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Zheng Zhi 郑执

Présentation

par Brigitte Duzan, 15 septembre 2024

 

 

Zheng Zhi

 

 

Écrivain et scénariste né en 1987 à Shenyang, dans le Liaoning (辽宁沈阳), Zheng Zhi a connu une nouvelle notoriété quand, en juin 2024, est sorti au festival international de Shanghai le film de Gu Changwei (顾长卫) « The Hedgehog » (刺猬) dont il a coécrit le scénario, adapté d’une de ses nouvelles.

 

Il a fait ses études à Hong Kong, puis il est resté vivre là. Mais il garde des liens étroits avec sa région natale dont la culture et les croyances et coutumes populaires sont sa principale source d’inspiration. Avec entre autres Ban Yu (班宇) et Shuang Xuetao (双雪涛), tous deux nés également à Shenyang, il fait partie d’un courant littéraire et artistique qui inclut également le cinéma et qu’on appelle depuis quelques années « la Renaissance du Dongbei » (东北文艺复兴 ) [1].

 

Histoire familiale

 

Son histoire familiale a déterminé ses débuts d’écrivain et l’environnement du Dongbei son inspiration. Son père était ouvrier d’usine, comme son père l’avait été avant lui. C’était un parcours glorieux dans un Nord-Est dont l’industrie était l’orgueil de la Chine maoïste. Puis, dans les années 1990 sont venues les vagues de restructurations et de licenciements. Le père de Zheng Zhi sentit le vent tourner, démissionna et avec ses économies ouvrit une petit restaurant de nouilles, vite rattrapé par la crise de la région.

 

Zheng Zhi eut la chance d’avoir, grâce à sa mère [2], acquis un excellent niveau d’anglais qui lui permit d’être admis à l’Université baptiste de Hong Kong. Il partit donc là en 2006. Mais son père tomba gravement malade peu après et à sa mort Zheng Zhi revint à Shenyang. Il y resta un an, profitant de ce séjour pour mieux se familiariser avec une ville dont il ne connaissait guère que le chemin qui le menait à l’école, ce qui lui donna ses premières sources d’inspiration, au contact de la rue [3]. Un an plus tard, il revint à Hong Kong terminer ses études après avoir emprunté l’argent nécessaire.

 

2007 : flottements

 

On comprend qu’il ait pu… « Flotter » (). C’est le titre de son premier roman, publié en septembre 2007 - roman qui a tout de suite suscité des controverses par le ton autant que le fond, et du fait que l’auteur n’avait que 19 ans. Il s’agit en fait de la version papier d’un récit partiellement autobiographique intitulé « On s’ennuie mortellement, non ? » (我们是不是很无聊), que Zheng Zhi avait écrit alors qu’il venait d’entrer à l’université ; il avait été sérialisé l’année précédente sur internet avec un succès médiatique tenant à son style plein d’humour, mais aussi à son ton acerbe et un rien provocant, un peu dans le genre du blog de Han Han (韩寒). D’ailleurs, un éditeur peu scrupuleux en avait publié une version piratée « signée Han Han ». La version « officielle » a été éditée par la très sérieuse Maison des écrivains, comme l’ont été les romans suivants de Zheng Zhi.

 

 

Flotter

 

 

2010 : la ville de la pierre qui pleure

 

Le temps de laisser la poussière retomber, il publie son deuxième opus en avril 2010 : « N’allez pas dans cette petite ville » (《别去那个镇》) – comme on dit : n’allez pas dans ce bled. Le roman était nettement plus « littéraire », ont dit les critiques, il n’en était pas moins caustique. D’abord la petite ville en question s’appelle « le bourg de la pierre qui pleure » (泣石镇), d’après une légende selon laquelle les pierres pleurent à la fin de l’été. Quant aux personnages, ce sont ce qu’on appelle couramment des marginaux : un voleur repenti, une ancienne actrice, un ancien maniaque sexuel… Ils se retrouvent dans ce coin perdu pour y réaliser leur rêve de construire une école primaire avec l’argent qu’ils ont gagné à la loterie. Et en même temps arrive là un jeune peintre convaincu d’y retrouver sa fiancée perdue, sans se douter que le destin de la ville est en train de se jouer au gré des illusions brisées de chacun, le temps que la pierre se mette à pleurer.

 

Zheng Zhi a expliqué à la sortie du livre que le ton de son roman était dû aux pressions qu’il avait subies, et à la sorte de dépression vécue alors qu’il écrivait. Comme pour s’excuser de ne pas avoir participé à l’enthousiasme collectif de la période olympique et post-olympique. En fait, on retrouve dans le roman la même atmosphère que celle du « Black Dog » (《狗阵》) de Guan Hu (管虎), entre humour et détresse.

