Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Chen Zhongshi  Bailuyuan《白鹿原》

II. Les personnages

par Brigitte Duzan, 8 avril 2023, actualisé 26 avril 2023

 

A.     Principaux personnages

(par Brigitte Duzan)

 

Le roman est construit autour de la rivalité entre les deux familles Bai et Lu, mais on peut considérer que les deux personnages principaux sont en fait Bai Jiaxuan (嘉轩) et Maître Zhu (朱先生).

 

 

Chen Zhongshi bavardant avec des vieux paysans de son village en 1980,
source d’inspiration pour les personnages de son roman

 

  

§  Famille Bai  白家

 

- Bai Jiaxuan 嘉轩

Le patriarche de la famille Bai. Droit et imperturbable au milieu des pires épreuves, il défend les valeurs traditionnelles, confucianistes, centrées sur le respect des ancêtres et des règles familiales ; il incarne la bienveillance et la droiture (仁义).

 

- Wu Xiancao 吴仙草, son épouse

Effacée comme toute bonne épouse, mais soutien inébranlable de son mari.

 

- Bai Xiaowen 白孝文, fils aîné de Bai Jiaxuan [1]

Victime d’une machination ourdie contre la famille, séduit par Xiao’e, renié par son père, il tombe dans une totale déchéance, jusqu’à vendre sa part de l’héritage familial, avant d’être sauvé in extremis et de rejoindre les rangs de l’armée nationaliste.

 

- Bai Xiaowu 白孝武, deuxième fils de Bai Jiaxuan

Il a été envoyé par son père s’occuper du négoce d’herbes médicinales de la famille, dans la montagne.

Après la déchéance de son frère aîné, il est rappelé par son père pour assumer les fonctions de chef de clan.

 

- Bai Xiaoyi 白孝义, troisième fils de Bai Jiaxuan

Jugé inapte par son père à assumer la responsabilité de chef de clan, il joue un rôle dans la dernière partie du roman.

 

- Bai Ling 白灵, fille de Bai Jiaxuan

Adorée et dorlotée par son père et sa grand-mère, elle se rebelle, part étudier en ville, rejoint les rangs de la guérilla communiste et, soupçonnée d’être un agent nationaliste au cours d’un épisode dramatique de purge des rangs du Parti, finit exécutée par les communistes eux-mêmes.

 

- Lu San 鹿三, ouvrier agricole de Bai Jiaxuan

Travailleur dévoué à la famille et à son maître, il est en fait le grand ami de Bai Jiaxuan qui le considère comme faisant partie de la famille. Il est le parrain de Bai Ling.

 

- Lu Zhaoqian 鹿兆谦, fils de Lu San, dit Heiwa 黑娃

Rebelle à l’ordre patriarcal, exclu de la famille et du village pour y avoir ramené la concubine du propriétaire qui l’avait engagé, violent et véritable hors-la-loi, il rejoint une bande de brigands, puis la guérilla communiste, mais finit par revenir étudier auprès de Maître Zhu.

 

- Tian Xiao’e 田小

Ex-concubine, compagne de Heiwa, rejetée par Lu San et Bai Jiaxuan, elle est à la merci des hommes qui la convoitent, sa seule arme étant de les séduire. Même morte, elle continue de hanter Lu San et de représenter une menace pour le village : Bai Jiaxuan fait enterrer ses cendres sous une pagode, comme le Serpent blanc sous la pagode Leifeng (雷峰塔) dans la légende du Serpent blanc.

 

 

Chen Zhongshi avec sa mère au début des années 1990

 

  

§  Famille Lu 鹿家

 

- Lu Zilin 鹿子霖

Le chef de la famille Lu, rival de Bai Jiaxuan, et de caractère diamétralement opposé : riche, retors, opportuniste, coureur de femmes ; il se retrouve sans descendant au soir de sa vie, c’est comme par miracle qu’il échappe à ce funeste sort. Mais il meurt fou.

