Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Brève histoire de la bande dessinée chinoise

II. Antécédents : la peinture narrative

par Brigitte Duzan, 02 novembre 2015

 

Bien que lié à l’histoire du livre illustré en Chine, le lianhuanhua doit aussi être considéré – dans sa forme séquentielle et son style pictural – comme relevant d’une tradition très ancienne de peinture narrative, dont on trouve des exemples très élaborés vers le quatrième-cinquième siècle de notre ère et qui est elle-même liée à des formes picturales ornant tombes et grottes bouddhistes.

 

Tombes et fresques

 

Le cerf aux neuf couleurs

 

Le « Jataka du cerf aux neuf couleurs » (《九色鹿本生》), dans la grotte 257 de Mogao, à Dunhuang, est l’exemple le plus souvent cité d’illustration séquentielle d’une légende, dans ce cas une parabole bouddhiste contant un épisode d’une vie antérieure du Bouddha, visant à fixer visuellement, dans un but didactique, une histoire diffusée oralement à l’origine [1].

 

Cette grotte date de la période des Wei du Nord ou Beiwei (北魏), c’est-à-dire 386-534. C’est une période de division, marquée par l’unification du Nord de la Chine par les Tuoba en 439, tandis que le sud restait divisé. Et c’est de cette même époque, mais d’une dynastie du Sud, que date un autre exemple-type de ce qui peut être considéré comme précurseur de l’un des principes de base du lianhuanhua.

 

Décorations tombales

 

Il s’agit d’un vaste relief mural sur brique d’une tombe princière de la période des Song du Sud, soit la seconde moitié du 5ème siècle. La tombe a été découverte en 1960, et l’ensemble des deux murs de briques décorées est conservé au musée de Nankin.

 

Y sont représentés les sept sages de la forêt de bambous ou zhúlín qīxián (竹林七贤), sept excentriques célèbres qui ont vécu près de la capitale du royaume de Wei, Luoyang, pendant la période des Trois Royaumes (220-280). A partir du 5ème siècle, ils sont devenus pour les lettrés chinois, des symboles de liberté d’esprit, et en particulier d’insoumission aux rites et aux conventions confucéennes.

 

 

Original du mur de briques gravées

 

 

C’est à ce moment-là qu’a été réalisée la décoration des briques de cette tombe, intitulée « Les Sept Sages et Rong Qiqi » (《竹林七贤与荣启期》), le dessin étant vraisemblablement inspiré d’une peinture de Lu Tanwei (陸探微), un peintre actif vers 450-490 qui servit l'empereur Ming de la dynastie des Liu Song  (刘宋朝) – ou Song du Sud (南宋朝).

 

La décoration de la tombe est connue surtout par l’estampage qui en a été réalisé, et qui permet d’apprécier la finesse du dessin et la construction de l’ensemble.

 

Il s’agit donc d’une suite de portraits des sept sages, chacun dans une attitude et une apparence différenciées. L’un des éléments les plus intéressants est en outre le cadre pictural dans lequel ils sont représentés : un paysage. D’une part, il est adapté au thème taoïste de retrait du monde dans la nature qui est l’un des

 

Estampage

thèmes de l’œuvre, mais les arbres sont de surcroît utilisés pour compartimenter l’espace pictural, et séparer les différentes séquences afin de mieux faire ressortir les singularités expressives de chacune. 

Par ce riche cadre arboré, la décoration de ces briques se distingue nettement des décorations usuelles de tombes sous les Han, mais certaines en sont déjà des préfigurations par l’utilisation de motifs animaux et végétaux pour séparer les motifs et segmenter l’image, telle celle-ci, datant des Han postérieurs, conservée au musée des beaux-arts de Boston :

 

 

Image conservée au musée des beaux-arts de Boston

 

 

En même temps, le trait des « sept sages » est fin et précis, dans le style gongbi (工笔) qui est celui des illustrations de livres et celui des lianhuanhua. On a parlé de « style du sud » (南朝画风), un style parfaitement adapté à l’illustration narrative.
 

