Mao Dun 茅盾
Deux textes de 1928
et 1929
par Brigitte Duzan, 2 décembre 2011
« Brouillard » (《雾》)
et « Le sifflet du vendeur de toufu » (《卖豆腐的哨子》)
sont deux textes très courts de Mao Dun (茅盾)
qui datent de la fin de 1928 et du début de 1929, c’est-à-dire
pendant le séjour de l’écrivain au Japon. Il est intéressant de
les mettre en parallèle.
Le
premier, « Brouillard », est un texte très poétique qui rend
bien l’atmosphère paisible de la petite maison qu’il avait
trouvée, au bord d’un étang, dont il a dit qu’elle était
« pleine de poésie, et propice à l‘écriture » (富有诗意,对写作十分有利).
Le
second, « Le sifflet du vendeur de toufu », reflète en revanche
la nostalgie d’un écrivain forcé de s’exiler un temps dans un
pays où nombre de choses lui rappellent douloureusement un passé
qu’il prétend pourtant avoir effacé de ses souvenirs. Le
brouillard, à la fin, rappelle celui du premier texte, mais en
lui apportant une autre connotation.
Tous deux sont des modèles stylistiques.
Brouillard
《雾》
雾遮没了1正对着后窗的一带山峰。
我还不知道这些山峰叫什么名儿。我来此的第一夜就看见那最高的一座山的顶巅2像钻石装成3的宝冕4似的灯火。那时我的房里还没有电灯,每晚上在暗中默坐5,凝望这半空的一片光明,使我记起了儿时所读的童话。实在的呢,这排列得很整齐的依稀6分为三层的火球,衬着7黑魆魆8的山峰的背景,无论如何,是会引起非人间的缥缈9的思想的。
1.
遮没
zhēmò
cacher, couvrir
2.
顶巅
dǐngdiān
sommet
3.
装成
zhuāngchéng
déguisé en 4.
宝冕
bǎomiǎn
couronne précieuse
5.
默坐
mòzuò
être assis en silence
6.
依稀
yīxī
vague
7.
衬
chèn
doubler (vêtement)
/rehausser 8.
黑魆魆
hēixūxū
mal éclairé
9.
缥缈
piāomiǎo
indistinct
Le
brouillard a englouti le sommet des montagnes que l’on peut
apercevoir de la fenêtre à l’arrière de la maison.
Je
ne sais toujours pas comment elles s’appellent. La première nuit
après mon arrivée, j’ai vu des lumières, telles des bijoux
sertis sur une couronne, sur le faîte de la plus haute de ces
montagnes. A ce moment-là, il n’y avait pas encore l’électricité
dans la maison ; alors, tous les soirs, assis en silence dans
l’obscurité, je restais à observer ces lueurs dans le ciel, et
cela me rappelait les contes que je lisais dans mon enfance.
D’une manière ou d’une autre, ces points lumineux étagés sur
trois niveaux plus ou moins distincts qui viennent souligner les
contreforts montagneux font vraiment penser à un monde irréel.
但在白天看来,却就平凡得很。并排的五六个山峰,差不多高低,就只最西的一峰戴着一簇1房子,其余的仅只有树;中间最大的一峰竟还有濯濯地2一大块,像是癞子3头上的疮疤4。
现在那照例5的晨雾把什么都遮没了;就是稍远的电线杆也躲得毫无影踪。
渐渐地太阳光从浓雾中钻出来了。那也是可怜的太阳呢!光是那样的淡弱。随后它也躲开,让白茫茫的浓雾吞噬了6一切,包围了大地。
我诅咒7这抹煞8一切的雾!
1.
一簇
yícù
un bouquet de 2.
濯濯
zhuózhuó
dénudé 3.
癞子
làizi
lèpre/teigne
4.
疮疤
chuāngbā
cicatrice 5.
照例
zhàolì
usuel 6.
吞噬
tūnshì
engloutir
7.
诅咒
zǔzhòu
maudire 8.
抹煞
mǒshā
annihiler, anéantir
Au
grand jour, cependant, tout cela a l’air tout à fait ordinaire.
Des cinq ou six sommets, tous à peu près de la même hauteur,
seul le plus à l’ouest porte quelques maisons, ailleurs il n’y a
que des arbres ; mais, étonnamment, tout en haut du plus élevé
d’entre eux, il y a un grand espace dénudé, comme une cicatrice
sur la tête de quelqu’un qui aurait la teigne. A l’heure qu’il
est, néanmoins, le brouillard a tout recouvert, comme
d’habitude ; même les poteaux électriques, dans le lointain, ont
disparu sans laisser de traces.
Petit à petit, la lueur du soleil réussit à percer à travers
l’épaisseur du brouillard. Mais c’est un soleil tellement
pitoyable ! Son éclat est si faible qu’il finit par disparaître
à son tour, en laissant l’épaisse nappe de blancheur tout
engloutir, et envelopper la terre.
Maudit soit ce brouillard qui efface tout.
我自然也讨厌寒风和冰雪。但和雾比较起来,我是宁愿1后者呵!寒风和冰雪的天气能够杀人,但也刺激人们活动起来奋斗。雾,雾呀,只使你苦闷2,使你颓唐阑珊3,像陷在烂泥淖中4,满心想挣扎,可是无从着力呢!
