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Petite histoire de
la bande dessinée chinoise
IV.1 Des débuts du
lianhuanhua à la veille de la République populaire
(1910-1949)
par Brigitte Duzan, 05 décembre 2015
Héritier du livre illustré, le lianhuanhua se développe
peu à peu à Shanghai à la fin du 19ème siècle, grâce
aux progrès des techniques d’impression, les modèles précurseurs
apparaissant d’abord dans la presse, pour répondre à la
croissance d’un lectorat populaire avide d’actualités en images.
Fin 19ème/début du 20ème siècle : Entre
actualité et littérature…
Le développement de la lithographie à la fin du dix-neuvième
siècle, à Shanghai, permet de développer l’illustration d’abord
dans la presse, illustration de l’actualité répondant, toujours,
au désir d’attirer le lecteur populaire par l’image. En 1884, le
quotidien Shenbao (《申報》)
publie ainsi un supplément illustré dont l’intitulé lui-même est
un clin d’œil à la fois à la culture lettrée et à la technique
traditionnelle d’impression : le "Magazine du Studio de la
pierre gravée" (《点石斋画报》)
.
L’actualité y est illustrée pardes images à caractère narratif,
dessinées en style traditionnel baimiao, qui
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Le bitumage d’une rue à Shanghai,
Magazine du studio de la
Pierre gravée |
préfigurent le style du lianhuanhua. Elles sont l’œuvre d’un
illustrateur de talent, Wu Youru (吴友如),
et le supplément connaît un tel succès qu’il est finalement
vendu séparément, avant de disparaître en 1898. Beaucoup de ses
dessins, au trait d’une grande finesse, illustrent des scènes de
la vie à Shanghai, surtout scènes de rue pittoresques prises sur
le vif, montrant par exemple des passants attroupés pour
observer un engin à vapeur en train de bitumer la chaussée.
Le texte est inscrit dans l’illustration, en haut le plus
souvent, à la manière des poèmes sur les tableaux anciens, et en
chinois classique ; il a valeur de commentaire de l’image, dans
la plus pure tradition lettrée, mais c’est le visuel qui prime
ici, comme dans un rouleau de peinture narrative.
Au début du vingtième siècle, l’illustration dans les journaux
évolue ensuite vers le dessin satirique. Mais c’est dans la
presse quotidienne que sont publiées les premières illustrations
de Liu Boliang (刘伯良)
et de Li Shucheng (李树丞),
deux dessinateurs qui auront un rôle déterminant dans le
développement du lianhuanhua à partir de 1910.
Parallèlement, cependant, au fur et à mesure que se développent
les techniques d’impression, apparaissent des albums illustrés
adaptés des grands romans populaires chinois, ainsi que de
pièces d’opéra, mais dans des formats réduits.
Le premier à faire date est l’adaptation, publiée en 1908, d’une
édition du "Roman des Trois Royaumes" (《三国志演义》全图)
illustrée par Zhu Zhixuan (朱芝轩)
et datant de 1899. Cette édition illustrée comporte plus de deux
cents planches dans la tradition de l’illustration pleine page
du roman illustré, mais avec un souci de clarté didactique :
chaque planche est une séquence narrative à la manière du Jataka
du cerf aux neuf couleurs
,
avec insertion au sein du dessin de brèves indications
explicatives.
L’album illustré de 1908 s’en inspire directement et apparaît
ainsi comme un précurseur du lianhuanhua, en lien direct
avec la tradition de l’illustration narrative du roman
populaire. Il y a d’autres publications qui participent à la
même époque de l’essor de l’édition illustrée de fiction
populaire, mais sans atteindre le nombre d’illustrations du
précédent, et surtout en restant dans le domaine du livre
illustré de type traditionnel : les éditeurs n’ont pas encore le
souci de la continuité narrative qui est le propre du
lianhuanhua, et les dessinateurs se contentent de mettre en
image des scènes particulièrement marquantes du récit, leurs
illustrations venant ponctuer le texte en offrant comme une
pause bienvenue au lecteur.
