Ma Yuan
马原
Présentation
par
Brigitte Duzan, 21 mai 2025
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Ma
Yuan |
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Écrivain
né en 1953, Ma Yuan (马原)
a été l’un des précurseurs du mouvement de
littérature d’avant-garde
(“先锋派”)
des années 1980 en Chine. Avec son célèbre « piège
narratif » (xùshù quāntào“叙述圈套”),
il a joué un rôle important dans l’histoire littéraire
chinoise en instaurant une narration où la forme est
primordiale et détermine le contenu (“以形式为内容”).
Éléments biographiques
Né à
Jinzhou dans le Liaoning (辽宁锦州),
après avoir terminé ses études secondaires en 1970, Ma Yuan
a été envoyé à la campagne dans le Liaoning même, puis est
entré en 1974 dans l’École des équipements de transport des
Chemins de fer de Shenyang (沈阳铁路运输机械学校).
Après avoir obtenu son diplôme en 1976, il a commencé à
travailler en usine, puis, en 1978, a été admis dans le
département de chinois de l’université du Liaoning dont il
est sorti diplômé en 1982. Il est alors parti vivre à Lhassa
où il a travaillé comme journaliste et où il a commencé à
écrire, avant de revenir dans le Liaoning en 1989 ; il est
alors devenu écrivain professionnel à l’Institut de
littérature de la ville de Shenyang (沈阳市文学院专业作家).
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La déesse de la rivière
Lhassa, 1984 |
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Pas de voile sur la mer
de l’ouest, 1987 |
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Textes choisis de Ma
Yuan, 2006 |
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Après
avoir été atteint d’un cancer au poumon et être resté
longtemps loin de la scène littéraire, il a de nouveau fait
parler de lui en 2012 en publiant le roman « Monstres et
démons » (《牛鬼蛇神》)
qui a été salué par son éditeur comme sa résurrection. Puis,
pour son 60e anniversaire, il a publié un
deuxième roman dont on pourrait traduire le titre par
« Embrouillaminis » (Jiūchán《纠缠》) ;
le roman est paru dans le troisième numéro de 2013 de la
revue « Octobre » (《十月》第三期),
puis en juin aux éditions des « Lettres et arts d’Octobre à
Pékin » (北京十月文艺出版社).
Ma Yuan a également joué dans le film fantastique « The
Wolves » (《狂暴巨狼》)
sorti en 2022.
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Monstres et démons, 2012 |
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Jiuchan
(Embrouillaminis), 2013 |
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En
septembre 2023, il a encore publié un roman, « Le rivage des
galets blancs » (《白卵石海滩》),
qui revient sur l’histoire du tremblement de terre de
Tangshan : trois jours après le séisme, un jeune ouvrier qui
participe à une équipe de secouristes sauve une jeune fille
des ruines d’un immeuble
.
La publication était accompagnée de trois titres
antérieurs : « Fiction » (《虚构》),
« Kilomètre zéro (《零公里处》)
et « Plat de haut en bas » (《上下都很平坦》).
Cependant,
cette « résurrection » a peu d’impact littéraire. C’est
durant ses années au Tibet, de 1984 à 1989, que Ma Yuan a
écrit et publié les récits - essentiellement des nouvelles
et novellas - qui constituent le plus important de son œuvre
de fiction avant-gardiste.
Nouvelles et essais avant-gardistes
La
spécificité de Ma Yuan est d’avoir été influencé non point
par le réalisme magique de Gabriel García Márquez qui
faisait fureur en Chine à l’époque, mais par l’œuvre et la
pensée de Jorge Luis Borges. L’une de ses premières
nouvelles, « La déesse de la rivière Lhassa » (《拉萨河女神》),
publiée en 1984 dans un recueil éponyme de huit nouvelles
,
a été la première à donner la primeur à la forme narrative :
elle est construite selon un schéma labyrinthique inspiré
par Borges. Le récit onirique « La parade des dieux » (《游神》),
pour sa part, commence, en exergue, par une citation de
Borges tirée de « Las ruinas circulaires » du recueil « Ficciones » :
« … il savait que son obligation immédiate était de rêver.
Vers minuit, le cri inconsolable d’un oiseau le réveilla. »
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La parade des dieux, éd.
