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				Brève histoire du 
				xiaoshuo 
				
				  
				
				VII. Essor du roman sous les Qing 
				
				… 
				
				3. Le roman satirique et 
				politique 
				
				3A Du roman satirique au roman 
				politique  (18e-19e siècles) 
				
				3B Roman politique et nouveau 
				roman (fin du 19e/début du 20e siècle) 
				par Brigitte Duzan, 
				11 novembre 2023   
				C’est dans un
				contexte de crise nationale, 
				dynastique, politique et sociale, qu’à la fin du 19e 
				siècle émerge un mouvement appelant à un renouveau littéraire, 
				renouveau qui passe de manière inédite par le roman. C’est dans 
				cette forme du xiaoshuo longtemps méprisée par les 
				lettrés que les intellectuels progressistes et réformistes de la 
				fin des Qing décèlent un potentiel permettant d’exprimer une 
				pensée nouvelle, moderne, critique, à l’encontre des rigidités 
				des modèles traditionnels.  
				  
				I/ Roman 
				contre poésie  
				  
				Le sentiment 
				de crise, suscitant désarroi, angoisse et confusion, entraîne 
				une effervescence intellectuelle, frustrée par l’échec des 
				efforts de réforme. Dans ce contexte, le roman apparaît aux yeux 
				des intellectuels comme une forme narrative à développer pour 
				répondre à deux des exigences du moment : représenter la crise 
				en cours dans toute son acuité, en réfléchissant sur un mode 
				d’écriture en phase avec la situation actuelle, et le faire pour 
				un vaste public dans un but d’information et d’éveil, le tout 
				étant lié au problème de la langue, et au développement de 
				l’écriture en langue vernaculaire pouvant toucher le plus grand 
				nombre. 
				  
				o   
				
				Révolution en poésie  
				  
				C’est 
				
				Liang Qichao (梁啟超) 
				qui s’est fait le plus ardent avocat d’un nouveau mode 
				d’écriture opérant une véritable révolution dans la forme comme 
				dans le fond, en appelant d’abord, au tournant du 20e 
				siècle, à une « révolution dans le monde de la poésie » (shijie 
				geming 
				
				诗界革命). 
				Dans ses « Notes de voyage à Hawaii » (《夏威夷游记》), 
				il appelle à un poésie nouvelle pour dépeindre la vie moderne, 
				une poésie libérée des obscurités et entraves formelles de la 
				poésie classique, dans une langue plus simple qui puisse 
				transmettre des idées et valeurs propres à éclairer les 
				lecteurs.  
				  
				Cette 
				révolution en poésie a trouvé un précurseur dans l’œuvre du 
				poète et diplomate Huang Zunxian (黄遵宪) 
				que, dans ses « Notes sur la poésie du Studio du buveur de 
				glace »  (Yinbingshì 
				shihua《饮冰室诗话》), 
				Liang Qichao cite expressément aux côtés de Xia Zengyou (夏曾佑), 
				Tan Sitong (谭嗣同) 
				et Qiu Weixuan (邱炜萲), 
				comme modèle de poète moderne à émuler pour sa capacité à 
				intégrer des idées nouvelles dans une forme ancienne (“近世诗人,能镕铸新思想入旧风格者,当推黄公度”). 
				Il aurait été le premier à utiliser, dans un poème, le terme de
				wenming (文明) 
				pour exprimer l’idée de « civilisation ». Dans ses « Notes de 
				voyage à Hawaii », Liang Qichao cite la série de quatre poèmes  
				« Adieux d’aujourd’hui » (Jin bieli《今别离》 ) 
				qui chantent les bateaux, les trains, le télégraphe et la 
				photographie, en opposant les anciens modes de locomotion et de 
				communication aux modernes et en intégrant dans un style ancien 
				de yuefu le thème traditionnel du voyageur regrettant son 
				épouse.
				 
				  
						
							|  | 
							 
							
							Edition illustrée des poèmes Jin bieli de 
							Huang Zunxian |  |    
				Cependant, 
				c’est le roman qui s’est imposé comme le meilleur candidat à un 
				renouveau littéraire orienté vers un vaste public, et dans une 
				optique d’éveil au monde moderne pour lutter contre la paralysie 
				de la société chinoise en prônant des réformes de fond, 
				politiques et sociales. Comme l’a dit Yuan Jin (袁进) 
				dans son ouvrage sur la transformation de la littérature 
				chinoise dans la période moderne (zhongguo wenxue de jindai 
				biange
				
				
				中国文学的近代变革), 
				la révolution littéraire du début du 20e siècle a 
				commencé par la poésie, mais c’est le roman qui a finalement 
				dominé la scène.
				 
				  
						
							|  | 
							 
							Yuan Jin, la 
							transformation de la littérature chinoise 
							 dans la période 
							moderne, rééd. 2006 |  |    
				S’il en a été 
				ainsi, c’est bien sûr parce que le genre répondait aux besoins 
				narratifs des intellectuels en cette période cruciale, mais 
				aussi parce qu’il jouissait au 19e siècle d’une grand 
				popularité auprès d’un vaste public. Ce n’était pas forcément un 
				atout aux yeux de tout le monde car cette popularité était 
				fondée sur des œuvres jugées vulgaires, selon un préjugé 
				affectant le xiaoshuo depuis ses origines. Il faudra donc 
				un certain temps pour que le roman se libère de cette image en 
				devenant le mode narratif fondateur de la révolution littéraire 
				liée au projet politique de réforme de ses promoteurs, 
				révolution littéraire passant aussi par l’écriture en langue 
				vernaculaire.    
				  
				o   
				
				La réforme par le baihua  
				  
				Au début, à la 
				toute fin du 19e siècle, les discussions les plus 
				vives portent sur l’utilisation de la langue vernaculaire, ou 
				baihua (白话), 
				sans même trop poser la question de sa définition. Dans sa 
				discussion sur la littérature incluse dans ses « Annales 
				historiques du Japon » (《日本国志》) 
				écrites à la fin des années 1880 (voir note 2), Huang Zunxian 
				s’est fait l’apôtre d’une utilisation généralisée du 
				vernaculaire dans l’écriture de la fiction pour rapprocher la 
				langue écrite du langage parlé et gagner en clarté vis-à-vis 
				d’un large public ; mais, s’il mentionne le roman comme 
				correspondant le mieux à ce souci de se rapprocher du lecteur 
				moyen, urbain et moderne, il n’en va pas pour autant jusqu’à se 
				déclarer en faveur d’une révolution, ni même d’une réforme 
				littéraire..  
				  
