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Yang Mo 杨沫

1914-1995

Présentation

par Brigitte Duzan, 25 décembre 2010, dernière révision 23 octobre 2014

       

Si Yang Mo (杨沫1914-1995) a marqué la littérature chinoise des années 1950 d’une encre indélébile, on a du mal à imaginer aujourd’hui la gloire qu’elle connut à partir de 1958, lorsque fut publié son roman  « Le chant de la jeunesse » (《青春之歌》), et surtout lorsque celui-ci fut adapté au cinéma l’année suivante. C’était le premier roman chinois à décrire un mouvement d’étudiants patriotes et d’intellectuels révolutionnaires sous la direction du Parti communiste.

       

Ce roman, comme les nouvelles qui l’ont précédé, tout en restant globalement conforme aux critères stylistiques fixés par Mao dans les

 

Yang Mo adulte

« Causeries sur la littérature et les arts à Yan’an », en 1942, représente un précurseur d’une tendance littéraire que Mao formulera en un nouveau slogan au troisième Congrès national des travailleurs des lettres et des arts, en 1960, appelant à remplacer le « socialisme réaliste » par « une combinaison de réalisme révolutionnaire et de romantisme révolutionnaire » (1).

       

3ème congrès national des lettres et des arts

 

Yang Mo en est devenue le fer de lance, se posant en héritière de Ba Jin dans la description des vies turbulentes des jeunes révolutionnaires chinois au cours de la période où elle-même a partagé leurs idéaux et leurs combats : de 1931 à l’avènement de la République populaire. C’est son thème de prédilection.

       

Il est significatif que son œuvre ait connu un bref regain d’intérêt à la fin des années 1970, mais surtout au début des années 1980, alors que les écrivains chinois en revenaient aux succès oubliés des quinze premières années

de la République comme base du renouveau littéraire de ces années-là (2). « Le chant de la jeunesse » est même explicitement cité au début de la nouvelle de Lu Xinhua qui marque le début de la « littérature des cicatrices », « La cicatrice » (《伤痕》).

        

Dans le climat de reconstruction spirituelle et morale de l’époque, « Le chant de la jeunesse » évoquait une période quasiment mythique, où les idéaux révolutionnaires avaient encore toute leur pureté et leur ferveur.

        

Enfance solitaire et morne adolescence

       

Yang Mo est née en août 1914 à Pékin, dans une famille de fonctionnaires originaire du Hunan.

       

Elle s’appelait en réalité Yang Chengye (杨成业) mais a utilisé divers noms de plume, comme autant de mues successives à la recherche d’une identité : Yáng Jūnmò (君茉), le ‘jasmin blanc du seigneur’, mais, parce que trop « parfumé » à son goût, bientôt changé en 君默, ce caractère (silencieux) étant plutôt à prendre ici au sens dérivé de ‘écrire de mémoire’, ce premier pseudonyme étant finalement simplifié en Yáng Mò : puis 杨沫 , pour l’écume, comme l’écume des jours chère à Boris Vian, emblème dans l’un comme l’autre cas d’une œuvre « vraie puisque imaginée ».

       

La famille de Yang Mo était certainement un environnement favorable à l’éclosion de talents artistiques. Son père était un intellectuel qui avait créé une université privée. Sa troisième sœur, Yang Chengyun (杨成芸), née en 1920,

 

Bai Yang

devint une actrice célèbre, de théâtre, d’opéra mais aussi de cinéma, qui tourna une vingtaine de films avec la société Lianhua (联华公司) sous le nom de Bai Yang (白杨).

       

Malheureusement, les parents ne s’entendaient pas, et le climat familial était totalement dénué de chaleur et d’affection. Yang Mo a grandi dans une atmosphère délétère qui forçait l’enfant solitaire à se réfugier, pour tout lot de consolation, dans la lecture et la musique, et en particulier le kunqu (昆曲), qui est à l’opéra de Pékin ce que Puccini est au Cirque du Soleil : un raffinement subtil.

