Zhang Ling
张翎
Présentation
par Brigitte Duzan, 16
juillet 2010, actualisé 20 avril 2025
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Zhang Ling (photo Zhejiang News) |
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Zhang Ling (张翎)
a fait parler
d’elle en juillet 2010 quand est sorti le film de Feng Xiaogang
(冯小刚)
« Aftershock » (《唐山大地震》),
film sur le tremblement de terre de Tangshan adapté
de l’une de ses nouvelles
.
Bien que publiant depuis plus de dix ans et ayant glané nombre
de prix, elle était encore peu connue : la première traduction
d’un de ses romans, en français, n’a été publiée que l’année
suivante. C’est l’un des plus célèbres : « La Montagne d’Or » (《金山》).
Mais il faudra attendre 2017 pour que le roman soit traduit en
anglais, puis en espagnol et en d’autres langues.
En 2020 est
annoncé un deuxième roman traduit en anglais, mais on attend
toujours une nouvelle traduction en français.
Native du
Zhejiang, émigrée au Canada
Zhang Ling est
née en 1957 à Hangzhou, mais sa famille a ensuite déménagé à
Wenzhou (温州)
et c’est là qu’elle a passé
toute son enfance, c’est là qu’elle a ses attaches et ses
souvenirs : sur les bords de la rivière Ou (瓯江).
Puis, à la sortie du lycée,
elle est partie continuer des études d’anglais à Shanghai, à
l’université Fudan (复旦大学外文系),
dont elle est sortie
diplômée en 1983.
C’est ce sud de
la Chine qui lui a inspiré ses premières nouvelles ; elle a
déclaré que, aussi loin que puisse aller un écrivain, il
n’oubliera jamais son enfance, sa région natale et sa langue
maternelle, et y reviendra toujours.
Elle a
évidemment vécu entre temps toute la période de la Révolution
culturelle, mais, contrairement à quelqu’un comme
Yu Hua, par exemple, son
cadet de seulement quatre ans et natif de Hangzhou, elle n’en a
fait, de près ou de loin, le sujet d’aucune de ses nouvelles.
Chez elle, la clé de son écriture est à rechercher ailleurs.
Après avoir été
pendant trois ans traductrice, à Pékin, dans un office
ministériel en charge de l’industrie charbonnière, elle part en
1986, comme tant de ses compatriotes de Wenzhou partis chercher
fortune qui en Europe qui en Amérique, mais elle, c’est au
Canada, pour continuer ses études : elle passe d’abord un master
d’anglais à l’université de Calgary, puis enchaîne sur un second
master, en audiologie cette fois, à l’université de Cincinnati,
aux Etats-Unis, avant de retourner vivre et travailler, comme
audiologiste, à Toronto.
Elle garde de
ses premières années d’expatriée un souvenir de cauchemar. Pour
vivre, elle a fait tous les petits boulots imaginables, y
compris vendeuse de hotdogs, pensant ne jamais réussir à avoir
un salaire ou même une adresse stable : elle a mis dix ans à
s’accoutumer à la vie au Canada. Maintenant, elle peut dire
qu’elle n’a jamais douté qu’elle écrirait un jour, simplement
elle n’aurait jamais pensé qu’il lui faudrait autant de temps
pour y parvenir. Ce fut un long processus de maturation.
Maintenant,
elle continue son travail d’audiologiste à l’hôpital, quatre
jours par semaine, et elle écrit le soir, à ses heures de
loisir. C’est ainsi qu’elle a trouvé son équilibre, et elle
l’explique poétiquement :
« Mon
travail est comme une assise sur laquelle je peux m’appuyer
fermement des deux pieds, tandis que l’écriture me donne des
ailes pour permettre à mon âme de s’envoler. Personne ne peut
marcher trop longtemps sans se fatiguer, et personne ne peut non
plus voler longtemps sans se sentir seul. J’apprécie de pouvoir
à mon gré choisir de me poser ou de voler. »
Premiers
écrits
Zhang Ling a
commencé à écrire en 1997. Elle écrit en chinois et ses œuvres
sont publiées en Chine. Sa première œuvre est parue en 1998.