 

- Lu Zhaopeng 鹿兆鹏

Fils aîné de Lu Zilin, rebelle, refuse d’accepter l’épouse que lui a choisie son père, se lance ensuite à corps perdu dans la lutte révolutionnaire aux côtés des communistes.

 

- Lu Zhaohai 鹿兆海

Fils cadet de Lu Zilin, plein d’enthousiasme pour la cause révolutionnaire, mais se range du côté de l’armée nationaliste. Il perd ainsi l’amour de Bai Ling qui se reporte sur son frère.

 

- Lu Ming 鹿鸣

Fils de Lu Zhaopeng, ramené à Lu Zilin à la fin de sa vie.

 

§  Maître Zhu et le docteur Leng

 

Ce sont deux personnages qui représentent la sagesse traditionnelle et incarnent la rectitude morale.

 

- Maître Zhu 朱先生

Il est à l’écart des luttes fratricides du village, respecté de tous, poursuivant une vie simple, jusque dans son habillement et ses funérailles. Les pages décrivant les manifestations spontanées de douleur et de vénération à sa mort sont parmi les plus belles du roman. Sa mort équivaut à la mort de toute une époque.

Il est marié avec la sœur aînée de Bai Jiaxuan.

(on traduit maître Zhu, mais cela fausse un peu le caractère du personnage. Chen Zhongshi l’a appelé simplement monsieur Zhu, ce qui implique le respect, mais sans forcer le trait)

 

- Docteur Leng 冷先生

Lui aussi est un personnage à part, représentant de la médecine traditionnelle, mais aussi de la sagesse qui lui est liée. Il ne recherche pas l’argent et on va lui demander conseil. Par ses filles, il est lié à la fois aux Bai et aux Lu, mais surtout à Bai Jiaxuan.

 

- Lu Lengshi 鹿冷氏*

Fille aînée du docteur Leng, épouse malheureuse de Lu Zhaopeng. Délaissée, elle a un sort d’autant plus tragique que, étant la fille du docteur Leng, Lu Zhaopeng ne peut pas la répudier, ce qui lui permettrait de se remarier, car cela ferait perdre la face à son père. Elle meurt folle.

 

- Bai Lengshi 白冷*

Fille cadette du docteur Leng, épouse de Bai Xiaowu [2].

 

 

Un page du manuscrit dru roman

 

 

§  Les personnages politiques et les bandits

 

Le caractère des personnages et leur valeur morale sont indépendants du Parti auquel ils adhèrent. Le Guomingdang apparaît au départ plus modéré, tentant de rétablir puis maintenir l’ordre, mais devient autoritaire et oppresseur du peuple dans la période de lutte finale contre les communistes.

Les bandits (土匪) sont décrits dans les mêmes termes que les communistes, la frontière est d’ailleurs floue : le père de Lu Zilin, Lu Taiheng (鹿泰恒), est mort tué dans une attaque de bandits, Heiwa passe des uns aux autres ; les bandits finissent par se rendre, comme les rebelles du mont Liangshan dans le roman « Au bord de l’eau » (Shuihuzhuan《水浒传》).

 

o    Le Guomingdang

 

- Yue Weishan 岳维山

Ancien camarade de classe de Lu Zhaopeng, secrétaire du comité du Parti du district de Zishui (滋水县县委书记).

 

- Tian Fuxian 田福贤

Responsable du grenier à grains et du code du village (白鹿仓总乡约).

 

o    Le Parti communiste

Trois personnalités opposées :

 

- Le brigadier Xi 习旅长

Fondateur de la première escouade de l’Armée rouge dans la plaine de Bailu, meurt dans le siège du Guomingdang.

 

- Le commandant Liao 廖军长

Simple et droit, diplômé de l’école militaire Whampoa (黄埔军校), protecteur de Bai Ling au moment de la purge dans les rangs communistes, meurt sur le front antijaponais.

 

- Le commissaire Bi 毕政委

Membre du courant de gauche responsable de la persécution de nombreux membres du Parti au moment de la purge, fait exécuter Bai Ling après la mort du commandant Liao qui la protégeait.

