Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Histoire littéraire : les sources anciennes

II. Le Chunqiu (Annales des Printemps et Automnes) et ses commentaires

par Brigitte Duzan, 28 mai 2020

 

« Les Annales des Printemps et Automnes » (《春秋》) sont les Annales de l’Etat de Lu de 722 à 481 avant Jésus-Christ. C’est une chronique succincte des principaux événements politiques intervenus à Lu et dans les Etats voisins pendant cette période dite, justement, des Printemps et Automnes : mariages, décès, accession au trône, rébellions, traités d’alliances, campagnes militaires et sacrifices rituels. Mais c’est aussi une source d’informations sur les phénomènes et désastres naturels notoires, tels éclipses et tremblements de terre, inondations et sécheresses. Et c’est enfin une mine d’histoires et d’anecdotes qui ont fait jurisprudence, et constituent toujours des références historiques et littéraires.

 

Origine et composition

 

Le Chunqiu, édité avec le texte du Zuo Zhuan,
chaque entrée étant suivie du

commentaire correspondant

 

Cet ouvrage très succinct est une compilation attribuée à Confucius qui l’aurait réalisée au début du 5e siècle avant Jésus-Christ, à partir de chroniques notées par plusieurs générations de scribes officiels avant lui. Les événements rapportés sont classés chronologiquement, année par année, avec sous-division en saisons et mois.

 

Les entrées comportent une dizaine de caractères en moyenne, 47 pour la plus longue, mais un seul caractère pour onze d’entre elles : zhōng désignant des sauterelles, donc indiquant sobrement des invasions de sauterelles ayant dévasté la région. Ce seul détail suffit à donner une idée de l’extrême concision du texte.

 

Les Annales de bambou

 

D’autres annales du même type existaient dans d’autres Etats, mais celles de Lu sont les seules qui aient survécu. C’est le seul document historique qui nous reste de cette période, avec les « Annales de bambou » (《竹书纪年》) qui couvraient la période de l’époque de l’empereur Jaune jusqu’à 299 avant Jésus-Christ. Ces Annales

avaient été enterrées avec le roi Xiang de Wei (魏襄王), mort en 296 avant J.C., et ont été découvertes en 281, sous les Jin de l’ouest ; c’est donc l’un des rares ouvrages qui ait survécu à l’autodafé des livres par le premier Empereur, mais les rouleaux ont disparu pendant la dynastie des Song et on ne dispose aujourd’hui que de deux versions partielles, dont la moins controversée est une compilation de citations tirées de textes antérieurs aux Song.

 

Le Chunqiu est donc précieux, et il l’est d’autant plus que, attribué à Confucius (selon une première assertion de Mencius), il reflète sa pensée politique et morale en matière de gouvernement et qu’il est devenu à partir du règne de l’empereur Wu des Han (汉武帝), en 136 avant J.C., l’un des cinq grands classiques confucéens (Wu Jing 五经).

 

Un des grands classiques confucéens

 

Classique né d’un impératif moral

 

Si le Chunqiu apparaît, en première lecture, comme une simple chronique événementielle, il a très vite été investi d’un sens religieux et moral en raison même de son auteur et des motivations qui lui ont été attribuées pour l’écrire, selon Mencius d’abord :

 

世衰道微,邪说暴行有作,臣弑其君者有之,子弑其父者有之。孔子惧,作《春秋》。《春秋》,天子之事也。是故孔子曰:‘知我者其惟春秋乎!罪我者其惟春秋乎!’…

« [Par la suite] le monde tomba dans l’obscurantisme, la sagesse périclita, les hérésies et les désordres reparurent. On vit des sujets assassiner leurs princes, des fils tuer leurs pères. Confucius eut peur, et pour cela composa le Chunqiu.  Le Chunqiu rapporte les actes du souverain, c’est donc normalement du domaine de ses prérogatives. C’est pourquoi Confucius a dit : « Ceux qui me connaissent, c’est par le Chunqiu ! Ceux qui m’accusent, c’est aussi pour le Chunqiu ! » [1]

 

Selon Mencius, donc, ce n’est pas en tant que banal historien au service d’un prince que Confucius aurait composé ses Annales, mais poussé par un sens d’obligation morale né des circonstances : de la décadence où il voyait son époque sombrer. Dès lors, il ne s’agit plus d’une histoire publique commanditée par le souverain, mais d’une création personnelle et privée, née de la voix indépendante du sage.

 

L’art de gouverner selon Confucius

 

En tant que tel, le Chunqiu offre un condensé de la pensée de Confucius en matière de gouvernement. C’est Du Yu (杜预), l’exégète du Zuo Zhuan (《左传》), qui, à la suite de Mencius, a le premier développé l’idée que les Annales étaient bien plus que des notes neutres sur l’histoire de la période, mais que, par la manière dont elles sont exprimées– par le choix des termes mêmes – elle comportent des « louanges et des blâmes » (bāobiǎn 褒贬) des principales personnalités citées, l’ouvrage constituant ainsi un livre d’éthique du pouvoir.

