Nouvelles de a à z

 

« Il ne faut jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu’on a lues »

Sei Shōnagon (Notes de chevet)

 
 
 
     

 

 

Lu Xun « La mauvaise herbe »

鲁迅《野草》

par Brigitte Duzan, 12 avril 2025

 

« La mauvaise herbe » [1] (yěcǎo《野草》) est un ensemble de 23 poèmes en prose (散文诗集) de Lu Xun (鲁迅) initialement publiés de décembre 1924 à janvier 1926 dans la revue hebdomadaire Yusi (《语丝》周刊). Le prologue (《题辞》), également signé Lu Xun, n’est paru dans cette même revue que le 2 juillet 1927. Mais, dès le mois d’avril 1927, l’auteur a édité ses poèmes en prose, avec le prologue, en un recueil paru en juillet aux éditions de la librairie Beixin (北新书局) à Shanghai. Comme Lu Xun le mentionne dans une lettre du 23 novembre 1935 à son ami Qiu Yu (邱遇), le prologue a cependant été supprimé de l’édition 1935, sans que l’on sache trop, dit-il, si c’était du fait d’une méprise de l’éditeur ou « parce qu’il touchait des points sensibles inacceptables pour les autorités » [2]. Quoi qu’il en soit, il n’a été repris que lors de l’édition posthume des œuvres complètes de 1941 (《鲁迅三十年集》).

  

   

Yěcǎo, édition 1927

 

Les textes de « La mauvaise herbe » ont été écrits à une période sombre de la vie de Lu Xun, à un moment où l’idéalisme du mouvement du 4 mai était retombé et où le pays semblait courir vers l’abîme : le 12 avril 1927, à la suite d’une révolte ouvrière, alors que Lu Xun terminait l’édition du recueil, a lieu le massacre perpétré par Tchang Kai-chek à Shanghai qui marque le début de la répression anti-communiste. Le prologue reflète l’atmosphère délétère du moment, une humeur au bord du désespoir :

                当我沉默着的时候,我觉得充实;我将开口,同时感到空虚。

Lorsque je garde le silence, j’ai un sentiment de plénitude ; mais quand je veux ouvrir la bouche, j’ai une impression de néant.

天地有如此静穆,我不能大笑而且歌唱。天地即不如此静穆,我或者也将不能。我以这一丛野草,在明与暗,生与死,过去与未来之际,献于友与仇,人与兽,爱者与不爱者之前作证。

L’univers est figé dans un tel silence que je ne peux ni rire ni chanter. Mais même si l’univers sortait de ce silence, je ne le pourrais sans doute pas plus. Alors c’est aux confins de la lumière et de l’ombre, de la vie et de la mort, du passé et de l’avenir que je vous offre cette poignée de mauvaises herbes en guise de témoignage, à vous tous, amis et ennemis, hommes et bêtes, que vous aimiez ou non.

 

Dans une lettre du 9 octobre 1934 au jeune Xiao Jun (萧军), Lu Xun écrit encore :

                我的那本《野草》,心情太颓唐了,因为那是我碰了许多钉子之后写出来的

« Mon recueil « La mauvaise herbe » … est d’une humeur trop dépressive, car je l’ai écrit après être tombé sur trop de tuiles.[3] »

 

   

Traduction de Pierre Ryckmans (1975)

 

Table des matières / 目录 [4]

Prologue (《题辞》), le 26 avril 1927.

1.秋夜Nuit d’automne (15 septembre 1924)

2.影的告别Les adieux de l’ombre (24 septembre 1924)

3.求乞者Les mendiants (24 septembre 1924)

4.我的失恋Chagrin d’amour (3 octobre 1924)

5.复仇Revanche 1  (20 décembre 1924)

6.复仇(其二)Revanche 2 (20 décembre 1924)

7.希望L’espoir  (1er janvier 1925)

8.Neige  (18 janvier 1925)

9.风筝Le cerf-volant (24 janvier 1925)

10.好的故事Une belle histoire (24 février 1925)

11.过客Le passant  (comme une pièce de théâtre)  (2 mars 1925)

12.死火Le feu mort  (23 avril 1925)

