Nouvelles de a à z

 

« Il ne faut jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu’on a lues »

Sei Shōnagon (Notes de chevet)

 
 
 
     

 

 

Lu Xun « La mauvaise herbe »

鲁迅《野草》

 

Les compromissions des intellectuels et la soumission des foules

 

N° 19 : « Un combattant comme ça »  这样的战士

14 décembre 1925

Lu Xun a dit de ce texte que c’est en visant les intellectuels qui collaboraient avec les seigneurs de la guerre qu’il l’avait écrit [1].

 

要有这样的一种战士——
  已不是蒙昧如非洲土人而背着雪亮的毛瑟枪的;也并不疲惫如中国绿营兵而却佩着盒子炮。[…]他只有自己,但拿着蛮人所用的,脱手一掷的投枪。
  他走进无物之阵,所遇见的都对他一式点头。他知道这点头就是敌人的武器,是杀人不见血的武器,许多战士都在此灭亡,正如炮弹一般,使猛士无所用其力。
  那些头上有各种旗帜,绣出各样好名称:慈善家,学者,文士,长者,青年,雅人,君子……。头下有各样外套,绣出各式好花样:学问,道德,国粹,民意,逻辑,公义,东方文明……
  但他举起了投枪。
        

Il faudrait qu’il y ait un genre de combattant comme ça.

Non plus inculte comme les indigènes africains armés de Mausers étincelants, ni fourbu comme ces soldats chinois de la Bannière verte qui traînent des pistolets automatiques. […] Le genre qui n’a que lui-même sur qui s’appuyer et pour toute arme les javelots utilisés par les Barbares.

Il s’avance sur le front du Néant et tous ceux qu’il rencontre le saluent. Il sait que ce salut est justement l’arme de l’ennemi, l’arme qui tue sans verser de sang, l’arme qui a déjà anéanti de nombreux combattants car elle ne laisse, comme l’obus, aucune chance au brave de déployer son ardeur.

Au-dessus de la tête des ennemis flottent toutes sortes d’étendards sur lesquels sont brodés divers titres : Philanthrope, Savant, Homme de lettres, Sage, Jeune Homme, Esthète, Homme de bien… Et là-dessous ils portent des manteaux de toutes sortes sur lesquels sont brodés divers autres motifs : Érudition, Vertu, Culture nationale, Opinion publique, Logique, Justice, Civilisation orientale…

Mais lui, il brandit son javelot.


  他们都同声立了誓来讲说,他们的心都在胸膛的中央,和别的偏心的人类两样。
  他们都在胸前放着护心镜,就为自己也深信在胸膛中央的事作证。
  但他举起了投枪。

他微笑,偏侧一掷,却正中了他们的心窝。
  一切都颓然倒地;——然而只有一件外套,其中无物。无物之物已经脱走,得了胜利,因为他这时成了戕害慈善家等类的罪人。
  但他举起了投枪。
       

 Tous d’une même voix clament qu’ils ont le cœur au milieu de la poitrine, à l’encontre du reste de l’espèce

humaine qui souffre de préjugés. Ils portent donc leur plastron protecteur au milieu de la poitrine pour bien montrer qu’ils sont convaincus de la vérité de ce qu’ils avancent.

Mais lui, il brandit son javelot.

Et souriant, vise de côté, mais les atteint pourtant en plein cœur.

Alors ils s’effondrent, mais ce ne sont plus que des oripeaux vides, il ne reste que leur néant. Ce qui l’habitait s’est déjà éclipsé, mais c’est cela qui est vainqueur car le combattant, lui, est maintenant le criminel coupable d’avoir assassiné les Philanthropes et les autres.

Et pourtant il brandit son javelot.
  
  他在无物之阵中大踏步走,再见一式的点头,各种的旗帜,各样的外套……
  但他举起了投枪。
  他终于在无物之阵中老衰,寿终。他终于不是战士,但无物之物则是胜者。
  在这样的境地里,谁也不闻战叫:太平。
  太平……
  但他举起了投枪!