On retrouve une composition séquentielle similaire dans la peinture narrative qui se développe à peu près au même moment ; illustrant des textes littéraires, elle représente une forme déjà très élaborée de narration en image. Le grand maître en est Gu Kaizhi (顾恺之).

 

Gu Kaizhi et la peinture narrative

 

Gu Kaizhi a vécu sous la dynastie des Jin orientaux (东晋), dans la Chine du Sud. Né à Wuxi (无锡), près de Suzhou, vers 345, il est ensuite allé s’installer à Nankin, où il a commencé à peindre vers 364. S’il a peint, dit-on, quelque soixante-dix tableaux, il ne nous reste que trois rouleaux, mais ils suffisent pour montrer que sa réputation n’était pas surfaite et qu’il était, selon sa propre expression, maître dans l’art d’« exprimer l’esprit par la forme » (以形写身).

 

Ces trois rouleaux horizontaux sont généralement considérés comme des tableaux fondateurs de la peinture chinoise, surtout narrative, mais pas seulement, car il a aussi développé la peinture de paysage, qui devient chez lui élément structurel comme dans la décoration murale des Sept Sages.

 

1.       Les rouleaux confucéens

 

A/ Conseils [de la monitrice] aux dames du Palais

 

Le rouleau est conservé au British Museum sous le titre « Admonitions of the Court Instructress » ou Nǚshǐ Zhēntú (《女史箴图》), mais il s’agit vraisemblablement d’une copie du 6èmeou 8ème siècle du rouleau de Gu Kaizhi. Il illustre un poème écrit en 292 par le poète officiel Zhang Hua (张华) pour admonester l’impératrice Jia (贾后), épouse de l’empereur Hui, second empereur de la dynastie des Jin (晋惠帝) ; en même temps, le poète en profite pour fournir des conseils aux femmes de la cour en leur donnant des exemples de conduite exemplaire de femmes de la cour, en des temps reculés.

 

Le rouleau du British Museum comporte neuf scènes sur douze - il manque les trois premières – mais une copie monochrome de la totalité des douze scènes, datant des Song du sud, est conservée au Musée du Palais à Pékin.

 

 

Copie du British Museum

 

 

La citation du texte de Zhang Hua correspondant à chaque scène est placée à droite de celle-ci. Il y a donc complémentarité parfaite de l’image et du texte, avec un effort particulier pour qu’ils s’éclairent mutuellement, ce qui était important pour une œuvre conçue comme une sorte de manuel de morale confucéenne destiné aux femmes.

 

1. L’introduction – illustrée par un homme et une femme se faisant face - explique que la relation entre homme et femme est apparue au moment de la séparation entre le ciel et les hommes, au temps de l’empereur Fuxi, au même moment où apparaissait la relation entre souverain et sujet ; l’ordre dans le ménage, et par extension dans le royaume, dépend donc en grande partie de la femme, qui doit rester douce, vertueuse et réservée, et cacher sa beauté en elle-même. C’est le thème général de la peinture.

 

2. Les quatre scènes suivantes illustrent des conduites de femmes exemplaires de la cour, autrefois, chacune assortie d’une ou deux lignes de vers :

 

Scène 2 : Dame Fan

樊姬感莊,不食鮮禽。Pour toucher le roi Zhuang, dame Fan ne mangeait ni gibier ni poisson.

Elle était l’épouse du roi Zhuang de Chu (楚莊王) et c’est pour s’élever contre les excès de son époux, en chasses et en festins, qu’elle refusa pendant trois ans de manger les animaux qu’il avait tués. Le peintre la montre agenouillée devant une table vide.

 

Scène 3 : La dame de Wei

卫女矫桓,耳忘和音。

Pour faire changer le duc Huan, la dame de Wei cessa d’écouter la musique douce [qu’elle aimait]

志厉义高,而二主易心。

Touché par ses nobles aspirations et sa droiture, le duc se réforma.