13.狗的驳诘Riposte canine   (23 avril 1925)

14.失掉的好地狱Le bon enfer perdu  (16 juin 1925)

15.墓碣文 Épitaphe  (17 juin 1925)

16.颓败线的颤动 Tressaillement au bord de l’abîme  (29 juin 1925)

17.立论Comment exprimer une opinion  (8 juillet 1925)

18.《死后》 Après la mort  (12 juillet 1925)

19.这样的战士 Un combattant comme ça  (14 décembre 1925)

20.聪明人和傻子和奴才Le sage, l’idiot et l’esclave  (26 décembre 1925)

21.腊叶La feuille séchée  (26 décembre 2925)

22.淡淡的血痕中Parmi les traces de sang pâli  (8 avril 1926)

23.一觉L’éveil [évocation de « l’incident » du 12 avril]  (10 avril 1926)

 

Ces textes sont devenus des classiques, souvent cités. Tel est le cas en particulier du n° 14, « Le bon enfer perdu » (《失掉的好地狱》), qui apparaît toujours aussi emblématique aujourd’hui [5].

 

14. Le bon enfer perdu 《失掉的好地狱》

 

我梦见自己躺在床上,在荒寒的野外,地狱的旁边。一切鬼魂们的叫唤无不低微,然有秩序,与火焰的怒吼,油的沸腾,钢叉的震颤相和鸣,造成醉心的大乐,布告三界:地下太平。

有一伟大的男子站在我面前,美丽,慈悲,遍身有大光辉,然而我知道他是魔鬼。

 

J’ai rêvé que j’étais couché dans mon lit, dans une campagne sauvage, aux marges de l’enfer. Les hurlements des damnés, faibles mais réguliers, se mêlaient intimement au rugissement des brasiers, au crépitement de l’huile bouillante et au cliquetis des fourches pour former une grande symphonie aux accords enivrants proclamant au triple univers du ciel, de la terre et des enfers que l’ordre régnait sous terre.

 

Un homme à l’allure altière se tenait devant moi, beau, avenant et nimbé d’un halo de lumière. Mais je savais pertinemment que c’était le Diable.

 

一切都已完结,一切都已完结!可怜的鬼魂们将那好的地狱失掉了!他悲愤地说,于是坐下,讲给我一个他所知道的故事——

天地作蜂蜜色的时候,就是魔鬼战胜天神,掌握了主宰一切的大威权的时候。他收得天国,收得人间,也收得地狱。他于是亲临地狱,坐在中央,遍身发大光辉,照见一切鬼众。

地狱原已废弛得很久了:剑树消却光芒;沸油的边际早不腾涌;大火聚有时不过冒些青烟,远处还萌生曼陀罗花,花极细小,惨白可怜。——那是不足为奇的,因为地上曾经大被焚烧,自然失了他的肥沃。

鬼魂们在冷油温火里醒来,从魔鬼的光辉中看见地狱小花,惨白可怜,被大蛊惑,倏忽间记起人世,默想至不知几多年,遂同时向着人间,发一声反狱的绝叫。

 

« Tout est fini, pour de bon ! Les malheureux damnés ont perdu le bon enfer », me dit-il avec autant de chagrin que de colère. Sur quoi il s’assit et me raconta ce qui s’était passé.

 

« À l’époque où le monde était couleur de miel, le Diable vainquit Dieu et s’empara du pouvoir universel sur le ciel, la terre et l’enfer. Il alla alors s’établir en enfer, s’installant au milieu et illuminant ainsi la foule des démons du halo de lumière qui irradiait de sa personne.

Mais l’enfer était alors depuis longtemps à l’abandon : les forêts d’épées avaient perdu leur éclat, l’huile bouillante n’était plus maintenue en effervescence, les grands brasiers ne dégageaient plus que de rares filets de fumée bleue, tandis que, non loin de là, avaient éclos des fleurs de mandragore minuscules, d’une pâleur pitoyable  —— ce qui n’avait rien d’étonnant vu que le sol avait été tellement calciné qu’il en avait perdu toute fertilité.

