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L’art de la nouvelle de Zhao Benfu

par Brigitte Duzan, 17 mai 2021

 

Zhao Benfu est un maître de la nouvelle. Dans son art de cette forme narrative, on peut distinguer nouvelles courtes et novellas ou nouvelles moyennes, sans qu’il y ait pour autant de rupture entre les deux.

 

I. Les nouvelles courtes

 

Des lendemains de la Révolution culturelle jusqu’à aujourd’hui, soit sur une période de plus de trente ans, les nouvelles de Zhao Benfu (赵本夫) ont connu une évolution thématique, de la vie au village à la vie en ville, mais avec un art narratif inchangé, proche de celui de Wang Zengqi (汪曾祺) auquel il fait souvent penser par sa peinture de la vie à la campagne, des mentalités et de la culture rurales, et par sa manière délicate de traiter les personnages et les sentiments.

 

Publiée en 1980 et couronnée du prix national de la meilleure nouvelle courte en 1981 (1981年全国优秀小说奖), « Vendre l’âne » (Mài 《卖驴》) est la nouvelle qui l’a fait connaître et reste l’une de ses plus célèbres [1]. Zhao Benfu y brosse le portrait subtil d’un vieux paysan qui a profité de l’ouverture pour s’acheter un âne et une charrette afin de transporter les marchandises des villageois, mais qui vit dans l’angoisse que l’ouverture ne dure pas et qu’on lui reprenne l’animal comme représentatif de ses tendances capitalistes. En même temps, le récit commence par une scène burlesque qui montre la persistance des superstitions dans les mentalités. On passe ainsi du vaudeville à la satire sociale et politique, le tout se terminant par un retour à la normale, le vieux paysan rentrant chez lui avec son âne, de manière symbolique bien sûr.

 

C’est un art narratif qui tient de l’art des conteurs d’antan. Il est à rattacher à celui des contes et récits de la période Ming, qui a lui-même sa source dans les récits de la période des Dynasties du Nord et du Sud. On retrouve des touches de Feng Menglong (冯夢龙) et de Pu Songling (蒲松龄) dans le mélange de réalisme et de croyances superstitieuses, et surtout dans l’art du portrait de personnages baignant dans une atmosphère un peu irréelle parfois, atmosphère de légende qui recoupe celle de la culture rurale.

 

L’une des caractéristiques principales de toutes les nouvelles de Zhao Benfu est sans doute la grande chaleur humaine qui en émane, et qui est à rattacher aux valeurs ancestrales liées à la terre. Sur ce fond de tradition, comme Wang Zengqi (汪曾祺), Zhao Benfu nous livre des récits attachants qui sont également des histoires de la Chine moderne, rurale et traditionnelle, découlant de son observation et de son expérience vécue. C’est la Chine des bords du fleuve Jaune, qui semble immuable sous sa plume, chaque histoire et chaque personnage apportant une touche supplémentaire sans rupture de ton ni de style, même quand apparaît le thème de la ville après celui de la campagne.

 

C’est ce que montre bien le recueil de nouvelles traduites en français par Claude Payen et publiées en 2021 aux éditions Pacifica sous le titre « Jeunes filles de fer ». Les dix nouvelles sélectionnées vont de 1980 à 2010, mais

 

Jeunes filles de fer, éd. Pacifica 2021

elles ne sont pas publiées dans l’ordre chronologique, et les dates de publication initiale ne sont pas indiquées : il est parfois très difficile, si on ne les connaît pas, de déceler la date d’origine. Il est intéressant de les replacer dans l’ordre de publication initiale (sachant qu’elles ont été reprises dans divers recueils par la suite) [2] : 

 

1981 : Vendre l’âne (《卖驴》)

1985 : Le dernier chant (《绝唱》)

1994 : La tanière vide (Kōngxué 《空穴》)

1998 : Un monde sans voleurs (《天下无贼》)

2001 (janv.) : Le point limite (临界》)

2001 (mars) : Le déserteur Cao Zile (《逃兵曹子乐》)

2001 (déc.) : Le maire et le cordonnier (《鞋匠与市长》)

2003 : Un village en voie de disparition (《即将消失的村庄》)

2004 : La décapitation (《斩首》)

2010 : Une jeune fille nommée Luo (《洛女》)

 

Toutes ces nouvelles sont représentatives de l’art de la forme courte de Zhao Benshu et de son évolution sur une trentaine d’années. « Vendre l’âne » et « Un monde sans voleurs » sont très connues, la seconde pour avoir été adaptée au cinéma par Feng Xiaogang [3], nul besoin d’y revenir. Chacune des autres, en revanche, mérite un détour. L’histoire n’est qu’en toile de fond, jamais directement mentionnée ; on remarquera qu’il n’est pas question de Révolution culturelle, comme si c’était un grand trou noir, ou un épiphénomène dont il ne vaut pas la peine de parler, sauf à répéter ce que d’autres ont dit. Il évoque en revanche clairement la fin des années 1950, Grand Bond en avant et Grande Famine, la période de réforme et d’ouverture avec ses incertitudes (et non la joie de l’ouverture), puis la période de déclin rural et de croissance urbaine, avec à nouveau des personnages en marge.

