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Sortie à Hong Kong d’un troisième roman semi-autobiographique de Zhang Ailing

par Brigitte Duzan, 7 septembre 2010

 

C’est à Hong Kong qu’est sorti, ce vendredi 3 septembre, le roman quasiment autobiographique de Zhang Ailing intitulé « The Book of Change » (《易经》), publié à la fois pour le 90ème anniversaire de sa naissance et le 15ème anniversaire de sa mort. La sortie de ce nouvel opus, publié à titre posthume et dans sa version anglaise originale, par les

 

« The Book of Change » (《易经》)

presses de l’université de Hong Kong, a fait l’objet d’un lancement très médiatisé qui était en lui-même un hommage à son auteur.

 

Une trilogie retrouvée manuscrite après le décès de Zhang Ailing

 

« The Fall of the Pagoda » (《雷峯塔》)

 

« The Book of Change » est la suite du livre publié en avril dernier, également à Hong Kong : « The Fall of the Pagoda » (《雷峯塔》). Ce dernier roman est l’histoire à peine romancée de Zhang Ailing entre les âges de quatre et

dix-huit ans, tandis que « The Book of Change » complète

l’histoire avec la période pendant laquelle elle fut étudiante à

l’université de Hong Kong, c’est-à-dire entre 1939 et la chute de Hong Kong après Pearl Harbour, en 1941, soit entre ses dix-neuf et vingt-deux ans. (1)

 

Ces deux romans forment une sorte de trilogie avec l’autre livre publié précédemment, en février 2009, « Little Reunion » (《小团圆》), qui fut l’un des bestsellers de l’année 2009 à Hong Kong et à Taiwan, mais aussi en Chine continentale.

 

Les trois séries de manuscrits furent retrouvées dans les papiers laissés par Zhang Ailing à sa mort ; sa correspondance révéla qu’elle avait vainement tenté de les

publier, aucun éditeur américain ne les ayant acceptés : ils n’étaient pas dans l’air du temps.

 

Comme stipulé dans son testament, ces manuscrits revinrent à la famille Soong, Stephen Soong ayant été désigné comme exécuteur testamentaire, charge qui incomba à sa mort à son fils Roland, ou Song Yilang  (宋以朗). Stephen Soong avait empêché Zhang Ailing de détruire le manuscrit de « Little Reunion », comme elle voulait le faire, et l’avait emporté à Taiwan, mais il s’était opposé à la publication d’un livre qui concernait la vie privée de la romancière, pour la raison essentielle que Hu Lancheng était toujours

 

Conférence de presse de Roland Soong

pour le lancement du livre « The Fall of the Pagoda »

vivant et résidait à Taiwan, où les conditions politiques n’étaient pas non plus favorables.

 

édition de taiwan du livre

 « Little Reunion » (《小团圆》)

 

Roland Soong estima ensuite, fin 2008, que, non seulement ces raisons n’existaient plus, mais qu’il était de l’intérêt du public comme des chercheurs de publier non seulement « Little Reunion », mais aussi les deux autres romans qui constituent des documents importants sur la vie de Zhang Ailing, car ils permettent de mieux apprécier le reste de son œuvre. Ils ont donc été publiés successivement, tous les trois dans leur version originale en anglais, ensuite traduite et publiée en chinois.

 

Parallèlement, Stephen Soong a créé un fonds spécial d’un million de dollars de Hong Kong, le Eileen Chang Scholarship Memorial, pour doter de bourses d’études des étudiantes ayant le même profil que Zhang Ailing. Il y a donc là une série d’efforts coordonnés pour sortir l’écrivain de l’oubli relatif qu’elle a subi pendant de nombreuses années, voire des clichés promus par une mode récente, et promouvoir

une connaissance de ses œuvres qui ne soit pas réduite à ses romans les plus connus des années quarante.

 

Le passé revisité, répété et décanté ad libitum

 

Réflexion douloureuse sur son passé, les trois livres apparaissent comme une tentative par Zhang Ailing de panser les plaies laissées par l’histoire, et, ce faisant, d’apaiser son esprit. Si, dans « Little Reunion », elle tente de faire la lumière sur ses relations avec son premier mari, Hu Lancheng (胡兰成), dans les deux autres, elle revient sur les blessures infligées par ses propres parents, et la narration, même vaguement romancée, est bien plus impitoyable.