Les damnés se réveillèrent donc dans une huile qui ne bouillait plus, sur des cendres tièdes, et à la lumière du halo du Diable virent ces petites fleurs de l’enfer dans leur pitoyable pâleur : ils en furent bouleversés et se rappelèrent soudain le monde des vivants. Après y avoir songé en silence pendant de nombreuses années, ils poussèrent vers le monde des humains un immense cri de révolte contre l’enfer.

 

人类便应声而起,仗义执言,与魔鬼战斗。战声遍满三界,远过雷霆。终于运大谋略,布大网罗,使魔鬼并且不得不从地狱出走。最后的胜利,是地狱门上也竖了人类的旌旗!

当鬼魂们一齐欢呼时,人类的整饬地狱使者已临地狱,坐在中央,用了人类的威严,叱咤一切鬼众。

当鬼魂们又发一声反狱的绝叫时,即已成为人类的叛徒,得到永劫沉沦的罚,迁入剑树林的中央。

Les hommes accoururent à leur appel, et pour défendre cette juste cause engagèrent le combat avec le Diable. Le tapage de cette lutte ébranla les trois univers, couvrant même le bruit du tonnerre. Finalement, grâce à une stratégie supérieure et des traquenards sans nombre, ils réussirent à vaincre le Diable qui n’eut d’autre option que de quitter les lieux. Pour finaliser cette victoire, ils plantèrent à l’entrée de l’enfer l’étendard du genre humain.

Alors que les damnés se réjouissaient, arriva le Commissaire envoyé par le genre humain pour procéder à la réorganisation de l’enfer. Il s’installa sur le trône, au centre, et usa de son prestige de représentant de l’humanité pour imposer son autorité aux masses démoniaques.

Et quand les damnés, finalement, poussèrent un autre cri de révolte contre l’enfer, ils furent cette fois-ci taxés de rébellion contre le genre humain et furent bannis au plus profond de la forêt des épées.

 

人类于是完全掌握了主宰地狱的大威权,那威棱且在魔鬼以上。人类于是整顿废弛,先给牛首阿旁以最高的俸草;而且,添薪加火,磨砺刀山,使地狱全体改观,一洗先前颓废的气象。

曼陀罗花立即焦枯了。油一样沸;刀一样铦;火一样热;鬼众一样呻吟,一样宛转,至于都不暇记起失掉的好地狱。

这是人类的成功,是鬼魂的不幸……

朋友,你在猜疑我了。是的,你是人!我且去寻野兽和恶鬼……

 

Les hommes détenaient désormais le pouvoir absolu en enfer, et leur autorité en vint à surpasser de loin celle qu’y exerçait auparavant le Diable. Ils remirent en état tout ce qui était à l’abandon, en commençant par accorder un bon salaire au principal geôlier d’avant. Ils attisèrent le feu dans les brasiers, affutèrent les instruments de torture et effectuèrent une rénovation complète de l’enfer pour éliminer toute trace de laisser-aller.

Les fleurs de mandragore se desséchèrent aussitôt. L’huile se remit à bouillir, les couteaux retrouvèrent leur tranchant et les feux leur ardeur. Les masses des damnés recommencèrent à gémir et à se tordre de douleur comme par le passé, sans plus de loisir de penser au bon enfer qu’elles venaient de perdre.

C’est ainsi que l’humanité triompha, pour le plus grand malheur des damnés…

Je vois, mon ami, que vous ne me croyez pas. Mais bien sûr, vous êtes vous-même un homme ! Je ferais mieux d’aller raconter mon histoire aux bêtes sauvages et aux esprits malins. »

 

Les compromissions des intellectuels et la soumission des foules

 

 19 : « Un combattant comme ça »  这样的战士

 

Lu Xun a dit de ce texte que c’est en visant les intellectuels qui collaboraient avec les seigneurs de la guerre qu’il l’avait écrit [6].