 

Le dernier chant 《绝唱》

 

Recueil « Un monde sans voleurs »

《天下无贼》, éd. 2020

 

Cette nouvelle – Le dernier chant, ou L’apothéose finale - est sans doute l’une des plus subtiles de Zhao Benfu, dans une forme rappelant les récits de lettrés des périodes Ming et Qing. Zhao Benfu y brosse le portrait de deux hommes que leur amour de l’opéra… et d’un oiseau merveilleux a réunis : l’esthète Maître Shang (尚爷) et l’acteur d’opéra Guanshan (关山), devenus amis, et frères jurés. L’amour de l’opéra tout comme la vénération de l’oiseau mélomane sont pris comme emblèmes de la culture lettrée traditionnelle.

 

Représentation traditionnelle de Guan Yu

 

Guanshan excelle dans le rôle de Guan Yu, et en particulier dans le numéro appelé Dandaohui (“单刀会”), ce qui aurait valu une note explicative. Une fois maquillé et revêtu de son costume de scène, avec son visage rouge et sa haute taille (赤红脸,大高个), Guanshan était l’image même de Guan Yu (关羽), nous dit Zhao Benfu. Parfois également appelé Guan Gong (), ou maître Gong, Guan Yu fut un célèbre général de la période des Trois Royaumes, au service de Liu Bei (刘备). Il a par la suite été élevé au rang de divinité dans le panthéon taoïste, mais il est aussi bien vénéré dans le bouddhisme ; il est populaire comme dieu de la guerre, et en tant que tel vénéré par les policiers comme par les hommes d’affaires. Son visage rouge à la longue barbe symbolise la loyauté et la droiture ; il est traditionnellement représenté portant une lance légendaire, ou guandao (关刀). Le Dandaohui est la danse de Guan Yu avec sa lance « en croissant de lune » (偃月刀).

 

Maître Shang est un lettré à l’ancienne, avec trois concubines qui tiennent la maison, ce qui lui permet de s’adonner à son amour de l’opéra et de s’occuper de l’oiseau extraordinaire qu’il emporte partout avec lui dans sa cage : une « alouette aux treize gosiers » (百灵十三口) [4] dont il fait cadeau à Guan Shang ; il la remplacera vingt ans plus tard, la première ayant vieilli et ne chantant plus, par une autre plus extraordinaire encore, capable d’imiter quatorze chants (百灵是十四口). Guan Shang ne se sépare pas de l’oiseau, dont il accroche même la cage en coulisse quand il est en scène.

 

Juéchàng (《绝唱》) est un terme littéraire désignant la perfection en poésie, avec une notion d’absolu. Ici, c’est littéralement « le dernier chant », celui qui représente l’apothéose des deux chanteurs, Guanshan et l’oiseau [5]. Après quoi il ne leur reste plus qu’à mourir.

 

Inattendue dans le contexte du milieu des années 1980, et même dans le contexte général des nouvelles de Zhao Benfu, cette nouvelle en reflète la diversité. Il en émane une atmosphère qui rappelle celle des récits des périodes Ming et Qing ayant pour thème les amitiés masculines propres à la société traditionnelle, et en particulier entre lettrés férus d’opéras et jeunes acteurs. On pense au « Théâtre du silence » (《无声戏》) de Li Yu (李漁), ou au roman du milieu du 19ème siècle « Miroir précieux pour classer les fleurs » ou Pinhua Baojian (《品花宝鉴》) de Chen Sen (陈森), avec la différence que Guanshan n’est pas spécialisé dans les rôles féminins, mais dans les rôles martiaux de wusheng. Zhao Benfu ne joue pas sur les ambiguïtés de genre chère à ses prédécesseurs.

