Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

La Légende du Serpent blanc et son histoire : sources et évolution

par Brigitte Duzan, 27 juillet 2021, actualisé 31 octobre 2021

 

La « Légende du Serpent blanc » (《白蛇传》) est l’une des « quatre grandes légendes chinoises », avec « Le Bouvier et la tisserande » (牛郎织女) [1], « L’histoire de Meng Jiang » (孟姜女) [2] et « La Romance de Liang Shanbo et Zhu Yingtai » (梁山伯与祝英台) [3].

 

C’est une très ancienne légende dont on trace les origines dans la tradition orale, dans des récits fantastiques de zhiguai (志怪), transcrits et développés en huaben (话本) sous les Song, puis édités et popularisés sous les Ming. L’une des sources la plus anciennes est sans doute le « Livre des monts et des mers » ou Shanhaijing (《山海经》) où apparaissent deux images de serpents monstrueux, l’une dans le

 

La Légende du serpent blanc

« Traité des montagnes de l’Ouest » (《山海经·西山 经》) et l’autre dans le « Traité des grandes étendues désertes du Nord » (《山海经·大荒 北经》).  Il faudrait également citer la représentation traditionnelle des deux ancêtres mythiques Fuxi (伏羲) et Nüwa (女娲) comme deux êtres monstrueux mi-humains mi-serpents enlaçant leurs queues.

 

Le site de la légende : le lac de l’Ouest avec la pagode Leifeng
Anonyme, Encre sur papier. Période des Song

du sud (1127-1279), musée de Shanghai.

 

La « Légende du Serpent blanc » a pris forme progressivement, dans un contexte de frayeurs et superstitions ancestrales concernant le serpent, quand plusieurs éléments de récits fantastiques ont fini par constituer une trame narrative de base : un jeune homme est séduit par une jeune femme en blanc accompagnée de sa servante au bord du lac de l’Ouest à Hangzhou ; or ce sont des femmes-serpents descendues sur terre poussées par la curiosité de découvrir le monde humain. Le Serpent blanc et le jeune homme forment un couple

heureux, mais la nature transgressive de cette union attire la colère du moine Fa Hai qui, ayant reconnu dans la jeune femme un serpent, décide de l’exorciser et de l’éliminer. 

 

La légende a ensuite été l’objet de multiples développements et variantes, en littérature d’abord, avant de faire l’objet d’adaptations à l’opéra et au cinéma qui en ont chaque fois fait évoluer le récit et les manières de le lire.

 

I. Les sources et les origines de la légende

 

Le serpent fait partie de l’imaginaire du peuple chinois tout autant que des peuples asiatiques dans leur ensemble, sans parler de l’Occident. Depuis l’aube des temps, il est objet à la fois de fascination, de frayeur et de répulsion. Le serpent blanc participe de cette image ambigüe, avec des récits où le personnage de la femme-serpent évolue avec le temps.

 

1.       L’image ambivalente du serpent

 

La rencontre avec un serpent est généralement considérée comme un mauvais présage. L’un des premiers récits où l’on trouve des traces de la légende du serpent blanc est celui qui nous conte l’histoire du futur lingyin (令尹), ou chancelier, du roi Zhuang de Chu (楚莊王, 613-591 av. J.C.), pendant la période des Printemps et Automnes : Sunshu Ao (孙叔敖).

 

Dans la première de ses « Nouvelles Préfaces » (Xin Xu 《新序·杂事一》), l’historien Liu Xiang (刘向), sous les Han de l’Ouest, raconte que, tout jeune encore, Sunshu Ao rencontra un jour sur son chemin un serpent à deux têtes, animal réputé particulièrement néfaste. Il le tua et l’enterra. Rentrant chez lui, il était tellement angoissé qu’il n’arrivait pas à manger. Sa mère lui ayant demandé ce qui lui arrivait, il lui raconta le serpent qu’il avait vu : « J’ai entendu dire que celui qui voit un serpent à deux têtes est promis à une mort certaine. J’ai très peur de devoir bientôt quitter ma mère ». Comme celle-ci lui demandait où était le serpent, il lui répondit : « Comme j’avais peur que quelqu’un d’autre le rencontre, je l’ai tué et enterré. » Alors sa mère le rassura en lui disant que les gens comme lui qui avaient une vertu cachée étaient promis à un bel avenir, et qu’il ferait certainement une brillante carrière dans l’Etat de Chu.

 

Le caractère maléfique du serpent se retrouve dans bien d’autres histoires, mais on trouve aussi des récits où la rencontre d’un serpent se révèle ensuite bénéfique. Ainsi, dans « À la recherche des esprits » (Soushen ji《搜神记》), un recueil d’histoires étranges (zhiguai xiaoshuo 志怪小说) compilé par Gan Bao (干宝) au 4e siècle, à l’époque des Jin de l’Est (东晋), on trouve l’histoire du Marquis de Sui qui, ayant sauvé un serpent, reçut en récompense une perle (《隋侯救蛇得珠》) [4]. Ou encore, au juan 456 du Taiping Guangji (《太平广记》) compilé sous les Song du Nord, à la fin du 10e siècle [5], le très bref récit de deux lignes intitulé « Feng Gun » (馮緄) évoque l’histoire d’un général qui rencontre deux serpents

 

Le serpent ba (巴蛇) des montagnes

de l’Ouest du Shanhaijing

rouges (赤蛇) ; il est terrorisé, mais un devin le rassure : « C’est un signe de bon augure ». Cinq ans plus tard, il était promu général en chef.

 

Les serpents peuvent parfois aussi être des sortes d’esprits protecteurs, pourvoyeurs de richesses, comme dans l’histoire de Li Linfu (李林甫) contée au juan 457 du Taiping Guangji (《太平广记》). Li Linfu a servi comme chancelier pendant 18 ans (734-752) pendant le règne de l’empereur Xuanzong des Tang (唐玄宗) [6]. L’apogée de sa carrière, selon le Taiping Guangji, aurait suivi son installation dans une maison dont l’auvent abritait des serpents ; mais il voulut agrandir la porte afin de pouvoir y faire passer un superbe cheval qu’on venait de lui offrir, l’auvent fut détruit, les serpents aussi : Li Linfu mourut l’année suivante.

 

On retrouve cette ambivalence de la figure légendaire du serpent dans celle du Serpent blanc qui sème la frayeur quand elle apparaît sous sa forme de serpent, mais dont les intentions ne sont pas foncièrement mauvaises. Le problème est son pouvoir séducteur quand il prend forme féminine.

 

2.       La séduction du serpent

 

Parmi les quatre juan du Taiping Guangji consacrés à des histoires de serpents (voir note 6), on trouve plusieurs brefs récits qui décrivent les mésaventures de personnages séduits par un serpent qui a pris apparence humaine, homme ou femme. Dans le même juan 457, le cinquième récit, « Xue Zhong » (薛重), est l’histoire de la femme d’un fonctionnaire séduite par un serpent de forme humaine. Dans le juan 456, le dernier récit – « Zhu Jin » (《朱覲》) – conte l’histoire d’un serpent transformé en jeune homme tout de blanc vêtu, qui séduit une jeune fille ; l’histoire est contée par un hôte de la famille qui entend du bruit dans la chambre de la jeune fille la nuit ; au petit matin, il voit un jeune homme sortir et lui décoche deux flèches, puis suit les traces de sang : il finit par trouver un serpent d’une blancheur immaculée mort au pied d’un arbre, deux flèches dans le corps.

 

Li Ji tue le serpent (lianhuanhua)

 

On trouve là un premier récit qui comporte un serpent blanc séducteur, mais transformé en homme. Dans le même juan 456, le récit « Le lettré de l’ère Taiyuan » (Taiyuan Shiren 太元士人) comporte une scène qui préfigure une scène récurrente dans « La Légende du Serpent blanc » : un lettré marie sa fille à un homme d’un

village voisin et l’envoie  dans la famille du son nouvel époux sous la conduite de son frère cadet ; au milieu de la nuit de noces, sa nourrice l’entend crier, se précipite et la voit enlacée par un gigantesque serpent.  

 

Très populaires aussi sont les incarnations de serpents en femmes séduisant des jeunes hommes, voire vivant en épouses de fonctionnaires. Il y a dans le Taiping Guangji deux récits d’épouses que leur époux voit se transformer un jour en serpent : c’est le cas de « L’épouse de Wang Zhen » (王真妻), avant-dernier récit du juan 456, et au juan 459 de « Madame Zhang » (張氏) qui se transforme en serpent après sa mort – preuve, nous donne à penser le récit, qu’elle en était un de son vivant.