C’est un roman ouvertement autobiographique : Wàngyuè (《望月》),
c’est-à-dire « Pleine
lune », mais aussi « Regarder la lune au loin » ; c’est Shanghai
vu de Toronto, le roman a pour autre titre Shànghǎi xiǎojiě
(《上海小姐》),
disons « La demoiselle
de Shanghai » comme on dit les ‘demoiselles de Rochefort’. Zhang
Ling montre là qu’elle a dépassé la nostalgie du pays natal, et
les regrets qui vont avec.

《望月》
« Pleine lune » |
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《交错的彼岸》« l’autre
rive » |
Son deuxième
roman, publié en 2001, est en quelque sorte la suite de sa
réflexion, une étape plus loin : avec Jiāocuòde bǐ’àn (《交错的彼岸》),
« L’autre rive » où l’on vient littéralement s’empêtrer, elle
exorcise le présent après avoir exorcisé le passé.
Puis, en 2004,
Zhang Ling change légèrement de style et de thème : le roman
Yóugòu xīnniáng (《邮购新娘》),
« Mail Order Wife » pour reprendre le titre du film qui en a été
adapté
,
est l’histoire d’une jeune Birmane qu’un Américain fait venir
pour l’épouser après l’avoir choisie dans une agence
matrimoniale. C’est un être fruste, amateur de serpents, et il a
passé un contrat avec un réalisateur de documentaires qui a
concocté l’affaire pour pouvoir filmer leur relation.
Evidemment, rien ne se passe comme prévu, mais la jeune Birmane,
après un mauvais départ, s’en tirera assez bien. C’est une
histoire qui reprend évidemment le thème de l’Orientale
recherchée pour son exotisme, thème qui a nourri la littérature
et le cinéma américains et contre lequel se sont élevés artistes
et écrivains chinois de la diaspora. Mais il est traité de
manière très originale.
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《邮购新娘》
« Mail Order Bride »
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Ecrivaine
couronnée
Ce sont des
œuvres plus courtes, publiées dans divers magazines littéraires
chinois, qui sont remarquées par la critique et remportent
plusieurs prix en Chine à partir de 2003, dont le prestigieux
prix littéraire de la revue Octobre, à deux reprises. Elle en a
publié une dizaine de recueils depuis lors.
Mais le livre
qui fait vraiment parler d’elle, c’est son quatrième roman :
« La Montagne d’or » (Jinshan《金山》),
publié à Pékin en 2009, qui a remporté le premier Prix Zhongshan
de littérature chinoise décerné par la ville de Canton à des
auteurs vivant à l’étranger (“中山杯”华侨文学奖).
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《金山》« Jinshan » ou « Gold
mountain blues » |
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Ce roman est le
résultat d’un travail de maturation de vingt deux ans. Zhang
Ling avait été frappée, lors d’une visite à Calgary, de voir des
tombes couvertes de mousse, éparpillées dans l’herbe haute d’un
petit cimetière des environs de la ville : les restes des
immigrants chinois anonymes, venus pour la plupart de villages
du sud de la Chine, de chez elle entre autres, chercher
l’eldorado dans les Montagnes rocheuses, à la fin du
dix-neuvième et au début du vingtième siècle, au moment de
‘l’autre’ ruée vers l’or, celle du Klondike. « Jinshan »,
c’était la montagne de l’or, celle qui devait permettre de
revenir au pays riche et heureux. Mais bien peu en sont revenus.
Le roman de
Zhang Ling, dans la tradition des grandes sagas familiales
chinoises, retrace l’histoire de cinq générations de la famille
Fang, des années 1860 jusqu’à aujourd’hui. Mais ce n’est pas
seulement une épopée familiale : Zhang Ling y a incorporé des
histoires qui font la légende des gens du sud, de Wenzhou en
particulier, tous ces Chinois partis braver les océans et
débarqués dans des pays inconnus, poussés par des rêves
d’enrichissement bien vite évaporés, mais finissant par plus ou
moins réussir leur intégration dans un autre univers, après
avoir en avoir été rejetés pendant plus d’un siècle. C’est
toujours une histoire personnelle.
L’histoire
elle-même, la grande, n’apparaît qu’en toile de fond, mais en
épisodes intimement mêlés aux destins individuels : la
construction du chemin de fer du Pacifique au Canada, dans les
années 1870 et 1880, mais aussi la réforme des Cent Jours en
Chine, en 1898, ou la guerre de résistance contre le Japon, et
même la réforme agraire des années 1950.
