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				Shen Congwen 
				沈从文 
				
				
				IV. Après 1949, des 
				lettres à défaut de nouvelles 
				
				par Brigitte Duzan, 25 janvier 2020 
				
				  
					
						
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							A l’arrivée des communistes au pouvoir, en 1949,
							
							
							Shen Congwen 
							fait une dépression dont il ne se remettra que 
							partiellement. Il cesse d’écrire. Son œuvre est 
							interdite à Taiwan et brûlée en Chine. On l’oublie.
							 
							
							
							  
							
							
							L’interdiction de ses œuvres a été levée à Taiwan en 
							1987et il est devenu une référence pour les 
							écrivains de la « littérature du terroir » (乡土文学). 
							Sur le Continent, il a été réhabilité en 1978, son 
							œuvre a recommencé à être publiée au début des 
							années 1980, mais son décès, le 10 mai 1988, n’a été 
							annoncé que d’une brève ligne dans les journaux 
							officiels. La maison d’édition Huacheng (花城出版社) 
							a édité ses œuvres complètes (《沈从文文集》) 
							en douze volumes en 1982, avec une troisième édition 
							en 1992.  | 
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							Les douze volumes des œuvres de Shen 
							Congwen publiés aux éditions Huacheng  | 
						 
					 
					
					
					  
					
						
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							Par ailleurs, en 1995, sept ans après sa 
							disparition, son épouse Zhang Zhaohe a publié une 
							collection de lettres personnelles couvrant une 
							période d’une quarantaine d’années : Shen Congwen 
							jiashu《沈从文家书》. 
							Les unes sont des lettres qu’il lui a envoyées, y 
							compris ses premières lettres d’amour ; la première 
							du recueil date du 9 juillet 1930. Mais les autres 
							lettres sont des témoignages des années postérieures 
							à 1949, d’autant plus intéressantes qu’elles 
							dépeignent son découragement, voire son état 
							dépressif, et qu’elles indiquent ce qu’il aurait pu 
							écrire pendant toutes ces années de silence, disant 
							son désir d’écrire, et son incapacité à le faire.
							 
							  
							
							
							
							1949, année charnière 
							
							
							  
							
							
							Celles de l’année 1949 sont poignantes, car on sent 
							son isolement et son désespoir. L’une de ses grandes 
							blessures sera la trahison de
							
							
							Ding Ling (丁玲), 
							qui   | 
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							Les lettres personnelles de Shen 
							Congwen 《沈从文家书》(éd. 2010)  | 
						 
					 
					
					
					acceptera un poste à l’Association des écrivains et mettra 
					un terme à leur amitié, ce qui renforcera son sentiment 
					d’exclusion.  
				
				
				  
				
				
				En mai 1949, il est attaqué par des affiches en gros caractères 
				à l’université de Pékin pour refuser de se ranger aux côtés du 
				Parti et de prendre fait et cause pour lui. Il se tranche les 
				veines aux poignets et au cou avec un rasoir. Il est sauvé, mais 
				il écrit sa détresse dans son journal.  
				
				
				  
				
				
				Dans une page de son journal datée du 30 mai, écrite dans le 
				dortoir de l’université de ce qui est encore Beiping, alors que 
				les enfants dorment, il parcourt des vieilles photos étalées 
				devant lui : l’une, prise dix ans auparavant, date de la période 
				où il était encore en bons termes avec Ding Ling, juste après la 
				mort de son mari ; ils ont posé, dit-il, avec
				
				
				Ling Shuhua (凌叔华) 
				et son jeune enfant dans les rues de Wuchang, avant qu’elle ne 
				parte avec lui pour le Hunan. Et il rêve tout éveillé devant la 
				photo, en songeant à l’enfant qui vient d’entrer à l’université, 
				et en se sentant totalement coupé de tout cela : il est toujours 
				assis à son bureau, mais le monde a changé, et pour lui a perdu 
				tout son sens.  
				
				
				  
				
				
				
				Isolement et dépression 
				
				
				  
				
				
				Deux lettres tirées du recueil de lettres personnelles publiées 
				par Zhang Zhaohe et datées de 1957 et 1961 ont été traduites par 
				Alice Xin Liu et publiées dans la revue Asymptote 
				
				
				.
				 
