Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Brève histoire de la poésie chinoise

Les « poèmes en vers assemblés » ou Jijushi

par Brigitte Duzan, 18 décembre 2021, actualisé 24 janvier 2022

 

Dans le Mudanting (《牡丹亭》), chaque scène se termine par un quatrain récapitulatif composé de quatre vers de poèmes différents. C’est un genre appelé jíjùshī (集句诗), c’est-à-dire « poèmes constitués par assemblage de vers », qui s’est surtout développé à partir de la dynastie des Song du Nord. L’idée était de composer un poème à partir de vers de poèmes préexistants en choisissant un thème déterminé, et si le genre s’est développé sous les Song, c’est parce que les poètes disposaient d’un riche fond de poèmes d’où tirer leur matériau de base, les premières anthologies de poésie apparaissant au 6e siècle.

 

La paternité du genre est généralement attribuée à Wang Anshi (王安石 1021-1086), connu comme premier ministre réformateur de l’empereur Shenzong des Song (宋神宗), au 11e siècle [1], mais également brillant prosateur, poète, peintre et calligraphe. Il a écrit surtout des poèmes réguliers sur le modèle de ceux de Du Fu (杜甫), en soulignant la fonction sociale de la littérature [2]. Quant au

 

Un recueil de poèmes

choisis de Wang Anshi

terme lui-même de jíjù, il viendrait d’un poème de son contemporain Chen Shidao (陈师道).  

 

Wen Tianxiang emprisonné, le pinceau à la main,

jurant de ne jamais se rendre (文天祥被俘后誓死不降)

 

Un sous-genre particulier est constitué par les poèmes composés uniquement de vers de Du Fu (杜甫) : les jídùshī (). C’est le poète Wen Tianxiang (文天祥 1236-1283) qui en est le créateur, sous le règne de l’empereur Lizong (宋理宗) des Song du Sud. Il a composé quelque deux cents quatrains pentasyllabiques du genre jueju (绝句), avec des accents d’épopée ; il en aurait composé un volume en prison après avoir été capturé après la chute de la dynastie et il en a fait l’expression de sa détermination à ne jamais se rendre.

 

Le jíjùshī est ainsi considéré comme un summum de l’art poétique classique chinois ; c’est une véritable   recréation demandant à la fois une immense culture lettrée et un talent poétique particulier. Il s’est ensuite développé sous les Ming : on en trouve une forme sous la plume de Feng Menglong (冯夢龙), dans le premier de ses « Propos » (Yùshì míngyán 喻世明言》) [3], mais le genre a surtout investi le domaine théâtral, et en particulier les chuanqi du Sud, le Mudanting (《牡丹亭》) en étant le plus bel exemple.

 

Ce traitement de la poésie est d’ailleurs à rapprocher de la pratique des directeurs de troupes théâtrales à la fin des Ming : celle qui consistait à se constituer des répertoires de pièces courtes, à partir des scènes les plus réussies des livrets, donnant des sortes de pots-pourris qu’on appelait des zhézixì (折子戏).

 

Mais des dramaturges du 20e siècle aussi se sont illustrés dans le genre du jíjùshī : Cao Yu (曹禺), par exemple, pionnier du théâtre parlé huàjù (话剧), a composé des jídùshī et plus près de nous, le dramaturge et réalisateur Wu Zuguang (吴祖光) a montré ses talents de poète et de grand lettré en composant des jíjùshī à partir de poèmes des Tang.

 


 

Pour mémoire

 

Article très complet sur les jíjùshī avec beaucoup d’exemples, dont les « 18 airs pour flûte nomade » (《胡笳十八拍》) de Wang Anshi qui sont le modèle du genre :  https://blog.daum.net/k2gim/11403785

 

 

 

[1] Réforme initiée en 1069, qui provoque une forte opposition et une cabale menée par l’impératrice ;  suivie d’une famine dans le nord en 1074, elle entraîne la démission de Wang Anshi qui garde cependant la confiance de l’empereur jusqu’à sa mort, en 1086, un an après celle de l’empereur.

[3] Il s’agit de vers insérés dans le texte en phrases antithétiques, selon un procédé semblable au jijushi, mais sans former véritablement un nouveau poème.

Cependant, il y a un récit du Jingshi tongyan (《警世通言》) qui commence par un poème en vers assemblés et dont toute la première partie – introductive - est une explication des sources de chaque vers. Il s’agit du texte du juan 14 (第十四卷 一窟鬼癞道人除怪), littéralement « L’exorciste galeux de l’antre aux fantômes », traduit par André Lévy « L’antre aux fantômes des collines de l’ouest ».

Texte original : http://www.dushu369.com/gudianmingzhu/HTML/9924.html

Voir la traduction dans le recueil éponyme dont c’est le conte n° 3 : L’antre aux fantômes des collines de l’ouest, Gallimard/Unesco, coll. Connaissance de l’Orient, 1972, pp. 67-90.

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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