				De même, un 
				autre réformiste engagé, Qiu Tingliang (裘廷梁1857–1943), 
				fait de la langue vernaculaire son cheval de bataille, en en 
				faisant l’une des bases de la réforme pour laquelle il milite. 
				Mais c’est une langue vernaculaire locale, qui ouvre la 
				définition du baihua à des formes dialectales qui ont 
				commencé à être utilisées dans la presse à partir du milieu des 
				années 1870. Le 11 mai 1898, dans le cadre de la Réforme des 
				Cent Jours, Qiu Tingliang fonde avec sa nièce, l’écrivaine, 
				journaliste et traductrice 
				Qiu Yufang (裘毓芳), 
				le « Journal en langue vernaculaire de Wuxi » (《无锡白话报》). 
				Ils fondent aussi une école pour l’étude du chinois 
				vernaculaire. 
				  
						
							|  | 
							 
							Qiu Tingliang  |  |    
				Ce sont autant 
				d’initiatives qui sont stoppées net par la répression du 
				mouvement réformateur. Mais parallèlement Qiu Tingliang publie 
				un article resté célèbre : « Le baihua comme fondement de 
				la réforme » (Lun baihua wei weixin zhi ben《论白话为维新之本》). 
				Il y donne des références et raisons historiques pour 
				l’utilisation du baihua comme moteur de la modernisation, 
				en citant l’exemple des écoliers japonais qui peuvent lire 
				facilement parce que l’écriture proche du langage parlé est 
				devenu la norme dans tout le pays. Mais il ne parle du roman 
				qu’une fois dans le cours de son article. 
				  
				o   
				
				Nouvel intérêt pour le roman 
				  
				L’intérêt pour 
				le roman se développe peu à peu après la défaite de la Chine à 
				l’issue de la première guerre sino-japonaise et les clauses 
				désastreuses pour la Chine du traité de Shimonoseki qui conclut 
				le conflit le 17 avril 1895 : elle devait céder au Japon les 
				îles Pescadores (ou Penghu 
				
				澎湖群岛), 
				la péninsule du Liaodong et l’île de Taiwan, lui payer de 
				lourdes indemnités de guerre et lui ouvrir les ports de 
				Chongqing, Suzhou et Hangzhou… Ce traité a sur les esprits des 
				conséquences similaires à celles du traité de Versailles en 
				1919 : un choc et une indignation générale et, lié à une prise 
				de conscience de la faiblesse de la Chine sur l’échiquier 
				mondial, un sentiment de crise nationale entraînant l’urgente 
				nécessité de réformes.  
				  
				Dans ce climat 
				est publié le Gongche Shangshu (公车上书) 
				ou « Pétition au trône des candidats aux examens impériaux », 
				document opposé au traité de Shimonoseki qui demandait 
				l’abrogation du traité, la modernisation de l’armée impériale et 
				la mise en œuvre de réformes. C’est à partir de là que se 
				constitue un mouvement réformateur auquel participent des 
				intellectuels en vue, dont le grand traducteur 
				
				Yan Fu (严复). 
				Les signataires de la Pétition se retrouvent peu de temps plus 
				tard dans les rangs des promoteurs de la Réforme des Cent Jours. 
				Le mouvement est considéré comme le premier mouvement politique 
				en Chine.  
				  
				Il n’eut aucun 
				effet direct mais, entraînant une prise de conscience de 
				l’importance de réformes, suscita une floraison de journaux pour 
				les promouvoir, journaux souvent fondés avec des capitaux 
				étrangers où s’illustrent les intellectuels réformateurs. C’est 
				le cas, par exemple, du Zhibao (《直报》), 
				fondé en 1895 à Tianjin par un Allemand, Constantin von 
				Hannecken, qui avait été conseiller de
				Li Hongzhang (李鴻章) 
				– le nom du journal est une référence à la province du Zhili (直隶) 
				dont Li Hongzhang était le vice-roi. C’est dans ce journal que 
				Yan Fu, qui en était rédacteur, publie plusieurs articles en 
				faveur de réformes.  
				  
				L’émergence du 
				roman dans ce contexte de crise est liée au sentiment de 
				l’urgente nécessité de réformes, et de la nécessité conjointe 
				d’en faire prendre conscience à la nation entière. C’est le 
				roman qui apparaît alors comme le candidat idéal pour remplir 
				cet objectif. Genre méprisé des lettrés, mais populaire auprès 
				du grand public, le roman offrait justement, par les défauts 
				mêmes qui lui était habituellement reprochés, le véhicule idéal 
				pour diffuser des idées dans une langue adaptée à son public, 
				sous couvert de narration de fiction. Le xiaoshuo 
				trouvait là de nouvelles lettres de noblesse ; encore fallait-il 
				inventer un nouveau mode narratif et peaufiner un baihua 
				encore hésitant. 
				  
				Le 10 novembre 
				1897, un éditorial cosigné 
				
				Yan Fu 
				et Xia Zengyou (夏曾佑) 
				annonce un supplément littéraire au journal Guowen Bao (《国闻报》) 
				dont ils sont rédacteurs. Ce journal basé à Tianjin est édité 
				avec des fonds du gouvernement japonais pour promouvoir une 
				action conjointe de la Chine et du Japon en opposition aux 
				puissances occidentales, mais c’est dans ce supplément 
				littéraire que Yan Fu va publier en feuilleton sa première 
				grande traduction, celle de l’ouvrage de Huxley « Evolution and 
				Ethics ». L’éditorial annonçant le supplément est l’un des 
				premiers à promouvoir l’idée d’une réforme nécessaire de la 
				littérature de fiction.  
				  