 

Sur le front du Néant, il avance à grands pas, et de nouveau rencontre les mêmes saluts, les mêmes étendards, les mêmes oripeaux…

Il brandit pourtant son javelot.

Mais sur le front du Néant il se fait vieux et finit par mourir, cessant d’être un combattant : c’est le Néant qui a gagné.

Alors, on n’entend plus de bruit de combat : c’est la paix.

La paix…

Mais pourtant il brandit son javelot !

 

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N° 20 : « Le Sage [2], l’Idiot et l’Esclave »  《聪明人和傻子和奴才》

26 décembre 1925

 

奴才总不过是寻人诉苦。只要这样,也只能这样。有一日,他遇到一个聪明人。
  先生!他悲哀地说,眼泪联成一线,就从眼角上直流下来。你知道的。
  我所过的简直不是人的生活。吃的是一天未必有一餐,这一餐又不过是高粱皮,连猪狗都不要吃的,尚且只有一小碗……”
  这实在令人同情。聪明人也惨然说。
  可不是么!他高兴了。可是做工是昼夜无休息:清早担水晚烧饭,上午跑街夜磨面,晴洗衣裳雨张伞,冬烧汽炉夏打扇。半夜要煨银耳,侍候主人耍钱;
  头钱从来没分,有时还挨皮鞭……
  

L’Esclave cherchait toujours quelqu’un à qui se plaindre. C’est tout ce qu’il voulait, ne pouvant rien faire d’autre. Un jour, il rencontra un Sage.

   « Monsieur ! », dit-il d’une voix affligée, en pleurant à chaudes larmes, « si vous saviez l’existence inhumaine que je mène ! Il est des jours où je n’ai même pas un repas ; on ne me donne à manger que de la balle de sorgho dont même les chiens et les cochons ne voudraient pas, et encore les portions sont minuscules… »

  « Votre sort est vraiment pitoyable » dit le Sage d’un ton tout aussi attristé.

  « Ah ! N’est-ce pas ! » se réjouit l’Esclave. « Je travaille du matin au soir sans un moment de repos : à l’aube, j’apporte l’eau, le soir je prépare le repas ; dans la matinée, je fais les courses, la nuit je mouds le grain ; quand il fait beau, je lave le linge, et quand il pleut, je porte le parapluie ; en hiver je m’occupe du feu, en été j’agite l’éventail. Au milieu de la nuit, je dois encore préparer des potions astringentes et accompagner mon maître quand il va jouer. Il ne me donne jamais un sou de ce qu’il gagne, mais parfois au contraire me fouette… »


  唉唉……”聪明人叹息着,眼圈有些发红,似乎要下泪。
  先生!我这样是敷衍不下去的。我总得另外想法子。可是什么法子呢?……”
  我想,你总会好起来……”
  是么?但愿如此。可是我对先生诉了冤苦,又得你的同情和慰安,已经舒坦得不少了。可见天理没有灭绝……”
  « Ah lala … » soupira le Sage, les yeux rouges, au bord des larmes.

« Monsieur ! Je ne peux pas continuer ainsi. Il faut que je trouve un moyen de m’en sortir, mais que faire ?... »

« Je pense que votre situation va s’améliorer… »

« Ah bon ? Vraiment, je l’espère. En attendant, la sympathie avec laquelle vous avez écouté le récit de mes malheurs est déjà d’un grand réconfort. On voit que tout espoir dans la justice céleste n’est pas perdu. »


  但是,不几日,他又不平起来了,仍然寻人去诉苦。
  先生!他流着眼泪说,你知道的。我住的简直比猪窝还不如。主人并不将我当人;他对他的叭儿狗还要好到几万倍……”
  混帐!那人大叫起来,使他吃惊了。那人是一个傻子。
  先生,我住的只是一间破小屋,又湿,又阴,满是臭虫,睡下去就咬得真可以。秽气冲着鼻子,四面又没有一个窗子……”
  你不会要你的主人开一个窗的么?
  这怎么行?……”
  那么,你带我去看去!
  傻子跟奴才到他屋外,动手就砸那泥墙。
  先生!你干什么?他大惊地说。
  我给你打开一个窗洞来。
  这不行!主人要骂的!
  管他呢!他仍然砸。
  人来呀!强盗在毁咱们的屋子了!快来呀!迟一点可要打出窟窿来了!……”

他哭嚷着,在地上团团地打滚。
 

 Mais, quelques jours plus tard, de nouveau tourmenté, il chercha quelqu’un pour s’épancher.