 

La tanière vide《空穴》

 

Initialement publiée en 1994, puis dans un recueil éponyme en 1999, cette nouvelle est, sans le dire ouvertement, une peinture glaçante et grinçante de la période de la Grande Famine consécutive au Grand Bond en avant, c’est-à-dire les trois années 1959-1961 que l’on appelle officiellement en Chine en se voilant la face « les trois années difficiles » [6], puis de la période de relance qui a suivi.

 

Cette nouvelle est remarquable par sa narration sans une once d’émotion, contant ce que l’on sait déjà par nombre d’autres récits évoquant le sujet à mots plus ou moins couverts : que tout était bon pour survivre. Les cadres véreux en profitent et les femmes se vendent pour un plat de légumes, et encore mieux un morceau de viande. Bien sûr, aucune date n’est donnée, mais il est clair qu’il s’agit au début de la fin du Grand Bond en avant par les allusions que Zhao Benfu sème d’une ligne à l’autre : il est question des « regroupements » de terres réalisés

 

Recueil « Un tanière vide »

《空穴》, éd. 1999

pour constituer les communes populaires, et de la fonte de tous les objets métalliques possibles dans les petits hauts-fourneaux de village, y compris poêles, casseroles et autres ustensiles de cuisine devenus inutiles de toute façon car les villages avaient leurs cantines collectives.  

 

Puis vient la période de relance économique initiée par les « trois coups de barre à droite » de l’hiver 1960 réinstaurant les lopins prives, accompagnés d’une campagne de rectification visant les dirigeants responsables. La nouvelle dépeint en quelques pages toute l’atmosphère de l’époque : l’espoir renaît et avec lui la natalité…

 

Une brigade de filles de fer à la campagne

dans les années 1950

 

Le titre désigne un « trou d’électron », c’est-à-dire un trou laissé vacant par un électron dans une bande d’énergie. En fait, ici, il faut prendre le terme au sens littéral des deux caractères, une tanière vide, faisant allusion au village dépeuplé par la famine : le village de Hewan était vide, plus personne ne vivait là (河湾已成空村,没一户人家住).

 

Le titre choisi en français fait référence à une réplique du chef de village à la femme qui vient de lui dire qu’elle ne veut plus être chef d’équipe, car elle

a trop faim, elle n’en peut plus : « Ne sois pas réactionnaire, tu es une fille de fer » (你别反动,你是铁姑娘). Le terme a commencé à être utilisé dans les années 1950, pour désigner les femmes qui faisaient des travaux de force jusque-là réservés aux hommes, en particulier pendant le Grand Bond en avant. Il suffit d’un terme pour faire renaître l’esprit d’une époque. 

  

Le point limite 临界》

 

Cette nouvelle est le portrait de deux personnages bizarres, comme toujours chez Zhao Benfu : un homme qu’une histoire d’enfance a rendu maladivement peureux et la responsable du comité de quartier en mal de conquêtes masculines. Mélange explosif qui permet à Zhao Benfu de dresser un tableau décalé des habitants d’un quartier populaire d’une petite ville.

 

Là encore le titre n’est pas facile à traduire. Línjiè 临界 est un terme qui désigne en chimie un point critique, en particulier la température critique d’une masse gazeuse ; c’est aussi en physique nucléaire le seuil dont le franchissement provoque une réaction nucléaire en chaîne, incontrôlée.  Línjiè est donc, plus généralement, la limite à ne pas dépasser, la limite acceptable. C’est très subtil, et permet de mieux comprendre les subtilités de l’intrigue, sans la révéler.

 

Le déserteur Cao Zile 《逃兵曹子乐》

 

 Cao Zile est un déserteur professionnel, pourrait-on dire. On en revient ici à la période de la guerre de résistance contre les Japonais (première moitié des années 1940). Cao Zile a servi dans les troupes des seigneurs de la guerre, dans les années 1920-1930, où n’existait guère de discipline. Il combattait peu mais mangeait à sa faim. Les choses ont changé quand il a été incorporé dans la 8ème armée communiste ; là impossible de tirer au flanc. Il songe donc à reprendre son ancienne habitude quand les choses se gâtaient : déserter. Mais il tombe sur un soldat japonais…

 

Rencontre traitée avec un humour décapant, aux antipodes des récits de héros de guerre de la doxa maoïste. Chinois, Japonais, tout le monde dans le même panier : humain, trop humain, pour paraphraser Nietzsche, dont le livre a pour sous-titre « un livre pour esprits libres » (Ein Buch für Freie Geister). Un esprit libre, Zhao Benfu, certainement.