				La répression 
				brutale des réformateurs après le coup d’Etat perpétré le 21 
				septembre 1898 par l’impératrice et le clan des 
				ultra-conservateurs de la cour, mettant fin à la Réforme dite 
				des Cent jours, ne fait qu’accentuer le sentiment de crise et 
				l’importance du roman, entraînant la naissance d’un genre 
				nouveau de fiction sous les auspices de 
				
				Liang Qichao (梁啟超). 
				  
						
							|  | 
							 
							Liang Qichao |  |    
				II/ La 
				révolution du roman 
				  
				o   
				
				Révolution dans le monde du roman 
				  
				C’est en effet 
				un article de Liang Qichao qui lance ce renouveau littéraire, en 
				appelant à une  « révolution dans le monde du roman » (小说界革命), 
				après celle du monde de la poésie, dans un article publié en 
				1902 au Japon… 
				  
				Cet article 
				historique intitulé « Des 
				relations entre la fiction et le gouvernement du peuple » (《论小说与群治之关係》) 
				est publié fin 1902 dans le premier numéro de la revue 
				littéraire Xin xiaoshuo (《新小说》) 
				lancée à Yokohama en novembre par Liang Qichao. Il appelle dans 
				cet article à moderniser le xiaoshuo (au sens général de 
				fiction), et ce dans le but de rénover à la fois
				
				la morale, la religion, les mœurs et les arts, et de remodeler 
				par là-même les cœurs et les esprits du peuple, car, dit-il, la 
				fiction exerce un pouvoir inestimable sur l'humanité. 
				 
				
				  
						
							|  | 
							 
							La revue Xin xiaoshuo |  |    
				
				Mais c’était après une série d’articles qui lui avait pavé la 
				voie, et sous l’influence de personnalités du monde anglo-saxon. 
				  
				o   
				
				Influences étrangères 
				  
				Cette 
				« révolution du roman » se fait sous l’influence de l’étranger, 
				du Japon bien sûr, mais aussi d’idées empruntées au monde 
				anglo-saxon qui circulaient en particulier à Shanghai, par le 
				biais de nombreuses traductions.
				 
				  
				
				1/ Une influence déterminante a été celle d’un missionnaire 
				anglican arrivé à Hong Kong en 1861 : John Fryer (Fu 
				Lanya 
				
				傅蘭雅/
				傅兰雅1839-1928). 
				Professeur d’anglais à l’école de langues Tongwenguan (同文馆) 
				de Pékin en 1863, puis en 1865 directeur de l’école 
				franco-chinoise de Shanghai (Yinghua shuguan上海英华书馆), 
				il a été de fin 1866 à 1868 rédacteur du Shanghai Xinbao 
				(新报), 
				journal chinois fondé par l’éditeur anglais de l’hebdomadaire 
				North China Herald. Puis, à partir de 1868, il a enseigné à 
				l’Arsenal de Jiangnan (Jiangnan zhizaoju 
				
				江南制造局) 
				qui a joué un rôle important à l’époque dans le domaine de 
				l’enseignement des langues, et de la littérature plus 
				généralement par le biais de traductions. En 1876, Fryer fonde 
				l’Institut polytechnique de Shanghai (Gezhi xueyuan
				
				
				格致学院) 
				et, en 1884, une bibliothèque de livres scientifiques, le 
				Gezhi Shushi (格致书室).    
				 
				  
						
							|  | 
							 
							John Fryer |  |    
				C’est ce Fryer 
				qui, en mai 1895, publie un long article exprimant l’intérêt du 
				roman pour lutter contre les « mauvaises habitudes du peuple » 
				et faire évoluer la société : « A la recherche du roman des 
				temps modernes » (Qiuzhe shixin xiaoshuo qi 
				
				《求著时新小说启》). 
				Et cet article, il le publie dans le Shenbao (《申報》), 
				journal fondé par un homme d’affaires britannique à Shanghai en 
				1872 et devenu l’un des premiers journaux modernes chinois. 
				C’est le journal dont Liang Qichao recommandait la lecture pour 
				se maintenir au courant de la politique étrangère ; l’article a 
				donc eu d’autant plus d’impact sur l’évolution du roman.
				 
				  
				Dans un esprit 
				pratique, Fryer a lancé un appel à des textes, mais s’est 
				ensuite dit très déçu par les récits reçus, faisant écho aux 
				commentaires tout aussi négatifs de Liang Qichao. L’anthologie 
				modèle qu’il avait projetée est tombée à l’eau. La révolution du 
				roman est restée un temps dans les têtes. 
				  
				2/ L’idée a 
				pourtant été encouragée à la même époque par un autre 
				missionnaire britannique, Timothy Richard (dit ‘‘Li 
				Timotai’’ 
				
				李提摩太 ), 
				venu en Chine en 1869 pour le compte de la société missionnaire 
				baptiste, puis actif auprès du gouvernement des Qing pour 
				promouvoir l’enseignement et participant à ce titre à la 
				fondation de l’université du Shanxi. Il écrivait pour le 
				Wanguo gongbao (《萬國公報》/《万国公报》), 
				mensuel fondé en 1868 par le missionnaire méthodiste Young John 
				Allen qu’affectionnait en particulier Kang Youwei.
				 
				  
				C’est dans ce 
				journal que Timothy Richard a sérialisé entre la fin de 1891 et 
				avril 1892 une traduction (abrégée) en chinois classique d’un 
				roman américain d’Edward Bellamy publié en 1888 : 
				« Looking Backward » (Huitou kan jilue 
				
				《回頭看記略》). 
				Traduit en français (par Paul Rey) en 1891 sous le titre « Cent 
				ans après ou l’An 2000 », il s’agit d’un roman futuriste 
				utopique
				
				qui est aussi un roman de vulgarisation : l’auteur 
				imagine une société idéale dans les années 2000 dans laquelle un 
				jeune Bostonien contemporain de l’auteur se trouve projeté,
				
				passant d'un monde d'injustices et de pauvreté à une société où 
				règnent harmonie, justice et prospérité, en rupture avec le 
				capitalisme, mais aussi l’individualisme. Le problème ouvrier a 
				disparu car chacun a pour seul employeur l’Etat, les écarts de 
				richesse ont été quasiment éliminés et le temps de travail est 
				aménagé en fonction de la pénibilité des tâches ; la production 
				est régulée en fonction de la demande. C’est le pendant utopique 
				de la vision dystopique de Jack London.  
				