				
				
				  
				
				
				- la première, datée du mois d’août 1957, est destinée à 
				un ami qui a écrit une nouvelle contre le mahjong et la lui a 
				envoyée pour avoir son avis – avis négatif : il pourrait faire 
				beaucoup mieux, il vaudrait mieux ne pas la publier. Il lui 
				conseille de lire des romans contemporains pour avoir une idée 
				de ce qui s’écrit, mais, dit-il, on n’a rien écrit de bien 
				depuis la Libération… 
				
				
				  
				
				
				- c’est ce thème qu’il reprend et développe dans la seconde 
				lettre, datée de la deuxième quinzaine de janvier 1961 : 
				lettre très intéressante car elle donne à la fois ses lectures 
				de romans étrangers et ses critiques de la littérature chinoise 
				publiée à l’époque. 
				
				
				  
				
				
				
				Littérature russe 
				
				
				  
				
				
				Il est à l’hôpital Fuwai (阜外医院)
				
				
				
				, 
				à Pékin, il a une tension très basse, on le sent abattu. Il lit. 
				Il vient de terminer « Anna Karénine », où il a trouvé des 
				faiblesses, qui tiennent surtout au manque de naturel dans la 
				peinture des sentiments. Il se plaint de la traduction : elle 
				semble, dit-il, reprendre la traduction anglaise, qui a supprimé 
				certains passages de critique sociale en faisant du roman un 
				simple roman d’amour tragique. Il veut continuer avec « Guerre 
				et paix » puis lire « Père et fils » de Tourgeniev, dont il 
				préfère l’écriture, plus vivante et plus naturelle grâce aux 
				dialogues, alors que Tolstoï recourt à l’analyse des sentiments. 
				
				
				  
				
				
				
				Désir d’écrire 
				
				
				  
				
				
				Quant à lui, il aurait de quoi écrire, ce ne sont pas les sujets 
				qui manquent. En fait, il envisage d’écrire une nouvelle 
				‘moyenne’ (zhongpian 
				xiaoshuo
				
				
				
				
				中篇小说), 
				de 60 ou 70 000 caractères, voire 80 000. Il voudrait écrire 
				quelque chose de simple, dans une ambiance paisible. Mais il 
				semble ne pas trouver la liberté nécessaire : il dit qu’il ne 
				l’écrira probablement jamais. Il faudrait qu’il arrive à écrire 
				au moins la moitié de la journée, qu’il écrive cinq ou six mille 
				caractères par semaine pendant quatre à six mois…  Tout dépend 
				de son cœur. 
				
				
				  
				
				
				
				Publications chinoises 
				
				
				  
				
				
				Mais il trouve que ce serait bien car tout ce qui paraît de 
				littérature chinoise n’a aucun intérêt, c’est caricatural : des 
				pièces de théâtre et des romans sur des propriétaires 
				despotiques, des militaires sans morale, des histoires sans 
				profondeur où les caractères ne sont pas développés.  
				
				
				  
				
				
				Il a lu des nouvelles dans un journal, mais c’était tellement 
				mauvais qu’il a abandonné : les personnages étaient superficiels 
				et les descriptions de paysage irréalistes. En fait, dit-il, vu 
				l’état des journaux, témoin de leur passage en de nombreuses 
				mains, les seuls qui semblent avoir du succès, ce sont les 
				illustrés. Mais les patients de cet hôpital sont en majeure 
				partie des intellectuels, s’étonne-t-il. Sont-ils trop fatigués 
				pour lire autre chose ? Leur grande distraction, après dîner, 
				c’est le mahjong. Il y a en particulier des enseignantes qui 
				semblent trouver là leur bonheur, et non dans les livres. 
				D’ailleurs, dans les trains aussi, on ne peut plus trouver que 
				des livres illustrés.  
				
				
				  
				
				
				La préférence des lecteurs, dit-il, va à « Patrouilles 
				dans la forêt enneigée » (《林海雪原》)
				
				
				
				. 
				Ce qu’ils préfèrent, ce sont les intrigues à suspense, comme 
				autrefois « Les Sept chevaliers et cinq redresseurs de tort » (《七俠五义》) ; 
				c’est le genre auquel ils sont habitués et qu’ils recherchent. 
				Personne ne s’intéresse aux nouvelles, et encore moins à la 
				poésie. Et les éditeurs ne s’intéressent pas aux lecteurs.
				 
				
				
				  
				
				
				Le constat est amer.  
				
				
				  
				
				
				  
				
				
				
				Traduction en anglais 
				
				
				  
				
				
				An Irrelevant Writer: The Letters of Shen Congwen, tr. 
				
				Yiyun Li 
				
				, 
				A Public Space, 2010. 
				
				
				  
				
				
				  
				
				  
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