 

o    Les bandits

 

- Le chef des bandits « Grand pouce » 土匪大拇指

Le frère juré de Heiwa.

 

- Pivoine blanche et Pivoine noire 白牡丹、黑牡丹

Deux femmes enlevées par les bandits, contraintes de vivre avec eux.

 


 

B.      Les personnages féminins

(par Zhang Guochuan)

 

Les femmes, dans le roman, incarnent les vertus traditionnelles, la plupart étant dépourvues de parole. On peut distinguer quatre attitudes féminines à l’égard de la société patriarcale.

 

1. Femmes incarnant les vertus traditionnelles

 

-          Wu Xiancao 吴仙草

 

Septième et dernière épouse de Bai Jiaxuan, Wu Xiancao, lors de leur nuit de noces, n'a pas eu peur de la malédiction qui pesait sur son mari et a consommé leur mariage. Plus tard, elle lui a donné trois fils et une fille : Bai Xiaowen, Bai Xiaowu, Bai Xiaoyi et Bai Ling. Finalement, elle est décédée lors de la grande épidémie qui a ravagé le pays du cerf blanc. Face à la mort, Wu Xiancao ne s'inquiète pas de sa propre mort, mais regrette de ne plus pouvoir revoir ses enfants ni s'occuper de son mari. Elle réconforte même Bai Jiaxuan en lui disant :

我说了我先走好,我走了就替下了你,这样子好。

« Je te l’ai dit, c'est mieux que je parte en premier, je pars à ta place, c'est mieux comme ça. »*

 

            -          Zhu Baishi 朱白氏

 

La sœur de Bai Jiaxuan est la femme du maître Zhu, ce qui lui a valu le nom de Zhu Baishi. Elle a été choisie par son mari parce qu'il était convaincu qu'elle était capable de défendre l'honneur de la famille et d'élever correctement leurs enfants. Ses principaux traits de caractère sont sa dignité et sa douceur ; au fil du temps, elle devient de plus en plus aimante, une figure quasi maternelle. Ainsi, lorsqu’elle coupe une dernière fois les cheveux de maître Zhu, il ne peut s'empêcher de l'appeler « maman ». L'image de Zhu Baishi est donc sacralisée, elle représente l'incarnation parfaite des vertus traditionnelles chinoises et des qualités féminines qui leur sont liées : pureté, bonté et beauté.

 

2. Femmes privées de parole et d’identité

 

Les six premières femmes de Bai Jiaxuan n'ont laissé aucune progéniture et n'ont donc aucun pouvoir de parole. Considérées comme de simples outils de reproduction, elles sont données comme des biens et remplacées comme des vêtements.

 

Ce roman décrit une société patriarcale typique où les hommes bénéficient d'une tolérance absolue en matière d’éthique et de morale, tandis que les femmes subissent une sévérité extrême quand elles tentent de s’évader du rôle qui leur est dévolu :

- Bai Jiaxuan s'est marié sept fois au cours de sa vie et c’est pour lui un sujet de fierté ;

- Bien que fréquentant les maisons closes et ayant de nombreuses maîtresses, Lu Zilin est malgré tout toujours considéré comme un homme respectable ;

- Bandit repenti, Heiwa/Noiraud a pu prendre le poste de commandant en chef de la brigade de sécurité et retourner fièrement dans sa terre natale pour offrir un sacrifice à ses ancêtres ;

- Bai Xiaowen était au bord de la déchéance et de la misère, mais il est quand même devenu commandant en chef de la brigade de sécurité et chef de district de Zishui.

 

En revanche :

- Pour s'être libérée des contraintes imposées et avoir cherché un bonheur personnel, Tian Xiao'e est méprisée par tout le village et considérée comme esprit maléfique après sa mort ;

- Délaissée par son mari qui refuse leur mariage arrangé, la malheureuse épouse de Lu Zhaopeng ne peut être répudiée pour ne pas faire perdre la face à son père, le docteur Leng, et ne pas affecter les relations entre les deux familles ; elle finit par sombrer dans la folie et, l’important étant de ne pas porter atteinte à l'honneur de la famille, elle meurt tragiquement.