Plus déterminantes dans l’évolution vers le lianhuanhua
sont, toujours à la même époque, les adaptations illustrées d’épisodes
tirés des grands romans classiques. Avec ce choix de
textes, qui sont à la source, aussi, d’opéras populaires et de
diverses formes de quyi, on peut noter un retour vers les
sources et les formes de la tradition orale et du xiaoshuo,
avec découpage en récits brefs, adaptés à des séances de conte
(ou de chantefable), orientés vers le divertissement d’un
public populaire. L’image vient se substituer aux artifices du
conteur/chanteur pour attirer et retenir l’attention de son
auditoire.
C’est le cas, par exemple, de deux récits tirésde l’histoire des
« Trois Royaumes » - « Zhu Geliang prend l’épouse de son choix »
(《诸葛亮招亲》)
et« Menghuo sept fois capturé » (《七擒孟获》》)
- publiés au tout début des années 1910 avecdes illustrations de
Li Shucheng (李树丞)
et de Liu Boliang (刘伯良).
Années 1920-1930 : entre opéra et roman
En 1916, le journal Caobao publie ses illustrations en les
brochant dans un format très semblable à celui des futurs
lianhuanhua. C’est un format très pratique à transporter,
les textes sont faciles à lire, avec l‘intérêt supplémentaire de
l’image. C’est un premier pas, mais il s’agit encore
d’illustrations d’événements d’actualité, sans continuité
narrative.
Le tournant de 1918 : l’opéra, du théâtre au lianhuanhua
Un véritable tournant intervient en 1918. Un opéra très
populaire est cette année-là représenté à Shanghai pendant
plusieurs mois : « Le Prince échangé contre un chat » (《狸猫换太子》),
opéra adapté d’un épisode du grand roman populaire de la fin du
19ème siècle, « Les Trois chevaliers et cinq
redresseurs de torts » ou Sanxia wuyi (《三俠五义》).
Il s’agit de l’histoire d’une concubine impériale dont le bébé,
à la naissance, est subtilisé et remplacé par un chat par une
autre concubine jalouse, pour empêcher sa rivale de prétendre
avoir un héritier au trône…
Voyant là une occasion de bénéfices appréciables, un groupe de
petits éditeurs commissionne des peintres pour illustrer les
diverses scènes de l’opéra au fur et à mesure qu’elles sont
représentées. On peut véritablement considérer cette initiative
comme la naissance du lianhuanhua, dans sa dimension
culturelle liée à la littérature populaire aussi bien qu’aux
différents modes d’expression artistique qui y trouvent leur
inspiration, théâtre traditionnel, mais aussi, bientôt, cinéma.
C’est la représentation qui donne alors forme et force à
l’image, avec des contraintes de temps et de coût identiques
dans les deux cas. Les dessins sont peu soignés, car il faut
aller vite, les arrière-plans sont copiés sur les décors du
théâtre, de même que gestuelle et maquillage sont ceux des
acteurs sur la scène. Mais c’est aussi ce que demandent les
lecteurs qui veulent retrouver dans les illustrations l’image
des scènes d’opéras très connus, qui font partie de la culture
populaire. L’image donne à voir l’opéra tandis que le
texte résume l’histoire.
Années 1920 : les grands classiques du roman populaire
Xue Rengui part en expédition vers l’est 1 |
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L’année 1920 marque une autre étape décisive, avec la
publication d’un lianhuanhua adapté d’un romanen vingt
chapitres publié à Shanghai cette même année: « Xue Rengui part
en expédition vers l’est » (《薛仁贵征东》).
Xue Rengui est un célèbre général des débuts de la dynastie des
Tang qui s’est distingué dans de nombreuses campagnes, en
particulieren Corée, et, à l’ouest de l’empire, contre les
nomades Tujue.
