Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Petite histoire des revues littéraires chinoises
I. Avant 1949

par Brigitte Duzan, 18 décembre 2017

 

Les revues littéraires chinoises ont une histoire relativement courte puisqu’elle ne remonte qu’à la fin du 19e siècle. Elles ont eu des débuts difficiles et chaotiques, en raison de la politique et de la guerre, mais leur rôle a été déterminant pour la diffusion des textes courts, nouvelles, poésie et essais, aidant ainsi à la création littéraire dans ses aspects les plus innovants. Ce fut le cas en particulier au début du siècle, puis à partir du début des années 1980.

 

C’est encore le cas aujourd’hui, avec, comme toujours, une tension née des contraintes commerciales, voire politiques.

 

 

 

 

 

Sommaire

 

A/ Premières revues à la fin du 19e siècle

·         Les précurseurs

·         L’esprit de réforme

·         Liang Qichao et le Japon

B/ Essor dans la première moitié du 20e siècle

·         Années 1910

·         Le mouvement du 4 mai et les années 1920

·         Le boom des années 1930-1937

Croissance et diversité

A Shanghai surtout

Mais à Pékin aussi

·         Les années de guerre

L’importance particulière des suppléments littéraires

C/  Les revues féminines au début du 20e siècle

 

Référence

A lire en complément

 

Suite : II. Après 1949.

 

 

 

 

 

A/ Premières revues à la fin du 19e siècle

 

Ce sont les progrès de l’imprimerie à partir du milieu du 19e siècle qui génèrent ce qui n’est au début qu’un nouveau format d’édition d’œuvres littéraires, et ces progrès sont importés : ce sont les missionnaires qui se dotent alors de presses modernes, les nouvelles machines servant d’abord à imprimer des bibles ; mais ces missionnaires publient aussi des œuvres littéraires, y compris des traductions en chinois de romans modernes étrangers.

 

·         Les précurseurs

 

Dans les dernières décennies du siècle, de nouvelles technologies sont adoptées par les grandes imprimeries commerciales chinoises, basées à Shanghai. Ce sont les concessions étrangères de la ville qui deviennent les principaux centres d’édition. Une scène littéraire très riche se développe alors pour alimenter la demande dans une ville en plein essor, et un nouveau format se développe pour éditer les nouvelles œuvres: la revue littéraire.

 

Il est généralement admis que la première revue littéraire chinoisea été « Notes dispersées sur le vaste océan »  (Yinghuan suoji瀛寰瑣記》) [1], publiée de 1872 à 1875 par la maison d’édition de l’un des principaux journaux de Shanghai: le Shenbao (申報), fondé en 1872 par l’Anglais Ernest Major (nom chinois Meizha 美查) et son frère jumeau, avec une maison d’édition très active ou Shenbaoguan (申報館).

 

Le format n’a pourtant pas tout de suite du succès ; seulement cinq revues sont créées avant le tournant du siècle, dont quatre publiées par Ernest Major, et toutes ont des vies très courtes. L’édition est surtout tournée vers le livre, et la publication de romans populaires, favorisée par les nouvelles techniques d’imprimerie et la demande de classes

 

Les anciens locaux du Shenbao

(rue Wangping 望平街)

sociales émergentes, marché où le Shenbaoguan se taille d’ailleurs une bonne part.  

 

Les Fleurs de Shanghai, encart

publicitaire pour l’édition 1894

 

C’est en 1892 que la revue littéraire prend vraiment son essor, toujours à Shanghai, grâce à Han Banqing (韩邦庆), l’auteur du célèbre roman de la fin des Qing : « Les Fleurs de Shanghai » (《海上花列传) [2]. Il commence sa carrière en écrivant des articles sur les femmes des maisons closes, pour le Shenbao. justement. Puis, au début de 1892, il fonde la revue littéraire « Le Livre des curiosités de Shanghai » (Haishang qishu《海上奇书》), d’abord bihebdomadaire, puis mensuelle. Il y publie ses nouvelles « Esquisses de Taixian » (Taixian man gao《太仙漫稿》), dans un style fantastique de type zhiguai rappelant les Contes du Liaozhai (《聊斋志异》) de Pu Songling (蒲松龄), mais aussi ses « Fleurs de Shanghai » en feuilleton.

 

La revue ne dure que huit mois, car Han Banqing est mort en 1894, sans même avoir pu terminer son roman, mais elle

est considérée comme la première revue littéraire chinoise conçue dans une optique commerciale.