 

Également intéressant comme source de « La Légende du Serpent blanc » est un huaben remontant à la dynastie des Song et repris dans le recueil « Qingping Shantang huaben » (《清平山堂话本》) compilé par Hong Pian (洪楩) dans la première moitié du 16e siècle et traduit en français sous le titre « Contes de la Montagne sereine » : « L’Histoire des trois pagodes du lac de l’Ouest » (《西湖三塔记) [7]. Comme la

 

Les trois stupas du lac de l’Ouest

légende, ce huaben se situe au bord du lac de l’Ouest à Hangzhou, mais dans une tonalité différente ; c’est l’histoire d’un jeune garçon nommé Xi Xuanzan (奚宣贊) qui trouve un jour une fillette en pleurs qui s’est perdue. Il l’emmène chez lui et, quinze jours plus tard, apparaît une vieille femme en noir qui dit être sa grand-mère et veut emmène le jeune homme avec elle pour que sa fille puisse le remercier. La mère de la fillette apparaît, toute en blanc, dans une superbe demeure. Mais c’est en fait un serpent blanc transformé en femme qui, assisté de deux créatures infernales, une poule noire et une loutre blanche (乌鸡、白獭), séduit des jeunes gens dont ils arrachent le foie et le cœur pour s’en nourrir ; un moine taoïste viendra à bout des trois créatures et les enfermera dans des jarres enfouies sous trois pagodes, d’où le titre [8].

 

Illustration des Trois monstres de Luoyang

Luoyang sanguai ji au Palais d’été

 

Le même recueil comporte par ailleurs deux autres huaben sur des esprits maléfiques qui émettent des nuages de fumées magiques : « Les trois monstres de Luoyang » (Luoyang sanguai ji 《洛阳三怪记》) et « Les trois monstres de Dingshan » (Dingshan san guai《定山三怪》) qui tous les deux se passent aussi au bord du lac de l’Ouest et sont vraisemblablement de la même source. Cet élément de fumées attaché au serpent est repris dans certaines versions de « La Légende du Serpent blanc ». Une anecdote notée au début du 17e siècle

par un auteur originaire de Hangzhou nommé Yu Chunxi (虞淳熙) raconte que la pagode s’était mise à cracher de la fumée qui montait en spirale vers le ciel ; on disait que c’étaient les deux serpents qui crachaient leur venin. En fait, il s’agissait juste d’essaims d’insectes [9]. 

 

Mais un autre récit du Taiping Guangji, le dernier du juan 458 intitulé « Li Huang » (《李黄》), semble être comme un prototype de l’histoire du Serpent blanc ; le texte est bien plus long que les autres contes du recueil et offre un véritable développement narratif : Li Huang est un jeune garçon envoûté par une jeune veuve en blanc qui est en fait un serpent. Elle le reçoit dans une superbe demeure, avec sa tante, et lui offre trois jours de plaisirs. Mais quand il rentre chez lui, il tombe malade, son corps se liquéfie, il ne reste bientôt plus que sa tête. Quand on part ensuite à la recherche de la femme en blanc, on trouve une maison abandonnée dans un jardin en friche, dont les voisins disent qu’on y voit, de temps en temps, un serpent blanc au pied d’un robinier desséché.

 

Réédité à la fin des Ming, le Taiping Guangji est devenu à la mode auprès d’un public avide d’histoires fantastiques. Ces histoires circulent et alimentent un marché de lecteurs urbains en pleine croissance. On trouve même une histoire de femme-serpent dans l’un des contes du Liaozhai (《聊斋志异》) de Pu Songling (蒲松龄) où les histoires de serpents sont cependant rares : sur une île déserte [10], un jeune homme part se promener et regrette de n’avoir personne avec qui partager la beauté du lieu ; apparaît alors une femme qui s’offre à lui, et lui dit qu’elle est venue là avec un « prince de la mer » ; au milieu de leurs ébats, un grand vent se met à souffler et des herbes émerge un immense serpent, le prince en question, tandis que la femme disparaît… sans doute elle-même un serpent, ajoute le narrateur.

 

C’est le type de récit cauchemardesque qui a nourri l’imagination des conteurs et dont le bestiaire semble inspiré du Shanhaijing (《山海经》). Peu à peu se sont ainsi formées des bribes de la légende qui apparaît à la fin des Ming dans une première version découlant des anciens récits de zhiguai.

 

II. La légende du Serpent blanc et son évolution

 

C’est Feng Menglong (冯夢龙), au début du 17e siècle, avec son récit en langue vernaculaire « La Dame blanche ensevelie à tout jamais sous la pagode du Pic du Tonnerre » ou pagode Leifeng (《白娘子永鎮雷峰塔》), qui a contribué à immortaliser la légende sous sa forme la plus connue : en soulignant la nature transgressive de cette femme-serpent aussi redoutable dans sa sexualité conquérante que dans son pouvoir destructeur, contrairement au modèle « Li Huang », bien plus traditionnel, où c’est le jeune garçon qui poursuit la femme de ses avances ; face à la dangereuse séduction de cette femme, le moine Fa Hai est érigé en défenseur des normes morales et sociales.

 

1. La version Ming : Feng Menglong et Ueda Akinari

 

a)       Le récit canonique de Feng Menglong

 

Le récit a été publié dans le deuxième des « Trois propos » (San yan 三言) - « Propos pénétrants pour avertir le monde » (Jǐngshì tōngyán 《警世通言》) - paru en 1624 [11]. L’histoire du Serpent blanc - appelé ici la Dame blanche ou Dame en blanc (Bai Niangzi 白娘子) - est le 28ème des quarante récits du recueil [12].  Il se déroule en quatre épisodes successifs correspondants à des lieux différents

 

1/ À Hangzhou, le jour de Qingming (la fête des morts), le jeune Xu Xuan (许宣), commis dans un herboristerie, sort prier au temple. Surpris par une pluie soudaine, il emprunte un parapluie et s’apprête à rentrer chez lui en

 

Bai niangzi rencontrant Xu Xuan,

illustration du récit de Feng Menglong

bateau lorsqu’une femme en blanc et sa servante lui demandent de les prendre sur le bateau. Débarquées, comme il pleut encore, elles lui demandent de les raccompagner avec son parapluie. Mais il préfère le leur laisser. Le lendemain, quand il va le récupérer, la femme l’a prêté et l’invite à revenir le lendemain. Sur quoi, elle lui déclare que leur union est prédestinée et lui propose le mariage. Comme Xu Xuan n’a pas un sou, elle lui offre un lingot d’argent pour faire face aux frais. Mais le lingot se révèle faire partie d’un butin volé, Xu Xuan est dénoncé par son beau-frère paniqué ; arrêté, il conduit les policiers à l’adresse de la femme, mais ne trouvent qu’une maison à l’abandon où la femme en blanc leur apparaît, mais se volatilise aussitôt, en laissant le butin derrière elle. Xu Xuan fait l’objet de la clémence du magistrat : il est juste exilé à Suzhou. 

 

2/ À Suzhou, il mène une vie paisible grâce aux recommandations de son beau-frère. Mais, six mois plus tard, il voit réapparaître la dame en blanc accompagnée de sa servante. Xu Xuan furieux lui reproche sa conduite qui lui a valu la déportation, mais la femme accuse son défunt mari de ces vols et le persuade de l’épouser. Initié aux plaisirs de l’amour, le

 

La Légende du Serpent blanc, Xu Xuan offrant son parapluie,
peinture de la grande galerie du Palais d’été (Yiheyuan 颐和园)

jeune garçon coule des jours heureux quand un prêtre taoïste rencontré dans un temple décèle au-dessus de sa tête un nuage maléfique et lui confie un charme pour venir à bout de l’esprit qui l’a envoûté. Mais le prêtre est ridiculisé par les pouvoirs infiniment supérieurs de la femme en blanc. La vie reprend son cours. Mais Xu Xuan voulant se rendre dans un temple pour la fête des bateaux-dragons, son épouse lui fait revêtir de somptueux vêtements … qui se révèlent aussi avoir été volés. La femme ayant disparu, Xu Xuan s’en tire avec une nouvelle condamnation à la déportation, cette fois à Zhenjiang. 