Illustré, à nouveau, par Liu Boliang dans le style traditionnel
de la gravure sur bois, ce lianhuanhua reprend l’ancien
format d’illustration partielle des livres, mais texte en haut,
image en bas, c’est-à-dire en donnant la priorité au texte qui
occupe le quart supérieur de la page, et en ajoutant par
ailleurs, pour plus de clarté, le nom des personnages à côté
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de chacun d’entre eux et, en bas de l’illustration, dans un
espace vide, le résumé de la scène illustrée.
Le texte est ainsi repris sous trois
formes différentes, complémentaires. L’ensemble dénote un faible
niveau artistique, mais manifeste un souci didactique évident. Ce
sont les tout débuts du genre, mais déjà dans une forme très
proche du format définitif.
Ce format nouveau se généralise ensuite, repris par la vingtaine
de maisons d’édition spécialisées de Shanghai. Le terme lui-même
est inventé par les Éditions du Monde (世界书局)
qui, entre 1921 - date de leur fondation à Shanghai - et 1929,
publient cinq séries d’adaptations des grands romans populaires
et les baptisent lianhuantuhua (连环图画),
"images qui s’enchaînent ", le tu disparaissant ensuite
et le terme se stabilisant dans sa forme définitive de
lianhuanhua (连环画)
en 1925. L’accent est donc bien mis sur l’image, c’est
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Xue Rengui part en expédition vers l’est
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là qu’est la nouveauté, mais sans innovation quant au style ou
au répertoire qui reste centré sur les adaptations d’opéras et
de grands romans, inspirés de récitstransmis par tradition
orale.
L’histoire illustrée des Trois Royaumes, 1927 |
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Le terme définitif mettra cependant un certain temps à passer
dans la pratique. En 1927, le titre de « L’histoire illustrée
des Trois Royaumes » illustrée par Chen Danxu (陈丹旭),
publiée en juin par ces mêmes Editions du Monde, porte encore le
caractère tu (lianhuan tuhua sanguo zhi 《连环图画三国志》).
C’est une œuvre monumentale, en 24 volumes comportant chacun 32
planches de dessins, dans le format caractéristique du
lianhuanhua.
En 1928 encore, il est vrai, le même éditeur publie une
monumentale « Histoire illustrée du Bord de l’eau » (《连环图画水浒》),
illustrée cette fois par Li Shucheng, qui porte un titre
similaire ; mais joue ici le phénomène de série.
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Il n’y a guère plus d’une dizaine de dessinateurs, alors,qui
sont connus pour des thématiques propres à chacun, mais qui
restent des variations du répertoire général. Mais il en est
quatre qui se distinguent du lot, dont Liu Boliang qui peut être
considéré comme le maître de cette génération. Avec Zhu Runzhai,
Zhou Yunfang et Shen Manyun, il forme ce que l’on a appelé, par
analogie avec les rôles de l’opéra, « Les quatre grands dan
du lianhuanhua » (连环画四大名旦).
Né en 1890, le peintre Zhu Runzhai (朱润斋)
était spécialisé dans les récits populaires tirés d’opéras et de
romans historiques. Son « Roman des Trois Royaumes en cent
illustrations » (《〈三国志演义〉百图》),
publié vers 1930, reste dans un style proche de celui de Liu
Boliang, avec le même soin apporté à la déclinaison du texte au
sein de l’illustration, avec pour seule différence notable |
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Zhu Runzhai, les Trois Royaumes en cent illustrations, 1930 |
qu’il y a deux illustrations par page.
Histoire de Pingyang |
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Né en 1910, Zhou Yunfang (周云舫)
était plus jeune, mais il commença à dessiner des lianhuanhua dès
l’âge de quinze ans. Il incorpora plus tard dans son style des
éléments inspirés de l’art occidental, formant ainsi une école
en concurrence avec celle de son confrère Zhu Runzhai. Il est
mort très jeune, en 1939, à l’âge de 29 ans, victime, dit-on, de
son addiction à l’opium, mais il nous reste quelques beaux
exemples de son art, dont deux lianhuanhua, publiés dans
le Shenbao, réalisés à l’âge de vingt ans : « Histoire de
Pingyang » (《张勇平阳传》)
et « L’investiture des dieux » (《封神榜》).