Cette femme, originaire de l’Etat de Wei, était l’épouse du duc Huan de Qi (齊桓公). Comme il aimait se divertir en écoutant de la musique lascive, elle refusa d’en faire autant. La peinture la montre écoutant de la musique des rituels de cour, interprétée sur cloches de bronze.

 

Scène 4 : Dame Feng   

 

 

Scène 4 : Dame Feng

 

 

玄熊攀槛,冯媛趍进。

Quand un ours noir, un jour, s’échappa de sa cage, dame Feng se précipita en avant

夫岂无畏?知死不恡!

Bien sûr qu’elle eut peur ! Elle savait qu’elle pouvait être tuée, mais n’en eut cure.

Cette femme était l’épouse de l’empereur Yuan des Han (汉元帝). Dans la copie du British Museum, elle est sauvée par deux gardes armés de lances ; deux femmes de la cour observent horrifiées, derrière elle, tandis qu’une autre femme, à gauche, s’est sauvée quand elle a vu l’animal.

 

Scène 5 : Dame Ban

 

 

Scène 5 : Dame Ban

 

 

班妾有辞,割驩同辇。

Dame Ban refusa [de monter dans le palanquin de l’empereur], se privant du plaisir de sa compagnie

夫岂不怀?防微虑远!

Bien sûr que cela lui a coûté ! Mais elle a préféré garder ses distances pour éviter le moindre soupçon.

Selon Dame Ban, les souverains sages étaient représentés entourés de leurs ministres, les souverains décadents entourés de leurs concubines. Elle ne voulait donc pas se montrer en public avec son époux.

La peinture la montre marchant derrière le palanquin qui transporte son époux, l’empereur Cheng des Han (汉成帝). Mais une autre femme est assise à côté de l’empereur, suggérant qu’il n’a pas suivi les conseils de Dame Ban, attitude révélant un empereur insuffisamment soucieux de ses responsabilités, donc ouvrant la voie à la sédition de Wang Mang (王莽).                                       

 

3. Scène de transition

Scène 6 : La montagne

 

道罔隆而不杀,物无盛而不衰。

Il n’est rien de grand qui ne passe, rien de florissant qui ne se fane, telle est la voie.

日中则昃,月满则微。

Le soleil au zénith amorce déjà sa chute, la pleine lune son déclin.

崇犹尘积,替若骇机。

 

L’honneur a la fragilité d’un amas de poussière, la ruine la soudaineté d’une flèche.

 

Scène 6 : La montagne

La scène tranche soudain sur les précédentes, en offrant des considérations générales sur l’impermanence des choses. La peinture illustre les deux derniers vers : la montagne comme un tas de poussière, le soleil à droite, habité par le corbeau à trois pattes, et la pleine lune, avec ses deux habitants, la grenouille et le lapin, tandis qu’à gauche un archer est en train de bander son arc pour viser ce qui doit être un tigre dans la montagne.

 

4. Quatre scènes illustrant (symboliquement) la vie d’une femme du Palais

Scène 7 : La toilette

 

人咸知饰其容,而莫知饰其性。

Tout le monde sait comment se parer, mais nul ne sait comment parer sa nature,

性之不饰,或愆礼正。

Or si ce n’est pas fait, les rites se perdent et les conduites se faussent.

斧之藻之,克念作圣。

Il faut donc la tailler et l’orner, et maîtriser ses pensées pour tendre vers la sainteté.

Scène paisible montrant une jeune femme du palais à sa toilette, qu’une autre femme est en train de peigner. Sur la droite, une troisième se regarde dans un miroir, qui réfléchit son

 

Scène 7 : La toilette

visage vers le lecteur, les deux miroirs étant miroirs de l’âme, réfléchissant lanature intime bien plus que l’apparence.