 « Monsieur ! » s’écria-t-il en pleurant, « si vous saviez, même les cochons sont mieux logés que moi. Mon maître ne me considère pas comme un être humain, il traite son chien mille fois mieux que moi… »

  «  C’est inacceptable ! » s’écria l’homme auquel il s’était adressé, à la grande surprise de l’Esclave. C’est que c’était un Idiot.

  « Monsieur ! Je vis dans une misérable masure, humide et sombre, pleine de punaises qui viennent me dévorer dès que je suis couché. Et en plus, la puanteur y est telle que c’en est étouffant car il n’y a même pas de fenêtre… »

  « Vous ne pouvez pas demander à votre maître d’en faire ouvrir une ? »

  «  Oh, comment pourrais-je faire ça ? … »

  «  Bon, emmenez-moi voir ! »

   L’Idiot suit l’Esclave jusqu’à sa masure et se met aussitôt à s’attaquer au mur.

  « Monsieur ! Que faites-vous ? » s’écrie l’Esclave terrorisé.

  « Je vais vous percer une fenêtre ».

  « Mais c’est impossible, le maître va m’injurier ! »

  « On s’en fout ! » Et il se remet à cogner sur le mur.

  « Au secours ! Un bandit est en train de démolir la maison ! Venez vite ! Si vous traînez, il aura bientôt fait un trou dans le mur ! … »

Et de se rouler par terre en pleurant et en hurlant.
  
  一群奴才都出来,将傻子赶走。
  听到了喊声,慢慢地最后出来的是主人。
  有强盗要来毁咱们的屋子,我首先叫喊起来,大家一同把他赶走了。他恭敬而得胜地说。
  你不错。主人这样夸奖他。

  这一天就来了许多慰问的人,聪明人也在内。
  先生。这回因为我有功,主人夸奖了我了。你先前说我总会好起来,实在是有先见之明……他大有希望似的高兴地说。
  可不是么……”聪明人也代为高兴似的回答他

 

   Un groupe de domestiques sortit et chassa l’Idiot.

  Alerté par le vacarme, le propriétaire lui-même sortit sans se presser.

  « Un bandit a tenté de démolir la maison. C’est moi qui ai donné l’alerte en premier et nous l’avons tous chassé. » expliqua l’esclave avec déférence et d’un air triomphant.

  « Très bien » dit le maître pour toute félicitation.

 

  Ce jour-là, nombreux furent ceux qui vinrent exprimer leur sympathie, et parmi eux le Sage.

  « Monsieur ! Cette fois, le maître m’a félicité pour mes services méritoires. Vous m’aviez bien dit que les choses allaient s’améliorer pour moi, vous aviez bien raison ! … » dit l’Esclave rayonnant, comme plein d’espoir.

  « Mais bien sûr … » répliqua le Sage d’un air tout aussi réjoui.

 

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[1] Selon une note de Pierre Ryckmans en marge de sa traduction : « La mauvaise herbe », 10/18, 1975, n. 21 p. 125. Les traductions données ici sont inspirées de cette traduction de référence ainsi que de celle de Martine Vallette Hémery : « Un combattant comme ça », éditions du Centenaire, 1973.

[2] Pierre Ryckmans a traduit « Le Sage » et je garde cette traduction faute de mieux, mais le terme cōngming ren 聪明人 désigne en fait quelqu’un d’intelligent et ingénieux, et en général les personnages brillants de l’élite d’un pays, proches du pouvoir, ceux que David Halberstam a appelé « The Best and the Brightest » dans son célèbre ouvrage sur les intellectuels dans l’administration américaine du temps de John Kennedy.


 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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