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Dans les années 1920, il s’était rendu célèbre grâce à son
xiaorenshu intitulé « Images de Tianbao » (《天宝图》),
une histoire de héros de wuxia à la mode. Les jeunes
ouvriers autant que les collégiens se précipitaient le matin
pour lire la dernière histoire de la série, et on disait que
« quand on lit les histoires de Tianbao, on en oublie qu’on a le
ventre creux » (“看了《天宝图》,忘记肚皮饿。”)
Quant au quatrième, Shen Manyun (沈曼云),
né en 1911, il était du même âge que Zhou Yunfang, mais il n’est
mort qu’en 1978, et il est l’un des |
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Le Prince échangé contre un chat,
« le héros n°1 » :
Couverture |
dessinateurs les plus prolifiques de sa génération. Egalement
connu pour ses adaptations d’opéras et
Le Prince échangé contre un chat, « le héros n°1 » :
Une double page |
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histoires légendaires, il était élève et disciple de Liu
Boliang, mais, sur les mêmes bases de dessin, s’est créé
un style personnel.
On le voit, par exemple, dans son illustration de l’opéra « Le
Prince échangé contre un chat » (《狸猫换太子》),
le même, extrait d’un épisode du roman
« Les trois chevaliers et cinq redresseurs de torts »,
que
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celui représenté à Shanghai en 1918
évoqué plus haut. Shen Manyun a
inscrit le résumé de la scène
dans des cartouches au centre du dessin, tout en affinant son
traitpour
exprimant
les motifs des étoffes et les détails des coiffures, dans des
mises en scène complexes héritées de l’opéra ; la beauté de
l’image est ce qui attire l’œil d’abord, mais le texte est mis
en valeur.
Il a aussi dessiné une foule de lianhuanhua adaptés
d’histoires de wuxia, à une époque où, à partir de 1928,
le wuxia a commencé à faire fureur au cinéma, dans la
foulée du fameux « Incendie du monastère du Lotus rouge » (《火烧红莲寺》)
réalisé par Zhang Shichuan (张石川).
Les lianhuanhua ont pris leur part au succès du genre,
les dessinateurs sortant les petits livresà
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Une histoire de wuxia de la série du
« petit héros » par
Shen Manyun
(le petit héros et le grand bon dragon《小侠大好老》) |
la sortie des films
.
Shen Manyun a été l’un des plus prolifiques dans ce domaine,
adaptant des
Autre histoire de wuxia :
Le héros Ma Qingfeng (《豪侠马青锋》) |
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histoires de wuxia même après que les films
aient été interdits par le Guomingdang, pour être
potentiellement subversifs.
Shen Manyun est l’un des dessinateurs les plus marquants des
années 1930-1940 ; on l’a appelé
le " roi des images enchaînées " ("聯畫之王").
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A ces grands dessinateurs, il faut ajouter Zhao Hongben (赵宏本),
né en 1915, qui a été presque aussi prolifique que
Shen Manyun pendant sa longue
existence – il est décédé en 2000 – mais qui a été actif surtout
à partir des années 1940, en même temps qu’il militait pour les
réseaux clandestin du Parti communiste. L’une des œuvres qui
nous sont restées de lui, datant des années 1940, est la suite
des « Généraux de la famille Yang des Song du Nord » où il a
supprimé le texte en haut de page pour le remplacer par un
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Les généraux de la famille Yang |
résumé, voire une cartouche. Son dessin est influencé par
l’opéra, mais le trait tend vers la caricature :
Années 1930-1940 : le baihua à la rescousse du lianhuanhua
Parallèlement, dans les années 1930, l’essor du lianhuanhua
est aussi lié au développement de la littérature en baihua,
et des liens qui s’instaurent entre dessinateurs et écrivains. A
l’époque, les lianhuanhua restaient, comme les livres
illustrés à l’origine, un genre populaire, méprisé des
intellectuels, mais même des libraires qui ne voulaient pas les
vendre.
