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Brève histoire du
xiaoshuo et de ses diverses formes,
de la nouvelle au roman
VII. 20ème
siècle : nouvelles courtes et moyennes contre roman
2. La nouvelle
moyenne ou zhongpian xiaoshuo
par Brigitte Duzan, 7 mars 2018
La nouvelle chinoise dite zhongpian xiaoshuo (中篇小说),
ou nouvelle "moyenne", est celle qui, en termes de longueur, se
situe entre la nouvelle courte et le roman. Occupant une place
croissante dans les
grandes revues littéraires chinoises
,
elle a joué un rôle important dans l’évolution de la littérature
chinoise moderne. Ces nouvelles sont en outre très populaires
auprès des lecteurs, mais elles restent difficiles à définir.
·
Préambule : Tentative de définition
Entre nouvelle courte et roman
La nouvelle chinoise moyenne est en fait longtemps
apparue comme une sorte d’hybride entre les deux
formes bien établies, et reconnues en Occident, de
la nouvelle courte et du roman ; la première
nouvelle qualifiée (a posteriori) de zhongpian
xiaoshuo n’est apparue qu’au début des années
1920, sous la plume de
Lu Xun (魯迅) :
c’est
« La
véritable histoire d’AQ » (《阿Q正传》).
Mais ce n’est que lors des deux premières éditions
du prix Lu Xun (鲁迅文学奖),
en 1996 et 2000, que les distinctions entre nouvelle
courte, nouvelle moyenne et roman ont été
précisément déterminées, en fixant la longueur de la
nouvelle moyenne d’abord entre vingt et cent mille
caractères, limites qui ont ensuite été quelque peu
assouplies pour étendre la longueur limite de la
nouvelle courte à 30 000 caractères et celle de la
nouvelle moyenne à 130 000. |
|

La véritable histoire d’AQ, avec
le célèbre dessin de Feng Zikai (丰子恺) |
Ces limites, cependant, sont bien sûr flexibles, et surtout
elles ne définissent pas les caractéristiques essentielles des
trois genres, en termes de narration, de style ou d’esthétique.
Bien plus que la longueur, ce qui importe, c’est en quoi la
nouvelle moyenne constitue un genre distinct, et un genre si
populaire en Chine.
Forme courte avec développement narratif
En fait, la nouvelle moyenne a l’avantage d’être adaptée, en
termes de vitesse de lecture, au rythme de la vie moderne, mais
elle a en outre sur la nouvelle courte l’avantage de pouvoir
développer une narration attrayante pour le lecteur, ce qui fait
aussi la supériorité du roman, car c’est la raison pour laquelle
beaucoup de lecteurs préfèrent lire des romans même très longs.
D’où l’on déduit la raison de la popularité de la nouvelle
moyenne : sa longueur relativement réduite, qui permet une
grande qualité d’écriture, voire une forme élégante, tout en
offrant une histoire intrigante ou divertissante. En termes de
style, la nouvelle moyenne se rapproche donc de la nouvelle
courte ; en termes de contenu narratif, elle est proche du roman
et, en ce sens, on peut parfois la considérer comme un court
roman.
Cette popularité se retrouve dans le domaine du cinéma si l’on
en juge par le grand nombre d’adaptations cinématographiques ou
télévisées chinoises de nouvelles moyennes. Ce genre de nouvelle
est en effet idéal car il offre une ligne narrative relativement
peu complexe, avec peu de personnages, donc ne nécessite pas
autant de travail qu’un roman sur le scénario.
C’est d’ailleurs au début des années 1980, en même temps que la
nouvelle moyenne était définie et encadrée, qu’un grand nombre
de cinéastes chinois ont commencé à en adapter : Xie Jin (谢晋)
a adapté « La légende du mont Tianyun » (《天云山传奇》)
en 1980,
puis Cen Fan (岑范)
celle de
« La
véritable histoire d’AQ » (《阿Q正传》)
en 1982, deux chefs-d’œuvre de la période.
Ce qui est intrigant, ce sont les origines, soudaines, du genre,
vers 1920. D’un développement récent, certes, la nouvelle
moyenne n’est cependant pas née en Chine par une sorte de
génération spontanée au début du 20e siècle : elle a
une histoire plus ancienne qui a ses sources dans la littérature
chinoise elle-même, mais a été aussi quelque peu influencée par
la littérature européenne.