 

3/ À Zhenjiang, il est de nouveau bien accueilli grâce aux recommandations de son beau-frère et trouve un nouvel emploi de commis dans une herboristerie. Mais, comme à Suzhou, la femme revient, calme la colère de Xu Xuan et s’installe. Le patron de l’herboristerie, cependant, est tombé sous le charme de l’épouse, l’attire chez lui sous prétexte d’une réception, tente de la séduire, mais se retrouve face… à un énorme boa. Paniqué, il s’enfuit mais ne dit rien de l’affaire. Peu après, à l’incitation du moine Fa Hai (Fa Hai chanshi 法海禅师) [13], Xu Xuan se rend en pèlerinage au monastère de la Montagne d’or (Jinshan si 金山寺). Inquiète, son épouse l’y rejoint, mais le moine ayant décelé sa véritable nature de serpent, elle se jette à l’eau et disparaît. Le moine révèle alors l’identité réelle de sa femme à Xu Xuan qui, paniqué, va s’installer chez son patron jusqu’à ce que, bénéficiant d’une amnistie impériale, il rentre à Hangzhou, chez son beau-frère.

 

4/ À Hangzhou, cependant, il est pour la troisième fois rejoint par son épouse qui fait la conquête du beau-frère et de sa femme qui l’invitent à rester chez eux. Mais, un jour qu’il l’observe en cachette, le beau-frère voit un gigantesque python sur le lit de Xu Xuan. Terrorisé, il fait appel à un charmeur de serpent… qui est lui-même effrayé quand la bête se montre à lui et part en prenant les jambes à son cou. Xu Xuan de plus en plus

 

Autre peinture du Palais d’été illustrant la légende : le Serpent

vert menaçant Xu Xuan terrorisé, protégé par le Serpent blanc

paniqué est sur le point de se suicider quand surgit le moine Fa Hai qui lui donne un bol à appliquer sur la tête de son épouse pour la maîtriser. Du coup elle reprend sa forme originelle, la servante redevient un poisson, toutes les deux sont enfermées sous la pagode Leifeng. Xu Xuan se fait moine. 

 

On retrouve à la source l’idée du Li Huang séduit par une femme en blanc – et en blanc parce que veuve - du récit du juan 458 du Taiping Guangji, mais avec la différence que c’est maintenant la femme qui poursuit Xu Xuan, et non plus l’inverse. Feng Menglong a habilement construit son récit autour du trio central de la dame en blanc, du jeune Xu Xuan et du moine Fa Hai. Il a créé une figure de femme active, obstinée dans la poursuite de l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu, menaçante même quand elle sent la moindre résistance, tandis que le jeune homme, faible et froussard, se laisse manœuvrer comme un jouet. Celui qui fait face à la femme en blanc et lui résiste, c’est le moine Fa Hai, représentant de l’autorité et de la loi (même si c’est ici la loi bouddhiste).

 

 

Le serpent blanc venant chercher le remède miracle pour ressusciter Xu Xuan (Palais d’été)

 

 

Feng Menglong livre ainsi une fable morale où la séductrice cause le malheur de l’homme qu’elle a charmé. Représentant toute la force sensuelle du monde naturel à l’état primitif, plus spécialement associée au monde aquatique, et à l’eau sous toutes ses formes à commencer par la pluie qui scelle sa première rencontre avec Xu Xuan, elle est finalement maîtrisée par une autorité supérieure, morale et religieuse. Mais la passion de cette femme est soudaine et sans guère de fondement : le jeune Xu Xuan a simplement pour lui d’avoir un physique agréable, « comme les gens de Hangzhou » lui explique la petite servante. La passion incontrôlée de la femme est inexplicable, dans cette version Ming, autrement que par la prédestination.

 

b)       Le récit revisité par le Japonais Ueda Akinari

 

C’est cet aspect irrationnel que gomme la version élaborée par Ueda Akinari dans un récit de son Ugetsu-monogatari sous le titre traduit en français « L’impure passion d’un serpent » [14]. Le terme même de monogatari indiquait le désir de retour aux sources classiques, à une époque où l’on n’en écrivait plus, mais Akinari était par ailleurs philologue et fin lettré : son recueil est une sorte d’anthologie du conte fantastique. Quant à son histoire de serpent nommée ici Manago (ce qui signifie « la vraie femme »), elle s’inspire ouvertement du récit de Feng Menglong ; on retrouve des détails identiques qui tiennent d’ailleurs des mêmes superstitions, au Japon comme en Chine [15] ; mais c’est une inspiration indirecte, car Akinari fait allusion à une légende du temple Dôjô-ji de Komatsubara connue par son adaptation au théâtre [16] : c’est là que se trouve le moine Hôkai, alter ego de Fa Hai. Akinari en fait ainsi un conte typiquement

 

L’Ugetsu monogatari de

Ueda Akinari (1776)

japonais où il n’est pas question de serpent blanc ou vert.

 

C’est le plus long récit du recueil, où Akinari a conservé la même structure en quatre parties, ainsi que les personnages du récit chinois, mais en les replaçant dans un contexte local, en multipliant les descriptions et surtout en fouillant la psychologie des personnages, tout particulièrement celle de Manago. Il en fait une femme obstinée comme son modèle, perfide et rusée, mais surtout le type de la femme séduisante et sensuelle objet de l’opprobre des bouddhistes, cependant finalement fidèle et attachante sous ses dehors de femme passionnée, et jalouse. La Manago d’Akinari est un personnage de roman, une vraie femme fatale. D’ailleurs, à la fin de l’histoire, après le retour de Manago à sa forme originelle et sa mort, la femme de Xu Xuan rebaptisé Toyoo en est en quelque sorte la victime expiatoire ; c’est la seule différence avec le récit chinois. Akinari est allé jusqu’au bout de sa logique. Il a fait œuvre de romancier, là où Feng Menglong était resté dans la logique du conteur.

 

Mais, caractérisé d’abord par une vitalité exubérante, le comportement du Serpent blanc dans ces récits que l’on peut dire fondateurs reste fondamentalement scandaleux, car il est entaché de tares répréhensibles du point de vue des trois religions : se laissant aller à la vanité de la passion amoureuse sans lutter contre le désir, la femme-serpent est la cible des bouddhistes comme des taoïstes ;son ignorance des rites, et même des traditions les plus fondamentales comme la nécessité d’une entremetteuse pour engager des pourparlers de mariage, entraîne des dérèglement qui la condamnent aussi bien aux yeux des confucéens. En même temps, c’est l’opposition entre le caractère dominateur de la femme et l’immaturité de l’objet de ses feux, doublée de la poursuite tout aussi obstinée du moine, qui nourrit la tension du récit.

 

Par la suite, dans les développements ultérieurs de la légende, cette opposition frontale va s’atténuer, le personnage du Serpent blanc va s’humaniser, dans des versions plus élaborées où le personnage va perdre le caractère aveugle et abruptement volontaire de sa passion, pour un jeune garçon sans qualités particulières sauf la naïveté et la couardise. Avec le passage du récit oral au conte écrit, l’histoire s’étoffe en répondant aux interrogations du lecteur et en s’adaptant à l’évolution de la société et du temps.

 

2. Versions postérieures de la légende

 

De la prédestination à la rétribution

 

Dans le récit de Feng Menglong, on a du mal à comprendre la poursuite obstinée du jeune garçon par la femme en blanc, et à accepter la violence de sa passion, dans un texte où elle apparaît prisonnière de celle-ci du fait de la prédestination. Dans des récits postérieurs, son attitude pugnace est expliquée par des faits antérieurs et ne ressort plus de la prédestination mais de la rétribution. Ainsi, dans un récit d’inspiration bouddhiste, un jeune garçon, dans une vie antérieure, a sauvé un petit serpent blanc et, des années plus tard, celui-ci veut lui témoigner sa gratitude. Incarné en femme, il lui propose le mariage. On a donc là une justification morale à cette initiative qui paraît arriver de manière soudaine et presque éhontée dans le récit de Feng Menglong.

