel, sur lequel sont inscrits les noms de trente six généraux sommés de se soumettre à lui comme chef suprême

et protecteur des justes causes, « afin de répandre l’honneur et la justice et d’anéantir les méchants et les fourbes ».

     

Les rebelles pillent, brûlent et assassinent. L’empereur ordonne de les capturer, mais un général réussit à les pacifier, ils reçoivent des postes d’inspecteurs, et Song Jiang finit gouverneur militaire (节度使).

     

On a là l’ébauche du grand classique « Au bord de l’eau » (水浒传)  compilé au quatorzième siècle. Le texte est un récit populaire inspiré par des événements  historiques, qui fournit un modèle de xia émergeant de son isolement pour prendre la tête d’une bande de hors-la-loi ; formant une communauté, il initie par là même tout un système de codes d’honneur et de loyauté qui vont devenir des règles du genre. Le xia n’est plus un individu isolé ; il est en outre immergé dans l’histoire.

     

C’est aussi un être moral qui finit par se rallier au régime. Il s’agit d’une idéalisation typique des personnages de xia : en fait, les rebelles autour de Song Jiang furent capturés et passés par les armes. Mais les événements survenus après que les rebelles se soient rendus ne sont pas rapportés dans les annales, la rumeur publique et l’imagination populaire ont donc pu s’en emparer et les enjoliver à volonté.

     

On est là à une période charnière dans l’évolution de la littérature de wuxia. Le genre va prendre une forme beaucoup élaborée sous les Ming, grâce au développement du roman à épisodes (章回小说).

     

     

II. Développement sous les Ming et les Qing

     

(à venir)

     

     

Notes

(1) On le trouve parfois rendu par "roman d’arts martiaux", ce qui entraîne un amalgame avec le kungfu, qui n’en est qu’un dérivé, ou par "roman de chevaliers errants", qui induit une confusion avec une tradition moyenâgeuse très différente – ne serait-ce que parce que le xia n’est pas issu d’une élite nobiliaire. Le terme le plus proche de la réalité du xia serait "redresseur de torts" ; c’est le terme retenu par Jacques Pimpaneau dans sa traduction des Mémoires historiques de Sima Qian, bien qu’il le couple à celui de chevalier.

(2) Han Feizi, livre XIX, chapitre XLIX : 五蠹. Le texte en chinois classique et sa traduction en anglais :

www2.iath.virginia.edu/saxon/servlet/SaxonServlet?source=xwomen/texts/hanfei.

xml&style=xwomen/xsl/dynaxml.xsl&chunk.id=d2.49&toc.depth=1&toc.id=d2.20&doc.lang=bilingual

儒以文亂法,俠以武犯禁,而人主兼禮之,此所以亂也。

(3) Le texte chinois du Shiji : www.guoxue.com/shibu/24shi/shiji/sjml.htm

Les biographies d’assassins : www.guoxue.com/shibu/24shi/shiji/sj_086.htm

(4) Voir : Persuasion à la pointe de l’épée, l’imagination thérapeutique en action, étude et traduction du Shuo Jian 说剑, chapitre 30 du Zhuangzi 庄子, par Romain Graziani

www.afec-etudeschinoises.com/IMG/pdf/Graziani.pdf

Le texte chinois : www.douban.com/note/248594645/

(5) Ces quatre vers du poète Jia Dao (779–843)  ont été élevés au rang de symboles par le professeur James J.Y. Liu  dans : The Chinese Knight Errant, University of Chicago Press, 1967.

(6) Brève histoire du roman chinois (qui est en fait l’histoire du xiaoshuo, et pas seulement du roman), traduit par Charles Bisotto, Gallimard/Connaissance de l’Orient, 1993, pp 128 sq.

Texte chinois : www.tianyabook.com/LUXUN/zgxs/index.html

(7) Brève histoire du roman chinois, p 143.

     

    

    

 

        

 

 

 

     

 

 

 

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