				  
				
				Le roman connaît un grand succès. Il est publié en Chine en un 
				seul volume et en langue classique en 1894, par les éditions 
				missionnaires 
				Guangxue hui
				(广学会), 
				sous le titre « Un sommeil de cent ans » (Bainian yijiao
				
				
				《百年一覺》) ; 
				puis, traduit en langue vernaculaire, il est publié en 1898 aux 
				éditions 
				
				Zhongguo guanyin baihua bao (中國官音白話報) 
				sous le titre « Regard rétrospectif » (Huitou kan《回頭看》), 
				version en baihua rééditée en 1904 dans la revue 
				Xiuxiang xiaoshuo (《绣像小说》) 
				dont le romancier 
				
				
				Li Boyuan (李伯元) 
				est alors rédacteur en chef. On ne compte pas ensuite les 
				séquelles.  
				
				  
				
				L’œuvre a exercé une grande influence en Chine. Elle a nettement 
				inspiré la première – et unique – intrusion de Liang Qichao dans 
				le domaine de la fiction : le roman « L’avenir de la Chine 
				nouvelle » ( 
				Xin Zhongguo 
				weilai ji 
				(新中國未來記), 
				commencé en 1902 et laissé inachevé, essentiellement faute de 
				réussir à imaginer cet avenir. Mais le roman de Bellamy a 
				également été l’une des sources d’inspiration d’un roman bien 
				plus important pour l’histoire de la littérature : « La nouvelle 
				Histoire de la Pierre » (《新石头记》) 
				de 
				
				Wu Jianren (吴趼人), 
				également conçu comme un roman d’anticipation, une séquelle 
				imaginant une suite à l’histoire du personnage de Jia Baoyu (贾宝玉) 
				dans le Hongloumeng (《红楼梦》).
				 
				  
				
				o   
				
				
				Le renouveau du roman, pas à pas 
				
				  
				
				Dans ce contexte, le débat sur le nouveau roman agite le 
				microcosme intellectuel et littéraire, et se développe autour 
				d’arguments exposés dans plusieurs articles de fond. 
				
				  
				
				1/ Le nouveau roman fait l’objet d’un premier article de Liang 
				Qichao au début de 1897, en complément d’une réflexion sur une 
				réforme du système éducatif : il s’agissait de proposer des 
				types de textes qui puissent être utilisés dans le cadre d’un 
				enseignement moderne. Liang Qichao partait de la constatation 
				que les lecteurs de fiction sont bien plus nombreux que ceux des 
				classiques et que le roman était un outil éducatif 
				potentiellement bien plus intéressant pour diffuser des idées 
				modernes. C’est en raison même du mépris traditionnel envers 
				cette forme littéraire, poursuivait Liang Qichao, qu’elle 
				n’avait attiré jusque-là que des gens de peu de talent (xiao 
				you cai zhi ren
				
				
				小有才之人), 
				des écrivains qui se plaisaient à écrire des histoires d’amour 
				et de brigands qui n’incitaient qu’à la luxure et au banditisme 
				(huì 
				yín huì 
				dào诲淫诲盗). 
				  
				2/ Le 10 
				novembre de cette même année 1897, le journal de Tianjin 
				Guowen bao (《国闻报》) 
				– fondé le 26 octobre précédent par des intellectuels 
				réformistes dont le traducteur 
				
				Yan Fu (严复) 
				et son ami Xia Zengyou (夏曾佑) 
				– annonce le lancement d’un supplément littéraire dans lequel 
				est publié, trois jours durant, un long article intitulé « Les 
				raisons de la création d’un supplément littéraire » (Benguan 
				fuyin shuobu yuanqi 
				
				《本館附印說部緣起》). 
				L’article est une apologie extrêmement complexe et tortueuse du 
				roman. N’étant pas signé, on en a déduit qu’il était écrit par 
				la rédaction, et même, comme il était truffé de références à 
				l’histoire et à la littérature occidentales, de la main de Yan 
				Fu lui-même assisté de Xia Zengyou.  
				  
				Leur argument 
				reprend le point souligné par Liang Qichao dans son article : la 
				popularité du roman (au sens de fiction au sens large) 
				s’explique par ses atouts auprès du grand public, en termes 
				d’intérêt narratif. Mais c’est un argument à double tranchant. 
				Dans la dernière partie, ils retiennent en effet contre le roman 
				le reproche usuel de morale douteuse et propension aux dérives 
				mensongères, toujours fondé sur l’exemple des mêmes classiques 
				que ceux cités par les détracteurs du genre, « Le roman des 
				trois royaumes », « Au bord de l’eau », « Le rêve dans le 
				pavillon rouge » et autres. Mais ils tentent de défendre le 
				genre en arguant qu’il y avait dans ces récits des subtilités 
				cachées entre les lignes, que le lecteur moyen, réduit à une 
				lecture superficielle, était incapable de déceler. Mais, 
				soulignent les auteurs, le roman a été au centre des périodes de 
				renouveau intellectuel et d’ouverture (开化) 
				en Europe, aux États-Unis et au Japon. Le roman est donc un 
				outil civilisateur d’un grand intérêt potentiel car il s’adresse 
				au cœur des lecteurs. Il suffit de lui redonner force et éclat.
				 
				  
				En ces 
				dernières années du 19e siècle, la popularité du 
				roman, en tant que fiction, est donc l’argument central de la 
				discussion, et c’est un argument utilitaire. Un réformateur 
				comme Kang Youwei y voit un outil pédagogique adapté à 
				l’enseignement des enfants et des gens sans éducation. 
				 