 

要有这样的一种战士——
  已不是蒙昧如非洲土人而背着雪亮的毛瑟枪的;也并不疲惫如中国绿营兵而却佩着盒子炮。[…]他只有自己,但拿着蛮人所用的,脱手一掷的投枪。
  他走进无物之阵,所遇见的都对他一式点头。他知道这点头就是敌人的武器,是杀人不见血的武器,许多战士都在此灭亡,正如炮弹一般,使猛士无所用其力。
  那些头上有各种旗帜,绣出各样好名称:慈善家,学者,文士,长者,青年,雅人,君子……。头下有各样外套,绣出各式好花样:学问,道德,国粹,民意,逻辑,公义,东方文明……
  但他举起了投枪。
        

Il faudrait qu’il y ait un genre de combattant comme ça.

Non plus inculte comme les indigènes africains armés de Mausers étincelants, ni fourbu comme ces soldats chinois de la Bannière verte qui traînent des pistolets automatiques. […] Le genre qui n’a que lui-même sur qui s’appuyer et pour toute arme les javelots utilisés par les Barbares.

Il s’avance sur le front du Néant et tous ceux qu’il rencontre le saluent. Il sait que ce salut est justement l’arme de l’ennemi, l’arme qui tue sans verser de sang, l’arme qui a déjà anéanti de nombreux combattants car elle ne laisse, comme l’obus, aucune chance au brave de déployer son ardeur.

Au-dessus de la tête des ennemis flottent toutes sortes d’étendards sur lesquels sont brodés divers titres : Philanthrope, Savant, Homme de lettres, Sage, Jeune Homme, Esthète, Homme de bien… Et là-dessous ils portent des manteaux de toutes sortes sur lesquels sont brodés divers autres motifs : Érudition, Vertu, Culture nationale, Opinion publique, Logique, Justice, Civilisation orientale…

Mais lui, il brandit son javelot.


  他们都同声立了誓来讲说,他们的心都在胸膛的中央,和别的偏心的人类两样。
  他们都在胸前放着护心镜,就为自己也深信在胸膛中央的事作证。
  但他举起了投枪。

他微笑,偏侧一掷,却正中了他们的心窝。
  一切都颓然倒地;——然而只有一件外套,其中无物。无物之物已经脱走,得了胜利,因为他这时成了戕害慈善家等类的罪人。
  但他举起了投枪。
       

 Tous d’une même voix clament qu’ils ont le cœur au milieu de la poitrine, à l’encontre du reste de l’espèce

humaine qui souffre de préjugés. Ils portent donc leur plastron protecteur au milieu de la poitrine pour bien montrer qu’ils sont convaincus de la vérité de ce qu’ils avancent.

Mais lui, il brandit son javelot.

Et souriant, vise de côté, mais les atteint pourtant en plein cœur.

Alors ils s’effondrent, mais ce ne sont plus que des oripeaux vides, il ne reste que leur néant. Ce qui l’habitait s’est déjà éclipsé, mais c’est cela qui est vainqueur car le combattant, lui, est maintenant le criminel coupable d’avoir assassiné les Philanthropes et les autres.

Et pourtant il brandit son javelot.
  
  他在无物之阵中大踏步走,再见一式的点头,各种的旗帜,各样的外套……
  但他举起了投枪。
  他终于在无物之阵中老衰,寿终。他终于不是战士,但无物之物则是胜者。
  在这样的境地里,谁也不闻战叫:太平。
  太平……
  但他举起了投枪!

 

Sur le front du Néant, il avance à grands pas, et de nouveau rencontre les mêmes saluts, les mêmes étendards, les mêmes oripeaux…

Il brandit pourtant son javelot.

Mais sur le front du Néant il se fait vieux et finit par mourir, cessant d’être un combattant : c’est le Néant qui a gagné.

Alors, on n’entend plus de bruit de combat : c’est la paix.

La paix…

Mais pourtant il brandit son javelot !

 

20 : « Le Sage [7], l’Idiot et l’Esclave »  《聪明人和傻子和奴才》

 

奴才总不过是寻人诉苦。只要这样,也只能这样。有一日,他遇到一个聪明人。
  先生!他悲哀地说,眼泪联成一线,就从眼角上直流下来。你知道的。
  我所过的简直不是人的生活。吃的是一天未必有一餐,这一餐又不过是高粱皮,连猪狗都不要吃的,尚且只有一小碗……”
  这实在令人同情。聪明人也惨然说。
  可不是么!他高兴了。可是做工是昼夜无休息:清早担水晚烧饭,上午跑街夜磨面,晴洗衣裳雨张伞,冬烧汽炉夏打扇。半夜要煨银耳,侍候主人耍钱;
  头钱从来没分,有时还挨皮鞭……
  

L’Esclave cherchait toujours quelqu’un à qui se plaindre. C’est tout ce qu’il voulait, ne pouvant rien faire d’autre. Un jour, il rencontra un Sage.

