Textes divers

 
 
 
     

 

 

我的中文处境 (在Leeds的发言)

L’écriture du chinois et moi

(allocution prononcée par Zhang Xinxin à Leeds le 16 juillet 2018, traduction Brigitte Duzan) [1]

 

我在美国住了30年了,英文很不好,口语不好,书写不好,深深同意纳博科夫说的,不能够忍受口中飘出婴儿水平的语言。而他用他称为二等语言的英语写了洛丽塔。我用中文写作,从开头到现在。我有一人庇护所——我的丈夫美国人斯蒂夫。如果你用中文问他:懂中文吗?他用中文回答:一点点。如果人夸奖,斯蒂夫你中文行啊!他就回答:马马虎虎——这是他会的最中文。斯蒂夫不懂中文。七个月前,斯蒂夫离开这个世界,剩下我一个人在英文海中挣扎漂浮,我成了语言的难民。也许在坐的哪位联想到学中文到中国旅行的感受?如果你在任何其他语言的汪洋中挣扎过——你能跟我点点头?

Cela fait trente ans que je vis aux Etats-Unis, et mon anglais est toujours aussi mauvais à l’oral qu’à l’écrit. Je suis tout à fait d’accord avec Nabokov quand il disait qu’il ne supportait pas d’entendre le langage puéril qui sortait de sa bouche. Mais lui a écrit Lolita avec ce qu’il appelait son anglais de deuxième classe. Tandis que moi, depuis le début, je n’ai écrit qu’en chinois, recluse dans une sorte d’asile solitaire. Si on demandait, en chinois, à mon mari américain, Steve : « Dong zhongwen ma ? vous comprenez le chinois ? » Il répondait, en chinois : « Yi dian dian - oui, un petit peu ». Et si on le louait : « Sitifu, ni zhongwen xing a ! Steve, vraiment, ton chinois est super ! » il répondait : « Mama huhu… comme ci, comme ça… » C’est le plus chinois de tout ce qu’il arrivait à dire. En fait, il ne comprenait pas le chinois, et, quand il a quitté ce monde, il y a de cela sept mois [2], il m’a laissée seule à lutter pour surnager dans une mer d’anglais : j’étais devenue une réfugiée linguistique. Peut-être ceux qui ont entrepris d’apprendre le chinois ressentent-ils la même chose quand ils vont en Chine ? Si vous vous êtes débattus dans les vastes flots d’une langue étrangère, peut-être me ferez-vous un petit signe de tête de connivence ?

 

住在美国继续中文写作,我遇到今天和我一起在这里的Helen。早在80年代她在中国学习的时候译了我一个短篇,后来她整理旧物,看到卷边的老译稿,找到我的邮件地址问有谁翻译了吗,如果有,她把她的译文扔进垃圾箱。没有人翻译,于是我俩认识了。那是十年前——Helen?从此Helen翻译了我一些作品,你们网上链接了几个。直到半年之前我和Helen没有见过面,她和斯蒂夫通过邮件编辑我的作品的英文和他认识了,从来没有见过面,斯蒂夫走了,Helen来看我,是我们第一见面

Une fois aux Etats-Unis, j’ai continué à écrire en chinois, et c’est ainsi que j’ai rencontré Helen avec laquelle je suis aujourd’hui ici. Au début des années 1980, alors qu’elle était étudiante en Chine, elle avait traduit une de mes nouvelles. Plus tard, elle est tombée sur cette traduction alors qu’elle rangeait des vieux papiers et, ayant trouvé mon adresse mail, m’a écrit pour me demander si la nouvelle avait été publiée en anglais, auquel cas elle aurait jeté sa traduction. Mais personne d’autre ne l’avait traduite, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. C’était il y a dix ans, et depuis lors Helen a traduit plusieurs de mes récits, dont vous pouvez trouver quelques-uns sur internet. Cependant, nous ne nous étions jamais rencontrées ; elle a travaillé par mail avec Steve pour éditer ses traductions en anglais de mes œuvres, sans le rencontrer non plus. Ce n’est qu’il y a six mois, juste après le décès de Steve, que Helen est venue me voir aux Etats-Unis et que je l’ai vue pour la première fois.

 

我和Helen很有摩擦。我读到她的一个工作成果,她做的中国文革红宝书和广播语言对比表。我给她写信说:读着我的胃被一拳一拳狠狠击中,我就是红海洋孩子。Helen不知道这是高度赞扬不是套话式的,她挺失望地写,很抱歉让你不快乐,但是难道你们不是这样吗!我无法回答。“外国鬼子”研究中国历史很有成果,也不是一次两次十次一百次了,我除了深感惭愧,还是深感惭愧,我当时想,这个Helen不交往也罢了——太博学了。

Au début, je me sentais un peu en friction avec elle. J’ai lu un livre d’elle, sur les contrastes, pendant la Révolution culturelle, entre la langue utilisée à la radio et celle du Petit Livre rouge. Je lui ai écrit que, pour moi qui étais une enfant de cet océan de rouge, lire son livre était comme recevoir des coups répétés dans l’estomac. Ne sachant trop si elle devait prendre cela comme un compliment ou tout au plus comme une forme de politesse, Helen m’a répondu avec une note de désespoir qu’elle était désolée si elle m’avait blessée, mais ce n’était pas le cas. Simplement, je ne savais que répondre. Ces « diables d’étrangers » sont vraiment très bons quand ils font des recherches sur l’histoire de la Chine, et ce n’est pas seulement une fois de temps en temps. J’ai vraiment eu honte, et je me suis dit que ce n’était pas la peine de garder le contact avec elle, elle était trop érudite, et point.