				  
				3/ Dans ce 
				contexte, Liang Qichao reprend le 
				débat dans un nouvel article publié au Japon où il s’est 
				réfugié en septembre 1898 après le fiasco de la Réforme des Cent 
				Jours : « Préface à la publication de traductions de romans 
				politiques » (Yi yin zhengzhi xiaoshuo xu《译印政治小说序》). 
				L’article paraît en décembre 1898 dans le premier numéro du 
				journal alors fondé à Yokohama par Liang Qichao, le Qingyi 
				bao (《清議報》/《清议报》). 
				Le journal était créé dans le but de « montrer la voie du 
				progrès à la population chinoise », l’article sur les 
				traductions se situant dans la même perspective. 
				  
						
							|  | 
							 
							Le premier numéro du 
							Qingyi bao |  |    
				Liang Qichao 
				se fait l’avocat d’une nouvelle catégorie de fiction, importée 
				d’Occident : le roman politique (zhengzhi xiaoshuo  
				
				
				政治小说), 
				investi d’une mission d’éveil de la conscience nationale. Le 
				terme comme le concept est inspiré de la littérature japonaise 
				où la notion de roman politique s’est développée sous 
				l’influence de deux écrivains britanniques du 19e 
				siècle, Benjamin Disraeli et George Bulwer-Lytton.    
				 
				  
				Dans son 
				article, Liang Qichao oppose le rôle social du nouveau roman à 
				la fonction de divertissement du roman chinois traditionnel. 
				Reprenant l’argument de Yan Fu, Liang Qichao reconnaît que le 
				roman traditionnel est le genre qui touche le plus vaste public, 
				mais parce qu’il est facile et distrayant. Ce sont les mêmes 
				arguments contre le roman classique qui sont repris en boucle, 
				et dans une langue qui est encore loin d’être du baihua : 
				  
				
				中土小说,虽列之于九流,然自虞初以来,佳制盖鲜。述英雄则规画《水浒》,道男女则步武《红楼》,综其大较,不出诲盗诲淫两端,陈陈相因,涂涂递附,故大方之家,每不屑道焉。虽然,人情厌庄喜谐之大例,既已如彼矣,彼夫缀学之子,黉塾之暇,其手《红楼》而口《水浒》,终不可禁,且从而禁之,孰若从而导之?善夫南海先生之言也! 
				« Le 
				xiaoshuo en terre chinoise, bien que classé dans les 
				bibliographies des histoires officielles parmi les « neuf 
				courants de pensée » [de la période des Printemps et Automnes et 
				Royaumes combattants], 
				à partir de Yu Chu [figure représentative du xiaoshuo 
				sous les Han de l’Ouest], 
				le genre a connu de brillants développements. Si un auteur 
				désirait écrire une histoire d’héroïsme, il prenait pour modèle 
				« Au bord de l’eau » (Shuihu [zhuan]《水浒》) 
				et si, en revanche, un autre voulait décrire les relations entre 
				hommes et femmes, il s’inspirait du « Rêve dans le pavillon 
				rouge » (Honglou[meng]《红楼》). 
				De manière générale, tout entrait dans ces deux catégories, 
				l’une incitant au banditisme l’autre à la luxure (huì 
				yín huì 
				dào诲盗诲淫). 
				Les œuvres se succédaient en chaîne, selon les mêmes principes. 
				C’est pourquoi les écrivains de valeur dédaignaient le genre. 
				Mais il faut bien reconnaître que les gens par goût détestent le 
				sérieux et aiment la frivolité, alors quoi de plus naturel 
				qu’ils s’arrêtent dans leurs études et prennent un peu de 
				loisirs, en lisant qui le « Rêve », qui « Au bord de l’eau » ; 
				il est impossible de l’empêcher, ne vaut-il donc pas mieux de 
				tenter de diriger le mouvement, comme l’a dit le sieur Nanhai ? » 
				  
				Ce qui ressort 
				de l’article, c’est une profonde dévalorisation du roman 
				traditionnel chinois, et ce en prenant pour exemples deux des 
				plus célèbres, qui n’ont même pas besoin d’être cités en entier, 
				deux caractère suffisent ; ils prennent ainsi valeur symbolique. 
				Le problème est que, de la sorte, Liang Qichao se ferme la porte 
				à leur utilisation dans le cadre de son projet de renouveau du 
				genre romanesque à des fins pratiques. Ce qu’il invoque, pour 
				sortir de l’impasse, c’est l’exemple du roman politique 
				étranger, et japonais en première ligne, et la nécessité d’une 
				refondation du genre en effaçant le précédent déplorable du 
				roman chinois et en s’aidant de traductions.  
				  
				4/ En 1902, le 
				nouveau journal, « Fiction nouvelle » (Xin xiaoshuo
				
				
				《新小说》), 
				fondé en novembre par Liang Qichao à Yokohama devient tout de 
				suite la plus importante revue littéraire du moment et inspire 
				une série de créations semblables, aussi bien au Japon qu’en 
				Chine. L’article qu’il y publie dans le premier numéro de 
				novembre, « Des relations entre la fiction et le gouvernement du 
				peuple » (Lun xiaoshuo yu qunzhi zhi guanxi《论小说与群治之关係》), 
				confirme l’importance primordiale qu’il accorde au nouveau 
				roman.  
				  
				C’est le 
				pouvoir émotionnel de la fiction qu’il met au centre de son 
				argumentation (感人之深,莫此为甚), 
				en élaborant et illustrant son propos par le biais de notions du 
				bouddhisme chan, mais aussi de néoconfucianisme. En 
				raison même de cet impact émotionnel considéré comme 
				fondamental, il désigne le roman (ou plus généralement la 
				fiction) comme « le meilleur "véhicule" littéraire » (小说为文学之最上乘也!), 
				possédant le pouvoir ultime d’élever les esprits (au sens de 
				tí 
				提) 
				pour les transformer ; et ce pouvoir est le plus fort car il 
				vient de l’intérieur. 
				  