·
Petite histoire de la nouvelle moyenne chinoise
o
Origine et développement en Europe

Boccaccio, le Decameron, 1ère édition
1573 |
|
Selon J.
A. Cuddon
,
le genre italien de la novella était une
narration en prose telle que développée au milieu du
14e siècle par Boccace dans le
« Decameron ». D’autres recueils de telles nouvelles
furent publiés en Italie aux 15e et 16e
siècles, et les dramaturges Tudor vinrent y puiser
des sources d’inspiration pour les intrigues de
leurs pièces. Cependant, selon Cuddon, les nouvelles
anglaises qui pourraient être considérées comme
relevant de ce genre sont plutôt des romans
embryonnaires.
C’est en Allemagne, vers la fin du 18e
siècle et au tout début du 19e, qu’est
apparu l’avatar allemand de la novella dans
une forme répondant à des critères spécifiques : non
en termes de longueur (les récits allant de quelques
pages à deux ou trois cents), mais en termes
narratifs, la narration étant limitée à un événement
ou une situation unique, et possédant une certaine
« qualité épique ». En outre, selon August Schlegel,
cité par Cuddon, l’un des points importants |
de la narration devait être « un tournant inattendu
ménageant une surprise, bien qu’étant logique. »
Goethe est généralement reconnu comme l’initiateur
du genre en Allemagne, qu’il a défini comme narrant
« un fait sans précédent, mais qui s’est réellement
produit »
(eine
sich ereignete unerhörte Begebenheit).
Selon Charles Laughlin
,
sa première novella en date serait « Les
Souffrances du jeune Werther » (Die Leiden des
Jungen Werthers) ; mais, initialement publiée en
1774, l’œuvre est plutôt un roman épistolaire. Selon
Cuddon, la première novella allemande, écrite
par Goethe, serait en fait les « Entretiens
d’émigrés allemands » (Unterhaltungen
deutscher Ausgewanderten)
dont la publication date de 1795 et dont la forme
est dérivée du recueil de novelle de Boccace
auquel il a emprunté le concept de récit-cadre : des
récits de voyageurs ou conteurs divers, rapportés
par un narrateur. Ces
« Entretiens » se composent de sept récits et se
concluent par un conte, « Das Märchen »
,
considéré comme un modèle du conte fantastique.
Le genre s’est ensuite développé en Allemagne tout
au long |
|

Goethe, Unterhaltungen
deutscher Ausgewanderten |
du
19e siècle, avec Kleist, mais aussi Hoffmann,
ainsi qu’en Russie, sous la plume de Tolstoï en
particulier : « La mort d’Ivan Ilitch » (Смерть
Ивана Ильича),
par exemple, est une nouvelle moyenne publiée en 1886,
généralement présentée comme longue nouvelle ou court roman
; elle aurait été

La Mort d’Ivan Ilitch, éd. 1895 |
|
inspirée d’un fait réel, donc correspond bien à la
définition de Goethe, mais le genre s’est développé
aussi dans le domaine du fantastique, avec, par
exemple, les contes d’Edgar Poe.
Le but de la nouvelle moyenne telle qu’elle a
ensuite évolué – et pour laquelle les Anglophones
ont conservé le terme de novella - est avant
tout de conter une histoire centrée sur un
personnage, et ses relations avec un ou
plusieurs autres. Des souvenirs du passé peuvent
intervenir sous forme de flashbacks ou de
digressions, mais, dans l’ensemble, la narration est
assez linéaire. Quant à la conclusion, elle peut
être brutale, mort, accident ou catastrophe
historique, mais, très souvent, la narration
s’achève sur une simple séparation, un départ, ou
encore plus simplement la résolution du conflit
central, mais en laissant l’avenir ouvert, donc avec
une certaine marge d’irrésolution. C’est très
souvent le cas, aujourd’hui, des nouvelles moyennes
chinoises en particulier. |
o
Origine et développement en Chine
Ø
Prémices
En Chine, traditionnellement, toutes les formes de fiction
dérivent de l’art du conteur et de la littérature orale, le
roman classique étant à l’origine une série de récits courts
formant des épisodes structurés en longues sagas
.
La structure narrative restait épisodique, et le lecteur n’en
attendait pas une intrigue élaborée à la manière du roman
occidental ; en fait, ces narrations étaient publiées par
épisodes successifs dans la presse, et jouaient de la curiosité
du lecteur comme le conteur d’une séance à l’autre.