 

2013 : sur un air de Teresa Teng

 

Zheng Zhi a publié son troisième roman au début de 2013, inspiré cette fois par une chanson de Teresa Teng (邓丽君) : « Il n’y a que toi qui m’importes » (《我只在乎你》). L’auteur y dépeint une histoire d’amour entre deux générations, pendant les trente ans de la période d’ouverture (à partir du début des années 1980), mais sur fond de crise socio-économique dans la vieille région industrielle du Dongbei. Le ton est à l’opposé de la chanson : froid, avec un rien de violence latente, mais surtout une infinie tristesse. Comme l’annonce le livre suivant de Zheng Zhi, un recueil de textes courts publié en 2015 : «  partir de maintenant, je vais apprendre à cacher ma tristesse » (《从此学会隐藏悲伤》).

 

Il poursuit avec un recueil de douze nouvelles publié en 2016 : « Je t’attendrai jusqu’à la fin des temps » (《我在时间尽头等你》) - douze récits comme autant de possibilités d’aimer. La nouvelle titre a été adaptée au cinéma, sur un scénario que Zheng Zhi a lui-même écrit ; le film est sorti en 2019 sous le titre international « Love You Forever ».

 

2017 : avaler cru

 

En octobre 2017, il publie un roman très différent qui marque une nouvelle étape dans sa maturation : « Avaler cru » (《生吞》). C’est une histoire d’amour cruelle construite comme un roman noir, à suspense, avec en outre une recherche d’originalité stylistique : la narration est contée selon une double perspective, à la première personne par le principal jeune au centre de l’intrigue, Wang Di (王頔), et du point de vue du policier chargé de l’enquête, Feng Guojin (冯国金).

 

 

Avaler cru

 

 

Pendant l’hiver 2003, une jeune fille de 17 ans est assassinée après avoir été violée ; son corps dénudé, recouvert de neige, est retrouvé abandonné devant un immeuble en construction. Dix ans plus tard, le corps d’une autre jeune fille est retrouvé dans les mêmes conditions, mais le suspect du crime précédent est mort. Le détective Feng Guojin qui a déjà enquêté sur le premier crime sans parvenir à l’élucider reprend l’enquête et découvre peu à peu une histoire cruelle de jeunes à l’hérédité chargée où sa propre fille est impliquée.

 

L’histoire est assez caractéristique du courant de romans à suspense devenus populaires en Chine dans les années 2010 dont, entre autres, les romans de Xu Yigua (须一瓜) ; comme chez elle, tous les personnages de Zheng Zhi ont des problèmes familiaux qui les fragilisent dans leurs relations aux autres – l’intrigue d’« Avaler cru » rappelant en particulier celle de « Taches solaires » (《太阳黑子》), adapté au cinéma par Cao Baoping (曹保平) sous le titre « The Dead End » (《烈日灼心》). « Avaler cru » a lui-même été adapté en une mini-série télévisée en 16 épisodes diffusée sur Youku (优酷) le 8 août 2022 sous le titre « Froussard » (《胆小鬼》).

 

 

Froussard 《胆小鬼》

 

 

2018-2020 : le syndrome de l’immortel, ou du hérisson

 

Zheng Zhi a ensuite écrit une nouvelle, « Le syndrome de l’immortel » (《仙症》), initialement publiée le 25 juillet 2018 sur le site internet Tencent. Dajia (《腾讯·大家》) et tout de suite remarquée. Elle a en novembre remporté le premier prix du « Projet Écrivain anonyme » (匿名作家计划) de Zhang Yueran (张悦然) [4].

 

 

Le syndrome de l’immortel

 

 

C’est l’histoire d’un original du nom de Wang Zhantuan (王战团) ; décrété fou après avoir un peu trop critiqué ses supérieurs hiérarchiques quand il était dans l’armée, il exerce une certaine fascination sur son neveu qui, lui, est affecté d’un bégaiement qui le condamne au ban de la société. On est là aux franges de l’onirisme et du shamanisme, dans un monde imaginaire bien plus facile à vivre que le quotidien, où le réel le dispute au surnaturel.

 

 

Love You Forever

 

 

La nouvelle a vite été complétée par cinq autres en un recueil de six publié sous le même titre, dans un genre qui tire à la fois sur le magique et le suspense, et toujours dans un style concis et teinté d’humour. La plupart des histoires se situent dans le Nord-Est, mais pas forcément, elles ont une certaine universalité : « Télépathie » (《他心通》) comporte des éléments de magie et de croyances populaires locales, mais « Arc-de-triomphe » (《凯旋门》) relate la décadence d’une petite ville qui pourrait être n’importe où. Le texte final est une novella que Zheng Zhi a mis trois mois à écrire : « Au milieu des forêts : des bois » (《森中有林》) ; il forme une boucle de destins croisés sur trois générations.