 

Scène 8 : La chambre à coucher

 

出其言善,千里应之。

Si vous proférez de bonnes paroles, on vous répondra de mille lieues à la ronde.

苟违斯义,则同衾以疑。

Mais si vous ne respectez pas ce principe, même celui qui partage votre couche vous regardera avec suspicion.

La peinture montre l’empereur rendant visite à l’une de ses concubines dans son alcôve. Mais il reste assis sur le bord du lit, les pieds fermement plantés par terre, en se tournant pour regarder la femme, comme s’il hésitait à rester.

 

Scène 8 : La chambre à coucher

 

Scène 9 : Scène familiale

 

Avec un long poème.

L’empereur est entouré de ses épouses, et de ses enfants, le groupe formant un triangle rappelant la montagne de la scène 6, donc rappelant son message : le groupe paraît fort et solide, mais ils sont menacés à tout instant par l’impermanence des choses…

 

Scène 10 : Rejet

En contraste avec la scène d’harmonie conjugale de la scène précédente, celle-ci montre la concubine renvoyée par

 

Scène 9 : Scène familiale

l’empereur qui lui signifie son rejet d’un geste de la main.

 

Scène 11 : Réflexion

Tel est le destin de la femme qui n’a pas suivi les conseils qui lui ont été prodigués

 

5. Scène conclusive

Scène 12 : L’instructrice… en train d’écrire ses conseils sur un rouleau, tandis que s’approchent deux femmes…

 

Ce rouleau se présente comme un lianhuanhua : chaque scène pourrait être représentée sur une page séparée, avec un texte simple, facile à mémoriser, pour l’accompagner et séparer, justement, une scène de la suivante. La peinture est très expressive, les mouvements des femmes étant soulignés par le drapé très fluide des longs vêtements et la ligne ondoyante des ceintures et rubans qui semblent soulevés par la brise, comme les apsaras des fresques de Dunhuang.

 

B/ Il existe un autre rouleau de Gu Kaizhi sur un thème similaire : le « Tableau de femmes exemplaires et bienveillantes » (《列女仁智图》)

 

La peinture illustre les « Biographies de femmes exemplaires » ou Lienüzhuan 《列女传》 de Liu Xiang (刘向), qui a vécu sous la dynastie des Han, de 77 à 6 avant notre ère.

 

Il s’agit d’un rouleau de cinq mètres de long, divisé en dix sections correspondant à des histoires rapidement évoquées par des textes insérés avant chaque scène (à droite, dans le sens du déroulement du rouleau, de droite à gauche) ; les personnages sont identifiés par des inscriptions figurant au-dessus ou à côté de leurs têtes, et les scènes séparées à intervalles irréguliers par deux lignes verticales de texte.

 

Les personnages sont « placés côte à côte » (平列人像), selon le style en usage à l’époque Han, mais il est ici beaucoup plus réaliste, avec des personnages vivants et individualisés.

 

Il existe une copie du rouleau au musée du Palais à Pékin :

 

 

 Tableau de femmes exemplaires et bienveillantes

 

 

C/ Il est intéressant de noter que l’on a découvert en 1966, dans une tombe de Datong, au Shanxi, des panneaux de paravent peints sur bois laqué, qui datent, encore une fois, de la période des Wei du Nord. Le titre est légèrement différent : « Tableau de femmes exemplaires et vertueuses du passé » (《列女古贤图》)

 

Comme dans la peinture de Gu Kaizhi, les noms identifiant les personnages sont indiqués, ici dans des cartouches, et le texte est inscrit à côté de chaque scène. Le style très proche de celui de Gu Kaizhi, en particulier dans les mouvements des personnages féminins, mais il est possible que ce soit tout simplement parce qu’ils ont des sources communes.