Théoriquement, dans ce contexte, un récit plus long que celui
que pouvait dérouler un conteur le temps d’une soirée au coin du
feu ou sur une place de marché n’avait pas de raison d’être. Il
a donc fallu attendre les développements de la littérature, de
pair avec les progrès de l’édition répondant aux besoins d’un
public urbain, pour que se développent des nouvelles pouvant
déployer une narration plus élaborée, mais sans atteindre la
complexité ni la longueur du roman.
Les premières ébauches de récits un peu plus longs
que le chuanqi classique apparaissent dès les
Tang, sous la forme de contes fantastiques. Il
existe en particulier, à la fin des Tang, une
version de l’histoire du « Voyage vers l’Ouest »
centrée sur le moine Sanzang, sans le singe ;
celui-ci n’apparaît que dans un récit des Song du
sud dont on ne connaît pas l’auteur : « Comment
Sanzang de la grande dynastie des Tang est parti à
la recherche des sutras » (《大唐三藏取经诗话》ou《大唐三藏法师取经记》).
C’est le modèle, dans ses grandes lignes, du grand
classique des Ming « Le Voyage vers l’Ouest » (《西游记》)
qui donne une part privilégiée au personnage du
singe. Mais ce texte des Song du sud est en trois
volumes, divisés en 17 brefs chapitres
;
il est généralement considéré comme le premier
« roman à chapitres » (zhanghui xiaoshuo
章回小说),
en particulier par
Lu Xun. Mais
d’autres y voient une ébauche de nouvelle moyenne
avant l’heure.. |
|

Comment Sanzang de la grande
dynastie des Tang est parti à
la recherche des sutras (vol. 2) |
Le récit de type
chuanqi,
initialement court par définition, a en fait peu à peu évolué
vers des formes plus élaborées, donc plus longues, quand il a
été couché sur le papier et édité. L’évolution a mené au roman
dit « à chapitres », mais avec quelques cas précurseurs de
véritables nouvelles moyennes sous les Ming, dans un registre
différent.
Ø
La nouvelle romanesque aux 17e et 18e
siècles

Li Yu |
|
Ces textes précurseurs sont des récits romanesques,
écrits et publiés en particulier sous la plume de
Li Yu (李漁),
au 17e siècle, à la fin des Ming.
L’époque est celle d’une floraison de pièces
romantiques et poétiques se rattachant au genre «
histoires de lettrés et jeunes beautés » (caizi
jiaren
才子佳人), en
vogue auprès des lettrés. Une cinquantaine de ces
romans sont apparus à partir du milieu du 17e
siècle et jusqu’à la fin du 18e. Comparés
aux romans historiques, ces récits romanesques sont
beaucoup plus courts, ce qui a incité certains
critiques à les appeler zhongpian xiaoshuo (中篇小说),
ce qui serait l’origine du terme.
Beaucoup
n’ont que six à huit chapitres, voire trois ou
quatre pour certaines nouvelles de Li Yu. Les
auteurs sont peu nombreux. D’après Robert E. Hegel,
beaucoup de ces récits ont des préfaces rédigées par
un dénommé |
Tianhuazang
zhuren (天花藏主人),
pseudonyme signifiant « maître du sutra des fleurs
divines », et on lui attribue même certains d’entre eux. Il
devait être du Zhejiang ; Robert Hegel en déduit que ce fut
probablement un phénomène régional avant de devenir
populaire dans toute la Chine.
Ce sont des récits où le personnage du lettré est dépeint en des
termes généralement utilisés pour les jeunes beautés
féminines dans les romans classiques de caizi jiaren ; il
a été qualifié de « pseudo-caizi » ou « lettré fragile »,
évoquant le thème de l’homosexualité masculine qui est celui de
plusieurs nouvelles de Li Yu, justement du genre
zhongpian
.
C’est le cas d’une de celles du recueil des « Opéras
silencieux » (Wusheng xi《无声戏》) :
« Un homme telle la mère de Mencius protège son fils en
déménageant trois fois » (《男孟母教合三迁》).
De manière générale, ces nouvelles moyennes sont des récits
pleins d’humour qui se jouent des tabous sociaux et des
conventions littéraires. Il est donc doublement intéressant
qu’elles soient écrites, en outre, dans une forme elle-même hors
norme, ni nouvelle courte ni roman. Un chercheur de l’Université
chinoise de Hong Kong, Richard G. Wang,
leur a consacré tout un ouvrage, publié en 2011
,
où il étudie leur importance en termes socio-culturels.