 

Le Xihu jiahua de Mo Langzi (1673)

 

Dans la version des « Contes merveilleux des sites anciens et modernes du lac de l’Ouest » (Xihu jiahua gujin yiji 《西湖佳話古今遺跡》de Mo Langzi (墨浪子) datant de 1673, l’explication est carrément tirée par les cheveux : elle fait intervenir Lü Dongbin (吕洞宾), le plus connu des huit Immortels de la tradition taoïste (八仙), en vendeur de boulettes de riz au bord du lac de l’Ouest. Après avoir avalé une de ses boulettes, un enfant se sent mal et ne peut plus rien avaler. Trois jours plus tard, le père affolé le ramène à Lü Dongbin qui l’attrape tout simplement par les pieds pour lui faire recracher la boulette : elle tombe dans le lac où un serpent l’avale à son tour. Or c’était une boulette magique : sous son effet, le serpent se transforme en femme : il devient la Dame en blanc (Bai niangzi 白娘子). Dix-huit ans plus tard, elle n’a pas oublié l’enfant auquel elle est redevable de sa forme féminine, même s’il n’y est pour rien ; elle

recherche donc le jeune garçon ici appelé Xu Xian (许仙) [17], pour lui témoigner sa gratitude. La justification de son attitude est passée de la prédestination à la rétribution, toujours dans un contexte bouddhiste. 

 

Evolution du rôle du petit serpent

 

Dans tous ces récits, la femme en blanc est accompagnée d’une petite servante. Dans une version du début du 16e siècle de Tian Rucheng (田汝成), un lettré, poète et homme politique de Hangzhou (1503-1557) qui a laissé quatre recueils de récits, dont un intitulé « Chroniques de promenades au lac de l’Ouest » (《西湖游览志》) [18], il est question d’un serpent blanc et d’un petit poisson bleu incarnés en femmes, l’une étant la servante de l’autre : selon l’une des histoires, qui faisait partie du répertoire des conteurs, un jeune homme fait la rencontre d’une belle femme accompagnée de sa servante ; à la fin d’une nuit de plaisirs, la femme offre en souvenir à l’homme un « éventail aux deux poissons » (双鱼扇) [19] ; il se réveille près de sa tombe.

 

L’histoire du serpent blanc et du petit poisson, devenu

 

Les Chroniques du lac de l’Ouest

de Tian Rucheng

serpent pour mieux afficher son caractère de double du premier (bleu ou vert selon les traductions, car il s’agit du caractère qīng désignant une couleur entre le vert et le bleu, voire le noir) remonte à une autre source de la légende du Serpent blanc. Il y avait jadis sur le mont Emei (峨嵋山) [20] un serpent blanc (féminin) dont était amoureux un petit serpent vert. Le serpent blanc proposa un combat au serpent vert : s’il était victorieux, elle consentait à l’épouser ; sinon, le serpent vert deviendrait sa servante. Et c’est ce qui s’est passé.

 

 

Eventail aux deux poissons, par Badashanren 八大山人 (17e siècle)

 

 

Nommée Xiao Qing (), ce petit serpent devenu servante du serpent blanc après sa métamorphose est venu doubler le personnage du Serpent blanc en en reprenant certains traits : ainsi, c’est elle qui, dans certaines versions, fait pleuvoir pour permettre la rencontre initiale au Pont brisé. Surtout, alors que dans la version d’origine, c’est le Serpent blanc qui menace Xu Xuan de mille maux en lui reprochant son manque de confiance, c’est ensuite Xiao Qing qui se charge de le vitupérer. Dans certains récits, le Serpent blanc est obligé de protéger Xu Xuan contre sa colère, élément narratif qui sera repris à l’opéra avec des effets comiques accentuant le caractère froussard du jeune homme.

 

Surtout, Xiao Qing ajoute à l’histoire un aspect ambigu dont ont joué les adaptations ultérieures, surtout en littérature et au cinéma.

  

Evolution des personnages et de l’histoire sous les Qing

 

L’histoire du Serpent blanc a beaucoup évolué ensuite au 18ème siècle, et désormais sous l’effet des adaptations au théâtre, essentiellement par deux dramaturges.

 

La première pièce est une pièce de type chuanqi de 1738 de Huang Tubi (黄图) [21] adaptée pour le théâtre du récit de Feng Menglong : « La Légende de la pagode Leifeng » (《雷峰塔传奇》). Huang Tubi a construit son récit autour de la pagode, d’où le changement de titre, et a tout particulièrement soigné le rôle de Xiao Qing, en petite servante, modeste mais vive et délurée comme dans ce type de rôle à l’opéra.

 

La légende de la pagode Leifeng Leifengta chuanqi

 

La Pagode Leifeng de Fang Chengpei

 

Trente ans plus tard, dans une autre pièce de type chuanqi intitulée de même « La Pagode Leifeng » (《雷峰塔》) publiée en 1771 [22], Fang Chengpei (方成培) a adapté la pièce antérieure et transformé à la fois la personne de la « Dame blanche » (Bai Niangzi 白娘子) reprise du récit de Feng Menglong et la fin de l’histoire en donnant une part importante à la servante devenue une sorte d’héroïne martiale, proche des intrépides nüxia des chuanqi des Tang.

 

Le contexte de la création de la pièce n’est pas sans importance : il s’agit d’une adaptation conçue à la demande des marchands de sel de la Huai (两淮盐商) pour célébrer l’anniversaire de l’impératrice douairière dans la 36ème année du

règne de l’empereur Qianlong (本年皇太后万寿圣节). Elle fut représentée en grande pompe lors de l’un des six « tours d’inspection dans le sud » (南巡) de l’empereur. Ce contexte explique en grande partie les changements apportés par Feng Chengpei à la pièce.

 

La « Dame blanche » n’est plus la femme dominatrice et dangereuse du récit de Feng Menglong qui menaçait de mettre la ville à feu et à sang si Xu Xuan ne lui obéissait pas. Fang Chengpei en fait une femme éperdument amoureuse qui entre bien plus dans les schémas d’histoires d’amour de jeunes lettrés et courtisanes, mais schéma ici inversé, où la femme a le rôle dominant. Elle fait presque pitié quand elle s’adresse en pleurs à Xu Xuan qui la rejette : « Depuis que je suis ta femme, je ne t’ai pas fait de ma. Alors pourquoi écoutes-tu toujours ceux qui te disent du mal de moi ? Je suis ton épouse et dois donc te suivre, où pourrais-je aller d’autre ? »

 

En même temps, c’est un amour monstrueux, contraire à toutes les normes établies, qui appelle donc à une lecture critique du système éthique et social de la Chine patriarcale. La Dame blanche ignore les lois bouddhistes autant que les impératifs confucéens, pour n’écouter que la loi de son cœur, et même bien plus de son corps – elle est à l’origine une immortelle d’essence taoïste. La tragédie de cette femme est celle des rebelles contre l’ordre établi, surtout lorsque ce sont des femmes. Et face à elle se dresse le représentant de cet ordre moral, et religieux, contre lequel elle s’élève : le moine Fa Hai. C’est le moine qui devient élément diabolique, prenant sous sa coupe un Xu Xuan qui refuse de lui obéir et prend le parti de sa femme contre lui quand il s’aperçoit que le moine l’a trompé et, déguisé en colporteur, lui a vendu un diadème qui est en fait l’instrument pour subjuguer le serpent.

 

Fang Chengpei a en outre donné une conclusion heureuse à sa pièce devenue bien plus romanesque : Bai Niangzi a donné naissance à un fils, qui, par sa piété filiale, émeut le Bouddha grâce auquel, finalement, sa mère et sa compagne seront libérées [23].

 

Cependant, dans des versions ultérieures brodant sur cet heureux dénouement, c’est en fait Xiao Qing qui, après des années de perfectionnement, revient au lac de l’Ouest et parvient à libérer celle qui est, selon ces versions, sa « sœur jurée ».  Xiao Qing prend là une identité toute autre, qui remonte aux origines de la légende, quand elle était petit serpent (ou poisson) amoureux du serpent blanc.

 

C’est cette pièce qui a exercé une grande influence au 20e siècle, tant à l’opéra qu’au cinéma et en littérature.

 

III. Évolution de la légende au 20e siècle

 

Il est frappant de voir la légende continuer à nourrir l’imagination des écrivains et des dramaturges au début du 20e siècle, en redonnant une nouvelle vie au Serpent blanc.

 

C’est ainsi que Zhou Zuoren (周作人), le frère de Lu Xun (魯迅), a défendu le personnage dans un essai intitulé « La Pagode du Pic du Tonnerre » (Leifengta 《雷峰塔》) publié dans un recueil paru en 1949-1950 [24]. C’était sa manière d’exorciser les fantômes honnis par la Nouvelle Culture : en leur donnant visage humain, en les rendant ainsi inoffensifs. Au-delà de la tendance courante en son temps à considérer les croyances aux fantômes comme des superstitions entravant le développement de la civilisation, Zhou Zuoren propose de les considérer « du point de vue de l’art » : on peut ainsi, dit-il, entrevoir dans les contes de l’étrange « les peines et les terreurs communes à l’humanité » [25]. Il réhabilite, en quelque sorte, le Serpent blanc comme il réhabilite les fantômes et autres esprits peuplant la littérature fantastique.