1.
宁愿
nìngyuàn
préférer 2.
苦闷
kǔmèn
déprimé
3.
颓唐
tuítáng
démoralisé, accablé
阑珊
lánshān
décliner, toucher à sa fin
4.
陷在
xiàn zài
être piégé, empêtré dans
烂泥淖
lànnínào
bourbier
Naturellement, je déteste le vent hivernal et la neige glacée.
Mais je les préfère encore au brouillard ! Il est vrai qu’ils
peuvent tuer, mais ils poussent à agir pour se défendre. Alors
que le brouillard, lui, laisse simplement déprimé, accablé à
l’idée de sa fin prochaine, comme si on était enfoncé dans un
bourbier fangeux. On a envie de résister, mais on n’en a pas la
force !
傍午的时候1,雾变成了牛毛雨2,像帘子似的老是挂在窗前。两三丈以外,便只见一片烟云——依然遮抹一切,只不是雾样的罢了。没有风。门前池中的残荷梗3时时忽然急剧地4动摇起
来, 接着便有红鲤鱼5的活泼泼的跳跃划破了6死一样平静的水面。
1.
傍午
bàngwǔ
vers midi
2.
牛毛雨
niúmáoyǔ
petite
pluie fine (comme des poils de vache =
牛毛)
3.
残荷梗 cánhègěng
les restes de tiges de lotus 4.
急剧地
jíjùde
très vite
5.
鲤鱼
lǐyú
carpe 划破
huápò
entailler
Vers midi, le brouillard se change en une petite pluie fine, on
a l’impression d’un rideau tiré devant la fenêtre. Au-delà de
deux ou trois pas, on ne voit plus qu’un pan de crachin – tout
est à nouveau englouti, simplement ce n’est pas exactement comme
le brouillard, c’est tout. Il n’y a pas un souffle de vent.
Pourtant, dans la mare devant la porte, les restes de tiges de
lotus se mettent à osciller très vite ; et l’on voit apparaître
une carpe rouge qui, d’un saut vif, vient déchirer la surface
d’un calme mortel de l’eau.
我不知道红鲤鱼的轨外行动是不是为了不堪1沉闷的压迫?在我呢,既然没有杲杲2的太阳,便宁愿有疾风大雨,很不耐这愁雾的后身的牛毛雨老是像帘子一样挂在窗前。
1.
不堪
bùkān
na pas
pouvoir supporter 2.
杲杲
gǎogǎo
brillant (soleil)
Je
ne sais pas si le comportement hors norme de cette carpe vient
du fait qu’elle tente d’échapper au poids de cette oppression.
Mais, pour ce qui me concerne, privé de soleil éclatant, et
souhaitant plutôt un vent de tempête et une pluie battante, je
ne supporte pas la petite pluie fine qui suit ce brouillard
angoissant à la traîne et semble comme un rideau tiré devant la
fenêtre.
1928年11月14日。
14 novembre 1928.
Le
sifflet du vendeur de toufu
《卖豆腐的哨子》
早上醒来的时候,听得卖豆腐的哨子在窗外呜呜地吹1。
1.呜呜声
wūwūshēng
hululement, gémissement
每次这哨子声引起了我不少的怅惘2。
2.
怅惘
chàngwǎng
sans énergie,
languissant
Le
matin, au moment du réveil, retentit le son lugubre du sifflet
du vendeur de toufu.
Chaque fois ce son suscite en moi une morne tristesse.
并不是它那低叹暗气似的声调在诱发1我的漂泊者2的乡愁;不是呢,像我这样的outcast,没有了故乡,也没有了祖国,所谓"乡愁"之类的优雅的情绪,轻易3不会兜上我的心头。
1.
诱发
yòufā
causer, produire 2.
漂泊
piāobó
aller à la dérive
3.
轻易
qīngyì
aisément/hâtivement
Ce
n’est pas du tout que ce son étouffé, comme soupiré tout bas,
fait naître dans le déraciné que je suis la nostalgie du pays
natal ; non, pas du tout : à vrai dire, pour un paria comme moi,
il ne semble plus y avoir de pays natal, ni même de patrie, et
le genre de sentiment raffiné que l’on appelle « nostalgie du
pays natal » aurait toutes les peines à revenir emplir mon
cœur.
也不是它那类乎军笳1然而已其小规模的悲壮的颤音2,使我联想到另一方面的烟云似的过去;也不是呢,过去的,只留下淡淡的一道痕3,早已为现实的严肃和未来的闪光所掩煞4所销毁5。
1.
笳
jiā
(=胡笳 hújiā) ancienne flûte en bambou utilisée par les troupes
chinoises des frontières nord =军笳
2.
颤音
chànyīn
son vibrant,
trille
悲壮
bēizhuàng
pathétique,
émouvant
3.
痕
hén
marque, cicatrice 4.
掩煞
yǎnshā
mettre un terme à (en
recouvrant)
5.