 

·         L’esprit de réforme

 

A la toute fin du 19e siècle souffle en Chine un vent de réforme visant à sauver la dynastie moribonde, qui aboutit en 1895-1898, après la défaite de la Chine dans la guerre sino-japonaise, à la réforme dite des Cent Jours. La plupart des intellectuels impliqués dans le mouvement fuient au Japon pour éviter d’être arrêtés et exécutés. Parmi eux l’un des principaux chefs de file des réformistes : Liang Qichao (梁启超).

 

Continuant ses activités politiques au Japon, où il jouit de la possibilité d’exprimer librement ses idées, il fait de la littérature un élément crucial de ses idées réformatrices, pour transformer les esprits, comme Lu Xun avant lui : il prône la révolution de et par la littérature, " révolution de la poésie" (shijie geming 诗界革命), "révolution de la prose littéraire" (wenjie geming 文界革命) et "révolution du roman" (xiaoshuojie geming 小说界革命), par quoi il entend roman vernaculaire – idée accueillie avec enthousiasme [3].

  

C’est une période de boom littéraire, répondant à une demande de littérature populaire, le roman devenant un outil d’éducation politique. D’où l’intérêt pour le format de la revue, qui assure à ces idées un maximum de diffusion auprès du lectorat ciblé, celui des couches populaires de la population urbaine.

 

La première initiative est venue d’un ami réformiste de Liang Qichao : Xia Zengyou (夏曾佑) et de son ami traducteur Yan Fu (严复). En octobre 1897, avec le soutien du gouvernement japonais et d’un investisseur japonais, ils fondent à Tianjin le journal Guowen Bao (国闻报) dont ils sont tous deux les rédacteurs. Le 10 novembre 1897, le journal sort avec une annonce des deux rédacteurs déclarant leur intention de publier prochainement un supplément littéraire (《本馆附印说

 

Le Guowen Bao (1897)

部缘起》). Mais il ne verra jamais le jour, le journal ayant cessé de paraître l’année suivante. 

 

·         Liang Qichao et le Japon

  

1er numéro de la revue de Liang Qichao Xinxiaoshuo (novembre 1902)

 

C’est à partir de 1900, au Japon, que - convaincu par l’exemple japonais de la force de la presse pour promouvoir les idées modernes - Liang Qichao fonde une série de journaux qu’il conçoit comme des armes au service de la révolution qu’il envisage, et d’abord la révolution des esprits.

 

A Yokohama, en novembre 1902, il lance la revue littéraire Xin xiaoshuo ou Nouveau roman (新小说), comme supplément de l’hebdomadaire Xinmin congbao ou Journal du nouveau citoyen (《新民丛报》) lancé en février, dont il est le rédacteur en chef et dans lequel il diffuse ses idées de démocratie. C’est dans le premier numéro de cette nouvelle revue qu’il publie le seul roman qu’il ait jamais écrit : « L’avenir de la Chine nouvelle » (《新中国未来记》).

 

La revue, comme l’hebdomadaire, a du succès et entraîne une vague de créations de revues littéraires similaires, qui permettent aussi de publierles nombreuses traductions

d’œuvres étrangères. La fiction est élevée de genre populaire méprisé à outil (politique) de progrès et de lumières.  

 

Xin xiaoshuo annonce ce qui va devenir le mode standard de l’édition initiale d’un texte en Chine, et entraîne en retour le développement de genres littéraires distincts.

 

 

B/ Essor dans la première moitié du 20e siècle

 

·         Années 1910

 

Dans les années 1910, les principales maisons d’édition commerciales de Shanghai - dont les trois plus importantes : la Commercial Press (Shangwu yinshuguan 商务印书馆) fondée en 1904 ; la Zhonghua Book Company (Zhonghua shuju 中华书局), fondée en 1912 ; et la World Book Company (Shijie shuju 世界书局), fondée en 1921 - étaient entre les mains d’hommes d’affaires chinois ; pour eux, publier des journaux littéraires était un complément de leurs activités, la majeure partie de leurs revenus provenant de la presse et de l’édition de manuels et de textes destinés au nouveau système d’enseignement remplaçant les examens mandarinaux.