       

Yang Mo enfant

 

En 1928, à quatorze ans, alors qu’il ne lui restait plus qu’un an pour terminer ses études secondaires, elle préféra éviter les scènes du foyer familial en se réfugiant dans un lycée de filles du côté des Collines de l’Ouest, dans la banlieue de Pékin (西山温泉女子中学). Ses devoirs de classe expédiés, il lui restait encore du temps pour lire : elle se plongea à corps perdu dans les œuvres chinoises récentes, représentant l’émergence d’une nouvelle littérature chinoise après 1919, et dans celles des grands auteurs européens et japonais du 18ème et 19ème siècle. C’est à cette époque que naquit son amour de la littérature.

       

En 1931, son père fit faillite ; il partit sans laisser d’adresse et la famille se désintégra. Sa mère fit revenir Yang Mo à Pékin ; à seize ans, elle se trouva prise au piège d’un

mariage arrangé avec un officier du Guomingdang. Elle s’enfuit, revint au lycée des Collines de l’Ouest puis fugua à Beidahe, sur quoi sa mère lui coupa les vivres. Elle fit alors la connaissance d’un jeune étudiant en littérature chinoise du nom de Zhang Xuan (张玄) qui s’apitoya sur son sort. Comme elle était obligée de gagner sa vie, il lui obtint un poste d’institutrice à Xianghe, dans le Hebei (河北香河; rappelée par sa mère malade, elle revint cependant à Pékin en novembre 1932, et alla vivre avec lui. Mais elle était souvent en proie à des crises de dépression.

         

Initiation au marxisme et engagement révolutionnaire

       

La fin de l’année 1932 lui apporta une occasion inespérée d’apercevoir enfin le bout du tunnel. Invitée pour la soirée du Nouvel An chez sa sœur Bai Yang, elle s’y retrouva au milieu d’un groupe de jeunes étudiants que l’occupation japonaise avait chassés du Dongbei après l’incident de Mukden, ou incident du 18 septembre [1931] (·一八事变). Il y avait quelques membres du Parti communiste, mais c’étaient en majorité des membres d’organisations satellites du Parti (共产党外围组织剧联成员).

 

Shenyang occupée fin septembre 1931

        

L’idéalisme de ces étudiants viscéralement patriotes la secoua profondément. Elle affirmera plus tard :

       “听到他们对于国内国际大事的精辟分析,使我这个正在寻求真理,徘徊歧途的青年猛醒过来——啊,

       人生并不都是黑暗的,生活并不都是死水一潭!原来,中国共产党人为了拯救危亡的祖国,为了一个

       美好的社会的诞生正在浴血奋战!”(《青春是美好的》)
       « En entendant leurs analyses pénétrantes de la situation politique tant

       intérieure qu’extérieure, j’eus un soudain sursaut de conscience, réalisant

       que, dans ma recherche de la vérité et mes hésitations sur la voie à suivre

       – ah, tout n’était pas sombre, que la vie n’était pas seulement une immense

       étendue d’eau stagnante ! Ainsi, pour sauver la nation en péril, pour créer

       une société radieuse, les militants du Parti communiste chinois s’apprêtaient

       à se battre et sacrifier leur vie ! » (« La jeunesse est belle »)
 

Livre de Song Zhide (« Les envahisseurs » 《打击侵略者》)

 

Cette soirée fut un tournant déterminant dans sa vie, et elle l’a repris sous une forme idéalisée pour en faire un passage fondamental de son roman « Le chant de la jeunesse » (《青春之歌》), par ailleurs largement autobiographique. C’est à partir de cette soirée que les jeunes étudiants qu’elle y avait rencontrés, et en particulier l’écrivain Song Zhide (宋之的), l’initièrent au marxisme-léninisme, lui insufflèrent leur ferveur révolutionnaire, leur patriotisme anti-japonais et leur mépris du Guomingdang. Outre les livres de théorie, elle lut aussi

beaucoup de romans soviétiques en vogue à l’époque, dont « La mère » de Gorki, qui la marqua profondément.

       

Elle supportait de plus en plus mal la dépendance qui était la sienne dans son ménage, et tenta de se libérer de ces liens en cherchant du travail. De 1932 à 1936, elle occupa ainsi plusieurs postes d’institutrice dans des écoles primaires, de tuteur privé chez des particuliers et même de vendeuse dans une librairie. En même temps, elle suivait des cours à

l’université de Pékin. Elle alla même visiter en prison des membres du Parti qui avaient été arrêtés et leur rendit divers services.