2001 |
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De manière
caractéristique, cette nouvelle a d’ailleurs pour narrateur
un certain Ma Yuan. C’est à cet auteur-narrateur qu’un vieux
Tibétain (en fait d’un âge indéterminé « entre 27 et 72
ans ») dévoile l’existence de quelques vieilles pièces de
monnaie d’argent très rares héritées de sa famille (où l’on
peut deviner l’influence du Zahir de Borges). Le
narrateur conçoit alors le désir de les dérober. C’est une
histoire complexe construite sur plusieurs niveaux
narratifs, interrompue de temps à autre par des éléments
fantastiques ou tenant du conte bien que le narrateur
prétende raconter des événements autobiographiques.
Décomposant et réorganisant la structure narrative, Ma Yuan
opère des sauts dans le temps et l’espace, passant d’un
point de vue à un autre, d’un personnage à un autre, comme
dans « Le charme envoûtant des monts Gangdise » (《冈底斯的诱惑》).
Il plonge ainsi le lecteur dans un univers flou, où les
repères usuels sont des plus incertains, dans un contexte
spatio-temporel qui tend à se réduire à néant.
La
nouvelle qui représente le mieux son écriture avant-gardiste
est « Fiction » (Xūgòu《虚构》),
littéralement la « fabrication de la fiction », selon une
construction reposant sur l’imaginaire et le vide (xū
虚).
En même temps, c’est la traduction du titre du recueil de
Borges publié en 1944 : Ficciones – recueil qui
comporte tous les titres emblématiques de l’auteur, du
« Jardin aux sentiers qui bifurquent » à « La Bibliothèque
de Babel » en passant, entre autres, par « Tlön, Uqbar,
Orbis Tertius » et « Les ruines circulaires »…
En 1989,
Ma Yuan quitte le Tibet et mène alors en Chine une vie
errante d’une ville à l’autre, en travaillant dans divers
emplois dans le secteur culturel. Durant ces années 1990, il
a publié deux volumes d’essais : « La voie de la fiction » (Xuguo
zhi dao《虚构之道》)
et « Lire les grands maîtres » (Yuedu dashi《阅读大师》),
réunis en un seul volume en 2002. Ces essais offrent une vue
personnelle de la littérature et de sa méthode d’écriture
créative, disciplines qu’il a enseignées à partir de 2000 à
l’université Tongji à Shanghai. Parmi les « maîtres » donnés
comme modèles à ses étudiants figurent Hemingway (et son
« Adieu aux armes »), Camus (et « L’étranger »), Hasek (et
« Le brave soldat Schweik »)…
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Lire les grands maîtres,
2002 |
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En 1997,
les éditions de l’Association des écrivains (作家出版社)
ont publié son œuvre en quatre volumes (马原文集)
– donc du début des années 1980 au milieu des années 1990.
Cela reste l’édition de référence.
Ma Yuan a
enseigné treize ans à Shanghai, puis s’est retiré de la vie
publique en s’installant d’abord à Hainan puis dans les
montagnes du Xishuangbanna. On n’a retrouvé ses traces qu’en
2017.
Patriarcat contre avant-garde
À partir
de 2017, il a tenu un compte public WeChat où il rapportait
les moments heureux de sa vie familiale avec son fils Ma Ge
(马格)
et sa deuxième épouse Li Xiaohua (李小花)
dans la région du Xishuangbanna, dans le Yunnan. Tout cela
s’est brutalement arrêté en mai 2022. Un mois plus tard,
l’écrivain rapportait que son fils était mort le 1er
juin, à l’âge de 13 ans. Selon un article publié ensuite
dans la revue Renwu (《人物》杂志)
,
l’enfant était né avec le syndrome de Marfan, une maladie
génétique qui comporte des risques cardiaques. Ils peuvent
être traités par des médicaments, voire la chirurgie, mais
Ma Yuan a refusé d’emmener son fils consulter un médecin,
préférant vivre une vie saine dans les montagnes, contre
l’avis de sa femme et de ses proches, avec pour seul
compromis un traitement de médecine traditionnelle.
En fait,
selon la revue, alors que Ma Yuan enseignait à l’université
Tongji, on lui a diagnostiqué une tumeur pulmonaire. Après
avoir été traité à l’hôpital pendant un mois, il a décidé de
s’en remettre à la « thérapie naturelle ». Il a déménagé à
Haikou, dans l’île de Hainan, puis s’est installé dans les
montagnes du Xishuangbanna, au Yunnan. C’est là qu’il a
épousé sa deuxième épouse, qui a donné naissance à Ma Ge.
Les
révélations de Renwu ont déclenché de vives
controverses sur les réseaux sociaux chinois, accusant en
particulier Ma Yuan d’être un père et mari tyrannique, sa
résistance à la médecine moderne étant ancrée dans son
attitude patriarcale à l’égard des femmes et de la famille.