 

3. Quatre attitudes féminines face au pouvoir patriarcal, de l’acceptation à la rébellion

 

L’attitude des femmes confrontées à cette société va de la complicité et de l’acceptation passive à la contestation et même à la rébellion, mais avec des conséquences dramatiques.

 

a)       Complice active

 

-          Bai Zhaoshi 白赵氏

 

Mère de Bai Jiaxuan, Bai Zhaoshi a donné naissance à sept filles et trois garçons, mais seulement un fils et deux filles ont survécu. Elle a été une machine à reproduire pendant la première moitié de sa vie, puis s'est consacrée à prendre soin de son fils et de ses petits-enfants. Elle a accompli deux grands exploits dans sa vie : d'abord, elle a persuadé son petit-fils et sa nouvelle épouse de ne pas s'adonner à des ébats nocturnes excessifs après leur mariage, en allant les tancer jusque sous la fenêtre de leur chambre et en insultant la jeune épouse ; ensuite, elle a arrangé une relation secrète entre le fils de son ouvrier agricole Lu San et la femme de son petit-fils cadet, pour que cette dernière tombe enceinte. Dans les deux cas, il s’agissait de veiller à la préservation de la lignée familiale en évitant à la famille Bai la tragédie de se retrouver sans descendance.

 

Son mari mort, c’est Bai Zhaoshi qui prend les initiatives. Alors que Jiaxuan lui demande de ne pas se presser pour lui trouver une nouvelle épouse après la mort des cinq premières, elle réplique (chap. 1) : 什么要缓?« comment ça, ne pas se presser ? »…

                女人不过是糊窗子的纸,破烂了揭掉再糊一层新的。

« les femmes ne sont que du papier à coller sur les fenêtres ; quand il est abîmé, on l’enlève et on en met un neuf »*.

               

Bien que femme elle-même, Bai Zhaoshi méprise les autres femmes. Elle semble incarner le pouvoir absolu au sein de la famille Bai, mais n'est en réalité qu'une porte-parole du pouvoir patriarcal.

 

b)       Victime passive

 

-          Leng Qiuyue 冷秋月

 

Leng Qiuyue est la fille de Monsieur Leng. Bien éduquée, elle a grandi dans un environnement familial strict et austère. Avant son mariage, elle a rarement quitté la maison. Lu Zhaopeng, influencé par de nouvelles idées, ne pouvait pas accepter ce mariage arrangé. Il a donc quitté son épouse dès le lendemain des noces. Après quelques gestes déplacés de son beau-père Lu Zilin, un soir qu’il était ivre, Leng Qiuyue, privée de vie de couple normale, s’est mise à fantasmer sur son beau-père. Ne pouvant trouver un équilibre entre son désir et les règles sociales dans lesquelles elle était enfermée, elle devient folle, et sa folie même devient objet de scandale.

 

c)       Résistance passive

 

-          Tian Xiao'e 田小娥

 

Jeune et jolie, Tian Xiao’e a été vendue par son père à un riche propriétaire terrien de plus de soixante-dix ans dont elle est devenue la concubine. Non seulement elle était victime des maltraitances de la première épouse, mais elle devait également subir les abus sexuels du vieil homme.

 

Insatisfaite à tous points de vue, Tian Xiao'e jette son dévolu sur Heiwa/Noiraud et le séduit dans l'espoir de trouver en lui un soutien et un refuge. Cependant, en matière de choix conjugal, la piété filiale exigeait de se conformer à l'avis des parents. Les comportements audacieux de Tian Xiao'e, sa sensualité et sa liberté sexuelle, sont en contradiction avec les valeurs traditionnelles, donc inacceptables. Pour Lu San, son beau-père, tous les malheurs du village sont causés par cette « putain de Tian Xiao'e ». Après sa mort, elle est incinérée et ses cendres sont enterrées sous une tour en briques. Son âme exprime sa plainte par la bouche de son beau-père qui en est possédé et résume tristement l’injustice dont elle a été victime (chap. 25) :

我到白鹿村惹了谁了?我没偷掏旁人一朵棉花,没偷扯旁人一把麦秸柴禾,没骂过一个长辈人,也没搡戳过一个娃娃。大呀,俺进你屋你不认,俺出你屋没拿一把米也没分一根蒿子棒棒儿,你咋么着还要拿梭镖刃子捅俺一刀? 大呀,你好狠心......