 

Premiers pas d’écrivain

        

Le 15 mars 1934 paraît sa première œuvre, dans la revue

bi-mensuelle ‘Noir et Blanc’ (《黑白》) éditée par des réfugiés du Dongbei : un essai intitulé « Esquisse

de la vie des habitants de la région montagneuse au sud de la province de Rehe » (《热南山地居民生活

素描》) ;  elle y expose en particulier la réalité des exactions commises à l’égard de la population paysanne par

 

« La mère » de Gorki, édition chinoise

les propriétaires terriens de cette province qui s’étendait alors sur une partie des provinces actuelles du Hebei, du Liaoning et de Mongolie intérieure.

       

Recoupant des souvenirs d’enfance, l’essai témoigne de sa nouvelle conscience de classe, nimbée de

chaleur humaine. Elle utilise alors le nom de plume Xiao Hui (小慧) pour publier, dans

diverses revues, des essais, reportages et nouvelles. L’une d’une série de quatre nouvelles, publiées en 1937, s’intitule « Vagues de colère » (《怒涛》) : elle y décrit l’histoire d’une jeune étudiante nommée Meizhen (美真) qui ne peut se satisfaire de l’amour de son mari et de ses enfants, et abandonne la chaleur de son foyer pour aller lutter et se sacrifier pour le bonheur du peuple, sur fond de résistance des jeunes intellectuels chinois à l’envahisseur japonais.

        

La nouvelle a un côté autobiographique, et son héroïne annonce et préfigure, en une sorte de modèle miniature, le personnage principal du roman « Le chant de la jeunesse » publié près de vingt ans plus tard.

        

La guerre et après

        

En 1936, Yang Mo devint membre du Parti communiste.

        

Activités pendant la guerre

        

La défense du pont Marco Polo par les soldats chinois

 

Quand commença la guerre de résistance contre le Japon, le 7 juillet 1937, après l’incident du pont Marco Polo (卢沟桥事变), encore appelé « incident du 7.7 » (七七事变), Yang Mo partit dans la région frontalière Shanxi-Chahar-Hebei (晋察冀 Jìn-Chá-Jì) où elle devint directrice de l’Association des femmes pour la sauvegarde nationale (妇救会)du district

d’Anguo (安国), dans le Hebei, et directrice du bureau d’information de la même association pour la zone du centre du Hebei (3).

        

En 1942, elle devint rédactrice du Quotidien de la Lumière de l’Aube (《黎明报》), du Quotidien

de la région Shanxi-Chahar-Hebei (《晋察冀日报》) et du Quotidien du Peuple (《人民日报》) de la région, en charge également des suppléments de ces quotidiens.

       

En mai 1949, elle fut nommée chef du service d’information de la Fédération des femmes de Pékin (北京市妇联宣传部副部长), mais, en 1952, pour raisons de santé, fut mutée au bureau des scénarios du Bureau central de l’administration cinématographique, continuant là son activité de rédactrice.

        

En 1950, elle publia la nouvelle ‘de taille moyenne’ « Chronique du Lac aux Ajoncs » (《苇塘纪事》) qui est un témoignage dans un style très réaliste, conforme aux prescriptions des « causeries de Yan’an », sur la Guerre de Résistance contre le Japon. Elle y décrit la campagne d’encerclement menée par les Japonais contre la Huitième Armée dans la région du lac Weitang (ou lac aux ajoncs) dans la région de Suzhou : le groupe de guérilla local, sous la conduite du secrétaire du Parti du village, sert d’appât aux Japonais pour que l’armée puisse lancer une contre-offensive.

 

Le Chant de la jeunesse

       

C’est en 1958 que fut publié son roman Le chant de la jeunesse ” (《青春之歌》), qui, tiré à cinq millions d’exemplaires, devint l’un des plus gros succès de librairie de la Chine nouvelle. En septembre 1959 sortait une adaptation cinématographique éponyme, tournée pour le dixième anniversaire de la fondation de la République, qui devint à son tour l’un des grands classiques du cinéma de la période et paracheva la célébrité de Yang Mo et la carrière du roman.