 

D/ Grand classique de la morale confucéenne, le Lienüzhuan a inspiré de nombreux livres illustrés, sous les Ming et les Qing, mais même avant : c’est en fait une édition du Lienüzhuan qui constitue le premier livre illustré répertorié, publié en l’an 8 de l’ère Jiayou (宋嘉佑八年), c’est-à-dire en 1063, dernière année du règne de l’empereurRenzong [2].

 

Le Lienüzhuan a été somptueusement illustré à la fin des Ming [3] par Qiu Ying (仇英), « l’un des quatre grands maîtres de l’Ecole de Wu » (吴门四家之一) ; c’est une édition en

 

Tableau de femmes exemplaires

et vertueuses du passé

seize volumes avec illustrations en pages entières, dans un style gongbi d’un grand raffinement, mais

 

Lienüzhuan illustré par Qiu Ying

 

dont la représentation des personnages rappelle beaucoup le rouleau de Gu Kaizhi, dans le drapé des vêtements en particulier.  

 

Le Lienüzhuan illustré par Qiu Ying, scène de la dame Ban refusant de monter dans le palanquin de l’empereur 

 

Le livre n’inspirera pas de lianhuanhua : le sujet n’était simplement pas adapté à ce nouveau support et à son public. En revanche, ce même style d’illustrations se transmettra depuis Gu Kaizhi ; c’est très net à partir de l’autre de ses rouleaux qui nous est parvenu.

 

 

2.       La nymphe de la rivière Luo

 

A/ Le rouleau de « La nymphe de la rivière Luo », ou Luoshen fu tu (《洛神赋图》), est une illustration d’une ode très célèbre (Luoshen fu 《洛神赋》) de Cao Zhi (曹植) [4]. Ecrite en l’an 222, elle raconte la rencontre du poète avec la nymphe, fille du souverain mythique Fuxi. Ils ont une brève histoire d’amour, sans lendemain car, comme conclut Cao Zhi tristement, hommes et dieux doivent suivre des voies séparées [5].

 

La peinture de Gu Kaizhi suit fidèlement le texte de Cao Zhi, le titre l’annonce directement. La scène introductive représente le poète, debout au bord de la rivière. Puis la peinture déroule le récit, l’image étant scandée par des passages du texte segmenté en scènes et la nymphe représentée dans des vêtements fluides et des rubans flottant au gré du vent, dans un style comparable à celuides autres rouleaux.

 

Ce qui est nouveau ici, c’est le développement du paysage : il devient un élément fondamental dans la continuité narrative qui aurait pu être rompue par le procédé séquentiel de narration, utilisant les citations du texte à intervalles irréguliers. C’est donc l’arrière-plan pictural qui assure la cohérence du récit, ce qui n’était pas nécessaire dans les rouleaux précédents car il ne s’agissait pas d’une histoire à part entière, mais de scènes séparées reliées entre elles par un argument moral.

 

Le paysage reprend même les éléments symboliques du texte utilisés pour décrire la nymphe : oies sauvages, dragon, soleil. Les métaphores du poète se font métaphore visuelle sous le pinceau du peintre, accentuant la cohérence image-texte, malgré la segmentation de celui-ci.

 

Dernier procédé emprunté à la littérature : le regard en arrière jeté par le poète dans la dernière scène du tableau. Regard nostalgique invitant le lecteur à se souvenir de ce qu’il vient de lire/voir, avec la même tristesse rétrospective.

  

B/ La peinture originale de Gu Kaizhia disparu. Elle n’est connue aujourd’hui que par trois copies réalisées sous les Song, au 12ème siècle : l’une est au musée du Palais à Pékin, la seconde à la Freer Gallery à Washington, et la troisième, acquise par Pu Yi, du temps du Manchukuo, est maintenant au musée du Liaoning à Shenyang.

 

Les deux premières se ressemblent beaucoup. Elles donnent une place prépondérante à la peinture.