   « Monsieur ! », dit-il d’une voix affligée, en pleurant à chaudes larmes, « si vous saviez l’existence inhumaine que je mène ! Il est des jours où je n’ai même pas un repas ; on ne me donne à manger que de la balle de sorgho dont même les chiens et les cochons ne voudraient pas, et encore les portions sont minuscules… »

  « Votre sort est vraiment pitoyable » dit le Sage d’un ton tout aussi attristé.

  « Ah ! N’est-ce pas ! » se réjouit l’Esclave. « Je travaille du matin au soir sans un moment de repos : à l’aube, j’apporte l’eau, le soir je prépare le repas ; dans la matinée, je fais les courses, la nuit je mouds le grain ; quand il fait beau, je lave le linge, et quand il pleut, je porte le parapluie ; en hiver je m’occupe du feu, en été j’agite l’éventail. Au milieu de la nuit, je dois encore préparer des potions astringentes et accompagner mon maître quand il va jouer. Il ne me donne jamais un sou de ce qu’il gagne, mais parfois au contraire me fouette… »


  唉唉……”聪明人叹息着,眼圈有些发红,似乎要下泪。
  先生!我这样是敷衍不下去的。我总得另外想法子。可是什么法子呢?……”
  我想,你总会好起来……”
  是么?但愿如此。可是我对先生诉了冤苦,又得你的同情和慰安,已经舒坦得不少了。可见天理没有灭绝……”
  « Ah lala … » soupira le Sage, les yeux rouges, au bord des larmes.

« Monsieur ! Je ne peux pas continuer ainsi. Il faut que je trouve un moyen de m’en sortir, mais que faire ?... »

« Je pense que votre situation va s’améliorer… »

« Ah bon ? Vraiment, je l’espère. En attendant, la sympathie avec laquelle vous avez écouté le récit de mes malheurs est déjà d’un grand réconfort. On voit que tout espoir dans la justice céleste n’est pas perdu. »


  但是,不几日,他又不平起来了,仍然寻人去诉苦。
  先生!他流着眼泪说,你知道的。我住的简直比猪窝还不如。主人并不将我当人;他对他的叭儿狗还要好到几万倍……”
  混帐!那人大叫起来,使他吃惊了。那人是一个傻子。
  先生,我住的只是一间破小屋,又湿,又阴,满是臭虫,睡下去就咬得真可以。秽气冲着鼻子,四面又没有一个窗子……”
  你不会要你的主人开一个窗的么?
  这怎么行?……”
  那么,你带我去看去!
  傻子跟奴才到他屋外,动手就砸那泥墙。
  先生!你干什么?他大惊地说。
  我给你打开一个窗洞来。
  这不行!主人要骂的!
  管他呢!他仍然砸。
  
人来呀!强盗在毁咱们的屋子了!快来呀!迟一点可要打出窟窿来了!……”

他哭嚷着,在地上团团地打滚。
 

 Mais, quelques jours plus tard, de nouveau tourmenté, il chercha quelqu’un pour s’épancher.

 « Monsieur ! » s’écria-t-il en pleurant, « si vous saviez, même les cochons sont mieux logés que moi. Mon maître ne me considère pas comme un être humain, il traite son chien mille fois mieux que moi… »

  «  C’est inacceptable ! » s’écria l’homme auquel il s’était adressé, à la grande surprise de l’Esclave. C’est que c’était un Idiot.

  « Monsieur ! Je vis dans une misérable masure, humide et sombre, pleine de punaises qui viennent me dévorer dès que je suis couché. Et en plus, la puanteur y est telle que c’en est étouffant car il n’y a même pas de fenêtre… »

  « Vous ne pouvez pas demander à votre maître d’en faire ouvrir une ? »

  «  Oh, comment pourrais-je faire ça ? … »

  «  Bon, emmenez-moi voir ! »

   L’Idiot suit l’Esclave jusqu’à sa masure et se met aussitôt à s’attaquer au mur.