« Au village du Cerf-blanc, à qui donc ai-je nui ? Je n'ai jamais volé ne serait-ce qu’une fleur de coton à autrui, arraché une seule tige de blé ou de paille. Je n'ai jamais insulté mes aînés ou bousculé un enfant. Beau-père, lorsque je suis entrée dans ta maison, tu ne m'as pas acceptée. Mais lorsque je suis partie, je n'ai pas emporté un seul grain de riz ni un seul brin d'armoise. Pourquoi as-tu pris ta lance et m'en as-tu frappée ? Ah beau-père, tu es vraiment cruel... »*

 

La manière dont l'auteur a conçu le personnage de Tian Xiao'e mérite d’être soulignée. Il en décrit la genèse dans ses notes sur la création du roman (《白鹿原》创作手记) qui sont données en annexe de l’édition chinoise. En lisant les chroniques du district de Lantian (蓝田县) [3], il a été frappé par la liste de femmes vertueuses qui étaient répertoriées dans les quatre ou cinq volumes consacrés aux femmes exemplaires de la région. Il a ainsi réalisé à quel point l'idée de vertu était vénérée et pesait lourdement sur ces femmes, combien elles avaient dû subir d’épreuves cruelles pour être mentionnées sur quelques centimètres dans ces chroniques. Cela l'a amené à créer un personnage rebelle. À ce stade, le personnage n'avait pas encore d'histoire ni même de nom, mais il était déjà présent dans l'esprit de l'auteur. C'est alors qu'il a pensé aux nombreuses histoires et blagues sur les femmes immorales et débauchées qui circulaient de bouche à oreille. Bien qu'elles ne puissent pas figurer dans les archives officielles, ces histoires concurrençaient par le biais de la transmission orale populaire les exemples énumérés dans les chroniques. C'est au confluent de ces deux sources que le personnage de Tian Xiao'e a ainsi pris forme [4].   

 

Cependant, ce n’est pas seulement pour critiquer la morale traditionnelle que l'auteur a créé ce personnage. En racontant la tragédie de Tian Xiao'e, il semble établir un lien de cause à effet entre son destin et ceux de Noiraud et de Bai Xiaowen. Il semble en effet attribuer le comportement rebelle de Noiraud et la déchéance de Bai Xiaowen à l’influence de Tian Xiao'e. Dans la seconde moitié du roman, Noiraud retrouve finalement le droit chemin et décide de devenir une personne « bien ». Devenu disciple de maître Zhu, il choisit pour son deuxième mariage la fille d’un vieux lettré, comme signe de son retour dans la droite ligne confucéenne. Mais le souvenir de Tian Xiao’e le hante ; le soir de ses noces, il est malgré tout poursuivi par la honte de « l’adultère » commis avec elle et l’indignité de sa conduite avec les femmes enlevées par les bandits…

 

Le personnage de Tian Xiao'e est tragique. Elle incarne une attitude de « résistance passive » d’autant plus dramatique qu’elle est forcée de dépendre des hommes pour survivre. On peut d’ailleurs se demander quelles sont les intentions véritables de l’auteur à son égard et s’il la considère avec la pitié qu’elle nous inspire aujourd’hui. C’est un personnage ambigu, qui représente bien l’impossibilité pour les femmes de sortir de leur condition à l’époque où se situe le roman, impossibilité qu’incarne aussi, dans un autre registre, le personnage de Bai Ling.