 

On a peine à imaginer l’influence qu’a exercée ce roman et l’aura qu’il a longtemps conservée. Au début des années 1950, il était en phase avec les sentiments des Chinois qui avaient vécu les événements difficiles des années 1930 et 1940, et en gardaient un souvenir très vivant ; l’idéalisme révolutionnaire appelant à l’autosacrifice, dépeint en termes passionnés dans le roman, répondait au leur ; c’était une adhésion spontanée et vibrante. Il faudra la

 

“Le chant de la jeunesse ”

(《青春之歌》)

campagne contre les droitiers en 1957, puis les absurdités du Grand Bond en avant et la famine résultante, pour que cet idéalisme enthousiaste soit remis en question.

 

Les deux romans généralement considérés comme les plus populaires dans les années 1950 et au début des années 1960 sont « Red Crag » (红岩) de Luo Guangbin (罗广斌) et Yang Yiyan (杨益言), sorti en 1961, et « Le Chant de la jeunesse » (4). Ce dernier roman n’arrive qu’en quatrième position parmi les tirages de la période des « 19 années », mais il a continué à avoir une popularité et une influence bien plus longtemps que les autres.

 

Il circulait sous le manteau pendant la Révolution culturelle, alors même que Yang Mo  était sérieusement dénoncée, et il retrouva une nouvelle vie lorsqu’il fut réédité, après la Révolution culturelle, au début de la période d’ouverture, avec nombre d’autres œuvres du réalisme socialiste des années 1949-1966. Les autorités chinoises soutenaient ces rééditions, car elles voulaient faire renaître l’esprit d’adhésion spontanée aux idéaux du régime que dépeignent ces romans. Les tirages au début des années 1980 sont frappants : « Le Chant de la jeunesse » vient en seconde position, avec « Le Voyage en Occident »  (derrière un recueil de pièces de Shakespeare !). (5) En 1980, une enquête auprès d’étudiants à Canton révéla qu’il était leur roman favori. En 1983, aux termes d’une enquête auprès d’étudiants universitaires à Pékin, il est arrivé en 3ème position d’une sélection de 55 célèbres œuvres mondiales.

 

Sa popularité et son impact pendant les années 1980 tiennent d’une nostalgie du passé embaumée dans des souvenirs de jeunesse. On en a  des témoignages dans la littérature. Outre le cas de Lu Xinhua déjà mentionné, c’est celui, par exemple, de Liu Xinwu (刘心武) qui cite le roman parmi les œuvres retenues dans sa nouvelle « Le professeur principal ». Il souligne dans ses Mémoires l’influence qu’a exercée le roman sur lui : c’est l’un des romans cités parmi ceux des « 19 années » qui l’ont le plus influencé (6).

 

Et après…

 

Yang Mo publia par la suite une série d’autres romans qui portent le titre « Chant de… » (之歌》), mais dont aucun n’a l’attrait fascinant du premier. Un recueil de nouvelles sortit en 1964 : « L’étoile du matin rouge » (《红红的山丹花》). Elle est l’un des rares écrivains qui ait publié de la fiction pendant la Révolution culturelle. Elle refit en effet surface en 1972 en publiant « Aurore à l’Est » (《东方欲晓》) : un récit des luttes internes dans le Parti et une description des changements d’allégeance des intellectuels pendant la guerre de Résistance. La nouvelle fut rééditée dans une version révisée en 1979.

 

Une suite au roman « Le chant de la jeunesse » parut encore en 1985, mais sans susciter d’intérêt. Ses œuvres complètes sont désormais publiées en sept volumes, comprenant nouvelles et romans, essais et textes divers.

 

Elle est décédée, de maladie, à Pékin, le 11 décembre 1995.

        

         Eléments autobiographiques dans son œuvre

        

On ne peut cependant en rester là pour comprendre Yang Mo. Sa vie privée et affective ne doit pas être négligée, car elle a une incidence sur le ‘décodage’ de son œuvre en général, et de son premier roman en particulier. A partir de sa première nouvelle, en 1934, elle n’a fait, grosso modo, que se raconter et se mettre en scène, sous une forme ou une autre.

