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A découvrir : Bei Bei et son « petit coin du monastère »

par Brigitte Duzan, 25 avril 2010

 

Vient de sortir chez Bleu de Chine, désormais une collection des éditions Gallimard (1), un petit livre

d’une romancière dont c’est la deuxième nouvelle traduite en français (2) : « Mon petit coin du monastère », de Bei Bei.

 

Cela se lit comme un petit polar sans prétention, mais c’est plus profond qu’il n’y paraît, et en outre très bien traduit, avec toute la légèreté qui convient au style de la nouvelle.

 

Le petit coin en question est ce que la traductrice a appelé « les ouatères » du monastère, un monastère quelconque, là n’est pas l’important : ce sont les ouatères qui sont importants, c’est là que vit et travaille le personnage principal de l’histoire, qui la raconte à la première personne. D’ailleurs la nouvelle en chinois s’intitule 家住厕所, c’est-à-dire ‘les ouatères où j’habite’ (3). Comme dans le théâtre classique, on a unité de lieu et d’action, et presque de temps car l’histoire se déroule en quelques jours.

 

 

C’est cependant à peu près tout ce qu’il y a de classique dans ce livre, plutôt caractérisé par une grande originalité. Le personnage principal est donc un malheureux préposé aux toilettes du monastère, à qui les moines ont permis de vendre en sus quelques feuilles de papier hygiénique, en cas de besoin, pour arrondir ses fins de mois. C’est un univers tranquille, dans le coin le plus éloigné du monastère, où les jours se suivent dans la plus parfaite uniformité.

 

Jusqu’à ce que débarque dans les lieux un certain Mi Weicang (米伟仓que le préposé aux ouatères reconnaît, sidéré, comme un ancien camarade de classe dont il n’a pas entendu parler depuis vingt ans :

二十年过去我始终没忘记这个名字,他是我初中的同桌。整整二十年没见面了,他居然找得到我。

Vingt ans étaient passés, mais je n’avais pas oublié son nom, il était assis à la même table que moi, au collège. Vingt années que je ne l’avais pas vu, et soudain, voilà qu’il débarquait à l’improviste.

 

Les pages qui suivent sont les plus belles de la nouvelle, ce sont elles qui conditionnent le déroulement de l’intrigue qui suit. Le personnage principal évoque ses souvenirs d’enfance avec une naïveté où perce une émotion contenue. Il était fils d’ouvrier ; Mi Weicang, lui, était fils de militaire, et un militaire avec des galons, ou plutôt « quatre poches » (四个口袋). Le maître avait dit qu’il ne fallait pas se contenter de progresser, il fallait aussi aider les autres à le faire. Alors il aidait Mi Weicang, aveuglément.

 

Il va, un jour, jusqu’à écrire à sa place une lettre de motivation pour que Mi Weicang puisse intégrer avec lui une équipe d’élite ; mais il est dénoncé, sur quoi il reconnaît sa faute et s’accuse en exonérant l’autre. Il est exclu du groupe tandis que Mi Weicang y est admis. Leurs parcours divergent : Mi Weicang finit par aller à l’université, à Pékin ; mais ce qui a le plus attristé le préposé aux ouatères, c’est que celui qui s’était dit son frère n’est même pas venu lui dire au revoir avant de partir….

 

Tels sont les deux personnages sur lesquels est bâtie une pseudo intrigue policière qui ne sert en fait qu’à maintenir un certain suspense pour faire progresser l’histoire quelques jours, le temps que l’auteur ait parfaitement dépeint les relations entre les deux hommes, toujours fondées sur les mêmes bases que vingt ans auparavant, la même candeur d’un côté, le même cynisme de l’autre, comme si l’un ne pouvait qu’être écrasé par l’autre, fatalement, sans qu’il soit besoin de faire intervenir de longs discours sur les inégalités sociales.  

 

L’auteur est une jeune femme de quarante ans, Bei Bei (北北). Si elle écrit et publie depuis 1983, elle n’écrit de nouvelles que depuis la fin des années 1990. Elle est cependant appréciée en Chine comme représentante d’une nouvelle génération de femmes écrivains. Elle mériterait d’être un peu mieux connue chez nous…

 

 

(1) Voir l’article Les éditions Bleu de Chine sauvées par Gallimard

(2) La première, traduite par la même traductrice, Françoise Naour, a été publiée en 2007, également aux éditions Bleu de Chine, dans un recueil de huit nouvelles d’auteurs différents  intitulé « Le vendeur de nids d’hirondelles »

(3) Il s’agit d’une nouvelle « de taille moyenne » (中篇小说) publiée pour la première fois en 2005 dans le magazine littéraire de Shanghai 上海文学. Le texte original se trouve sur le blog de

l’auteur : http://blog.sina.com.cn/s/blog_48fb8f5801009fdi.html

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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