销毁
xiāohuǐ
détruire (en brûlant, en faisant fondre)
Ce
n’est pas non plus que ce genre de très faible trémolo, aussi
pathétique que les flûtes des armées du nord autrefois, puisse
me rappeler un passé tout aussi vague, mais d’une autre teneur ;
non, le passé n’a laissé qu’une marque très ténue, très vite
supplanté et annihilé par la rigueur du présent et l’éclat du
futur.
所以我这怅惘是难言的。然而每次我听到这呜呜的声音,我总抑不住1胸间那股回荡2起伏的怅惘的滋味。
昨夜我在夜市上,也感到了同样酸辣3的滋味。
1.
抑
yì
réprimer 2.
回荡
huídáng
résonner 3.
酸辣
suānlà
amer/aigre et
pimenté/piquant
Aussi cette morne tristesse que j’ai en moi est-elle difficile à
dire. Pourtant, chaque fois que j’entends ce son plaintif, je ne
peux m’empêcher d’en ressentir une nouvelle vague qui monte et
se réverbère au plus profond de moi.
La
nuit dernière, au marché, j’en ai encore ressenti le goût amer.
每次我到夜市,看见那些用一张席铺1挡住了2潮湿3的泥土,就这么着货物和人一同4挤在上面,冒着寒风在嚷嚷5然叫卖的衣衫褴褛6的小贩子7,我总是感得了说不出的怅惘的心情。说是在怜悯8他们么?我知道怜悯是亵渎的9。那末,说是在同情于他们罢?我又觉得太轻。我心底里钦佩10他们那种求生存的忠实11的手段和态度,然而,亦未始12不以为那是太拙笨13。我从他们那雄辩14似的"夸卖"15声中感得了他们的心的哀诉16。我仿佛看见他们吁出17的热气在天空中凝集为一片灰色的云。
1.
席
xí
natte
铺
pū étal
2.
挡住
dǎngzhù
protéger de 3.
潮湿
cháoshī
humide
4.
一同
yìtóng
ensemble au même moment au même endroit
5.
嚷嚷
rāngrang
crier, hurler
(effet d’onomatopée :
嚷嚷然叫rāngrang
ránjiào)
6.
衣衫褴褛
yīshānlánlǚ
vêtu de
vêtements usés, en haillons 7.
贩子
fánzi
marchand
8.
怜悯
liánmǐn
avoir pitié de 9.
亵渎
xièdú
blasphémer 10.
钦佩
qīnpèi
admirer
11.
忠实
zhōngshí
fidèle, loyal 12
亦
yì
aussi
未始
wèishǐ
(accentue une
négation)
13
拙笨
zhuōbèn
maladroit, gauche 14.
雄辩
xióngbiàn
convaincant,
éloquent
15
夸
kuā
vanter 16.
哀诉
āisù
plainte 17.
吁
xū
soupirer / yù
appeler
Chaque fois que je vais au marché de nuit, que je vois ces
petits étals faits d’une natte couvrant la terre humide, tous
ces amas de choses et tous ces gens rassemblés là, en foule
devant moi, et que j’entends les petits marchands en guenilles,
dans le vent glacial, lancer leurs cris pour attirer les
clients, je sens monter en moi ce sentiment indicible de morne
tristesse. Peut-on dire que j’ai pitié d’eux ? Je sais bien que
la pitié est une insulte. Alors peut-on dire que j’ai de la
compassion pour eux ? Ce serait encore trop léger. J’admire du
fond du cœur ce genre d’attitude, cette manière honnête de
gagner sa vie, et ne pense pas du tout que ce soit méprisable.
Mais, sous ces cris vantant la marchandise à vendre pour
convaincre le chaland, je sens percer une plainte profonde. J’ai
l’impression de voir toutes ces haleines exhalées comme autant
de soupirs se figer dans le ciel en un nuage gris.
可是他们没有呜呜的哨子。没有这像是闷在瓮中1,像是透过了重压而挣扎出来的地下的声音,作为他们的生活的象征。
呜呜的声音震破了2冻凝3的空气在我窗前过去了。我倾耳静听,我似乎已经从这单调4的呜呜中读出了无数文字。
我猛然推开幛子,遥望屋后的天空。我看见了些什么呢?我只看见满天白茫茫的愁雾。
1.
瓮
wèng
jarre 2.
震破
zhènpò
briser (par un
tremblement)
3.
冻凝
dòngníng
congeler 4.
单调
dāndiào
monotone
Mais il n’y a pas chez eux le son lugubre du sifflet. Il n’y a
pas ce son étouffé comme venant du fond d’une jarre, comme ayant
réussi à s’extraire à grand’ peine des profondeurs de la terre,
ce son symbole même de leur existence.
Ce
son monocorde est passé devant ma fenêtre en déchirant le ciel
gelé. Prêtant une oreille attentive, j’ai cru y déceler des
histoires sans nombre.
J’ai vite ouvert les rideaux, pour regarder le ciel dans le
lointain, derrière la maison. Et qu’y ai-je vu ? Rien qu’une
vaste nappe blanche de brouillard angoissant.
本篇最初发表于1929年2月10日《小说月报》第二十卷第二号。
Première publication le 10 février 1929 dans le ‘Mensuel de la
fiction’.
|