        

Marquée comme au fer rouge, dans son enfance, par la désunion de ses parents et le manque d’amour maternel, c’était un personnage complexe, légèrement névrosé. Elle ne supportait pas le bruit et les pleurs, et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle laissa ses quatre enfants (survivants, le premier étant mort à l’âge d’un an) à la charge de nourrices successives. C’était aussi la condition nécessaire à la préservation de sa liberté, liberté de femme moderne dans une Chine en train de s’émanciper du ‘féodalisme’.

       

Son caractère libertaire et passionné se retrouve dans celui de nombre de ses héroïnes, mais les deux hommes qu’elle a connus et aimés sont aussi les modèles, entre autres, des deux héros de son roman « Le chant de la jeunesse ».

        

Zhang Zhongxing

       

Le premier homme dans sa vie s’appelait Zhang Xuan

(张玄), mais est plus connu sous le nom de Zhang Zhongxing (张中行). Né en 1909, c’était un personnage de la « vieille Chine », comme on dit de la vieille école. Il avait été marié à l’âge de trois ans à une fillette du même village qu’il épousa ensuite en 1926, à l’âge de dix-sept ans, et avec laquelle il finira ses jours : épouse

 

Zhang Zhongxing (张中行)

effacée dans la grande tradition confucéenne, qui ne lui reprochera jamais son affaire avec Yang Mo.

        

Il connut celle-ci alors qu’elle avait dix-sept ans et venait de fuir le mariage arrangé par sa mère. Il l’a décrite ainsi :

17岁,中等身材,不胖而偏于丰满,眼睛明亮有神。言谈举止都清爽,有理想,不世俗,像是也富于感情。(张中行《流年碎影》)

Elle avait 17 ans, était de taille moyenne, pas vraiment grosse mais bien ronde, avec des yeux brillants et expressifs. Sa façon de parler, de se comporter, tout chez elle était d’une paisible fraîcheur, d’un idéalisme hors du commun, et elle donnait l’impression d’une grande émotivité.

                                               (Zhang Zhongxing, « Ombres brisées du temps passé »)

        

On n’a pas l’impression de quelqu’un de follement amoureux, on sent plutôt un ton légèrement protecteur. Il commença par lui trouver, grâce à son frère, un poste d’enseignante à Xianghe (香河), dans le Hebei, d’où il était originaire ; elle débuta au début de septembre 1931. Mais ils s’étaient vus plusieurs fois avant qu’elle parte, et ils continuèrent une liaison épistolaire. Au bout de deux mois, cependant, la mère de Yang Mo tomba malade, et elle envoya quelqu’un demander à sa fille de revenir à Pékin.

        

Lorsque Yang Mo revint, sa mère était déjà gravement malade et alitée. Comme elle s’était fâchée avec son mari et son frère, elle était seule avec les deux petites sœurs de Yang Mo. Celle-ci, cependant, toute à sa passion pour Zhang Zhongxing, alla vivre avec lui, au comble du bonheur, sans s’occuper de sa mère.

        

Mais elle tomba vite enceinte, ce qui n’eut pas l’heur de plaire à Zhang Zhongxing. Il s’en est expliqué un jour à la fille aînée de Yang Mo, Xuran (徐然) :

你妈只看表面,不是我负心冷淡,当时生活艰难,加上她怀孕,就更困难,心情沉重,你妈就以为我冷淡她……”

Ta mère s’en est tenue aux apparences, je n’ai pas été froid ou sans cœur, simplement, à

l’époque, la vie n’était pas facile, avec elle enceinte, c’était encore plus difficile, alors j’avais le cœur lourd, et ta mère a pris cela pour de la froideur…

        

Quoi qu’il en soit, leur relation commença à se détériorer. Lorsque la mère de Yang Mo mourut fin 1931, faute d’argent pour la procession funèbre, son cercueil resta près de deux mois dans sa chambre avant que l’argent des funérailles ait été rassemblé, grâce à un oncle qui vendit des terres…

        

Quant à Yang Mo, elle alla accoucher seule, l’été 1932, chez la nourrice de sa sœur Bai Yang, dans le village de  Xiaotangshan (小汤山), dans la banlieue nord de Pékin. Mais elle dut en partir précipitamment douze jours plus tard, pour fuir une épidémie de choléra qui s’y était déclarée, emportant son bébé dans une charrette tirée par un âne. Elle laissa l’enfant à une nourrice qu’elle paya de ses propres deniers sans rien demander à Zhang Zhongxing.