Pour lui, elles forment une transition entre les chuanqi
des Tang et le roman vernaculaire des Ming : elles sont en
langue classique comme les premiers, mais comportent des
développements typiques du roman, en particulier des
descriptions, voire des dialogues, en style direct, et sont en
outre divisées en brefs chapitres qui anticipent la structure du
roman. Dernier point, mais non des moindres, la nouvelle moyenne
Ming introduit dans la littérature de fiction chinoise, et ce
dès le 15e siècle, le thème du qing (情),
l’amour comme force cosmique liant toutes choses, thème qui
existait déjà dans certains récits antérieurs, dont, à l’époque
Yuan, le Xixiangji (西廂記).
Le lien avec le chuanqi est d’ailleurs
souligné par certains chercheurs chinois qui se
réfèrent à l’évolution de ce genre sous les Yuan et
parlent de « nouvelles moyennes de type chuanqi
des dynasties Yuan et Ming » (元明中篇传奇小说) .
Cependant, des nouvelles au roman, on passe d’amours
polygames, voire illicites, à un amour chaste et
vertueux marquant la victoire de l’amour (pur) sur
le désir (charnel) : du qíng (情)
sur le yù (欲).
Ø
Développement à partir des années 1920
Après ces premiers frémissements, il est
généralement admis que les débuts de la nouvelle
moyenne en tant que telle datent du début des années
1920, après la publication de « La véritable
histoire d’AQ », et coïncident donc avec l’essor de
la littérature en langue vulgaire ou baihua.
|
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Biancheng, La ville frontalière
|

Le jardin du repos |
|
On ne peut cependant pas exclure l’influence notable
de Goethe : son « Werther » a été traduit en chinois
par Guo Moruo (郭沫若)
en 1922 (《少年维特的烦恼》),
apportant un archétype de la nouvelle romantique qui
inspirera
Yu Dafu (郁达夫)
et les écrivains de la société Création dont Guo
Moruo était cofondateur. Mais il ne faut sans doute
pas lui prêter une importance excessive, la
tradition existante dans la littérature chinoise
permettant déjà de se fonder sur des précédents, et
de replacer la nouvelle moyenne dans le cadre du
développement de la littérature vernaculaire, et
populaire.
Littérature populaire, certes, mais qui a tout de
suite trouvé ses lettres de noblesse quand elle a
été investie par de grands écrivains qui en ont fait
leur genre de prédilection. Certaines nouvelles
"moyennes" publiées dans les années 1930 et 1940
sont devenues des modèles du genre, souvent |
présentés à l’étranger comme des « romans courts », et sont
considérées comme des chefs d’œuvre, en particulier :
-
La ville frontalière (《边城》)
de
Shen Congwen (沈从文),
publiée en 1934,
-
Terre de vie et de mort (《生死场》),
de
Xiao Hong (萧红),
également de 1934,
-
La campagne en août (《八月的乡村》)
de Xiao Jun (萧军),
publiée en août 1935,
-
Nuit glacée (《寒夜》)
et Le Jardin du repos (《憩园》)
de
Ba Jin
(巴金),
écrites
en 1944-45,
-
Amour dans une petite ville (《倾城之恋》)
de
Zhang Ailing (张爱玲),
publiée en 1943.
Elles sont moins nombreuses ensuite, après 1949,
durant la période que l’on appelle « les 17 ans »
(1949-1966) ; en revanche on en retrouve publiées
pendant la Révolution culturelle.
Ø
Nouvelles moyennes publiées pendant la Révolution
culturelle
C’est dans la première moitié des années 1970 qu’ont
été publiées quelques nouvelles moyennes,
principalement sous la plume de
Hao Ran (浩然).
Il a d’abord surtout publié des nouvelles courtes,
mais, en janvier 1973, il publie la nouvelle moyenne
« Trois enfants et une bouteille d’huile » (《三个孩子和一瓶油》),
éditée en petit livre illustré, tiré à 800 000
exemplaires : c’est un immense succès. Elle est
suivie en 1973 du « Petit chasseur » (《小猎手》),
puis, en 1974 et 1976, de ses deux nouvelles
moyennes les plus |
|

Trois enfants et une bouteille
d’huile |
connues : « Les enfants de Xisha » (《西沙儿女》),
en 35 courts chapitres, et « Le val aux cent fleurs » (《百花川》).