 

 

Copie de Pékin

 

 

 

Copie de la Freer Gallery

 

 

La troisième est différente, car elle intègre le texte qui est inscrit çà et là dans le paysage, avant ou après chaque scène, en fonction de la structure de l’image, pour s’y intégrer au mieux ; on retrouve donc le procédé utilisé dans les autres rouleaux de Gu Kaizhi, qui est celui de la peinture narrative en général après lui.

 

 

Copie de Shenyang (avec le texte de l’ode inscrit dans le paysage)

 

 

C/ Mais il existe une autre copie, conservée, elle, au British Museum : anonyme, datant du 17ème siècle(fin des Ming/début des Qing), mais sans doute copie d’une œuvre plus ancienne, datant de la dynastie des Jin (12ème/13ème siècle).

 

Cette copie suit la même composition séquentielle que les trois copies de l’époque Song, mais les scènes sont peintes dans des paysages plus élaborés, propres aux peintures narratives de l’époque Ming et les scènes représentées sont accompagnées de passages du texte qui, ici, sont inscrits dans des cartouches placées dans l’espace pictural.

 

 

Copie du British Museum

 

 

Or, si,dans la copie de Shenyang, le texte est celui de Cao Zhi dans son intégralité, ce n’est pas le cas de celui inscrit dans les cartouches de la copie du British Museum [6] : il manque une partie du texte. Selon Cédric Laurent, les coupures dans le texte seraient « une façon de se distancier du modèle ancien », le développement du paysage permettant « d’introduire des motifs picturaux qui forment autant de séparations entre les scènes de la peinture », ce qui diminue le rôle de segmentation du texte par rapport au rouleau d’origine.

 

Mais l’utilisation d’éléments du paysage pour segmenter l’espace pictural est un motif très ancien (voir plus haut). On peut également voir dans cette nouvelle approche du texte une influence de l’évolution du livre illustré sous les Ming, à partir de l’ère Wanli, évolution trouvant son apogée à la fin des Ming sous l’empereur Chonzhen (崇祯帝) : les illustrations évoluent vers des feuillets en page entière, qui se dissocient de plus en plus du texte. Ce sont des illustrations de classiques très connus, au moins du public lettré auquel s’adressent ces livres, lettrés auxquels il n’est pas besoin de rappeler le texte, leur mémoire suffisant à le restituer verbatim au gré des images.


Copie du British Museum (détails de la peinture et des cartouches) :
http://www.britishmuseum.org/research/collection_online/collection_object_details/

collection_image_gallery.aspx?partid=1&assetid=30558001&objectid=270192#more-views

 
Avec cette copie, on est doublement dans la logique du lianhuanhua, car on est dans un schéma narratif séquentiel, mais où l’image, en outre, se substitue au texte pour conter l’histoire. C’est le propre des lianhuanhua classiques, qui sont très souvent illustration d’histoires connues, tirées des grands classiques littéraires, voire des opéras traditionnels, eux-mêmes issus de la littérature orale…

 

 


[1] Sur ce Jataka, voir : Brève histoire de la bande dessinée chinoise, I. Origines et développement.

[2] Empereur qui a élevé la 46ème génération de descendants de Confucius au rang de gong dans la hiérarchie nobiliaire chinoise en les nommant ducs de Yansheng (衍圣公). La dynastie des Song est une grande période de renouveau du confucianisme.

[3] Age d’or du livre illustré, voir : Brève histoire de la bande dessinée chinoise, III. Précédent : le roman illustré.

[4] Cao Zhi (192-232), troisième fils de Cao Cao (曹操) et grand poète.

[5] L’ode lui aurait été inspirée par les sentiments romantiques qu’il nourrissait à l’égard de sa belle-sœur, l’épouse de son frère Cao Pi (曹丕).

[6] Détail souligné et analysé par Cédric Laurent dans son chapitre « Poésie en peinture » : esthétique de l’illustration sous les Ming, dans : Du visible au lisible, texte et image en Chine et au Japon, édition établie par Anne Kerlan-Stephens et Cécile Sakai, Philippe Picquier 2006, p. 23-24.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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