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Histoires au coin de la rue : plongée dans la ville de Taipei d’aujourd’hui (et d’hier)

par Brigitte Duzan, 23 mai 2017 

 

Sorti le 3 mai dernier, « Taipei, histoires au coin de la rue » est un nouveau recueil de nouvelles et chroniques d’auteurs taïwanais contemporains publié par l’Asiathèque : huit nouvelles et sept chroniques culinaires qui offrent un aperçu de la ville, de son ambiance, de la vie de tous les jours et des difficultés propres à divers personnages venus dans la capitale pour une raison ou une autre, évènements politiques, drames familiaux, contingences économiques.

 

Mais, comme il est dit dans la nouvelle qui ouvre l’anthologie – « Le Petit Bassin de Taipei » (《台北小盆地》), un sanwen autobiographique de Jane Jian (簡媜) - une fois qu’on y a mis un pied, on n’en repart plus : comme beaucoup de métropoles du monde moderne, Taipei est peut-être une ville où l’on se perd, où la campagnarde qui arrive à du mal à trouver sa place et à se sentir à l’aise, même au bout de

 

Taipei, histoires au coin de la rue

quinze ans, mais c’est aussi une ville où l’on choisit de rester.

 

Les textes sont précédés d’une superbe préface de Gwennaël Gaffric qui replace les textes dans un contexte historique, topologique et culturel en donnant un bref aperçu de l’histoire de Taipei à partir du début du 18ème siècle, un descriptif des divers quartiers de la ville et un résumé commenté des différents textes, avec un mot sur chacun des auteurs. Le premier texte semble dériver directement de cette préface, comme pour l’illustrer.

 

Avec la nouvelle qui suit, « La rue Lungch’üan » (la rue de la source du titgre《龍泉街》) de Lin Yao-teh (林燿德), chef de file de la littérature urbaine à Taiwan, on a une histoire sombre de vengeance de petit voyou dans une ville nocturne qui semble dominée par la violence. C’est une nouvelle de la fin des années 1990, où les jeunes semblent être entraînés par la violence ambiante, née sans doute de leur inadaptation à un univers qui leur est encore étranger.

 

La troisième nouvelle – « Ça, cette pluie de chagrin » (《这,悲凉的雨》) de Walis Nokan (瓦歷斯.諾幹) – dépeint les désillusions nées de la vie urbaine, en termes féminins et aborigènes, mais vues par les yeux d’un enfant, ce qui lui donne un ton d’une grande tendresse. Elle est tirée du recueil « Villes cruelles » (《城市残酷》).

 

« Le Mémorial de Chang Kai-chek » (《中正纪念堂》), une nouvelle (a priori autobiographique) de Lo Yi-chin (駱以軍), auteur originaire de Chine continentale, montre un autre aspect des clivages propres à Taipeh : un jeune garçon né de parents du Continent qui se croyait bien intégré se rend compte, à la suite d'une remarque d'un camarade, que les différences entre Continentaux et Taïwanais de souche sont toujours vivaces, et en ressent soudain de la gêne. Comme pour les aborigènes, la ville se révèle fuyante et difficile d’approche, mais la nouvelle date de près de vingt ans.

 

La nouvelle qui suit – « Histoire de toilettes » (《厕所的故事》) - est de Wu Ming-yi (吳明益) et semble un complément, ou plutôt un préambule puisqu’elle date de 2003, du génial recueil « Le magicien sur la passerelle » (《天橋上的魔術師》), précédemment publié à l’Asiathèque ; on en retrouve le lieu, l’ancien marché de Chunghwa, l’atmosphère un tantinet surréelle, et même les toilettes avec leurs boutons d’ascenseur dessinés sur les murs permettant de monter au 150ème étage… Un enfant qui a perdu son âme une nuit en allant aux toilettes, justement, est guéri par un ancien talisman capable de vaincre les démons qui la lui ont prise : c’est vraiment une histoire du magicien, il manque juste la passerelle. On se demande combien il en reste encore à traduire, de ces histoires, on en lirait bien d’autres.

 

Mais la nouvelle qui suit offre, dans sa concision, un contrepoint d’un cruel réalisme aux histoires magiques de Wu Ming-yi : « La carte d’identité d’un inconnu » (一個陌生人的身份証明) de Chi Ta-wei (紀大偉), est une histoire de contrôle d’identité qui tourne mal. Mais c’est surtout une courte nouvelle très bien écrite, où le monologue intérieur du personnage explique ce que son quasi mutisme devant le policier qui l’interroge laisse dans l’ombre : l’angoisse d’un jeune homosexuel qui attend les résultats de son analyse de sang pour savoir s’il a le sida, et sa panique à l’idée de voir son identité révélée. Résumé d’une triste existence en quelques pages. Etonnamment, Chi Ta-wei est aussi un auteur de science-fiction [1].

 

« Videoman » (電動) de Chang Wan-kang (張萬康) est aussi dans le registre hyperréaliste et plutôt tendre, mais beaucoup plus caustique. On suit les pensées d’une jeune serveuse, dans un café, entre "bachoteurs et vieux taros", et un jeune mieux fringué que les autres qui finit par sortir avec elle, mais sans qu’on ait l’impression que ce soit ni très sérieux ni très profond, ni que cela ait beaucoup d’importance. En fait, on ne sait pas trop ce qui pourrait en avoir, de l’importance.

 

Avec « Retour Nocturne » (歸》) de Chou Tan-ying (周丹穎), le recueil se termine sur une virée nocturne, un peu comme il avait commencé, mais sur un ton apaisé, doucement triste : deux personnages en narration alternée, un peu comme chez Liu Yichang (刘以鬯) : un père chauffeur de taxi la nuit, à Taipei, et sa fille étudiante, à Paris, chacun enfermé dans sa solitude.

 

Et, pour lier le tout, entre ces histoires sont intercalées des petites escapades littéraires et gourmandes dans les restaurants et les marchés de nuit de Taipei, haltes savoureuses signées du spécialiste des chroniques gastronomiques à Taiwan, Shu Kuo-chih (舒國治).

 

A noter : la table des matières est suivie des références des textes originaux, une initiative assez rare dont on aimerait qu’elle fasse école chez les éditeurs qui publient des traductions de textes chinois.

 


Taipei, histoires au coin de la rue 

Nouvelles et chroniques traduites par Olivier Bialais, Marie-Paule Chamayou, Mélie Chen, Gwennaël Gaffric, Coraline Jortay, Marie Laureillard, Damien Ligot, Lise Pouchelon, Chingjin Wu-soldani.

Préface de Gwennaël Gaffric

L’Asiathèque 2017

 

 


[1] Auteur du roman « Membrane » (《膜》) publié dans la collection Taiwan Fiction en 2015, et réédité en Livre de Poche en mars 2017 : https://lettresdetaiwan.com/2015/10/21/membrane/

 

 

     

   

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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