 

C’est alors qu’émergent des écrivains que Leo Ou-fan Lee (李欧梵) a appelés "journalistes-littérateurs". Certains sont membres d’une organisation professionnelle appelée Société du Sud ou Nanshe (南社), fondée à Suzhou en novembre 1909 par trois membres de la Ligue du Tongmenghui (同盟会) de Sun Yat-sen. La Nanshe a été la plus importante société littéraire de la période républicaine, initialement calquée sur la Revival Society ou Fushe () de la fin des Ming, dont

 

La collection du Nanshe congke

elle se distinguait par l’accent mis, non tant sur la patronage politique et les "réunions élégantes" (ou yaji 牙集), mais sur la publication de journaux et revues littéraires. Sa principale publication est la revue des « Cahiers de la Société du Sud » (Nanshe congke 《南社丛刻》), divisée en sections de poésie, poésie lyrique et prose et publiée de janvier 1910 à décembre 1923. 

 

·         Le mouvement du 4 mai et les années 1920

 

La revue Renaissance

 

Shaonian Zhongguo

 

Dans les années 1920, dans le contexte du mouvement du 4 mai, les journaux, sociétés et revues littéraires prolifèrent dans toute la Chine, dans un contexte d’effervescence créatrice. Entre 1921 et 1923, le pays compte une quarantaine de sociétés et une cinquantaine de revues, chiffres qui doublent dans les années suivantes. Mais il y a segmentation du marché de la presse en fonction du public et du style, allant du populaire au plus "avant-gardiste".

 

 

La revue Meizhoupinglun

 

 

Dans les premières années de la décennie, la revue Nouvelle jeunesse (Xin qingbao 《新青报》) est la plus connue, mais il y a aussi le Meizhou pinglun ou Débat hebdomadaire (《每周评论》), animé par Chen Duxiu (陈独秀), la revue Renaissance (Xinchao 《新潮》) et le Journal de la Chine jeune (Shaonian Zhongguo 《少年中国》) qui forment un front uni pour promouvoir aussi bien la langue vernaculaire que de nouvelles formes littéraires.

 

Au début des années 1920, la Société d’études littéraires (Wenxue yanjiuhui 文学研究会) et la Société de création (Chuangzao she 创造) sont les deux sociétés littéraires les

plus importantes en Chine. Elles incarnent les deux orientations du mouvement du 4 mai : littérature prônant le réalisme, contre une littérature plus romantique, privilégiant l’expression du sentiment individuel. Au début, il ne s’agissait que de nuances, mais, à la fin des années 1920, la seconde était devenue un pilier de la révolution, se donnant pour but la promotion d’une réforme sociale radicale. 

 

En 1923 est créée la Société du Croissant de lune (新月派) par le poète Xu Zhimo (徐志摩) et son ami Wen Yiduo (闻一多), éduqués dans la tradition anglo-saxonne et célébrant la littérature comme une forme d’humanisme. En août 1928, la société lance la revue du même nom qui s’affirme en faveur d’une littérature saine, hors fanatisme et sentimentalisme (de gauche). Elle est dissoute à la mort du poète, en 1931.

 

A partir de 1923, cependant, les revues les plus diffusées sont celles de la Commercial Press, à Shanghai : la revue mensuelle Short Story Magazine (Xiaoshuo yuebao《小说月报》), publiée jusqu’en 1931, et le Monde de la fiction (Xiaoshuo shijie 《小说世界》), publié jusqu’en 1929.

 

Dans ce créneau populaire, la revue littéraire (de fiction) qui a connu le plus long succès de toute la période républicaine est la revue hebdomadaire Libailiu ou Samedi (礼拜六) qui est parue de 1914 à 1916, puis a été relancée en 1921 ; la parution s’est poursuivie, avec quelques interruptions, jusqu’en 1937, c’est-à-dire l’occupation de Shanghai par l’armée japonaise, mais elle a encore été relancée après la guerre, pour encore 135 numéros, de 1945 à 1948.

 

·         Le boom des années 1930-1937

 

Croissance et diversité

   

Short Story Magazine, août 1927

 

Samedi (années 1920)

  

C’est pendant les années 1930-1937 qu’a vu le jour et a été publiée la plus grande variété de revues littéraires, car c’est une période il est vrai troublée, mais pendant laquelle le régime nationaliste, relativement bien établi au moins dans les villes, assurait une certaine stabilité politique tandis que l’élévation du niveau général d’éducation alimentait la demande de textes et permettait aux maisons d’édition de prospérer.