 

Le maire et le cordonnier鞋匠与市长》

 

C’est l’une des plus belles nouvelles de Zhao Benfu, l’une de ses plus brèves aussi, avec à nouveau un superbe portrait masculin esquissé, comme c’est la règle chez l’auteur, en quelques mots dès le début :

鞋匠在这个巷口补鞋已有四十多年了。刚来时留个小平头,大家叫他小鞋匠,现在满脸皱纹,大家叫他老鞋匠了。

Cela faisait plus de quarante ans que le cordonnier réparait les chaussures à l’entrée de cette ruelle. Pau après son arrivée, avec sa petite coupe en brosse, tout le monde l’avait appelé « le petit cordonnier ». Mais maintenant qu’il avait le visage tout ridé, on l’appelait « le vieux cordonnier ».

 

Le maire, qui habitait la même ruelle, passait souvent le voir ; les deux hommes s’entendaient bien, tacitement. La ville avait changé, le stand du cordonnier aussi. Mais un jour, le vent lui avait collé un papier sur la tête : un papier sur lequel était écrit « Trois Puits » (三口井). Personne ne savait où c’était. Le maire était brave, trop sans doute, il fut pris dans une affaire de corruption et envoyé en prison. Le cordonnier avait de moins en moins de travail. Le jour où il remit la dernière paire de chaussures à son dernier client, il mit la clef sous la porte et partit. A la recherche de cet endroit nommé « Trois Puits »… La fin est l’une de ces conclusions pleines d’humanité et d’émotion contenue typiques de Zhao Benfu

 

Un village en voie de disparition 《即将消失的村庄》

 

Cette nouvelle aborde un sujet qui commençait à devenir préoccupant au début des années 2000, quand elle a été écrite : la désertification rurale. Le récit est mené du point de vue du vieil homme qui reste au village, gardien des maisons de ceux qui partent. Mais les maisons s’effondrent les unes après les autres :

村子里太安静了。没有骡马嘶鸣,没有人语喧嚣,没有孩子们打闹。多年来,这些声音他已经不指望了,他唯一能够等待的就是房屋倒塌的声音。

Le village était trop silencieux. On n’entendait aucune mule braire, aucun cheval hennir, aucun bruit de voix, aucun cri d’enfant. Depuis des années, il ne pouvait rien espérer de la sorte ; le seul bruit auquel il pouvait s’attendre, c’était celui d’une maison qui s’effondrait.

 

Suit la description de la lente érosion de la situation qui a mené le village à sa ruine, les jeunes partant en ville et ne revenant jamais pour prendre soin des maisons, encore moins en construire des neuves, comme autrefois.

 

La nouvelle prend ensuite une atmosphère un peu surréelle, presque digne de « La Fille aux cheveux blancs », jusqu’à ce que le récit retrouve un ton apaisé, rythmé par le bruit des maisons qui continuent de s’effondrer.

 

La décapitation 《斩首》

 

Il s’agit là de l’un des récits de Zhao Benfu où se mêlent les absurdités de l’histoire et leurs conséquences sur le destin des petites gens. Nous sommes à la veille de la chute de l’empire, nous suggère Zhao Benfu. Un prisonnier est convoyé vers la capitale : un chef de brigands qui doit faire partie du lot des décapités de l’automne. En chemin, le chef du convoi entend parler d’une mutinerie à Wuchang. Le convoi repart, mais s’arrête à un relais pour se reposer, le prisonnier est enfermé dans un cachot… et reste à attendre que l’on vienne l’en sortir, la dynastie n’est plus, mais il ne le sait pas…

 

La fin est du même ordre que celle qui conclut « Le maire et le cordonnier », fondée sur la même philosophie sereine de l’existence. Mais ici un épilogue supplémentaire raconte le fait divers très simple qui a inspiré l’auteur en montrant tout l’art avec lequel il a mené sa narration.

 

Par ailleurs, en 2007, la nouvelle a été reprise dans un recueil portant le même titre et, à cette occasion, l’auteur a donné quelques indications supplémentaires sur sa genèse et son écriture :

 

Le relais de poste de Gaoyou avec son pavillon (邮亭)

 

这篇小说办有几千字,却孕育了五年之久。数年前曾去汪曾祺先生的故乡高邮县,参加纪念汪先生的一个活动。期间在高邮参观,看到一片青砖灰瓦的旧房子,是高邮的古驿站。高邮是汉置县,早在此秦时已是驿站,高邮即因此得名。在全国以邮驿作县名的只此一处,可见高邮驿站之古,之重要。后来又去过两次高邮,每次都要进去看一看。古驿上似乎有一个气场,流连其间,会令人渐生苍茫之感。仿佛时光倒流,岁月历历,可以说,驿站作为古代驿使和来往官员、差卒暂住和换马的处所,从一个侧面见证了几千年的中国历史。在这个小小的偏远驿站,曾经发生过多少故事?没人能告诉我,但我相信,这个驿站应该有故事也肯定有故事的。在这后的几年,我会时不是在脑海里翻捡出高邮驿站那片古旧的房屋,于是,终于有了《斩首》。