 

Dans « The Fall of the Pagoda », elle racontait son enfance à Tianjin et Shanghai, et le début de ses années d’étudiante à Hong Kong, au travers d’un personnage fictionnel totalement transparent. Son enfance y est décrite comme un conte

d’horreur se terminant par sa fuite du foyer paternel.

 

édition de Pékin du livre

 « Little Reunion » (《小团圆》)

 

Dans « The Book of Change », l’accent est mis sur Hong Kong envahie par les Japonais : elle raconte le chaos provoqué par l’occupation, puis le retour à une sorte d’ordre normal des choses, les compromissions et lâchetés pour assurer la survie de tous les jours, et en particulier la nourriture.

 

Le livre, cependant, est plus particulièrement le récit de ses rapports avec sa mère, et une froide accusation de la frivolité et de l’irresponsabilité de celle-ci. Un professeur de chinois de l’université Feng Chia de Taiwan (逢甲大学), Zhang Ruifen (张瑞芬), a décrit ainsi l’impression que lui a laissée la lecture du livre : un sentiment de froid glacial pénétrant jusqu’à la moelle des os (一股冷凉寒意,简直要钻到骨髓里”). Même son frère n’échappe pas au soupçon d’avoir été un enfant adultérin. Mais les pages sur sa mère sont de loin les plus terribles.

 

Dans « The Fall of the Pagoda », elle a raconté comment sa mère l’avait abandonnée pour partir à

l’étranger. Dans « The Book of Change », le plus terrible est sa narration d’une visite que sa mère lui fit à Hong Kong. Son double fictionnel, Pipa (琵琶), jeune étudiante dans le besoin, obtient une bourse grâce à son professeur d’histoire, et, recevant la visite de sa mère qui lui fait pitié, lui donne cet argent ; quelques temps plus tard, elle se rend compte par hasard que non seulement sa mère a perdu

l’argent au jeu, mais qu’elle la soupçonne en outre de l’avoir gagné en vendant ses charmes.

 

On comprend dès lors que, dans l’isolement où elle vivait aux Etats-Unis, Zhang Ailing n’ait cessé de ressasser tous ces souvenirs malheureux, et qu’elle ait ressenti le besoin de s’en libérer. Ces deux livres, écrits dans les années soixante, et terminés bien avant « Little Reunion », apparaissent bien comme une opération cathartique ; ils éclairent tout un aspect de la personnalité de Zhang Ailing qui n’était jusqu’ici qu’entrevue.

 

Dans un essai écrit en 1945, en même temps que ceux publiés dans le recueil « Written on Water »

(流言), mais seulement cité dans l’introduction à la traduction en anglais, après une visite que lui a rendue son amie l’écrivain Su Qing, Zhang Ailing se perd dans une rêverie à la tombée du jour :

 

« Je suis restée seule sur le balcon après le départ de Su Qing. J’ai soudain remarqué un grand bâtiment, dans le lointain, sur le côté duquel apparaissait une tâche comme laissée par du rouge à lèvres. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait du reflet du soleil couchant sur une fenêtre, mais, en regardant de plus près, je vis que c’était la pleine lune qui se levait, écarlate, au-dessus de la ville. Je me murmurai en moi-même : « C’est donc cela que l’on appelle une époque troublée ». Dans la brume du soir, la silhouette de Shanghai se détachait doucement sur l’horizon, avec des pics et des creux comme une chaîne de montagne… J’en vins à ressentir une certaine mélancolie en pensant au destin… Lorsque la paix et la sécurité de l’avenir arriveront enfin, ils ne nous appartiendront plus ; pour l’heure, la seule chose que nous puissions faire est tenter de nous consoler »

 

« The Book of Change » est justement cela : la recherche d’un réconfort, par nature transitoire, et demandant donc constamment une nouvelle écriture.

 

 

(1) Les deux titres sont des références à des grands classiques et replacent les deux récits dans une vaste lignée littéraire : « Le livre des changements », pour l’un, « La légende du serpent blanc » (《白蛇传》) pour l’autre. La pagode Leifeng du titre chinois (《雷峯塔》) est en effet celle où le moine Fa Hai finit par enfermer le serpent blanc à la fin du récit. Sa chute, dans le roman de Zhang Ailing,  symbolise celle de toute une époque, celle en particulier de la société de son enfance.

Note : La pagode, située au sud du lac de l’Ouest, à Hangzhou, s’est effectivement effondrée en 1924 parce que, ses briques étant censées guérir diverses maladies et prévenir les fausses couches, les gens les volaient pour les réduire en poudre et en faire des médicaments. Elle a été reconstruite en 2002.

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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