Zhang Ling a
passé beaucoup de temps en recherche, recherche de documents et
archives, dans nombre d’universités et de bibliothèques, mais
aussi recherches sur le terrain, voyageant pour ce faire à
Victoria et Vancouver, et jusqu’à Kaiping (开平),
dans le Guangdong, d’où sont partis beaucoup d’émigrants vers le
Canada au tournant du vingtième siècle.
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Kaiping
(开平) |
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Elle a terminé
le roman pour les fêtes de Noël 2008, avec, dit-elle, un
sentiment de mission accomplie. Le livre a été présenté à la
foire de Francfort, en octobre 2009 : onze éditeurs en ont
acheté les droits et le livre est en cours de traduction pour
paraître prochainement dans ces divers pays, dont la France.
Mais ce qui a
fait parler de Zhang Ling juste après cela, c’est le film de
Feng Xiaogang (冯小刚)
« Aftershock »
(《唐山大地震》)
adapté de sa novella
« Aftershocks »
(《余震》).
Le tremblement de terre de Tangshan
L’idée du livre
lui est venue un jour de juillet 2006, alors qu’elle était à
l’aéroport de Pékin, attendant, pour rentrer à Toronto, un avion
que des pluies torrentielles empêchaient de décoller. Ne sachant
que faire, elle était allée à la librairie, bondée de gens
cherchant comme elle à tromper leur ennui. Elle tomba alors par
hasard sur divers livres sur le tremblement de terre de
Tangshan : il se trouvait que c’était le trentième anniversaire
d’une catastrophe dont l’ampleur avait été jusque là
soigneusement passée sous silence par les médias officiels en
Chine. En un instant furent ainsi effacés trente ans
d’ignorance ; elle réalisa, sous le choc, les souffrances
endurées par la population de la ville.
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《余震》
« Aftershocks » |
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Le pire était
un livre qui relatait des histoires d’enfants, chez lesquels le
séisme occasionna de profonds traumatismes. L’un de ces récits
racontait l’histoire de deux petites filles coincées sous une
plaque de béton, de telle sorte qu’on ne pouvait la soulever
pour sauver l’une sans condamner l’autre : c’est ce qui fut
l’idée de départ de son livre.
Il raconte les
souffrances engendrées par le tremblement de terre, non sur le
coup, mais par la suite, d’où le titre, et en particulier chez
les enfants laissés à leur sort, sans soutien psychologique. Son
personnage principal est une petite fille qui avait sept ans
lors du drame, et ne survécut que de justesse, mais après avoir
entendu sa mère demander de sauver son petit frère coincé à ses
côtés sous la même dalle de béton, souvenir traumatisant qui la
poursuivra toute sa vie…
Le thème du
livre est donc cette souffrance terrible (“疼痛”)
qui rend
ensuite l’enfant, puis l’adolescente incapable d’aimer, car
incapable de faire confiance.
Feng Xiaogang (冯小刚)
a transformé ce caractère essentiel, très dur, de la nouvelle en
centrant son film sur trois personnages, la mère et ses deux
enfants, et non plus sur la petite fille seule ; l’importance
donnée au personnage de la mère contribue à donner à son film
une chaleur humaine qui lui fait friser le mélo
.
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Photo du film
« Aftershocks »
《余震》 |
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Feng Xiaogang
avait également acheté les droits d’une autre novella, « Entre
la vie et la mort » (《死着》),
publiée en 2018, qu’il avait aussi l’intention d’adapter. Mais
le projet n’a pu voir le jour, l’histoire étant trop sombre pour
passer la censure : c’est celle d’un homme qui est victime d’un
accident de la route et se retrouve en état de mort cérébrale ;
mais autant la police, les médecins que sa femme l’empêchent de
trouver la paix et il reste entre la vie et la mort. L’histoire
a un effet d’autant plus réaliste qu’elle est contée par l’âme
de l’homme dans le coma.
« Entre la vie et la
mort » (《死着》)
Et
maintenant…
Malgré sa
nouvelle célébrité, Zhang Ling continue à écrire le soir,
pendant ses heures de libre après son travail ; l’écriture
continue à être pour elle une sorte de luxe, quelque chose comme
un « désinfectant » (有些消毒药水味儿), dit-elle en riant, qui la lave
des soucis quotidiens. Mais
c’est aussi une drogue dont
il lui faut sa dose quotidienne.