Cette
attitude est à l’opposé de son image d’écrivain
avant-gardiste influencé par la littérature occidentale, et
en particulier celle de Borges. On voit bien d’ailleurs que
ses nouveaux écrits sont très conventionnels, comme si la
réflexion menée pendant sa maladie et celle de son fils
l’avait amené à revenir vers la tradition chinoise comme
ancrage, y compris en littérature.
Traduction en français
Traduction
signalée par Noël Dutrait dans son « Petit précis à l’usage
de l’amateur de littérature chinoise contemporaine
(Picquier, 2002/2006), p. 68 : « En 1986, il publie
Vieille chanson himalayenne où il conte, entre rêve,
souvenir et réalité, la vie d’un chasseur d’une minorité
ethnique du Tibet, qui s’achève par ses funérailles
célestes… seule œuvre traduite en français à ce jour … ».
Elle semble bien l’être restée.
- Vieille
chanson himalayenne
《希玛拉雅古歌》,
trad. Chantal Chen-Andro, in Annie Curien (ed.), Anthologie
de nouvelles chinoises contemporaines, Gallimard, 1994, pp.
263-294.
Traductions en anglais
Si Ma Yuan
est resté quasiment inconnu en français, il y a en revanche
en anglais des traductions de ses principaux textes de
fiction de la période d’avant-garde, en particulier dans
deux anthologies : The Lost Boat:
Avant-garde Fiction from China
(1993) et The Mystified Boat, Postmodern Stories from
China (2003).
Nota :
The Lost Boat distingue les “short stories” des “longer
short stories”, dont Xugou…
Nouvelles
- Mistakes
Cuowu
《错误》,
tr. Helen Wang + Fabrication Xugou《虚构》,
tr. J.Q. Sun, in Henry Zhao, ed., The Lost Boat:
Avant-garde Fiction from China,
Wellsweep, 1993, pp. 29-42/101-144.
-
The Master Da Shi
《大师
》
/
The Black Road Hei dao
《黑道
》/
Under the Spell of the Gangtise Mountains Gangdise de
youhuo
《冈底斯的诱惑》,
tr.
Herbert Batt, in The Mystified Boat, Postmodern Stories
from China, University of Hawai’i Press, Eds. Frank
Stewart and Herbert J. Batt, 2003, pp.8-27/ 74-82 / 169-202.
- Vagrant Spirit You shen
《游神》,
tr. Herbert Batt, in Batt, ed., Tales of Tibet: Sky
Burials, Prayer Wheels, and Wind Horses. Rowman and
Littlefield, 2001, pp. 5-22.
Ou : A Wandering Spirit, tr. Caroline Mason, in Jing Wang,
ed., China’s Avant-garde Fiction, Duke UP, 1998,
264-83.
- Three Ways To Fold a Paper Hawk Die zhi yao de san
zhong fangfa
《叠纸鹞的三种方法》,
tr. Herbert Batt, ou:
More Ways Than One to Make a Kite, tr. Zhu Hong, in Jing
Wang, ed., China’s Avant-garde Fiction, Duke UP,
1998, 246-263.
- Ballads of the Himalayas. Stories of Tibet Ximalaya gu
ge
《希玛拉雅古歌》,
tr. Herbert Batt, intro Yang Xiaobin, MerwinAsia, 2011.
Includes : “Vagabond Spirit,” “The Black Road,” “The
Numismatologist,” “The Master,” “A Fiction,” “The Spell of
the Gangdise Mountains,” “Three Ways to Fold a Paper Hawk,”
“Ballad of the Himalayas”.
- Little Zhaxi and His Load of Wonderful Thoughts
《小扎西和他的一大堆美妙的想法》,
tr. R. Tyler Cotton, Rainboom Studio, Nov. 2010
Novellas
No Sail on the Western Sea Xihai wu fanchuan《西海无帆船》,
tr.Tony Blishen, Better Link Press, April 2015
Bibliographie
Will Gatherer, ‘Ma Yuan: The Chinese Avant-Garde,
Metafiction, and Post-Postmodernism’, Lexington
Books, 2021.
Yang Xiaobin (2002). 'Narratorial Parabasis and Mise-en-Abime:
Ma Yuan as a Model'. In The Chinese Postmodern: Trauma
and Irony in Chinese Avant-Garde Fiction,
University of Michigan Press, 153–67.
Henry Y H Zhao (1993), The New Waves in Recent Chinese
Fiction, in : Lost Boat, Avant-garde Fiction from China,
ed. Henry Zhao, Wellsweep, Introduction pp. 9-18.