Le val aux cent fleurs |
|
Il en publiera une série d’autres en 1983, puis une
encore en 1984, au moment de l’essor de la nouvelle
moyenne.
Mais,
contrairement à l’idée reçue que « Hao Ran est le
seul auteur à avoir été publié en Chine pendant la
Révolution culturelle »
,
d’autres nouvelles moyennes ont été publiées pendant
la période, dès le début de 1972. Presque toutes
sont des histoires d’enfants et relèvent de la
littérature pour la jeunesse. La plus célèbre est
celle de Li Xintian (李心田),
« Des étoiles rouges scintillantes » (《闪闪的红星》),
publiée en mai 1972 et diffusée à la radio
nationale, avant « Les enfants de Xisha ».
Mais d’autres, aussi, sont très connues, même si
leurs auteurs ne le sont pas : « La petite cour aux
tournesols » (《向阳院的故事》),
« Coups de feu dans un village de montagne » (《山村枪声》),
« Sifflements |
secrets au bord du lac » (《湖边小暗哨》),
« Ouvrez grands les yeux » (《睁大你的眼睛》)
…
Au total,
on compte plus d’une cinquantaine de nouvelles
moyennes publiées entre mai 1972 et décembre 1976
,
dont certaines ont été adaptées au cinéma, et très
souvent éditées en
lianhuanhua.
Après la chute de la Bande des Quatre, les deux
nouvelles de Hao Ran seront taxées de « littérature
du complot » (“阴谋文学”),
de même que « Les rebelles » (《造反者》)
de Li Yue et Xu Yang (李悦/徐扬),
publiée en février 1976.
Mais certaines de ces nouvelles sont aujourd’hui des
classiques ; celle de Li Xintian, en particulier, a
été rééditée en 2004 sous le label « classique rouge
pour enfants » (“儿童红色经典”).
Elles témoignent cependant de fortes contraintes
idéologiques et ont surtout un intérêt historique. |
|

Des étoiles rouges scintillantes
(1972) |
Ø
Forme expérimentale au début des années 1980
C’est à partir de 1978 que la nouvelle moyenne prend réellement
son essor, dans le contexte d’un intense bouillonnement
littéraire qui se traduit par l’émergence de divers mouvements.
Après celui de la « littérature des cicatrices », basé
essentiellement sur la nouvelle courte, la nouvelle moyenne est
la forme privilégiée par les auteurs de
recherche des racines
puis de littérature expérimentale.
Dans le contexte
de l’ouverture, la nouvelle moyenne présente un double
avantage : elle
permet de dresser un tableau de la société sans avoir à
développer une longue narration, et elle permet aussi des
recherches formelles. Son développement est favorisé par la
multiplication des
revues littéraires qui
lui offrent des espaces de publication : en 1978, il n’y en a
encore qu’une, Shiyue (《十月》),
mais en 1979 il y en a 13, puis 26 en 1980 et une trentaine
après 1981.
C’est au début des années 1980 qu’est instauré le premier prix
national visant à récompenser ces nouvelles, ce premier prix
étant décerné à cinq nouvelles écrites entre 1977 et 1980 :
-
Arrivé à l’âge mûr (《人到中年》),
de Chen Rong (谌容),
-
La légende de la montagne Tianyun (《天云山传奇》),
de Lu Yanzhou (鲁彦周),
-
L’histoire du criminel Li Tongzhong (《犯人李铜钟的故事》),
de Zhang Yigong (张一弓),
-
Papillon (《蝴蝶》),
de
Wang
Meng (王蒙),
-
Le magnolia au pied du mur (《大墙下的白玉兰》),
de Cong Weixi (从维熙).
Pour Leo Ou-fan Lee, c’est la forme générique la plus
intéressante qui s’est alors développée en Chine et qui coïncide
avec l’essor d’une littérature d’avant-garde
.
La concision de la forme courte n’était pas adaptée au processus
de construction d’une histoire alternative que recherchaient les
auteurs d’avant-garde. La nouvelle moyenne est donc la forme qui
leur a offert suffisamment de liberté d’exploration sans imposer
une structure, ou un ordre, répondant à des conventions
et imposant une conformité. Il s’agissait de trouver une forme
fictionnelle offrant non plus un cadre adéquat pour dépeindre la
réalité sociale, mais plutôt pour pouvoir exprimer un riche
imaginaire, dans une forme et un style résolument novateurs.