 

En 2021, le recueil a figuré parmi les finalistes du prix Blancpain-Imaginist et Zheng Zhi a été sacré « écrivain du futur » (未来文学家). Mais ce qui a surtout contribué à sa notoriété, c’est l’adaptation au cinéma de la nouvelle « Le syndrome de l’immortel » par le grand réalisateur Gu Changwei (顾长卫), sur un scénario coécrit avec Zheng Zhi : intitulé « The Hedgehog » (《刺猬》), le film était en compétition au 26e festival de Shanghai en juin 2024 et il y a décroché le prix du meilleur scénario.

 

En septembre 2022, Zheng Zhi a été admis à l’Association des écrivains chinois.

 


 

Publications

 

Recueils de nouvelles

2016 Je t’attendrai jusqu’à la fin des temps (Love You Forever)《我在时间尽头等你》

2020 Le syndrome de l’immortel《仙症》

 

Romans

2007 Flotter

2010 N’allez pas dans cette petite ville《别去那个镇》

2013 Il n’y a que toi qui m’importes《我只在乎你》

2017 Avaler cru《生吞》

 

Scénarios

2019 Love You Forever 《我在时间尽头等你》film de Yao Tingting (姚婷婷)

2022 Nobody Knows (《胆小鬼》), série télévisée en 16 épisodes, réal. Zhang Xiaobo (张晓波)

2024 The Hedgehog 《刺猬》 de Gu Changwei (顾长卫

2024 I Miss You 《被我弄丢的你》de Han Yan (韩琰)   

 


 

Traduction en anglais

 

Lunch for Two  (Erren wucan《二人午餐》), tr. Lilian Huang, Read Paper Republic, July 2023

(dans cette brève nouvelle, Zheng Zhi dresse le portrait rapide d’un jeune homme devenu végétarien pour perdre du poids ; dans le restaurant où il va déjeuner, une jeune femme bizarre excite sa curiosité…)


 


[1] Le mouvement a commencé au milieu des années 2010, porté par le succès du « Black Coal, Thin Ice » (《白日焰火》) de Diao Yinan (刁亦男), puis par celui de la novella de Shuang Xuetao (双雪涛) « Moïse dans la plaine » (《平原上的摩西》).
Les articles sur cette « renaissance » se sont multipliés à partir de 2020 … comme un feu dans la plaine. Par exemple :
- Cong Zhichen
丛治辰 : 何谓东北”? 何种文艺”? 何以复兴”?——双雪涛、班宇、郑执与当前审美趣味的复杂结构 Hewei ‘dongbei’? Hezhong ‘wenyi’? Heyi ‘fuxing’?—Shuang Xuetao, Ban Yu, Zheng Zhi yu dangqian shenmei quwei de fuza jiegou : Qu’entend-on par « Dongbei » ? Par « art et littérature » ? Par « Renaissance » ?  — Shuang Xuetao, Ban Yu, Zheng Zhi et la structure complexe des goûts esthétiques actuels. Article publié en mai 2020 dans le « Journal de recherche sur la littérature chinoise contemporaine », et en ligne sur le site chinawriter.

- Liang Wendao et Jia Hangjia 梁文道/贾行家 : 东北文艺复兴了吗? Dongbei ‘wenyifuxing’ le ma ? « Le Dongbei a-t-il connu une « renaissance artistique et littéraire » ? Publié sur Huxiu le 8 avril 2020. https://www.huxiu.com/article/349199.html.

- Tong Xin. 东北文艺需要复兴? Dongbei wenyi xuyao ‘fuxing’ ma? La littérature et les arts du Dongbei ont-ils besoin d’une « renaissance » ? Beijing Evening News, 5 Mas 2021. http://www.chinawriter.com.cn/n1/2021/0305/c404033-32043793.html.

[2] Etudes d’anglais essentiellement fondées sur la lecture de textes bilingues, ce qui lui permit de découvrir avec émerveillement l’œuvre d’Edgar Allan Poe qui devint pour lui un modèle d’écriture.

Voir son interview par Su Wei (The Paper, 4 novembre 2020) : 东北、穷鬼乐园、仙症: 作家郑执的文字世界 Dongbei, Paradis pour les pauvres, Syndrome de l’immortel : le monde littéraire de Zheng Zhi. https://www.thepaper.cn/newsDetail_forward_9844055.

[3] Comme le dit Zhou Rong dans son article sur l’œuvre de Zheng Zhi (Liaoning Daily. 16.12.2019) :郑执: 东北历史拉回到日日夜夜寻常巷陌 Ba ‘dongbei’ he ‘lishi’ lahuidao riri yeye xunchang xiangmo « Zheng Zhi: ramener le « Dongbei » et l’ « Histoire » au niveau de la rue, au quotidien ». https://new.qq.com/omn/20191216/20191216A0LU5W00.html.

[4] Ces prix font partie de la sélection d’écrivains jugés d’avenir, donc qui ne devrait pas rester anonymes, faite par Zhang Yueran et publiée depuis 2018 dans des ouvrages de la collection « Newriting » ().

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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