 

Le milieu des années 1930, en particulier, est souvent considéré comme un âge d’or de l’édition en Chine, et en particulier de la presse, l’édition de journaux et de revues étant devenue rentable. Les années avant la guerre sont généralement présentées et commentées surtout du point de vue politique et idéologique, en mettant l’accent de manière excessive sur la censure nationaliste des écrits de gauche, sans parler de la richesse de la production littéraire de l’époque, en particulier grâce à la presse.

 

Dans ces années 1930, le nombre de revues publiées double par rapport à la décennie précédente, et la diversité des styles est devenue telle qu’il est difficile d’établir une distinction nette entre revues de littérature nouvelle, revues de fiction dans un style antérieur à 1920, et revues de littérature classique[4].

 

Le vent du cosmos, 1934

 

Par exemple, si l’on considère les revues de Lin Yutang (林语堂), et en particulier « Analectes » (《论语》), fondée en 1932, à son retour des Etats-Unis, on peut dire que,en termes de style et de présentation, elles ressemblent aux revues plus anciennes, leur genre privilégié, l’essai informel (xiaopin 小品), les rattachant plutôt à la littérature traditionnelle. Mais, en termes de langage et de pensée, elles relèvent de la Nouvelle Culture.

 

Dans les années 1930, Lin Yutang a créé trois revues littéraires, plus particulièrement dédiées à l’essai : « Analectes » (Lunyu 《论语》), publiée de 1932 à 1937, puis de 1946 à 1949, « Le monde des hommes » (Renjianshi 《人间世》), bihebdomadaire créé en avril 1934 et publié jusqu’à la fin de 1935, et « Le vent du cosmos » (Yuzhoufeng 《宇宙风》), bihebdomadaire d’essais sanwen (散文半月刊) lancé en septembre 1935 et publié

à Shanghai jusqu’en 1947. A un moment où les menaces de guerre créaient un climat de crise nationale, la popularité de ces magazines et de leur auteur a suscité un vif débat, sur la littérature et la politique. 

 

A Shanghai surtout

 

Cet essor de la presse littéraire était lié, ou parallèle, à la réémergence des réunions de peintres et de poètes « pour discuter autour d’un thé » (chahua 茶话). La plupart de ces réunions se passaient dans des salons de thé de Shanghai, et beaucoup, après son retour du Japon, sous la houlette du chef de la Société du Sud, Liu Yazi (柳亚子), personnage ambigu qui continuait à préférer les formes littéraires classiques bien que s’étant déclaré en faveur des idées de Hu Shi (胡适) et de la littérature vernaculaire. L’autre organisation très influente était la branche chinoise de Pen international (Guoji bihui Zhongguo fenhui 国际笔会中国分会), qui n’avait pas de publication, mais dont les réunions étaient médiatisées.

 

Et il y avait bien sûr aussi la Ligue des écrivains de gauche (中国左翼作家联盟). Mais, comme c’était une organisation clandestine, la plupart de ses publications ont été de courte durée, et mal éditées, avec une impression de mauvaise qualité et une faible diffusion. La revue la plus professionnelle, dans cette orbite, a été celle éditée par Ding Ling (丁玲) : « La Grande Ourse » ou Beidou (《北斗》), dont le premier numéro est sorti en septembre 1931. Ce fut la revue la plus littéraire de la Ligue, avec des textes d’auteurs non membres, surtout dans les premiers numéros.

 

Le premier numéro comportait entre autres le début du roman de Ding Ling, « Eau » (《水》), retraçant le désespoir des paysans poussé à la révolte, et à la révolution, par les inondations catastrophiques du Yangtsé en 1931. Le 3ème numéro est sorti en mars 1932, avec une couverture rouge, après l’entrée de Ding Ling au Parti communiste. Mais la revue a été interdite en juillet et le roman est resté inachevé.

 

Les écrivains de gauche étant en vogue pendant cette période, en particulier auprès des jeunes, ils ont été édités dans la presse commerciale, plutôt que dans les revues de la Ligue. Ainsi « Midnight » (《子夜》) de Mao Dun (茅盾) a été initialement publié en feuilleton dans la revue Short Story Magazine. La revue a disparu après la destruction des locaux de la Commercial Press pendant le bombardement de Shanghai, et Mao Dun n’a pas continué la publication du roman dans une autre revue, mais a préféré le publier directement en livre, en 1932, aux éditions Kaiming (Kaiming shuju明书局), maison qui avait été fondée en 1926 par un groupe d’éditeurs de Shanghai.