  « Monsieur ! Que faites-vous ? » s’écrie l’Esclave terrorisé.

  « Je vais vous percer une fenêtre ».

  « Mais c’est impossible, le maître va m’injurier ! »

  « On s’en fout ! » Et il se remet à cogner sur le mur.

  « Au secours ! Un bandit est en train de démolir la maison ! Venez vite ! Si vous traînez, il aura bientôt fait un trou dans le mur ! … »

Et de se rouler par terre en pleurant et en hurlant.
  
  一群奴才都出来,将傻子赶走。
  听到了喊声,慢慢地最后出来的是主人。
  有强盗要来毁咱们的屋子,我首先叫喊起来,大家一同把他赶走了。他恭敬而得胜地说。
  你不错。主人这样夸奖他。

  这一天就来了许多慰问的人,聪明人也在内。
  先生。这回因为我有功,主人夸奖了我了。你先前说我总会好起来,实在是有先见之明……他大有希望似的高兴地说。
  可不是么……”聪明人也代为高兴似的回答他

 

   Un groupe de domestiques sortit et chassa l’Idiot.

  Alerté par le vacarme, le propriétaire lui-même sortit sans se presser.

  « Un bandit a tenté de démolir la maison. C’est moi qui ai donné l’alerte en premier et nous l’avons tous chassé. » expliqua l’esclave avec déférence et d’un air triomphant.

  « Très bien » dit le maître pour toute félicitation.

 

  Ce jour-là, nombreux furent ceux qui vinrent exprimer leur sympathie, et parmi eux le Sage.

  « Monsieur ! Cette fois, le maître m’a félicité pour mes services méritoires. Vous m’aviez bien dit que les choses allaient s’améliorer pour moi, vous aviez bien raison ! … » dit l’Esclave rayonnant, comme plein d’espoir.

  « Mais bien sûr … » répliqua le Sage d’un air tout aussi réjoui.

 

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[1] D’après la traduction historique de Pierre Ryckmans publiée en 10/18 en 1975 qui reste la référence. Traduction précédée « en guise d’introduction » d’une préface de Ryckmans alias Simon Leys aussi brillante que les textes qu’elle introduit : « La mauvaise herbe de Lu Xun dans les plates-bandes officielles ».

Le titre a été mis au pluriel par Sebastian Veg lorsqu’il a publié les poèmes en prose avec les nouvelles de Lu Xun datant de la même époque (Nouvelles et poèmes en prose: Cris ; Errances ; Mauvaises herbes, éd. Rue d’Ulm, 2015). Le pluriel donne une unité au titre du recueil, mais enlève à Yecao sa valeur symbolique.

[2] Qiu Yu était un éditeur. Le texte (chinois) de la lettre est sur baidu.

[3] Littéralement : après être tombé sur trop de clous.

[4] Liens vers les textes originaux chinois et titres français selon la traduction de Pierre Ryckmans.

[5] Ainsi Chan Koonchung (陈冠中) qui dit avoir poursuivi dans son roman « Les Années fastes » (《盛世:中国2013年》) la réflexion engagée par Lu Xun dans ce poème en prose.

[6] Selon une note de Pierre Ryckmans en marge de sa traduction : « La mauvaise herbe », 10/18, 1975, n. 21 p. 125. Les traductions données ici sont inspirées de cette traduction de référence ainsi que de celle de Martine Vallette Hémery : « Un combattant comme ça », éditions du Centenaire, 1973.

[7] Pierre Ryckmans a traduit « Le Sage » et je garde cette traduction faute de mieux, mais le terme cōngming ren 聪明人désigne en fait quelqu’un d’intelligent et ingénieux, et en général les personnages brillants de l’élite d’un pays, proches du pouvoir, ceux que David Halberstam a appelé « The Best and the Brightest » dans son célèbre ouvrage sur les intellectuels dans l’administration américaine du temps de John Kennedy.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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