        

Celui-ci eut cependant des remords et revint vivre avec elle. Ils étaient extrêmement pauvres, mais Zhang Zhongxing lui écrivait des poèmes, et lui donnait le sentiment d’une vie intellectuelle raffinée qui compensait les déficiences de la vie matérielle. Yang Mo savourait le plaisir de cette chaleur partagée qui lui faisait oublier la carence affective dont elle avait souffert toute son enfance.  

         

Quand elle mourut, il refusa d’assister à ses obsèques, mais c’est lui qui lui a quand même rendu le plus bel hommage, lorsqu’il la défendit pendant la Révolution culturelle :

她直爽,热情,有济世救民的理想,并且有求其实现的魄力。

Elle était droite et passionnée, avait pour idéal de secourir le peuple et sauver le monde, et le courage de le réaliser.

        

Ma Jianmin

       

Yang Mo et son époux Ma Jianmin

 

Le deuxième homme fut son époux Ma Jianmin (马建民). Originaire, lui aussi, d’un village du Hebei, son parcours fut totalement différent. Né en 1911, il s’engagea dès quinze ans dans les forces révolutionnaires, en 1927, se joignit aux jeunesses communistes, et, en 1930, devint membre du Parti. C’était un authentique révolutionnaire et leader étudiant, aux antipodes du poète épris de tradition qu’était Zhang Zhongxing. Après 1949, il occupa

diverses fonctions officielles dans l’enseignement et la recherche historique.

        

Il accompagna Yang Mo dans la deuxième partie de son existence, après la réunion du Nouvel An 1932 chez sa sœur, qui détermina son engagement révolutionnaire.

       

L’un l’avait sauvée de la solitude et du désespoir, l’autre la conduisit sur les sentiers de la révolution, et l’accompagna dans sa quête idéaliste d’une société meilleure. Il mourut dix ans avant elle, en 1985, au moment où ses œuvres avaient été brièvement remises à l’honneur. Mais une autre époque avait commencé, une époque de progrès matériel où l’idéal révolutionnaire n’était plus de mise, sauf dans quelques esprits perdus dans le siècle et leurs souvenirs…

      

 

Notes

(1) Voir Repères historiques 1937-1965 (chapitres en préparation)

(2) Voir Repères historiques (La littérature chinoise après 1979 : I.  Les années 1980 : renaissance)

(3) Jìn : le Shanxi - Chá  le Chahar (察哈尔), couvrant trois anciennes subdivisions administratives de Mongolie intérieure - Jì  le Hebei.

(4) D’après The Uses of Literature, Life in the Socialist Chinese Literary System, Perry Link, Princeton University Press, 2000, p. 250.

(5) Id, p. 170.

(6) Liu Xinwu, Je suis né un 4 juin, traduit du chinois par Roger Darrobers, Gallimard/Bleu de Chine, 2013, pp 288-89.

        

On trouve peu de choses sur Yang Mo en français, et même en anglais :

- une référence dans le Que sais-je de Paul Bady sur « La littérature chinoise moderne » (1993), p. 87.

- une entrée dans le « Dictionnaire de littérature chinoise » d’André Lévy, PUF, novembre 2000, p. 366.

- une notice biographique dans « The Literature of China in the 20th Century », de Bonnie S McDougall et Kam Louie, Columbia University Press, 1997, pp 243-245 (la moitié consacrée à “Song of Youth”).

A ma connaissance, aucune de ses œuvres n’a été traduite.

       


       

A lire en complément :

« Le chant de la jeunesse » (《青春之歌》: le roman et l’adaptation cinématographique.

 

       

       

       

       
 

 

 

     

 

 

 

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