 

La revue littéraire la plus influente de la période, cependant, est celle éditée par Shi Zhecun (施蛰存) : « Les contemporains » ou Xiandai (《现代》). Elle a été publiée de 1932 à 1935, sans être liée à aucune société ou organisation, dans un format semblable à celui de

 

Xiandai, 1932

Short Story Magazine. La revue a publié beaucoup des textes les plus modernes de fiction, poésie et critique de l’époque, dont la poésie moderniste de Dai Wangshu (戴望舒), les nouvelles de l’école néo-sensationnaliste (新感觉派), ou les débats des critiques de tous bords, Lu Xun compris. Dai Wangshu lui-même a créé sa propre revue de poésie en juin 1936 : la revue mensuelle « Poésie nouvelle » (《新诗》), publiée jusqu’en juillet 1937.  

 

Mais à Pékin aussi

 

A Pékin, le jingpai connaît une grande effervescence, autour de grands auteurs comme Shen Congwen (沈从文), Zhou Zuoren (周作人), le poète Bian Zhilin (卞之琳), qui avait été lié à Société du Croissant de lune, comme l’écrivaine Lin Huiyin (林徽因), et bien d’autres : autant de personnalités qui n’étaient pas originaires de Pékin, mais se sont découvert des affinités spirituelles avec la ville. C’était une avant-garde liée la littérature moderne occidentale.

 

Au cours des années 1930, le jingpai acquiert force institutionnelle avec le développement des revues : le supplément littéraire du Dagongbao (大公报), créé en 1933, un trimestriel littéraire lancé en 1934, le « Mensuel littéraire » (Wenxue yuekan 文学月刊), lancé en juin 1936 [5], et la revue « Littérature » (Wenxue文学), créée en 1937. Ces publications sont marquées par un ton réaliste, voire lyrique, mais surtout une note moderniste. Les distinctions avec le haipai tendent à s’effacer, et les journaux en témoignent.

 

·         Les années de guerre

 

Après la chute de Shanghai, en 1937, la scène littéraire se déplace vers l’intérieur : dans la capitale des années de guerre, Chongqing, ainsi qu’à Kunming où se sont réfugiés les écrivains, professeurs et intellectuels de l’Université unie du Sud-ouest (Xinan lianda 西南联大). Le Parti communiste, de son côté, a son centre stratégique, et littéraire, à Yan’an, où Mao énonce ses principes littéraires et artistiques en 1942, au Forum sur la littérature et les arts.

 

Pourtant, l’édition continue dans Shanghai occupée, même après l’occupation, en 1942, de la Concession internationale, où la plupart des maisons d’édition étaient situées.

  

La revue Zazhi pendant la guerre

 

Au début de la période dite "de l’île orpheline" (孤岛), quand la Concession internationale est encore libre, la scène littéraire connaît une période initiale de dépression, avec fermeture de beaucoup de librairies et de maisons d’éditions. Mais cette brève période est suivie d’un véritable boom, les concessions étrangères – surtout les concessions française et britannique – se révélant un lieu favorable pour les activités littéraires, car offrant bien plus de liberté qu’aucune région contrôlée par le Guomingdang à l’intérieur ou par le Parti communiste dans les zones frontalières du nord.

 

C’est un vent de liberté fragile, certes, mais qui se traduit dès 1938 par une floraison de créations de journaux, reflétant le boom de l’édition, avec publication des œuvres les plus diverses, du reportage sur les bases communistes à la poésie traditionnelle : une centaine de périodiques et de

suppléments de journaux voient le jour en quelques années, dont certains ont même survécu, après l’occupation totale de la ville, jusqu’à la fin de la guerre, en 1945. 

 

Parmi les revues littéraires, deux sont très populaires : « Revue » (Zazhi杂志), publiée demai 1938 à août 1945 (mais avec une éclipse en 1939-1941), et la revue mensuelle « Panorama » (Wanxiang万象), lancée en juillet 1941, avec au total 43 numéros publiés jusqu’en 1945.

 

Mais les revues littéraires, comme l’édition en général, pendant la guerre à Shanghai, se concentrent surtout sur des genres populaires, publiés dans des revues au ton et au contenu semblables à celles de Lin Yutang dans les années 1930, et même tirant vers le sensationnel. En 1943, par exemple, Zazhi publie un « Hommage à Ying Yin pour l’anniversaire de sa mort » (《英茵逝世周年祭》) que l’on s’arrache [6].