Depuis « La
Montagne d’or », elle a publié cinq romans en dix ans, et autant
de recueils de nouvelles. En 2023, elle a publié son premier
roman écrit directement en anglais : « When Waters Meet ». Elle
l’a elle-même traduit en chinois, avec quelques compléments, et
le texte chinois, intitulé Gui hai (《归海》),
a été publié en Chine la même année, sans aucune coupure, aux
éditions de l’Association des écrivains (作家出版社).
Il s’agit du deuxième volet d’une trilogie des « Enfants des
guerres » (《战争的孩子》)
dont le premier volet était « A Single Swallow » (Láo
yān《劳燕》),
publié en 2017.
« When Waters
Meet » (《归海》)
raconte l’histoire d’une enseignante vivant au Canada qui, à la
mort de sa mère, décide de retourner en Chine revoir les membres
de sa famille encore vivants. Partant ainsi sur les traces du
passé de sa mère, elle se trouve confrontée à la mémoire
familiale et individuelle autant qu’à l’histoire collective
(guerre sino-japonaise, débuts de la République populaire avec
exode vers Hong Kong, campagne anti-droitiste, et même grande
famine… L’accent est mis sur la résilience des femmes pendant
ces périodes dramatiques. Le roman a été couronné de deux prix
en Chine, dont le célèbre prix Cao Xueqin (曹雪芹奖),
en 2024.
« When Waters Meet » (《归海》)
Publications
Dix
romans
1998《望月》
Wàngyuè (Pleine lune)
海外版名《上海小姐》)
2001
《交错的彼岸》Jiāocuòde
bǐ'àn
(L’autre rive)
2004
《邮购新娘》Yóugòu
xīnniáng
(Mail Order Bride)
2009
《金山》Jīnshān
La
Montagne d’Or
2011
《睡吧,芙洛,睡吧》Shuì
ba, fúluò,
shuì
ba (Dors,
Fuluo, dors)
2013
《唐山大地震》Tángshān
dàdìzhèn
(Le
grand tremblement de terre de Tangshan)
2014
《阵痛》Zhèntòng
(Les
douleurs de l’enfantement)
2016
《流年物语》Liúnián
wùyǔ
(Poème
épique du temps qui passe)
2017
《劳燕》Láo
yān
(tr.
A Swingle
Swallow)
2023 : When Waters
Meet (tr.
《归海》).

《流年物语》
« Poème épique du temps qui passe » |
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《劳燕》
« tr.
A Swingle Swallow » |
Nouvelles
Ses nouvelles
sont encore relativement peu connues, malgré les prix qu’elles
ont remportés. En quinze ans, elle en a publié une douzaine de
recueils.
2004《尘世》
(Ce monde de poussière)
2005《盲约》
(Mangyue)
2006《雁过澡溪》
(La crique aux oies
sauvages)
2011
《女人四十》
(Une femme à quarante ans)
2012
《生命中最黑暗的夜晚》
(Les soirées les plus sombres
d’une existence)
2012
《恋曲三重奏》
(Chanson d’amour en trio)
2013
《一个夏天的故事》
(Une histoire estivale)
2016
《一个人站起来的方式,千姿百态》
(Mille façons de se lever)
2018
《生命力三部曲》
(Trilogie vitale, recueil de trois
novellas : Fard《胭脂》、Entre
vie et mort《死着》、Aftershocks《余震》)
Principaux prix
2003《羊》(Lamb)
Nouvelle moyenne, figure parmi les dix meilleures nouvelles de
l’année 2003.
2000 et 2007 Prix littéraire de la revue Octobre (十月文学奖)
2006 Prix littéraire de la revue Littérature du peuple (第四届人民文学奖)
2024 Prix Cao
Xueqin (曹雪芹奖).
Traduction
en français
Le Rêve de la
Montagne d’Or
《金山》,
trad. Claude Payen, Belfond, novembre 2011, 540 p.
Traductions
en anglais
Gold Mountain Blues
《金山》,
tr. Nicky Harman, Corvus,
mai 2017, 400 p.
A
Single Swallow
《劳燕》,
tr. Shelly Bryant, Amazon Crossing, octobre 2020, 304 p.
A lire en
complément
Nouvelle
traduite en anglais par Emily Jones, à lire dans Read Paper
Republic :
A
Woman, at Forty《女人四十》
https://paper-republic.org/pubs/read/a-woman-at-forty/
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