 

Il est frappant aussi que l’un des romans autobiographiques de la trilogie que Zhang Ailing (张爱玲) a écrite aux Etats-Unis dans les années 1970 – avec « Little Reunions » (《小团圆》) et « Le Livre des mutations » (《易经》) – soit justement intitulé « La Pagode Leifeng » (《雷峰塔》) ; le roman était initialement la première partie du « Livre des mutations ». La légende du Serpent blanc n’y apparaît que comme une belle histoire racontée aux enfants tel un conte de fées, celle d’un serpent devenu une belle jeune femme épousant un jeune lettré. Le roman est en fait construit autour de la chute de la pagode comme symbole de la chute de l’empire et de l’ordre féodal, métaphore aussi de l’effondrement de la famille et du chaos du temps. Et qu’est-il advenu du Serpent blanc ? demande l’un des enfants. Il s’est échappé, leur est-il répondu.

 

1.       Opéra : de Tian Han à aujourd’hui

 

La pagode Leifeng de Zhang Ailing

 

C’est à l’opéra que le Serpent blanc va renaître au milieu du 20ème siècle, grâce au grand dramaturge Tian Han (田汉) qui publie au tout début des années 1950 un livret d’opéra qui fait date. Mais, au même moment, la légende subit une métamorphose qui va dans le même sens que le livret de Tian Han : c’était dans l’air du temps.

 

a)       Le précédent de Zhao Qingge

 

Auteure de diverses histoires d’amour des plus célèbres livrets d’opéras, Zhao Qingge (趙清閣/赵清阁1914-1999) pousse à des extrêmes les caractères des personnages et leurs relations dans sa « Légende du Serpent blanc » (Baishezhuan 《白蛇传》) publiée à Shanghai en 1956, et rééditée en version bilingue chinois-anglais en 1982. Elle reflète en fait l’idéologie de l’époque. Son Fa Hai est un sombre personnage qui utilise sa magie pour tromper les gens, sa religion ne s’élevant pas au-dessus de la superstition. L’auteure renforce en revanche l’amour et l’entente entre les deux époux, ainsi que la bonté du Serpent blanc envers les hommes qu’elle protège de l’inondation provoquée pour noyer le monastère et vaincre le moine dans le combat de la Montagne d’or. Quant à Xiao Qing, son attachement envers le Serpent blanc transcende les simples sentiments de loyauté et d’affection envers une « sœur jurée ».

 

b)       Le livret de Tian Han

 

Le livret d’opéra de Pékin adapté de la légende – et toujours intitulé Baishezhuan (《白蛇传》) - achevé par Tian Han en 1952 en est l’une des versions les plus célèbres car elle a donné lieu à de nombreuses adaptations au théâtre et au cinéma, en plus de l’opéra. L’un des plus importants dramaturges de gauche en Chine dans les années 1920 et 1930, puis pendant la guerre de Résistance contre le Japon, Tian Han a poursuivi sa carrière dans la Chine de Mao, créant la première grande école de théâtre de Chine en 1950. Son intérêt pour la légende du Serpent blanc, et le personnage du Serpent blanc lui-même, remonte aux années 1920, dans le contexte des débuts du mouvement de la Nouvelle Culture, et en particulier des idées nouvelles concernant l’émancipation des femmes, aboutissant à la « Modern Girl » (新女性) exubérante et indépendante à l’image de la moga japonaise.

 

En un sens, le personnage du Serpent blanc de Tian Han, Bai Suzhen (白素贞), est une femme moderne, forte et combattive, s’affirmant résolument face à un mari faible, toujours prêt à céder aux menaces ou aux belles paroles. Le dramaturge s’en explique dans sa préface : Xu Xuan mène une lutte incessante entre son amour et son désir de se sauver, il a bon cœur mais il est faible ; s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait pas de tragédie. Il finit cependant par se libérer de sa méfiance à l’égard de sa femme, et à comprendre la profondeur de son amour pour lui. Il tente donc, mais sans y parvenir, de casser le bol du moine.

 

Outre la modern girl des années 1920, cette forte femme qu’est le Serpent blanc de Tian Han n’est pas sans rappeler aussi les « filles de fer » (铁姑娘) du maoïsme triomphant ; ou même la Li Shuangshuang (《李双双》) de Li Zhun (李准) [26]. Face à elle, le moine Fa Hai est un personnage retors, incarnation du mal. Il réussit à séparer le couple et à emprisonner le Serpent blanc sous la pagode Leifeng ; quand elle réussit à s’en évader, son mari et son fils sont morts depuis longtemps. Si elle réussit à détruire la pagode, et finit donc par être victorieuse, cette victoire a un goût amer puisqu’il est trop tard pour qu’elle puisse la partager.

 

Il faut noter que Tian Han se démarque de la version moralisante de Fang Chenpei faisant appel au fils pour sauver sa mère, et donne au contraire au Serpent vert, la compagne attentive et fidèle, un rôle déterminant dans le dénouement de la pièce puisque c’est elle qui, après une longue période de perfectionnement dans les arts martiaux et la pratique de la magie comme une nüxia des chuanqi des Tang, réussira à sauver le Serpent blanc. Le personnage du Serpent vert est ainsi développé de manière ambivalente : comme un rôle de suivante, comme dans l’opéra traditionnel chinois, avec la truculence et la vivacité propres à ces rôles, mais aussi avec des qualités combattives qui en font un rôle original de wudan (武旦).

 

Tian Han n’a pas supprimé tout élément fantastique, le fantastique est inhérent à l’histoire comme dans bien d’autres livrets d’opéra adaptés de légendes : les serpents se transforment en femmes, des créatures célestes et démoniaques se livrent combat, le moine déploie ses ressources magiques. Mais le fantastique est ici au service d’une histoire bien plus profonde où l’amour est confronté à la soif de pouvoir. Le fantastique se fond dans le romantisme qui est l’élément finalement dominant de l’opéra.

 

La scène la plus célèbre, d’ailleurs souvent représentée séparément, celle du « Pont brisé » (《断桥》), est d’un romantisme digne des plus grands mélodrames chinois : le Serpent blanc et Xu Xian se retrouvent près du pont où ils se sont rencontrés la première fois ; elle vient de remporter une victoire durement acquise contre le moine à la bataille de la Montagne d’or, ils se réconcilient après la tempête, le Serpent blanc pleure d’émotion en retenant la colère de sa compagne, furieuse de la traîtrise de cet homme lâche. L’avenir semble leur être promis.

 

Typique de l’idéologie communiste, à l’époque, faisant feu de tout bois contre les superstitions et autres opiums du peuple, Tian Han mène une attaque frontale contre les « trois religions », confucianisme, taoïsme et bouddhisme : le dompteur de serpent s’enfuit épouvanté, le moine taoïste est tourné en ridicule, Fa Hai devient l’esprit du mal et abuse même le peuple, alors que le dompteur de serpents, lui, au moins, est honnête et rembourse les honoraires indûment perçus.

 

Le caractère maléfique de Fa Hai remonte à la version de la légende popularisée dans les « Contes populaires du lac de l’Ouest ». Dans cette version, Fa Hai était à l’origine une tortue qui s’était cachée sous le siège du Bouddha en forme de fleur de lotus. Profitant de son sommeil, elle réussit à lui voler ses trois trésors - bol d’or, kasaya et bâton de méditation – et prend la fuite. Elle se transforme ensuite en moine qui tue le supérieur du monastère de la Montagne d’or à Zhenjiang et prend sa place. Si Fa Hai déteste autant le Serpent blanc, c’est que celle-ci, grâce à ses pouvoirs magiques, aide Xu Xuan à fabriquer des médicaments pour guérir les malades atteints des épidémies que le moine lui-même a propagées. C’est pour se venger, en fait, qu’il capture le Serpent blanc, mais il ne fait pas le poids face aux pouvoirs acquis par le Serpent vert après des années de perfectionnement. Il finira dans le ventre d’un crabe au fond du lac de l’Ouest.