 

Pour ses premiers interprètes, le Chunqiu était un instrument pour combattre les maux du monde. Avant les Han, du temps du premier Empire, le Hanfeizi (《韩非子》) en fait même un guide pour combattre les calamités et désastres naturels. Mais, comme les autres écrits de Confucius, il était censé offrir un modèle pour ordonner le monde en accord avec le Ciel et avec les anciens classiques ; on peut le lire comme un complément des Analectes.

 

Il a été utilisé par les Han pour combattre les excès de la dynastie précédente qui avait tellement épuisé la population en l’accablant de corvées et de taxes qu’elle avait créé du banditisme. Le Chunqiu, en regard, proposait en filigrane un code moral à la place de lois pour gouverner le pays.

 

Victoire sur les concurrents

 

A l’époque de l’empereur Wu, diverses écoles avec des traditions de transmission de maître à disciple avaient commencé, grâce à leurs commentaires, à faire évoluer le Chunqiu d’une stricte chronique historique en un texte incarnant les idées fondamentales de la pensée confucéenne. Le Livre des Han (汉书) cite cinq courants principaux d’interprétation, mais deux de ces écoles

 

Le commentaire Guliang

étaient déjà sur le déclin : la tradition de maître Zou () et celle de maître Jia (). Les textes sont perdus.

  

Les deux commentaires Guliang et Gongyang

 

Les trois traditions concurrentes étaient les commentaires Guliang (榖梁), Gongyang (公羊) et Zuo (左氏), connus comme « les trois commentaires des Annales des Printemps et Automnes » (春秋三).  Le Zuo Zhuan () est resté le commentaire le plus célèbre aujourd’hui, édité depuis Du Yu avec le texte du Chunqiu. Mais c’est le commentaire Gongyang qui eut le plus d’influence, historiquement, pour faire triompher le confucianisme et établir le Chunqiu comme texte canonique de référence.

 

C’est le maître du Gongyang, Dong Zhongshu (董仲舒), qui réussit habilement à codifier une interprétation donnant une autorité morale au texte tout en faisant le dépositaire d’une tradition le reliant aux grands empereurs légendaires du passé. C’est en grande partie grâce à lui que l’empereur Wu fit du confucianisme l’idéologie

 

Les trois commentaires

officielle de la dynastie, pour en légitimer les fondements en opposition aux principes de gouvernement de la dynastie déchue des Qin. 

 

Cependant, la victoire du confucianisme à l’époque fut d’abord une victoire contre les traditions concurrentes taoïstes, et en particulier la tradition du Huang Lao (黄老) qui, bénéficiant du soutien de l’empereur Jing (汉景帝) et surtout de sa mère, la très influente impératrice douairière Dou (窦皇后), était intouchable de leur vivant. Ce n’est qu’à la mort de sa grand-mère, en 135 avant Jésus-Christ, que l’empereur Wu put enfin s’affranchir de son emprise et imposer le confucianisme contre la tradition taoïste de la cour jusque-là.

 

C’est alors que le Chunqiu acquit son statut canonique. Mais, succinct et souvent ambigu et obscur, il est inséparable des commentaires qui l’éclairent, et surtout les deux principaux qui nous sont parvenus, Gongyang et Zuo Zhuan

 

Texte original

Les Annales des Printemps et Automnes :

- Caractères traditionnels : https://www.hotbak.net/key/%E3%80%8A%E6%98%A5%E7%A7%

8B%E7%BB%8F%E3%80%8B%E5%8E%9F%E6%96%87.html

- Caractères simplifiés : http://www.quanxue.cn/CT_RuJia/ChunQiu/ChunQiu00.html

 

Traduction en français

La chronique de la principauté de Lòu (721-480), trad. Séraphin Couvreur, Les Belles Lettres, Paris, 1951. Première édition : 1914. En trois tomes.

A feuilleter ou télécharger : https://www.chineancienne.fr/king/tch-ouen-ts-iou-et-tso-

tchouan-chunqiu-zuozhuan-tome-1-trad-s-couvreur/

 


 

A lire en complément

 

II. A/ Le Zuo Zhuan, ou comment on écrit l’histoire

II. B/ Dong Zhongshu, le Gongyang et le Chunqiu fanliu

 


 

[1] Ma traduction. Texte original Mencius, Teng Wen Gong 2. 《孟子. 滕文公下》

Texte en ligne : https://ctext.org/mengzi/teng-wen-gong-ii/zhs

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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