Leo Ou-fan Lee cite le cas assez typique de
Yu
Hua (余华)
qui a tenté toutes sortes d’expériences narratives et
stylistiques pendant la grande période de la
littérature d’avant-garde,
à la fin des années 1980, en particulier dans le domaine de la
nouvelle moyenne :
- « Une sorte de réalité » (《现实一种》) écrite
en 1986-87 : mélodrame sur le fratricide écrit dans un style
réaliste poussé à l’extrême, décrivant torture et mise à mort
avec des détails volontairement éprouvants pour le lecteur ;
- « Une histoire d’amour classique » (《古典爱情》) écrite
en 1988 : nouvelle écrite en imitation du style vernaculaire
classique parodiant Feng Menglong (冯夢龙) ;
Selon
Li Tuo
(李陀),
Yu Hua déçoit constamment les attentes habituelles des lecteurs.
Il écrit froidement, voire cruellement, en utilisant les
capacités de la langue pour offrir des images saisissantes. Sa
narration est ainsi un défi au lecteur, l’engageant à changer
ses habitudes de lecture. Ces nouvelles sont d’un aspect
brillant, mais où l’effet de défi s’estompe peu à peu. Le texte,
dit Li Tuo, apparaît plutôt « comme un jeu d’échecs sur lequel
sont poussés des pions linguistiques pour gagner la partie ».
La nouvelle moyenne a donc été le moyen d’expérimentations
formelles, en parallèle avec la nouvelle courte ; mais, une fois
cette période avant-gardiste passée, elle est restée comme forme
narrative à part entière.
Ø
Forme narrative reconnue dans les années 1990
A partir des années 1990, la fiction en Chine a principalement
été marquée, au niveau stylistique et narratif, par les genres
et sous-genres associés à la nouvelle moyenne, tandis que le
roman s’imposait comme genre dominant, mais plus pour des
raisons commerciales d’édition : ce sont les éditeurs qui ont
promu le roman et demandé à leurs auteurs d’en écrire, et c’est
souvent grâce à leurs romans que les auteurs se sont fait
connaître.
Ce sont souvent des romans de critique sociale, et de plus en
plus de très longues sagas parcourant l’histoire d’une région,
celle de l’auteur. Il n’y a cependant pas d’avancées
stylistiques dans le roman, et les critiques et éditeurs notent
d’année en année, à partir de la fin des années 1990, que le
roman montre des signes d’épuisement. Selon l’ouvrage China
Review 1999
,
sur 800 romans publiés en 1998,
une vingtaine seulement ont retenu l’attention des critiques ou
du public.

De la barbe à papa un jour de pluie
de Bi Feiyu |
|
Par ailleurs, un courant de littérature
d’avant-garde continue, surtout dans la deuxième
moitié de la décennie, entretenu par des auteurs
baptisés « génération tardive » (晚生代)
;
c’est ce qu’on a appelé la « post-avant-garde » (后先锋).
Parmi eux,
He Dun (何顿),
Bi Feiyu (毕飞宇),
Dong Xi (东西)
ou
Zhu Wen (朱文)
ont une prédilection pour la forme zhongpian.
Certains,
comme
Bi Feiyu,
faisaient déjà partie des écrivains avant-gardistes
dix ans auparavant, mais écrivaient alors plutôt des
nouvelles courtes. Représentative de ce courant des
années 1990 est sa nouvelle moyenne, initialement
publiée en 1994, traduite par Isabelle Rabut « De la
barbe à papa un jour de pluie » (《雨天的棉花糖》)
et présentée par l’éditeur comme ‘un court roman’.
De manière significative, 1998 apparaît comme une
année charnière pour la nouvelle moyenne. Cette
année-là, la revue Da Jia ou Master (《大家》),
lancée en 1994 par les Editions du peuple du Yunnan
(云南人民出版社),
publie une série de récits également baptisés
"courts romans" qui sont en fait des nouvelles
zhongpian. |
L’essor de la nouvelle moyenne au cours de cette décennie
aboutit à son intronisation et définition lors des deux
premières éditions du prix Lu Xun, la première édition
récompensant dix nouvelles moyennes et la seconde la moitié. En
revanche, sur les sept catégories de récompenses, il n’y en a
aucune prévue pour le roman.