 

c)       Les représentations, de Mei Lanfang à Zhang Huoding

 

L’opéra de Tian Han est magique, non pour ses éléments de fantastique, mais bien plutôt pour la magie avec laquelle il opère une symbiose entre fantastique et romantisme, à travers les relations subtiles entre les personnages, rendues par la gestuelle très fluide de l’opéra et par la musique. Le Serpent blanc a été l’un des derniers grands rôles de Mei Lanfang (梅兰芳) qu’il a créé en 1955, en version kunqu, avec Yu Zhenfei (俞振飞) dans le rôle de Xu Xian et Mei Biaojiu (梅葆玖) dans celui du Serpent vert [27].  Leur interprétation pleine d’humour fait ressortir les traits de caractères des personnages : le côté timoré de Xu Xian, effrayé par la rencontre et terrorisé par le Serpent vert qui veut se venger de lui, le caractère martial du Serpent vert et la sentimentalité un rien maternelle du Serpent blanc qui console Xu Xian comme un enfant apeuré en lui disant : « N’aie pas peur » (不要害怕).

 

Le Pont brisé 《断桥》, opéra kunqu 1955, avec Mei Lanfang, Yu Zhenfei et Mei Baojiu : https://www.bilibili.com/video/av4474666/

 

L’opéra sera ensuite représenté plusieurs fois jusqu’au début des années 1960, et encore en 1964 à Pékin en version opéra de Pékin, cette fois avec Du Jinfang (杜近芳) dans le rôle du Serpent blanc, Ye Shenglan (叶盛兰) dans celui de Xu Xian et Dan Timing (单体明) dans celui du Serpent vert. Élève et disciple de Mei Lanfang née en 1932 et disparue en avril 2021, Du Jinfang était la première femme à interpréter le rôle (son prénom signifie « près de [Lan]fang », soulignant l’héritage qu’elle incarnait.). L’interprétation souligne ici le caractère martial du Serpent vert, son affection pour le Serpent blanc et son aversion empreinte de jalousie envers Xu Xian.

 

Le Pont brisé, enregistrement par la télévision en 1976, avec Du Jinfang杜近芳,

Xiao Runde 萧润德 (doublé par Ye Shenglan 叶盛兰配音) et Dan Timing 单体明 [28]

https://www.bilibili.com/video/BV1MW411w79M/

 

C’est l’un des derniers grands opéras chinois écrits et représentés avant la Révolution culturelle. Il continue d’être mis en scène avec des interprètes prestigieux et représenté à l’étranger. C’est le cas de l’adaptation en opéra de Pékin « Legend of the White Snake » (《白蛇传》) donnée en septembre 2015 au David H. Koch Theater du Lincoln Centre à New York, avec la grande actrice Zhang Huoding (张火丁) dans le rôle principal du Serpent blanc. On est ici aux antipodes de

 

Zhang Huoding dans “Legend of the White Snake”

au Lincoln Center

l’interprétation de Mei Lanfang et de ses élèves : Zhang Huoding fait de Bai Suzhen une femme courageuse, en butte aux interdits de toutes sortes, mais humaine et infiniment émouvante, tandis que le rythme beaucoup plus rapide et marqué du tempo musical donne à cette adaptation un caractère moderne, mais où l’on pourra regretter la douceur du kunqu

 

Legend of the White Snake 《白蛇传》avec Zhang Huoding

 

 

Dans ces dernières incarnations, Bai Suzhen fait preuve d’un esprit indépendant, en opposition à l’autoritarisme, un esprit moderne qui transcende les schémas convenus, tandis que le Serpent vert à ses côtés est l’image d’une sexualité ambiguë et troublante. On a renversé la version initiale de l’histoire fondée sur les peurs ancestrales des serpents devenus monstres terrifiants dans l’imagination populaire, tout autant que reflétant le dédain de Confucius pour toutes ces histoires fantastiques dont il convenait « de ne pas parler ». L’étrange a été gommé, réintégré au quotidien, pour devenir « l’autre », non plus terrifiant mais intriguant, voire attachant. Et dans le même mouvement, la pagode Leifeng dûment restaurée est devenu site remarquable du lac de l’Ouest et lieu touristique, avec le Pont brisé [29].

 

C’est cette image démythifiée, recherchant la femme sous son travestissement dans la légende, que se sont attachés à rendre les auteurs chinois contemporains.

 

2.       Adaptations littéraires

 

Trois écrivains chinois contemporains ont écrit « leur » histoire du Serpent blanc : l’écrivaine hongkongaise Lilian Lee (Li Bihua 李碧华), l’écrivaine Yan Geling (严歌苓) et l’écrivain Li Rui (李锐).

 

a)       1986 : « Le Serpent vert », de Lilian Lee

 

« Le Serpent vert » (青蛇) est l’un des trois romans écrits par Lilian Lee au début de sa carrière sur des histoires de fantômes ou des récits fantastiques, avec « Rouge » (《胭脂扣》), et « La réincarnation de Pan Jinlian » (《潘金莲之前世今生》) publiés respectivement en 1985 et 1989 et aussitôt adaptés au cinéma, par Stanley Kwan et Clara Law. « Green Snake » date de 1986, donc s’inscrit dans la même veine, mais a été révisé en 1993 au moment où le roman a été adapté au cinéma, sous le même titre, par Tsui Hark [30].

 

Comme l’indique le titre, « Le Serpent vert » est l’histoire du Serpent blanc vue du point de vue du Serpent vert qui en est la narratrice, à la première personne ; c’est en quelque sorte l’autobiographie du Serpent vert. La romancière n’est pas tendre pour Xu Xuan : le Serpent vert tente de le séduire elle aussi,

 

« Le Serpent vert » de Lilian Lee

mais elle se rend compte que ce n’est qu’un médiocre qui n’en vaut pas la peine et se désole que sa compagne se soit amourachée de lui. Quand il a maîtrisé sa femme en lui mettant sur la tête le bol du moine, il a soudain peur de subir le même sort et s’enfuit, paniqué ; furieuse, le Serpent vert le tue d’un coup d’épée. 

 

Jusque-là, le récit suivait l’histoire traditionnelle dans ses grandes lignes, mais avec une différence marquée dans le caractère des deux femmes : le serpent blanc aspirant à une vie d’épouse dans l’ombre de son mari, le serpent vert étant reformatée en séductrice, avec un clin d’œil aux deux femmes de la nouvelle de Zhang Ailing, « Rose rouge, Rose blanche » (《红玫瑰与白玫瑰》). À partir de là, cependant, le roman réserve au contraire quelques surprises de taille, pleines d’humour. Ce n’est ni son fils ni le Serpent vert qui sauve le Serpent blanc en la libérant de dessous la pagode : ce sont les Gardes rouges qui viennent démolir la pagode dans leur campagne de destruction des « vieilleries » et des superstitions, dont celles concernant les « serpents venimeux transformés en belles femmes » (化成美女的毒蛇). Et l’histoire recommence : libérée, portant jeans et lunettes de soleil, la Dame en blanc avise un jeune garçon cherchant à se protéger de la pluie dans un pavillon près du Pont brisé et s’apprête à l’approcher. Le Serpent vert comprend qu’il s’agit de la réincarnation de Xu Xuan et rejoint sa compagne pour la seconder dans cette nouvelle aventure.

 

Le roman a fait l’objet d’une adaptation au cinéma, par Tsui Hark en 1993, mais aussi au théâtre, en 2013, par la metteuse en scène d’avant-garde du Théâtre national de Chine dont elle a été nommée directrice en décembre 2020 : Tian Qinxin (田沁鑫). Elle a axé sa pièce autour du désir de Xiao Qing de connaître l’amour comme sa compagne Suzhen ; mais elle tente de séduire le moine Fa Hai, car de même que Suzhen a trouvé l’amour en Xu Xian, le premier homme qu’elle a rencontré sur terre, Xiao Qing pense que Fa Hai est celui qui doit lui apporter l’amour puisqu’il est le premier qu’elle a rencontré au temple Jinshan (de la Montagne d’or). Mais Fa Hai tente au contraire de se libérer du désir pour accéder au nirvana… À la fin de sa vie, cependant, il a une illumination et se dit qu’il devrait aimer Xiao Qing comme le Bouddha aime toutes les créatures du monde…

 

Tian Qinxin a tissé une fable subtile où les deux serpents aspirent à devenir humaines, c’est-à-dire à connaître l’amour, tandis que l’homme aspire à devenir Bouddha, au-delà du désir… Mais finalement, Fa Hai choisit de devenir un mortel ordinaire dans sa prochaine existence de façon à retrouver Xiao Qing. Son obsession de se libérer du désir était aussi un désir. Spécialiste des adaptations au théâtre des grands classiques de la littérature chinoise, Tian Qinxin a montré combien la légende peut avoir de résonnance moderne. Hai

 

Le Serpent vert 青蛇écrit et mis en scène par Tian Qinxin

https://www.bilibili.com/video/BV1WA411b7c2/

 

b)       1998 : Le Serpent blanc, de Yan Geling

 

« Le Serpent blanc » (《白蛇》) est une novella (中篇小说) de Yan Geling initialement parue dans la revue littéraire Octobre (《十月》) en mai 1998 et la revue lui a décerné son prix littéraire en 2001. C’est une nouvelle extrêmement sophistiquée qui fait intervenir trois niveaux narratifs dans des genres différents, contant la même histoire de divers points de vue : l’histoire d’une danseuse célèbre pour son interprétation du Serpent blanc, arrêtée au début de la Révolution culturelle, emprisonnée et soumise à une enquête. Or l’enquêteur est un jeune homme étrange, à la personnalité ambigüe, qui crée un trouble profond chez l’ex-danseuse.

