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冯骥才 《俗世奇人》 

Feng Jicai  « Personnages peu communs du monde ordinaire »

Présentation

par Brigitte Duzan, 3 avril 2010, actualisé 30 décembre 2016

 

I. « Personnages peu communs du monde ordinaire » (《俗世奇人》) est la manifestation, dans le domaine littéraire, de la passion de Feng Jicai pour la préservation de la culture et des coutumes de sa ville, Tianjin. Préserver cette culture avant qu’elle ne disparaisse passe avant tout par la préservation de la mémoire, mémoire des lieux, mémoire des gens et de leur langue.

 

Il s’agit d’un recueil de dix-huit récits originaux [1], très courts - on les appelle parfois « nouvelles miniatures » (微型小说). Ils se présentent comme une série de portraits de personnages du peuple peu ordinaires, chacun possédant un don particulier ou une histoire propre : c’est le sens du "" du titre. En effet, bien que Feng Jicai ait reconnu se rattacher à la tradition narrative chinoise du conte fantastique, c’est uniquement dans la forme, il n’est pas question ici de surnaturel ou de magie : c’est d’ailleurs le sens et la leçon du récit traduit et analysé ici : Li la Brosse(《刷子李》).

 

Personnages peu communs du monde ordinaire

 

Mis bout à bout, ces récits dessinent un tableau vivant des couches populaires de Tianjin, et de la vie sur les quais au début des années 1910, après la chute de la dynastie des Qing et la fondation de la République (en 1911).

 

Tianjin au début des années 1910

 

Feng Jicai explique dans l’introduction que les habitants qui vivaient autour des quais constituaient une population des plus diverses, aux caractères très variés et aux coutumes bien établies, et qu’il y avait des personnages originaux même dans les couches les plus modestes de cette population.

 

Il avait eu l’occasion d’en rencontrer beaucoup et avaient noté leurs histoires. Certains apparaissent dans ses livres antérieurs, mais, dit-il, il y en avait qui

« restaient inutilisés » (闲置). Il a donc eu l’idée de faire une sorte de catalogue de portraits pour les léguer à la postérité :

         故而随想随记...;每人一篇,各不相关。

Et ainsi, j’ai laissé courir ma plume au gré de ma pensée… un chapitre pour chaque personnage, sans lien les uns avec les autres. [2]

 

Non seulement, il a consigné leurs histoires, contées comme des fabliaux qui rappellent le style des conteurs traditionnels, avec des coupures dans le récit, voire des interpellations directes pour maintenir le suspense et l’intérêt du public. L’expression est concise, utilisant des figures de style traditionnelles, le parallélisme en particulier. En outre, il écrit dans la langue du peuple qu’il décrit, une langue colorée, relevée d’expressions dialectales [3] : mi langue classique mi bai hua (半文半白).

 

On a parfois l’impression de personnages de bande dessinée [4], ou plutôt d’un film, car il y a aussi une formidable bande-son : 如闻其声,如见其人, on entend la vie telle qu’elle est contée et on voit les personnages tels qu’ils sont décrits. Ce sont donc des textes difficiles à traduire, des textes travaillés, ciselés, qui, une fois traduits, perdent malheureusement une grande partie de leur saveur originelle, qui tient autant à la forme qu’au fond.

 

Feng Jicai nous offre dans ces récits une superbe galerie de portraits qui rappellent les Caractères de La Bruyère, ne serait-ce d’ailleurs que par la concision du style. Mais, là où La Bruyère s’attachait à dépeindre des caractères qu’il voulait universels, en se livrant à une satire féroce des travers de la Cour, Feng Jicai nous livre des portraits nature, traités comme des miniatures, de petites gens qu’il élève au rang d’archétypes, se rapprochant en cela de la Comédie humaine

 

La référence, en fait, est Feng Menglong (冯梦龙) et ses trois volumes de quelque cent vingt récits en langue ‘vulgaire’ – San Yan 三言 – publiés dans les années 1620 à Suzhou. C’est une œuvre monumentale qui a élevé le huaben au rang de grand classique de la littérature chinoise alors que ces textes de conteurs relevaient à l’origine de la littérature orale [5]. Elle se présente comme un ensemble de portraits en langue parlée bai hua qui, de la même manière que les courtes nouvelles de Feng Jicai, dresse un tableau extraordinairement vivant de la vie urbaine de l’époque.

 

A lire en complément :

 

Su Sept Yuans 《苏七块》

Li la Brosse 《刷子李》)

La vieille pocharde 《酒婆》

 

 

II. En 2015, dans Shouhuo (收获), Feng Jicai a publié dix-huit nouveaux récits miniatures du même genre continuant la galerie de portraits des gens de Tianjin : « Nouveaux personnages peu communs du monde ordinaire » (《俗世奇人新篇》). Il les a écrits, a expliqué l’auteur, « parce qu’il avait encore en tête une foule de personnages dont il n’avait pas encore parlé » (脑袋里还有一些没写出来的人物). Et il les a illustrés.

 

Le premier portrait est celui d’un chien, « Tête noire » (《黑头》) :

这儿说的黑头,可不是戏曲里的行当,而是条狗

的名字。这狗不一般。

Ici, quand on parle de "tête noire", il ne

 

Tête noire (dessin de Feng Jicai)

s’agit pas d’un rôle d’opéra, c’est le nom d’un chien. Mais ce n’est pas un chien ordinaire.

Présentation et trois premiers textes :

http://blog.sina.com.cn/s/blog_66987bfa0102wdad.html

 

 


[2] Ce qui n’est pas tout à fait vrai : par exemple, le dentiste que l’on trouve dans l’histoire du docteur 《苏七块》 est le personnage central d’un autre récit, et le maître des statuettes d’argile 泥人张 mentionné dans la seconde histoire fait aussi l’objet d’un récit séparé.

[3] Le dialecte de Tianjin (天津话) fait partie du 冀鲁官话 Jìlǔ guānhuà ou « langue officielle [mandarin] du Hebei ()-Shandong () » ; c’est une variante de la langue parlée à Pékin, choisie comme base du mandarin standard. Il y a des différences de tons, de prononciation de certaines consonnes et de vocabulaire, mais qui n’empêchent pas les locuteurs de se comprendre.

L’une des expressions dialectales que l’on trouve régulièrement dans ces récits, par exemple, est le terme sài dans le sens de ‘avoir l’air’ (xiàng ).

[4] D’ailleurs « La vieille pocharde » (《酒婆》) a été effectivement adaptée en court métrage d’animation. Voir à la fin de la traduction.

[5] Feng Menglong a retravaillé des huaben datant des périodes Song et Yuan. Sur le développement des huaben à cette époque, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Reperes_

historiques_Breve_histoire_du_xiaoshuo_De_la_nouvelle_au_roman_chinois_II.htm

 

 

 

 
 

 

 

 

     

 

 

 

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