Ils étaient donc distribués grâce un réseau de petits
bouquinistes de rue qui, pour s’approvisionner, se rendaient de
nuit chez les éditeurs, dans le quartier de Zhabei (闸北区),
au nord de Shanghai, jusqu’à ce que, en 1935, les éditeurs
créent une “bourse d’échange” plus au sud, dans le quartier de
Taoyuanli (桃源里)
où les éditeurs ont fini par se regrouper : la vente se faisait
à 14 heures, les livres étaient dans les étals quatre heures
plus tard. C’étaient des affaires qui marchaient bien.
Les lecteurs de lianhuanhua dans
la rue |
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Pourtant, s’adressant à un public peu fortuné, les petits livres
n’étaient même pas vendus, ils étaient loués, et le plus souvent
lus sur place, devant l’étal du marchand, car cela permettait
d’éviter d’avoir à payer la caution que versaient les lecteurs
un peu plus aisés, mais rares, qui les emportaient chez eux pour
les lire en famille. Dans un article du début des années 1930, Mao
Dun (茅盾)
décrit ces petites librairies de rue qui ne disparaîtront que
dans les années 1980 : des lecteurs pour la plupart très jeunes,
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partageant le même bout de trottoir sans distinction de statut
social, les collégiens, enfants de travailleurs ou de petits
boutiquiers, voire de familles aisées, côtoyant des apprentis de
quinze ou seize ans, et même, à l’occasion, des travailleurs
adultes, tous plongés avec la même passion dans leur petit livre
illustré.
Mao Dun souligne aussi la relation étroite entre ces lectures et
les progrès de l’alphabétisation : si les deux tiers de la page
étaient occupés par l’image, le texte s’inscrivait dans le tiers
restant et, en lien avec les images séquentielles, pouvait être
lu comme un résumé du roman. C’était donc, nous dit-il, un
premier pas vers la lecture : l’image servait à attirer les
lecteurs, et aidait ceux qui ne savaient pas bien lire à
comprendre le récit. Parfois même, les enfants qui ne savaient
pas encore lire regardaient les images en écoutant les adultes
raconter les histoires. Pendant très longtemps, il n’y a pas eu
en Chine de littérature spécifiquement pour enfants ; les romans
étaient partagés par tous les âges, et cette habitude est restée
même après l’apparition des livres pour enfants.
C’est cependant
Lu Xun (魯迅),
qui s’est pourtant élevé contre les films de wuxia qu’il
jugeait vulgaires, qui a eu le plus d’influence pour promouvoir
les lianhuanhua, en leur conférant, dans un article célèbre
de 1932, valeur « d’éveil » (启蒙性)
auprès des couches défavorisées, et analphabètes, de la
population. L’affinité particulière qu’il entretenait avec les
dessinateurs et l’importance de ses nouvelles à leurs yeux a
incité plusieurs d’entre eux à les adapter en lianhuanhua,
ou en manhua dans le cas de Feng Zikai (豐子愷)
à la fin des années 1930
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Pourtant, les idées n’ont pas évolué vite. Quand, en octobre
1936, a eu lieu à Shanghai la première exposition nationale de
lianhuanhua, les artistes traditionnels se sont moqués
des petites bandes dessinées qu’ils ont décrites comme « un
misérable moyen de couper des insectes en morceaux ». Pourtant,
il existait alors une bonne douzaine de magazines spécialisés ;
l’exposition a eu beaucoup de succès, et fut même, dit-on,
considérée d’un œil favorable par le président du gouvernement
nationaliste, à l’époque, Lin Sen (林森)…
La guerre, ensuite, a provoqué des pénuries de papier et
d’encre, et la production de lianhuanhua a nettement
diminué, surtout après la disparition de beaucoup d’imprimeries
lors de la bataille de Shanghai, l’année suivante.
Néanmoins,
Lu Xun avait pavé la voie à une utilisation
didactique du lianhuanhua, qui, reprise par Mao après
1949, allait faire des petits livres un formidable vecteur non
seulement d’alphabétisation, mais aussi de propagande.
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