 

Yan Geling joue habilement des modèles du Serpent blanc et du Serpent vert issus de la légende – dans la version où le Serpent vert vient sauver le Serpent blanc, mais aussi de la tradition opératique d’interprétation des rôles féminins par des hommes.

 

« Le Serpent blanc » de Yan Geling

En usant en outre de l’alternance entre modes narratifs incluant le monologue intérieur, Yan Geling a construit une narration subtile où elle revisite la question du genre en renouvelant le thème de la « femme moderne » cher à Tian Han, avec une tension qui ne se relâche pas un instant.  

 

c)       2007 : La Légende du Serpent blanc revisité, de Li Rui et Jiang Yun

 

En 2007, avec son épouse Jiang Yun (蒋韵), Li Rui à son tour a écrit un roman sur le thème de la légende du Serpent blanc : « Le Monde humain : la légende du Serpent blanc revisitée » (Renjian: chongshu Baishe zhuan《人间.重述白蛇传》). Le roman a fait partie d’un projet international de relecture des mythes par des auteurs contemporains lancé en 1999 par la maison d’édition Canongate Books [31].

 

Li Rui se plaçait comme Lilian Lee du point de vue du Serpent vert, mais à la troisième personne et dans une optique différente : en posant la question de la définition de l’humain, et de la signification de l’appartenance au monde humain, en formulant la question vue par le Serpent vert. Pour celle-ci, la question n’est pas tant la distinction entre homme et être fantomatique (yāo), en fait il lui plaît d’être et l’un et l’autre, ou mieux de n’être ni l’un ni l’autre ; ce

 

« La légende du Serpent blanc revisitée »

 de Li Rui et Jiang Yun

qu’elle se demande, c’est à quoi peut bien servir d’être homme si l’on n’est pas libre.

 

On voit ainsi la légende continuer sa mue, d’une époque à l’autre, d’un auteur à l’autre, en fonction de thèmes répondant aux préoccupations du moment en fonction de l’évolution de la société, mais aussi de ses adaptations à l’opéra et au théâtre. À partir du milieu du 20e siècle, mais surtout à partir des années 1980, c’est le cinéma qui s’en est emparé et en a donné à son tour des visions très différentes, mais délivrant des messages se voulant universels.

 

3.       Adaptations cinématographiques

 

Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Adaptations_cinematogr_de_legendes_I.htm

 


 

Traductions en français

 

- Première traduction : celle de Stanislas Julien, « Blanche et Bleue, ou les deux couleuvres-fées ». Librairie de Charles Gosselin, 1834.

Traduction numérisée en ligne sur Chine ancienne.

- La Tour du Pic du Tonnerre, ou La Dame Blanche, trad. Maurice Verdeille, dans Bulletin de la Société des études indochinoises, Saïgon, 1917, pages 53-170.

A lire en ligne, sur le même site :

https://www.chineancienne.fr/traductions/la-tour-du-pic-du-tonnerre-ou-la-dame-blanche-trad-

m-verdeille/

- Contes populaires du lac de l’Ouest, illustrations de Ye Yuzhong, éditions en Langues étrangères de Pékin, 1982 (1ère édition). Traduction du Xihu jiahua gujin yiji. Le Serpent blanc pp. 13-39.

- Contes de la Montagne sereine, traduit, présenté et annoté par Jacques Dars, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient », 1987.  Traduction du Qingping shantang huaben, anthologie compilée et éditée vers 1550 par Hong Pian. Texte original en ligne : http://www.xiexingcun.com/gudianxiaoshuo/014/index.htm

Parmi les « contes » du recueil, deux huaben précurseurs de la légende du Serpent blanc : « Les trois stûpas du lac de l’Ouest » (Xihu san ta ji 《西湖三塔记) pp. 248-265, et « Les trois monstres de Luoyang » (Luoyang sanguai ji《洛阳三怪记》) pp. 334-350. 陈艺冠

- A la recherche des esprits, textes tirés du "Sou shen ji", de Gan Bao, traduit du chinois, présenté et annotés sous la direction de Rémi Mathieu, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient », 1992.

- Le Serpent blanc de Feng Menglong, in Le Serpent blanc, quatorze contes tirés du Jingshi Tongyan, éditions en Langues étrangères de Pékin, 1994 (pp. 229-262)

- Aux portes de l’enfer : récits fantastiques de la Chine ancienne, traduits par Jacques Dars, préfacés par Paul Martin, Picquier poche 2015.

- L’Impure passion d’un serpent de Ueda Akinari, in Contes de pluie et de lune, traduit du japonais, présenté et annoté par René Sieffert, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient », 1956 (pp. 111-138)

 


 

Bibliographie

 

- Le serpent blanc en Chine et au Japon, excursions à travers les variations d’un thème, par André Levy, in Études sur le conte et le roman chinois, Publications de l’EFEO, 1971/82, pp. 97-113.

- Le serpent blanc, figure de la liberté féminine, par Ho Kin-chung, Etudes chinoises, année 1992/11-1, pp. 57-86

https://www.persee.fr/doc/etchi_0755-5857_1992_num_11_1_1162

- Metamorphoses of Snake Women, Melusine and Madam White, a thesis by Zhao Zifeng, University of British Columbia, August 2015

A consulter en ligne : https://open.library.ubc.ca/soa/cIRcle/collections/ubctheses/24/items/1.

0166536

-  « The Leifeng Pagoda and the Discourse of the Demonic » by Eugene Y. Wang 汪悅進, in Writing and Materiality in China: Essays in Honor of Patrick Hanan, Judith T. Zeitlin, Lydia H. Liu & Ellen Widmer eds, (Harvard-Yenching Monograph Series, 58), Harvard University Asia Center, 2003, pp. 502-03+ 504, 509.

Le chapitre comporte trois parties : une première partie sur les pagodes en général, une deuxième partie sur l’histoire de la pagode Leifeng et sa propre symbolique, et une troisième partie sur les liens de la pagode avec la légende du Serpent blanc.

Le chapitre à lire en ligne : http://www.chinaheritagequarterly.org/features.php?searchterm=

028_tope.inc&issue=028

-  The Global White Snake, Liang Luo, University of Michigan Press, August 2021.

  


 

Les femmes-serpents dans la littérature française

 

- La fée Mélusine, issue de récits du Moyen Âge dont le De nugis curialium (Bagatelles de gens de cour) du Gallois Walter Map, recueil d’histoires de revenants et anecdotes diverses datant de la fin du 12e siècle qui n’est pas sans rappeler les recueils chinois du même genre.

En traduction française : Contes pour les gens de cour, Gautier Map, trad. et introduction Alan Keith Bate, éditions Brepols, 1993.

http://www.brepols.net/Pages/ShowProduct.aspx?prod_id=IS-9782503503066-1

- La Vouivre de Marcel Aymé, Gallimard 1989

 


 

À lire en complément

 

Trois extraits du Taiping Guangxi, traduits en français (à venir)

 


 


[2] Ou « Meng Jiang de ses pleurs fait s’écrouler la Grande Muraille » (孟姜女哭长城).

Relecture de la légende par Su Tong (苏童) en 2006.