 

Wanxiang, premier numéro

 

Gengyun

 

A Hong Kong, en revanche, qui offre un espace de liberté pendant quelques années, les journaux et suppléments des journaux publient toute une littérature de résistance, poèmes et romans dont certains vaudront à leurs auteurs d’être emprisonnés et torturés par les Japonais quand ils occupent la ville, à partir de 1942.

 

Par exemple, Dai Wangshu (戴望舒), qui était parti à Hong Kong après l’occupation de Shanghai pour travailler comme rédacteur en chef du supplément littéraire et artistique du Dagongbao (《大公报》文艺副刊), crée sa propre revue de poésie, « Labours » (Gengyun 《耕耘》), et participe à d’autres suppléments littéraires, dont celui du Xingdao Daily (《星岛日报》) où il écrit dans la rubrique « Constellations » (Xingzuo 《星座》) des écrits pleins d’ardeur patriotique. A la fin de 1941, il est arrêté, emprisonné et torturé par les Japonais. En prison, en juillet

1942, il écrit des poèmes « Sur les murs de ma cellule » (《狱中题壁》) et « Avec ma main mutilée » (《我用残损的手掌》) …

  

L’importance particulière des suppléments littéraires

 

Dès le début du siècle, les suppléments littéraires des grands journaux jouent un rôle crucial dans la création et les débats littéraires. Sur une à huit pages, ils paraissant normalement le week-end (zhoukan 周刊) ou tous les dix jours (xunkan 旬刊), et publient surtout des textes courts, ou des débats.

 

Par exemple, dans les années 1920, des débats littéraires entre modernistes et conservateurs ont fait rage dans les pages du trimensuel littéraire publié par l’Association littéraire de Chine, supplément du China Times de Shanghai (Shishi xinbao 《实施新报》), ainsi que dans les colonnes du supplément « Libre parole » (Ziyou tan 《自由谈》) du Shenbao (《申报》副刊). Dans les années 1930, Ziyou tan est devenu le porte-parole d’un groupe de représentants du mouvement de la Nouvelle Culture, dont Lu Xun qui y a publié beaucoup de ses essais satiriques zawen (杂文).

 

Beaucoup de suppléments dépendaient de sociétés littéraires, où les auteurs publiaient bien souvent sous des pseudonymes. Certains de ces suppléments étaient parfois vendus séparément, et faisaient l’objet de publications ultérieures en recueils. La plupart étaient publiés à Shanghai.

 

 

Référence

 

- Liste des principaux journaux chinois et de leurs suppléments de 1815 à 1938, avec les fondateurs et/ou rédacteurs en chef, et les lieux d’édition :

http ://blog.sina.com.cn/s/blog_6f75969b01016zxy.html

 

 

A lire en complément

 

- The Cambridge History of Chinese Literature: from 1375, Kang-I Sun Chang, Stephen Owen ed., Cambridge University Press, 2010. Chap. Print culture and literary magazines 1872-1937.

 

- Chinese Graphic Design in the 20th Century, by Scott Minick and Jiao Ping, Thames and Hudson, 2010, 160 p.

Pendant les années 1920-1930, la créativité du design des revues de Shanghai, influencé par l’art occidental, reflète une même créativité dans le domaine littéraire.

Exemples d’illustrations de couvertures en ligne :

http ://50watts.com/filter/magazines/Shanghai-Expression-Graphic-Design-in-China-in-the-1920s

-and-30s

 

 

Suite :

II. Après 1949.

 

 


[1] Voir l’ouvrage中國小說敘事模式的轉變 du prof. Chen Pingyuan 陳平原, Chinese University Press, 2003, p. 234.

Edition en ligne : https://books.google.fr/books?id=91CB5xoLAf0C&printsec=frontcover&hl=fr&source

=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false 

[3] Voir : Sept leçons sur le roman et la culture modernes en Chine, de Chen Pingyuan, textes édités par Angel Pino et Isabelle Rabut, et traduits du chinois par eux-mêmes et trois autres traducteurs, Brill 2015, p. 124.

[4] Voir : The Cambridge History of Chinese Literature: from 1375, Kang-i Sun Chang, Stephen Owen ed.

p. 551-552.

[5] La revue avait été initialement lancée à Shanghai en juin 1932, par des écrivains de la Ligue de gauche, elle est relancée à Pékin après la dispersion de la Ligue au printemps 1936. Elle a été rééditée en 2011.

[6] Ying Yin est une grande actrice de cinéma de Shanghai des années 1930-1940, qui s’est suicidée à Hong Kong en 1942 après l’exécution de son amant par les Japonais….

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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