Cette nouvelle n’a que quelques milliers de caractères, mais elle a été en gestation pendant cinq ans. Plusieurs années auparavant, je me suis rendu dans le district de Gaoyou, le pays natal de Wang Zengqi, pour participer à des manifestations en son honneur. A cette occasion, j’ai visité Gaoyou, et j’ai remarqué une vieille maison avec ses briques sombres et ses tuiles grises. C’était l’ancien relais de poste. Le district de Gaoyou est très ancien : il a été établi sous les Han [en 118 avant J.C.], mais auparavant, c’était un relais de poste. Gaoyou est célèbre pour cela. Le nom vient de là [7], cela montre l’ancienneté et l’importance de ce relais. Par la suite, j’y suis revenu deux fois, et chaque fois j’ai voulu entrer jeter un œil dans ce bâtiment. Il y règne une atmosphère qui génère peu à peu, quand on s’y attarde, le sentiment que le temps s’écoule à l’envers, que les années défilent, comme si le relais de poste se faisait le messager des temps anciens ; cet abri précaire où les soldats pouvaient changer de cheval devient ainsi, en un sens, le témoin de plusieurs milliers d’années d’histoire chinoise. Dans ce minuscule relais perdu, combien d’histoires ont-elles bien se dérouler ? Il n’y a plus personne pour me le dire, mais je suis sûr qu’il doit y en avoir beaucoup, et que lui-même a son histoire. Pendant les années qui ont suivi, j’ai tourné et retourné dans ma tête l’image de cette vieille bâtisse et c’est ainsi que finalement est née « La décapitation ».

 

Une jeune fille nommée Luo (《洛女》

 

Cette histoire, publiée en 2010, montre l’évolution thématique des nouvelles de Zhao Benfu, mais en même temps une certaine constance dans l’art narratif : c’est le portrait d’un personnage peu ordinaire, qui est ici féminin, et c’est en même temps l’évocation des franges urbaines avec leurs marginaux, ignorés voire méprisés. Le regard est passé du village à la ville, mais il n’a pas changé. C’est l’une des plus belles nouvelles de l’auteur.

 


 

Traduction en français

 

Jeunes filles de fer et autres nouvelles, trad. Claude Payen, éd. Pacifica, 2021

Dix nouvelles : Jeunes filles de fer 《空穴》/ Un village en déclin 《即将消失的村庄》/ Vendre l’âne 《卖驴》/ Le déserteur 《逃兵曹子乐》/ Le point critique 临界》/ Le maire et le cordonnier 《鞋匠与市长》/ La décapitation 《斩首》 / Un monde sans voleurs 《天下无贼》/ Une vie 《洛女》/ Le chant du cygne 《绝唱》

 

 

II. Les novellas ou nouvelles moyennes

 


 

[1] Voir la présentation de l’auteur.

[2] Elles figurent toutes dans un recueil publié en novembre 2020 sous le titre « Un monde sans voleurs » dont les textes sont en ligne : https://www.xstt5.com/dangdai/8405/

Les titres français donnés ici sont des traductions des titres chinois à titre explicatif, non ceux qui ont été retenus à fins de publication par Pacifica et Claude Payen. Pour ceux-ci, voir détails à la fin de l’article.

[4] L’alouette est célèbre pour imiter le chant d’autres oiseaux. Ici, celle de maître Shang en imite treize.

[5] Cela évoque effectivement le chant du cygne et l’expression Juéchàng est souvent traduite ainsi, mais ici, s’agissant d’une alouette, cette traduction est peut-être à éviter. Il vaut mieux garder plutôt la référence classique à la poésie et à la culture lettrée, le chant étant entendu comme celui du barde autant que celui du chanteur.

[6] Famine qui reste un sujet tabou en Chine. Voir sur ce sujet « Stèles, la Grande Famine en Chine » (《墓碑中国六十年代大饥荒纪实》) de Yang Jisheng (杨继绳).

[7] yóu est le caractère de poste, service postal. Gaoyou, c’est la grand’poste.  La ville est un district de Yangzhou, dans le Jiangsu, au nord de l’embouchure du fleuve Jaune.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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