 

我是自学者。小学六年级时候少女躁动,逃学听说书,成绩一路下降,眼看考中学成大问题,就在这时候文化大革命发生了,大学到小学全国都不考试了,全都停课了,我的第一反应是:谢谢您文化大革命!没有受过完整教育的我,被红色语言污染的我,敢盲目自信地说我有作家的本色语言?不错,我在北京成长,说普通话,听相声看说书,读三言二拍,在中文书写表达时候我占便宜吗?十七岁重病时候读春秋诸子百家的哲学,司马迁史记,也读外国小说,我学戏剧导演从舞台理解契科夫的停顿”,因为写小说被政治批判,因此找不到工作,流浪于是有了到处听《北京人》——听人们讲个人故事,听着我想,我这点生存麻烦算什么啊。《北京人》的采访和写作动因,因为我读了美国口述历史,遥远的人会如此逼近,我读的是中文,是翻译的,是的,我靠阅读翻译作品不断地启发创造,于是我遇到你们系的人Bill Jenner Delia Davin,  1988年伦敦见到Delia,情与景还是这么新鲜。斯蒂夫读我的第一个作品是英文的《北京人》。

中文是我们相遇的原因。翻译是我们相遇的桥。

 

Moi, je suis autodidacte. Quand j’étais en dernière année de primaire, j’étais insupportable ; je séchais l’école pour aller écouter les conteurs, mes notes étaient de pire en pire, juste au moment où approchait l’examen d’entrée en sixième. Le passage au collège était problématique. C’est juste à ce moment-là qu’a commencé la Révolution culturelle, tous les examens ont été supprimés, et on n’a plu eu cours. Ma réaction immédiate a été : Merci, Révolution culturelle ! Moi qui n’ai pas terminé un cursus d’études complet, qui ai été polluée par la « langue rouge », puis-je oser prétendre que j’ai véritablement une langue d’écrivain ? C’est vrai, j’ai grandi à Pékin, je parle le putonghua, je regarde des dialogues comiques, je lis des récits de conteurs, aussi bien que des recueils de contes et ballades des Ming. Est-ce que cela veut dire que je choisis la facilité en écrivant en chinois ? A dix-sept ans [en 1970], j’ai été gravement malade ; à ce moment-là, j’ai lu les Printemps et automnes et les écrits des penseurs des Cent écoles [3], les Mémoires historiques de Sima Qian, mais aussi des romans étrangers ; alors que j’étudiais la mise en scène de théâtre, j’ai également compris ce que signifie la « pause » de Tchekhov sur la scène [4]. Parce que mes nouvelles avaient été critiquées par les autorités, je n’ai pas trouvé de travail. Alors que j’errais dans les rues, j’écoutais parler les Pékinois, et, en les écoutant raconter leurs histoires personnelles, je me disais que mes problèmes n’étaient rien à côté des leurs. J’ai alors commencé à écrire « Gens de Pékin » [5], mais l’inspiration initiale m’est venue de la lecture d’ouvrages sur l’histoire orale des Etats-Unis [6] qui m’ont fait sentir très proches des gens qui vivaient à l’autre bout du monde. Je les ai lus en traduction chinoise : les traductions de livres étrangers ont été pour moi une constante source d’inspiration. C’est d’ailleurs grâce à « Gens de Pékin » que j’ai fait la connaissance de deux de vos collègues, ici à Leeds : Bill Jenner et Delia Devin [qui ont co-édité la version anglaise de l’ouvrage sous le titre « Chinese Lives »]. J’ai rencontré Delia à Londres en 1988 ; trente ans se sont écoulés, mais le souvenir que j’en ai gardé est toujours aussi frais, et l’émotion toujours aussi vive. « Chinese Lives » est le premier de mes livres qu’a lu Steve.

C’est grâce au Chinois que nous nous sommes rencontrés, et c’est la traduction qui a été le pont entre nous.

 

 

[1] L’allocution a également été traduite par Helen Wang, avec quelques détails supplémentaires pour le public britannique : My Chinese Writing  https://www.academia.edu/37096671/ZHANG_Xinxin_

-_My_Chinese_Writing_July_2018_?auto=download

[2] Son mari (américain) est décédé brutalement d’une crise cardiaque en décembre 2017.

[3] 春秋诸子百家: Zhang Xinxin fait allusion aux Annales des Printemps et automnes (sensées avoir été compilées par Confucius au 5e siècle avant JC) et aux écrits des philosophes et penseurs de la même époque, regroupés sous le terme zhūzǐ bǎijiā (诸子百家), les différents penseurs des Cent écoles (Mencius, les taoïstes, les mohistes, les légalistes etc.).  

[4] Le théâtre de Chekhov est tout de subtilité et de non-dits, de silence aussi : « pause » pleine de signification autour de laquelle s’articule la vérité. Merci Helen pour l’explication.

[5] Ecrit à partir d’une centaine d’interviews de gens dans la rue, l’ouvrage a été publié en 1985 sous le titre complet « Gens de Pékin, cent autoportraits de Chinois ». Il existe deux traductions françaises : l’une, « L’homme de Beijing », parue dans la collection Panda en 1987 : l’autre, réalisée par un groupe de traducteurs, est parue en 1992 chez Actes Sud sous le titre « L’homme de Pékin ».

[6] En particulier les ouvrages de Studs Terkel (1912-2008) qui a publié dans les années 1980-90 une série d’« Histoires orales » des Etats-Unis au 20e siècle : histoires orales de la Grande Dépression, du travail aux Etats-Unis, de la Seconde Guerre mondiale, etc.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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