 

d)       Résistance active

 

-          Bai Ling 白灵

 

Bai Ling symbolise une ère nouvelle de femmes qui brisent les chaînes de la tradition patriarcale et embrassent les nouvelles idées. Elle incarne une nouvelle jeunesse capable, selon les termes de maître Zhu :

                文可以治国安邦,武可以指挥千军万马。

                de gouverner le pays en le maintenant en paix grâce l’étude des textes (le wen)

                de diriger les armées grâce à ses compétences martiales (le wu) [5]

 

Dans le pays du Cerf blanc, Bai Ling est la première fille à ne pas se bander les pieds et à aller à l’école, en s’enfuyant même pour aller étudier en ville. Elle prend également son mariage en main, en poursuivant son amour pour Lu Zhaohai, mais en rompant avec lui lorsqu'elle découvre leurs divergences politiques, pour finalement épouser Lu Zhaopeng qui partage ses idéaux révolutionnaires. Pendant la période de coopération entre le Parti nationaliste et le Parti communiste, Bai Ling choisit le Parti nationaliste, mais après la rupture de cette coopération, elle se tourne vers le Parti communiste.

 

Malgré sa forte conscience de guerrière révolutionnaire, le malheur ne cesse de s'abattre sur elle. Elle ne meurt pas héroïquement sur le champ de bataille, mais est enterrée vivante par ses propres camarades lors d'une campagne de lutte interne contre les ennemis (présumés) du Parti. Bien qu'elle ait échappé aux liens familiaux et acquis une certaine liberté, elle rencontre finalement une fin tragique en étant sacrifiée dans le tourbillon de la lutte politique dominée par les hommes, et sacrifiée à l’égal des hommes. Comme si, étant sortie du carcan familial, c’était pour tomber dans un piège politique bien plus dangereux. Toute échappatoire semble bien sans issue.

 

* traduction de Zhang Guochuan / Brigitte Duzan

 

 


[1] Les fils de Bai Jiaxuan ont un prénom commençant par le caractère xiào , la piété filiale (c’est leur « nom de génération »).

[2] On notera que les deux femmes – comme les autres dans le roman - sont désignées comme c’était l’usage par leurs noms de famille respectifs : le nom de famille du conjoint suivi du nom de leur famille paternelle, le caractère shì désignant le nom de jeune fille. Ce qui correspond à l’usage administratif français : Lu née Leng. Mais elles n’ont pas de prénom. Elles deviennent épouses de après avoir été filles de, sans plus acquérir d’identité autonome ni de personnalité propre. 

Bai Ling et Tian Xiao’e dérogent à la règle ; non mariées, rebelles à l’ordre établi, elles sont exclues et objet de scandale. Elles meurent toutes les deux dans des conditions atroces.

[3] Voir  Bailuyuan《白鹿原》I. Narration : construction et genèse, Recherches dans l’histoire locale.

[4] 我首先走进蓝田,当我打开蓝田县志第一卷的目录时,我的第一感觉是打开了一个县的《史记》,又是一方县域的百科全书。一部二十多卷的县志,竟然有四五个卷本,用来记录本县有文字记载以来的贞妇烈女的事迹或名字,不仅令我惊讶,更意识到贞节的崇高和沉重。这些女人用她们活泼的生命,坚守着道德规章里专门给她们设置的的条律,曾经经历过怎样漫长的残酷的煎熬,才换取了在县志上几厘米长的位置。我在密密麻麻的姓氏的阅览过程里头晕眼花,竟然产生了一种完全相背乃至恶毒的意念,田小娥的形象就是在这时候浮上我的心里。在彰显封建道德的无以数计的女性榜样的名册里,我首先感到的是最基本的作为女人本性所受到的摧残,便产生了一个纯粹出于人性本能的抗争者叛逆者的人物。这个人物的故事尚无影踪,田小娥的名字也没有设定,但她就在这一瞬跃现在我的心里。我随之想到我在民间听到的不少荡妇淫女的故事和笑话,虽然上不了县志,却以民间传播的形式跟县志上列排的榜样对抗着……这个后来被我取名田小娥的人物,竟然是这样完全始料不及地萌生了。

[5] Deux domaines de compétence traditionnellement exclusifs, l’un méprisant l’autre.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.