Clubs de lecture

 
 
 
     

 

 

Club de lecture – réunion estivale du 2 juillet 2025

par Brigitte Duzan, 9 juillet 2025

 

Ce 2 juillet, le club de lecture s’est réuni une dernière fois pour boucler l’année, chez Marion, dans la fraîcheur et la verdure après la canicule des jours précédents, loin des bruits de la ville comme dans un hutong à Pékin.

 

C’était, sans programme précis, mais sous le signe de l’optimisme, comme l’a dit d’emblée Marion, citant Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté » [1].

 

 

Antonio Gramsci, Cahiers de prison (Anthologie)

 

 

Après une aussi belle entrée en matière, quelques sujets ont été abordés au cours de la soirée, reflétant des questions sur l’actualité littéraire, au-delà des lectures du club, mais en commençant par là.

 

1. Shuihuzhuan

 

Au programme de la première séance de la rentrée, « Au bord de l’eau » est dans tous les esprits, la première question étant celle de la version à privilégier, s’agissant d’un classique qui n’a pas de version « établie », mais différentes versions concurrentes.

 

a) Il y a en gros une version longue et une version courte, la version longue étant en une centaine de chapitres, et allant jusqu’à 120, et la version courte en 70 chapitres et un prologue après suppression des 50 derniers chapitres de la version longue. L’évolution du roman à partir des récits des conteurs est suffisamment intéressante pour justifier un développement… à venir.

 

La question se pose dès lors de la traduction à privilégier. C’est celle de Jacques Dars publiée dans La Pléiade qui fait l’unanimité : version en 92 chapitres, Jacques Dars ayant fait le tri dans les derniers chapitres en sélectionnant ce qui lui semblait « authentique » par rapport à la version originale de Shi Nai’an/Luo Guanzhong.

 

Le même Jacques Dars avait commencé par traduire la version en 71 chapitres de Jin Shengtan, pour la collection Connaissance de l’Orient dirigée par Étiemble, pour finalement opter pour la version en cent chapitres, la traduction dépassant dès lors les possibilités de Connaissance de l’Orient. C’est cette version en 71 chapitres qui a été éditée en Folio, en deux tomes, comme on peut le constater dans la table des matières .

 

b) La question subsidiaire concerne les sites du roman que l’on peut visiter. Il y en a deux :

- dans le Shandong : Shuibo Liangshan Scenic Area (水泊梁山风景区), dans le district de Liangshan de la ville de Jining (山东省济宁市梁山县), développé à partir de 2001 à des fins touristiques, avec reproduction de l’architecture dépeinte dans le roman, ainsi que spectacles en costumes et représentations d’arts martiaux.

En fait, c’est une zone dont les marécages avaient été créés par les errances du cours du Yangtsé ; elle s’était asséchée et le lac avait disparu. Quant aux bâtiments décrits dans le roman, ils avaient été détruits quand l’empereur Chongzhen des Ming (明崇祯), ayant à faire face à une rébellion en 1642, avait fait interdire le livre. En 2014, un réservoir a été construit pour recréer le paysage lacustre et les principaux sites [2].

 

- à Wuxi (无锡), dans le Jiangsu : double parc à thème, la Ville des Trois-Royaumes (三国城) et la Ville d’Au bord de l’eau (水浒城), sur les bords du lac Taihu (太湖). Ce sont les sites originaux des deux séries télévisées des années 1990, avec des bâtiments comme les prisons, les terrains d’exécution, les rues commerçantes, la cour impériale, etc.

 

 

Le site des Trois Royaumes et d’Au bord de l’eau à Wuxi

 

 

Tout est si bien reconstitué que cela ne laisse aucune place à l’imagination.

 

c)  MRC pose la question générale : y a-t-il encore une influence aujourd’hui de la narration traditionnelle sur les auteurs contemporains (en Chine comme en Occident) ? Il ne semble pas.

- en France : fin de la narration du 19e siècle avec Nathalie Sarraute (L’Ère du soupçon, 4 essais publiés en 1956, mais les deux premiers datant de 1947 et 1950) et le Nouveau Roman.

Chez Marguerite Duras, par exemple, débuts narratifs avec trois ouvrages (Les Impudents, 1943, La Vie tranquille, 1944, et Un barrage contre le Pacifique, 1950) dans une forme relativement traditionnelle : de facture classique, dans la veine du roman réaliste. Puis Le Marin de Gibraltar, 1952, marque un tournant vers la  déstructuration de la langue, de l’action et des personnages.

- en Chine, le roman à chapitres (hui ) [3] comme le Shuihuzhuan garde une certaine influence au sens où il est constitué à l’origine de narrations de conteurs, et que les recueils de nouvelles aujourd’hui ont tendance à revenir vers ce modèle, en ménageant des liens d’une nouvelle à l’autre, par le biais d’un personnage ou d’un thème.

C’est un sujet qui mériterait d’être développé.

 

2. Que penser de l’IA ?

 

Réaction générale : on peut la considérer comme un outil, mais elle a des aspects nocifs, en particulier sur les esprits des élèves qui s’en servent sans réfléchir pour, vite fait bien fait, rédiger leurs compositions.

 

Elle est surtout délétère en contribuant à brouiller les confins entre vrai et faux, à enlever toute réalité à leur distinction. Marion sort d’une pile de bouquins récents l’« Hypnocratie » de Jianwei Xun [4] (sous-titré « La fabrique du réel »), que tout le monde semble avoir lu, avec effroi : faux essai d’un faux philosophe, mais vrai concept qui a piégé les médias pendant plusieurs mois, comme une sorte d’hypnotisme des algorithmes. Et le plus effrayant est qu’une professeure agrégée de philo en a fait un système politique fonctionnant « par modification des états de conscience collectifs. » [5]… L’idée même de réalité devenant ainsi totalement illusoire.

 

3. Littérature chinoise : quelles tendances ?

 

Laura évoque les difficultés rencontrées pour renouveler les rayons de littérature chinoise en librairie, face à la concurrence du Japon et de la Corée et la vogue quasiment uniforme du « feel good » qui n’existe pas vraiment en Chine.

 

Elle évoque à ce propos la vogue du Danmei (耽美), ou « Boys’Love », qui rencontre un certain succès, mais qui est aujourd’hui en butte à la censure chinoise, ce qui équivaut à le faire passer dans la résistance et en fait un phénomène de société.

 

C’est le genre de sujet qu’on n’aurait pas abordé spontanément, mais qui méritait quelques développements :

http://www.chinese-shortstories.com/Histoire_litteraire_Danmei_origines_et_evolution.htm

en se disant que, finalement, on n’est pas très loin des frères jurés des Trois Royaumes ou du Bord de l’eau.

 

Rendez-vous le 17 septembre pour la reprise du club !

 


 


[1] Cahiers de prisons, Lettre à son frère.

[2] Voir la description sur baidu : https://baike.baidu.com/item/%E6%B0%B4%E6%B3%8A%E6%A2

%81%E5%B1%B1%E9%A3%8E%E6%99%AF%E5%8C%BA/5786224

J’y suis passée en septembre 2008, le « marais » n’était qu’une vaste étendue d’herbes sèches.

[3] Avec la variante huí (caractère traditionnel ), avec la clef de la marche, qui marque bien le mouvement des auditeurs revenant écouter le suite de l’histoire par le conteur.

[4] Éd. Philosophie magazine, avril 2025. Livre d’abord paru en Italie, étant d’une auteur italien qui se cache derrière le pseudonyme chinois : Andrea Colamedici.

[5] Apolline Guillot.


 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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