				Cependant, 
				Liang Qichao en revient à la nécessité de redonner une nouvelle 
				vie au genre du xiaoshuo, les romans du passé (toujours 
				les mêmes) ayant agi comme un poison pour les esprits : si s’est 
				produite la Révolte des Boxers, c’est parce qu’ils se prenaient 
				pour les héros du Liangshan, 
				et si les Chinois sont devenus frivoles et sentimentaux, c’est 
				pour avoir lu le Pavillon rouge, etc… Le programme, cependant, 
				est annoncé dès l’introduction, l’argumentation étant développée 
				ensuite. Ces deux lignes sont restées comme un véritable 
				manifeste du nouveau roman : 
				  
				
				欲新一国之民,不可不先新一国之小说。故欲新道德,必新小说;欲新宗教,必新小说;欲新政治,必新小说;欲新风俗,必新小说;欲新学艺,必新小说;乃至欲新人心,欲新人格,必新小说。何以故?小说有不可思议之力支配人道故。 
				« Si l’on 
				désire redonner vie à un peuple, il faut d’abord redonner vie à 
				la littérature de fiction du pays. Ainsi, si l’on veut une 
				nouvelle moralité, il faut de nouveaux romans ; si l’on veut une 
				nouvelle religion, il faut de nouveaux romans ; si l’on veut une 
				politique nouvelle, il faut des romans nouveaux ; si l’on veut 
				des coutumes nouvelles, il faut des romans nouveaux et si l’on 
				veut des talents académiques nouveaux, il faut des romans 
				nouveaux. Cela va jusqu’au cœur des hommes, à leur caractère, si 
				l’on veut les rénover, il faut un roman nouveau. Et pourquoi 
				donc ? Parce que le roman a un pouvoir inimaginable pour 
				gouverner (zhīpèi
				
				
				支配) 
				l’humanité (réndào 
				
				人道). »
				 
				
				   
				C’est en même 
				temps un texte révélateur des recherches de Liang Qichao sur la 
				langue : outre les emprunts au vocabulaire bouddhique, il a un 
				aspect incantatoire qui tient beaucoup à l’utilisation de 
				parallélismes et de formules répétitives soulignant la 
				progression de l’argumentation (小说也).
				 
				  
				5/ C’est
				
				la même année que Liang Qichao publie le début de son récit de 
				fiction intitulé « L’avenir de la Chine nouvelle » (《新中国未来记》), 
				en application directe de cet appel visant à rénover la fiction. 
				C’est un récit d’anticipation politique où l’auteur imagine une 
				Chine prospère en 1962. L’histoire est contée en flashback, à 
				partir d'un discours célébrant le 50ème anniversaire de la 
				République de la Grande Chine prononcé par un énième descendant 
				de Confucius. Le récit relate les efforts de ce lettré et de son 
				meilleur ami pour trouver le meilleur mode de gouvernement pour 
				la Chine, mais sans qu’ils parviennent à concilier leurs 
				désaccords.  
				
				Le roman est resté inachevé, faute de revue pour publier la 
				suite, mais surtout parce que Liang Qichao s’est retrouvé en 
				panne d’inspiration : l’inachèvement traduit ses doutes sur la 
				suite à donner à son récit, et ses incertitudes sur le meilleur 
				gouvernement à donner à la Chine, incertitudes partagées par 
				nombre des anciens réformateurs. 
				
				  
				
				Quoi qu’il en soit, ce nouveau mode narratif est représentatif 
				d’une manière nouvelle d’écrire l’histoire, dans laquelle 
				s’inscrit la vogue des romans politiques des premières années du 
				20e siècle, à commencer par ceux publiés par Xin 
				xiaoshuo même avant de disparaître en janvier 1906. Sont en 
				particulier sérialisés dans ses pages trois des romans écrits en 
				parallèle par l’un des principaux représentants de ce nouveau 
				roman politique, 
				
				
				Wu Jianren (吴趼人). 
				
				  
				
				Mais, entretemps, l’article de Liang Qichao a provoqué, sur fond 
				de crise politique, une vive controverse littéraire qui 
				s’exprime à partir de 1903 et dans les années suivantes dans les 
				colonnes des différentes revues dirigées et animées par les 
				principaux promoteurs et auteurs du roman politique. 
				
				  
				
				o   
				
				
				Le roman entre révolution littéraire et réforme politique 
				
				  
				
				1. Le débat passe d’abord par une défense de la langue 
				vernaculaire. En 1903, 
				Xia Zengyou (夏曾佑) 
				publie sous un pseudonyme un long article intitulé « Principes 
				théoriques de la fiction » (《小说原理》) 
				dans le troisième numéro de la revue « Fiction brodée » (Xiuxiang 
				xiaoshuo《绣像小说》) dont
				
				
				Li Boyuan (李伯元) 
				est rédacteur en chef.  
				  
				Dans cet 
				article original qui n’a rien perdu de son intérêt, Xia Zengyou 
				étudie les différences de réaction des lecteurs aux textes 
				illustrés qui leur sont proposés dans le journal ; il en conclut 
				que tous les lecteurs, quels que soient leur statut social et 
				leur niveau d’éducation, préfèrent les images au texte, et, 
				parmi les textes, ceux de fiction plutôt que les narrations 
				historiques ou les ouvrages scientifiques. La préférence pour le 
				texte s’entend en termes de récits en baihua, préférence 
				que l’auteur explique dans un autre article par les 
				caractéristiques visuelles de la langue vernaculaire ainsi que 
				par son aptitude à rendre la vie quotidienne en profondeur. 
				  
				
				2. L’article de Liang Qichao a cependant déchaîné les critiques, 
				à l’encontre d’une part de sa vision de la fiction 
				essentiellement comme outil de réforme politique, mais aussi de 
				sa condamnation sans rémission des grands romans de la 
				littérature vernaculaire chinoise qui ne faisait que reprendre 
				le mépris teinté de méfiance des lettrés à l’égard du 
				xiaoshuo. Un espace de libre discussion est alors créé dans 
				les pages mêmes de la revue Xin xiaoshuo de Liang Qichao, 
				où s’expriment une dizaine d’intellectuels en défense du roman 
				classique.  
				