ü
1997 : meilleures nouvelles moyennes pour les années 1995 et
1996
Deng Yiguang
邓一光
Mon père est un soldat
《父亲是个兵》
Lin Xi
林希
Un petit garçon
《小的儿》
Liu Xinglong
刘醒龙
En route pour Pékin avec deux paniers de feuilles de thé
《挑担茶叶上北京》
He Shen
何申
Des années auparavant et des années après
《年前年后》
Li Guowen
李国文
Nirvâna
《涅槃》
Liu
Heng
刘恒
Dieu seul le sait《天知地知》
Dong
Xi
东西
Vivre sans langage《没有语言的生活》
Yan
Lianke
阎连科
La grotte d’or
《黄金洞》
Li Guantong
李贯通
Un coin manquant du ciel
《天缺一角》
Xu Xiaobin
徐小斌
Poissons
《双鱼星座》
ü
2000 : meilleures nouvelles moyennes pour la période
1997-2000
Ye Guangqin
叶广芩
Comment même en rêve aller jusqu’au pont sur la Xie
《梦也何曾到谢桥》
Gui Zi
鬼子
Une rivière inondée de pluie
《被雨淋湿的河》
Tie
Ning
铁凝
A jamais, est-ce loin ?
《永远有多远》
Yi Xiangdong
衣向东
Une vallée pleine de vent
《吹满风的山谷》
Yan
Lianke
阎连科
Les
jours, les mois, les années
《年月日》
Ø
Années 2000-2010 : La nouvelle moyenne comme relais du roman
Dans les années 2000, de nombreuses voix s’élèvent pour
constater l’essoufflement du roman.
A partir du début des années 2010, les articles et commentaires
sur l’intérêt de la nouvelle moyenne se multiplient. Elle est en
voie de prendre le relais du roman comme principal mode narratif
dans la littérature chinoise contemporaine. Son handicap reste
la méfiance des éditeurs, et son caractère toujours un peu
hybride qui défie les définitions génériques et les labels.
En 2013,
Bi Feiyu a
écrit un essai pour souligner l’importance de la
nouvelle moyenne dans la littérature chinoise
contemporaine en partant de la constatation que le
concept n’existe pas en soi dans la
littérature occidentale, et que sa légitimité est
récente en Chine : « L’identité
controversée de la "nouvelle moyenne" » (中国“中篇小说”身份可疑) ;
il note au passage la découverte fondamentale qu’a
été pour lui « Le vieil homme et la mer » quand il
l’a lu, à l’automne 1982 : une œuvre présentée comme
un court roman, mais parfois considérée comme une
nouvelle….
On reste
toujours dans l’ambiguïté.
Et on en
oublie que la nouvelle moyenne passe inaperçu, car
elle est très souvent publiée, justement, comme
"court roman". Or des auteurs comme
Wang Anyi (王安忆)
doivent leur célébrité, d’abord, à des nouvelles
moyennes (la « trilogie de l’amour » 三恋
et « Le petit bourg des Bao »
《小鲍庄》)
et d’autres, plutôt |
|

La trilogie de l’amour de Wang Anyi |
réputés pour leurs
textes courts, sont aussi des défenseurs de la nouvelle
moyenne ; c’est le cas de
Feng Jicai (冯骥才),
par exemple, auteur d’un essai intitulé « Propos
sur les caractéristiques artistiques de la nouvelle
moyenne » (《漫谈中篇小说的艺术特征》),
initialement publié dans un recueil d’essais en 1986
,
et réédité en 2005.
L’année 2015 semble avoir marqué un tournant pour la nouvelle
moyenne en Chine : réalisée à partir d’entretiens avec des
critiques littéraires et les deux responsables de la rédaction
des revues Dangdai et Littérature du peuple,
l’analyse des
tendances de fond apparues au cours de
l’année dans la littérature chinoise montre la
persistance du roman dans les chiffres de ventes, mais la montée
en puissance de la nouvelle moyenne. C’est le critique Meng
Fanhua, éditeur de sélections annuelles de nouvelles, qui résume
le mieux, en douze caractères, l’avis général, le sien et ceux
exprimés par ses collègues :
“长篇不错,中篇优秀,短篇糟糕”
Roman : pas mal,
Nouvelle moyenne : excellent,
Nouvelle courte : mauvaise passe.