[3] Ou « Les amants-papillons », voir l’adaptation cinématographique de l’opéra yueju par Sang Hu (桑弧) en 1954 et les autres adaptations à l’opéra :

http://www.chinesemovies.com.fr/films_Sang_Hu_Liang_Shanbo.htm

[4] Voir : https://baike.baidu.com/item/%E9%9A%8B%E4%BE%AF%E6%95%91%E8%9B%

87%E5%BE%97%E7%8F%A0/2047016

Le Soushen ji comporte une autre histoire de serpent, maléfique et effrayant : « Li Ji tue le serpent » (李寄斩蛇). Ici il s’agit d’un serpent redoutable qui réclame le sacrifice de jeunes filles d’un village sous peine de le mettre à feu et à sang ; la jeune Li Ji se porte volontaire et le tue. Le serpent se fond dans l’imagerie du dragon.

Traduction en français : À la recherche des esprits (récits tirés du Soushen ji), traduit, présenté et annoté sous la direction de Rémi Mathieu, Gallimard/Unesco, coll. « Connaissance de l’Orient », 1993.

[5] Le Taiping Guangji comporte quatre juan consacrés à des histoires de serpents (456-459). L’histoire de Li Linfu et les serpents est au Juan 457. Voir les textes :

https://zh.m.wikisource.org/zh-hans/%E5%A4%AA%E5%B9%B3%E5%BB%A3%E8%A8%98

[6] Li Linfu est surtout décrit dans le « Miroir de l’histoire pour aider le gouvernement » ou Zizhi Tongjian (《资治通鉴》) compilé par Sima Guang au siècle suivant. Sima Guang le dépeint comme un être vil et flagorneur, supprimant férocement ses rivaux, et partiellement responsable du déclin de la dynastie ayant mené à la révolte d’An Lushan au lendemain de sa mort : comme un serpent dans l’herbe. Il en est resté une expression pour désigner un personnage fourbe et impitoyable comme un serpent : (kou mi, fu jian 口密腹剑).

[7] Texte original en ligne : https://baike.baidu.com/item/%E8%A5%BF%E6%B9%96%E4%

B8%89%E5%A1%94%E8%AE%B0/20144159

Il est inclus dans le recueil « Qingping Shantang huaben » (《清平山堂话本》), voir Bibliographie.

[8] Les trois pagodes ne sont pas totalement fictives : elles ont été construites, en face de la pagode Leifeng, à la fin du 11e siècle, par Su Dongpo qui était alors préfet de Hangzhou. Mais, à la fin du 15e siècle, elles avaient été détruites par un inspecteur furieux de la corruption des moines du monastère proche. Elles n’existaient donc plus qu’à l’état de ruines quand l’histoire a été éditée par Hong Pian. Elles ont été reconstruites en 1611. L’association de la femme-serpent avec un site lourd d’histoire ajoutait du sel au récit.

[9] Noté par Eugene Y. Wang dans « The Leifeng Pagoda and the Discourse of the Demonic ». Voir Bibliographie.

[10] L’île Guji (古迹岛), c’est-à-dire l’île « d’intérêt historique », que Pu Songling situe dans la « mer de l’Est », tandis que son personnage dit venir de Dengzhou (登州), autre nom de la ville de Penglai (蓬莱) sur la côte nord du Shandong. Or Penglai est le lieu mythique d’un paradis taoïste, résidence des huit Immortels. La ville est célèbre pour les mirages en mer que l’on y observe, ou observait, en mai-juin. L’île du conte de Pu Songliing semble être l’un de ces mirages.

[11] Texte chinois (caract. simplifiés) : http://www.guoxue.com/minqingstory/jsty/JSTY_028.htm

[12] C’est un texte relativement court, d’un peu plus de 18 000 caractères.

Texte original chinois : http://www.dushu369.com/gudianmingzhu/HTML/9910.html

[13] Littéralement : le maître de la loi des mers.

[14] Selon la traduction en français de René Sieffert, voir Bibliographie.

[15] Ainsi, quand elle est accusée d’être un esprit maléfique, Manago comme son modèle chinois rétorque en montrant les preuves du contraire : bien sûr que non qu’elle n’est pas un fantôme, elle a des coutures à ses vêtements, et un ombre sous le soleil.

[16] Selon cette légende, une femme repoussée par un moine qu’elle poursuivait de ses assiduités s’est transformée en un monstrueux serpent. Le nô qui raconte l’histoire est intitulé Dôjô-ji.

[17] Variante qu’explique un autre conte : c’est le nom (Xu l’Immortel) que lui aurait donné sa mère à sa naissance.

[18] Dont le texte numérisé est en ligne : https://ctext.org/wiki.pl?if=gb&res=169905&remap=gb

[19] Les deux poissons étant symbole d’amour dans l’iconographie traditionnelle.

[20] L’une des quatre montagnes sacrées bouddhistes, située dans le Sichuan.

[21] Voir « The Leifeng Pagoda and the Discourse of the Demonic » by Eugene Y. Wang 汪悅進, in Writing and Materiality in China: Essays in Honor of Patrick Hanan, voir Bibliographie.

Chapitre en ligne, avec une introduction sur la pagode et son histoire – de sa construction en 976, par Qian Hongchu (錢弘俶), dernier souverain de l’Etat de Wu-Yue (吳越) avant l’unification de la Chine par les Song, jusqu’à son effondrement en 1924 :

http://www.chinaheritagequarterly.org/features.php?searchterm=028_tope.inc&issue=028

[22] Texte original en ligne : https://www.99csw.com/book/888/index.htm    

[23] Un siècle plus tard, une version bouddhiste comportant morale exemplaire va encore  un peu plus loin : le fils est lauréat des examens impériaux et obtient de l’empereur un décret ordonnant la construction d’une arche en l’honneur de sa mère à côté de la pagode où elle est toujours enfermée. Ce n’est qu’ensuite qu’elle sera libérée par la compassion du Bouddha, en continuant du ciel à veiller sur son fils. Mais c’est tellement grotesque que cet épisode supplémentaire n’a pas été retenu par la suite.

[24] Publié dans le recueil « Essais au fil de la plume après avoir mangé » (《饭后随笔》), c’est-à-dire en fait après avoir fait pas mal de recherches. Le recueil regroupe plus de 400 essais parus dans la presse entre novembre 1949 et octobre 1950. Leifengta est le n° 49.

[25] Voir « Zhou Zuoren et les fantômes » par Georges Be Duc, in Fantômes dans l’Extrême-Orient d’hier et d’aujourd’hui, tome 2, sous la direction de Vincent Durand-Dastès et Marie Laureillard, Presses de l’Inalco, 2017.

[27] Mei Baojiu était le fils cadet de Mei Lanfang, seul héritier des « rôles de qingyi de l’école Mei Lanfang » (梅派青衣)

[28] La même scène interprétée par Du Jingfang et Dan Timing dans les mêmes rôles mais avec le fils de Ye Shenglan, Ye Shaolan (叶少兰), dans le rôle de Xu Xian. [Ye Shenglan a été déclaré droitier en 1958 et emprisonné ; il est mort de maladie en 1978]

https://www.bilibili.com/s/video/BV1et41187Ju

[29] Dans « The Leifeng Pagoda and the Discourse of the Demonic » (voir Bibliographie), Eugene Y. Wang fait remonter la fascination pour la pagode au début du 17e siècle en s’appuyant sur une gravure de Wang Zhongxin (汪忠信) montrant des voyageurs admirant la pagode en ruines, ravagée par un incendie, gravure illustrant un recueil compilé en 1609 par Yang Erzeng (楊尔曾) « Sites merveilleux à l’intérieur des mers » (Hainei qiguan 海內奇观》). C’était encore une fascination pour l’impression d’étrange se dégageant de ces ruines, rappelant le « romantisme des ruines », réelles ou imaginaires, au 18e siècle, et les poèmes de Chateaubriand ou Lamartine se promenant dans Rome la nuit, à la lueur de la lune :

Le rayon qui blanchit ses vastes flancs de pierre,
En glissant à travers les pans flottants du lierre,
Dessine dans l’enceinte un lumineux sentier ;
On dirait le tombeau d’un peuple tout entier,
Où la mémoire, errant après des jours sans nombre,
Dans la nuit du passé viendrait chercher une ombre.   

(Lamartine, nouvelles méditations poétiques XIX)

[31] C’est dans le cadre de cette Canongate Myth Series qu’a également été conçu le roman de Su Tong (苏童) « Binü ou le mythe de Meng » (《碧奴》) publié en Chine en 2006. Mais, ensuite, le roman de Li Rui n’a pas été retenu dans la série.

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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