				  
				
				La critique reste cependant mesurée. 
				
				
				Wu Jianren, 
				qui était en charge du forum de discussion de Xin xiaoshuo,
				quitte la revue en 1904 pour tenter de créer sa propre 
				revue. Après plusieurs tentatives, il lance en novembre 1906, le 
				« Mensuel de la fiction » (Yueyue xiaoshuo《月月小说》). 
				Comme d’usage, le premier numéro comporte une introduction (《序》) 
				signée de sa main dans laquelle il définit ses objectifs ; il se 
				démarque de Liang Qichao en donnant toute leur importance aux 
				sentiments, mais en les liant à une exigence morale, donnant 
				pour but à la fiction 
				« par le biais 
				du plaisir de lecture et des émotions, de contribuer à 
				l’éducation morale [des lecteurs] » (“借小说之趣味之感情,为德育之一助”).
				 
				
				  
				Wu Jianren 
				reste ainsi dans l’orbite de Liang Qichao appelant à un 
				renouveau de l’écriture de fiction dans un but politique et 
				éducatif, afin d’exposer les maux de la société pour inciter à 
				les corriger par des réformes.  
				   
				3. La rupture 
				avec cette conception utilitariste de la littérature de fiction 
				intervient l’année suivante avec la création par 
				
				Zeng Pu (曾朴) 
				d’une nouvelle revue mensuelle, « La forêt de la fiction » (Xiaoshuo 
				lin yue kan《小说林月刊》 
				) où s’affirme un intérêt prononcé pour la valeur proprement 
				artistique de la fiction.  
				  
				- Ce débat 
				vient relayer une discussion poursuivie, mais de manière 
				feutrée, depuis les théorie et jugements énoncés par le 
				 critique et historien de la littérature Jin Shengtan (金圣叹) 
				au 17e siècle – Jin Shengtan qui a placé au pinacle 
				des grands chefs d’œuvre de la littérature chinoise des œuvres 
				en vernaculaire aussi bien qu’en langue classique : parmi ses 
				« six œuvres de génie » (六才子书) 
				figurent aussi bien « La chambre de l’ouest » (Xixiang ji《西厢记》) 
				et « Au bord de l’eau » que le Zhuangzi, les « Mémoires 
				historiques » de Sima Qian et les poèmes de Du Fu… Dans la 
				grande tradition classique, il a d’ailleurs laissé des 
				commentaires sur le Xixiang ji et le Shuihu zhuan 
				qui sont de purs éloges de la qualité d’écriture de ces auteurs. 
				  
				Jin Shengtan 
				trouvera des échos à la fin des Ming, chez l’historien et poète 
				Qian Qianyi (钱谦益) 
				par exemple. Mais ces idées sont, dans l’ensemble, longtemps 
				jugées iconoclastes, venant de personnages jugés excentriques. 
				Il faudra attendre Hu Shi (胡适), 
				à la suite du mouvement du 4 mai, pour que Jin Shengtan et ses 
				idées soient réévaluées, mais pour être à nouveau critiquées 
				après 1949… 
				  
				  
				- Des voix se 
				sont cependant élevées à la suite de l’article de Liang Qichao, 
				parmi lesquelles l’une des plus influentes a été celle de 
				Wang Guowei (王国维), 
				autre natif du Jiangnan qui, pour avoir raté les examens 
				impériaux, est entré dans une école de langue japonaise avant de 
				partir au Japon en 1901 pour y étudier la philosophie allemande. 
				Il publie en 1904 une réévaluation critique du « Rêve dans le 
				pavillon rouge » inspirée par l’esthétique de Schopenhauer et 
				ses concepts d’œuvre d’art et de tragédie. 
				Le dénouement tragique du Hongloumeng tel qu’il a été 
				laissé à la mort de l’auteur est la marque même, pour Wang 
				Guowei, du caractère exceptionnel de l’œuvre, dans un contexte 
				littéraire chinois où un récit se conclut généralement de 
				manière positive, par une réconciliation. Or, selon Wang Guowei, 
				l’art doit refléter l’amère nature de la vie humaine, et agir 
				comme catharsis.  
				  
				Il montrait 
				ainsi que l’on pouvait s’émanciper des confins étroits de la 
				tradition chinoise pour réévaluer la littérature, en s’aidant de 
				la pensée occidentale et en plaçant l’art au centre de ses 
				préoccupations et de son analyse.  
				  
				- Wang Guowei 
				a fait nombre d’émules, dont 
				
				Xu Nianci (徐念慈) 
				qui a participé à un programme éducatif révolutionnaire dans son 
				Jiangsu natal, puis à la fondation en 1905 de la maison 
				d’édition « La forêt de la fiction » de Zeng Pu, et deux ans 
				plus tard à la revue éponyme éditée par la maison d’édition. Il 
				est l’un de ceux qui contribuent alors à une réflexion 
				esthétique sur le roman. Dans son article en forme de manifesto 
				publié dans le premier numéro de la revue en février 1907, il 
				reprend l’idée de force émotionnelle du roman en en cherchant la 
				source : en se référant à l’esthétique de Kant et de Hegel, il 
				la trouve dans la « beauté » (mei 
				
				美) 
				transcendant la réalité.  
				  
				Poursuivant sa 
				réflexion, il publie en 1908, dans deux numéros successifs de la 
				même revue, un long article sur sa conception de la fiction (yu 
				zhi xiaoshuo guan《余之小说观》) 
				qui propose une vision différente de celle de Liang Qichao sur 
				les relations entre fiction et société : pour lui, la relation 
				est réciproque car, si la fiction a une influence sur la 
				société, la société se reflète en elle.  
				  