CLT, vol. 5/2 : Why are novellas
so popular in China ? |
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Xu Zechen (徐则臣)
est l’un des écrivains chinois contemporains qui
privilégie la nouvelle moyenne. Dans un article paru
en 2015 dans la revue Chinese Literature Today (CLT)
de l’université de l’Oklahoma, il a expliqué, les
raisons pour lesquelles les nouvelles moyennes sont
si populaires en Chine
,
mais aussi pourquoi elles ont une place
prépondérante dans son œuvre personnelle (voir
ci-dessous : A lire en complément).
En France, ces nouvelles souffrent d’un double
handicap : la désaffection des éditeurs à l’égard de
la nouvelle en général, et la difficulté à les
définir dans un pays où la littérature ne connaît
pas ce genre. Les éditeurs les publient parfois en
les présentant comme des « courts romans ». C’est
peut-être finalement la meilleure solution. |
A lire en complément
-
L’identité controversée de la "nouvelle
moyenne",
par
Bi
Feiyu
-
Pourquoi j’écris des nouvelles moyennes,
par
Xu
Zechen
Les prix Lu Xun dans la catégorie nouvelle moyenne (中篇小说)
après 2004
4ème édition : 2004-2006
Jiang Yun
蒋韵
《心爱的树》
Arbre chéri
Tian Er
田耳
《一个人张灯结彩》Un
homme illuminé
Ge Shuiping
葛水平
《喊山》
Cris dans la montagne
Chi Zijian
迟子建
《世界上所有的夜晚》 Toutes
les nuits du monde
Xiao Hang
晓航
《师兄的透镜》Collègues
dans le miroir
5ème édition : 2007-2009
Qiao Ye
乔叶
《最慢的是活着》
Le plus lent, c’est la vie
(Shouhuo, mars 2008)
Wang Shiyue
王十月
《国家订单》
Bon de commande pour un pays
(Litt. du peuple, avril 2008)
Wu Kejing
吴克敬
《手铐上的蓝花花》Lan
Huahua menottes aux poings
(Littérature de Yan’an, juin 2006.
Li Junhu
李骏虎
《前面就是麦季》Devant
nous est la saison du blé
(Fangcao, février 2008)
Fang
Fang
方方 《琴断口》
Qinduankou (Shiyue, mars 2009)
6ème édition : 2010-2013
Ge Fei
格非
《隐身衣》 Le
manteau rendant invisible
(Shouhuo,
mai 2012)
Teng Xiaolan 滕肖澜
《美丽的日子》 Beautiful
Day
(Litt.
du peuple, mai 2010)
Lü Xin 吕新
《白杨木的春天》Le
printemps du peuplier
(Shiyue,
mai 2010)
Hu Xuewen
胡学文
《从正午开始的黄昏》 Le
crépuscule dès midi
(Zhongshan,
février 2011)
Wang Yuewen
王跃文
《漫水》
Inondation
(Litt.
du Hunan, janvier 2012)
7ème édition : 2014-2017
J. A. Cuddon a lui-même compilé deux anthologies de
contes et nouvelles fantastiques, publiées toutes deux
en 1984 :
The Penguin Book of Ghost Stories (histoires de
fantômes) et The Penguin Book of Horror Stories
(histoires d’épouvante).
Reading Illustrated Fiction in Late Imperial China,
Robert E. Hegel, Stanford University Press, 1998, p.
378.
Li Yu est surtout connu pour son recueil Shi’er Lou
《十二樓》présenté
comme recueil de nouvelles, mais qui pourraient
aussi être considérés comme des contes, en tous
cas écrits par les mêmes lettrés.
Voir Pierre Kaser :
https://kaser.hypotheses.org/303
Ming Erotic Novellas: Genre, Consumption, and
Religiosity in Cultural Practice.
By Richard G. Wang. Hong
Kong: Chinese University Press, 2011.
Le cliché totalement faux s’étendant au cinéma :
« pendant la Révolution culturelle, il n’y a eu qu’un
auteur et huit opéras modèles »
(“文革中只有一个作家八个样板戏”).
Il a développé cette idée dans ses « Reflections on
Change and Continuity in Modern Chinese Fiction », in :
Chinese Aesthetics and Literature: A Reader,
Corinne
H. Dale ed.,
SUNY series in Asian Studies Development,
State University of New York Press, mars 2004 – chap. 9,
p. 168 & sq.
Lettre au camarade Hu Depei
(给胡德培同志的信),
publiée dans La littérature qui m’est chère (杂谈集《我心中的文学》),
Lettres et arts de Shanghai
上海文艺,
1986.
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