				- Xu Nianci 
				meurt de surmenage en 1908 à l’âge de 34 ans. Mais sa réflexion 
				est poursuivie par son ami Huang Ren qui lui succède à la 
				rédaction de la revue. Lettré d’une grande culture, Huang Ren 
				(黄人 
				ou
				Huang 
				Moxi
				
				
				黄摩西 
				
				1866–1913), est l’auteur de ce qui est considéré comme la 
				première histoire de la littérature chinoise (Zhongguo wenxue 
				shi《中国文学史》), 
				compilée à partir des notes des cours donnés à l’université de 
				Suzhou dans les années suivant sa fondation en 1900. Il y 
				défendait le statut de la littérature, idée qu’il développe par 
				ailleurs dans une série d’articles publiés dans la revue 
				Xiaoshuo lin en 1907 et 1908. Modestement intitulés « Menus 
				propos sur le xiaoshuo » (xiaoshuo xiaohua《小说小话》), 
				ce sont pourtant des articles de fond où Huang Ren pose la 
				tradition narrative chinoise comme éminemment sérieuse, en se 
				fondant sur des exemples tirés des grands romans classiques et 
				en opposant l’ouverture d’esprit nécessaire pour écrire un roman 
				à la stérilité de la prose étudiée pour les examens mandarinaux. 
				Il va même jusqu’à voir dans le roman une forme permettant une 
				approche nouvelle, plus scientifique, de la réalité du monde 
				ambiant, mieux que toute autre forme littéraire existant en 
				Chine. Son Histoire de la littérature comporte en particulier un 
				chapitre sur « Les romans à chapitres 
				des auteurs Ming » (明人章回小说) 
				qui redore le blason du genre.  
				  
						
							|  | 
							 
							Huang Ren (Huang Moxi) |  |    
				Huang Ren a 
				pris en 1907 la direction de l’une des nombreuses sociétés 
				littéraires qui ont fleuri à la fin de cette première décennie 
				du siècle : la Société de soutien à l’étude de la culture 
				nationale (Guoxue fulun she 
				
				国学扶轮社), 
				fondée à Shanghai. Deux ans plus tard, il devient membre de la 
				Société littéraire du Sud (Nanshe 
				
				南社) 
				fondée le 13 novembre 1909 à Suzhou, engagée à la fois dans le 
				renouveau de la poésie et dans l’opposition à Yuan Shikai, ce 
				qui montre bien le caractère indissociable de la littérature et 
				de la politique à cette époque. 
				  
				C’est grâce à 
				la Guoxue fulun she qu’il publie en 1911 son autre œuvre 
				monumentale : son « Nouveau grand dictionnaire encyclopédique 
				général » (Putong baike xin da cidian《普通百科新大辞典》). 
				  
				Il meurt lui 
				aussi prématurément, atteint par des troubles mentaux, en mai 
				1913. 
				_____ 
				  
				Cet intense 
				bouillonnement créatif va être englouti dans l’effervescence du
				
				
				mouvement du 4 
				mai, 
				né dans des circonstances très semblables à celles du mouvement 
				réformateur de 1895, et la réforme du roman emportée par 
				l’émergence de la littérature en baihua, sous l’égide de 
				Lu Xun, essentiellement autour de la nouvelle.  
				  
				La naissance 
				du roman politique dans la période charnière de la fin des Qing, 
				sous l’influence de la littérature occidentale, aura cependant 
				laissé des précédents qui ne seront pas totalement perdus. On en 
				retiendra ce que Lu Xun a appelé les « romans de dénonciation » 
				(谴责小说) 
				qui annoncent la vogue des « romans 
				anti-corruption », 
				mais auxquels se rattachent aussi bien, de manière générale, les 
				romans dits réalistes à partir des années 1990. 
				  
 
				  
				
				
				Bibliographie 
				  
				-
				
				
				The 
				
				
				Chinese Novel at the Turn of the Century, Milena 
				Dolezelova-Velingerová (ed.), University of Toronto Press, 1980. 
				-
				
				
				
				Chinese Fiction of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries: 
				Essays by Patrick Hanan, Columbia University Press, 2004. 
				
				-
				
				
				Chinese Fiction of the Nineteenth and Early Twentieth Centuries,
				
				
				Patrick Hanan, Columbia University Press, 2013. 
				
				- 
				
				
				Bringing the World Home: 
				Appropriating the West in Late Qing and Early Republican China, 
				Theodore Huters, University of Hawai’i Press, 2005. 
				
				
				- Fiction From the End of the Empire to the Beginning of the 
				Republic (1897-1916) by 
				
				Milena Dolezelova-Velingerová, in :The 
				Columbia History of Chinese Literature, 
				Victor H. Mair ed., Columbia University Press, 2001 (ch. 38) 
				
				  
				  
					
 
						 
						 
						
						
						 
						 
						 
						 
						 
						
						
						
						Sur l’arsenal de Jiangnan, voir :  
						
						- 
						
						Hybrid Science versus Modernity: The Practice of the 
						Jiangnan Arsenal, 1864-1897,
						
						Meng Yue , 
						East 
						Asian Science, Technology, and Medicine n° 16, 1999 : 
						
						
						https://www.jstor.org/stable/43150555 
						
						- The Jiangnan Arsenal: A Microcosm of Translation and 
						Ideological Transformation in 19th-century China, Rachel 
						Lung, revue Meta, vol. 61, hors-série 2016, version 
						numérique en ligne :  
						
						
						https://www.erudit.org/fr/revues/meta/2016-v61-meta02902/1038684ar/resume/ 
						
						
						
						
						Pour 
						la petite histoire, Fryer donnait en exemple dans son 
						article l’influence exercée par « La Cabine de l’oncle 
						Tom » pour l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis : 
						le roman a été le premier roman américain traduit en 
						chinois, par 
						
						Lin 
						Shu (林紓) ; 
						Harriet Beecher Stowe va devenir – aux côtés de … madame 
						Roland –  un archétype de femme révolutionnaire donnée 
						en exemple aux femmes chinoises pour les inciter à 
						assumer un rôle dans la société. 
						
						
						 
						
						
						 
						
						
						 
						 
						 
						
						 
						 
						 
						 
						 
						 
						 
				  
				    
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