Textes divers

 
 
 
     

 

 

A Cheng 阿城

Xiánhuà xiánshuō 《闲话闲说》中国世俗与中国小说

Digressions sur les coutumes séculaires et la fiction en Chine

par Brigitte Duzan, 20 octobre 2019

 

32. La théorie des classes et l’expression wàngbā 忘八 / 王八

 

Dans ce chapitre 32, qui a disparu des versions éditées en Chine continentale, mais que l’on peut trouver dans celles publiées à Taiwan, A Cheng commence par critiquer la théorie des classes reprise par Mao de Marx et Engels : elle s’oppose en effet à la fluidité sociale qui existait dans la Chine ancienne, et ce grâce au système des examens mandarinaux qui permettaient, grâce à l’éducation, un mouvement constant entre la base et le sommet (下层上层之间的不断循环混合). C’est le principe (théorique) énoncé par Confucius : « Pas de différences entre gens éduqués » (有教无类). 

 

A Cheng poursuit :

 

八五年我在香港看陈公博的《苦笑录》,其中讲到当年马日事变,陈坐专列从南京到长沙去问究竟,近到长沙,陈下车钻到杀共产党的军队里,说共产党打土豪分田地是为你们这些贫苦农民的,你们为什么倒要去杀共产党?士兵说共产党杀的是我们一姓的人呀。陈公博是中国共产党的创始人之一,当下领悟,不去长沙回南京了。

 

Xianhua xianshuo (éd. 2017)

 

Chen Gongbo

 

En 1985, à Hong Kong, j’ai lu « Rire amer » de Chen Gongbo [1]. Dans cet ouvrage, il raconte comment, au moment de l’incident du 21 mai 1927 à Changsha [2], il s’est rendu là de Nankin en train spécial pour évaluer la situation. Non loin de Changsha, il est descendu du train et, s’étant mêlé aux bataillons chargés de massacrer les communistes, il a demandé à des soldats : les communistes s’attaquent aux propriétaires fonciers et partagent les terres pour aider les paysans pauvres comme vous, alors pourquoi voulez-vous les tuer ? Les soldats lui ont répondu que les communistes avaient tué des gens qui portaient le même nom qu’eux (一姓的人). Cofondateur du Parti communiste chinois, Chen Gongbo comprit immédiatement et, renonçant à aller jusqu’à Changsha, il rentra à Nankin.

 

 你们看《毛泽东选集》第一卷第一篇《湖南农民运动考察报告》,显然在学苏共的消灭地主富农阶级的方法,可当时湖南的名绅学问家叶德辉被杀,毛泽东自己也吓了一跳。

 

Quand on lit le premier article du premier volume des « Œuvres choisies de Mao Zedong, le « Rapport d’enquête sur le mouvement paysan au Hunan » [3], il apparaît clairement qu’il a étudié les conceptions des communistes soviétiques concernant les modes d’élimination des propriétaires fonciers et des paysans riches ; pourtant, quand l’érudit notable Ye Dehui [4] fut assassiné, Mao lui-même a eu un moment d’effarement.

 

马克思恩格斯的阶级论,并不错的,当它针对英国的阶级状况而言,贵族再穷,还是贵族,工人再有本事,还是工人,阶级之间不通。

La théorie des classes de Marx et Engels n’est pas fausse ; elle est conforme à la situation de la Grande-Bretagne, où

 

Rapport d’enquête sur le mouvement paysan au Hunan (éd. de Yan’an)

un aristocrate même ruiné reste un aristocrate, et où un ouvrier même très doué restera toujours un ouvrier : pas de pont entre les classes.  

 

Ye Dehui en 1920 (56 ans)

 

阶级论拿到当时的中国,马嘴就有些对不上牛头。中国历代皇家,除了赐爵位,更重要的是赐姓,甚至皇家自己的姓,例如唐皇的,也是前朝赐的。

民间说蒙古人占了中原,杀赵钱孙李周吴郑王八姓,因为这八姓是大姓,杀光则汉人即失元气。后世骂人忘八,意思是忘了汉人祖宗,不忠不孝,后来演成王八,倒把龟糟蹋了,唐朝时还是美意。

 

On ne peut cependant pas la transposer dans la Chine d’aujourd’hui, la situation n’a rien à voir. Dans l’histoire chinoise, les empereurs doivent bien sûr conférer les titres de noblesse, mais, bien plus important, transmettre les noms de famille, et en particulier celui de la famille impériale, comme, par exemple, le nom Li de la dynastie des Tang, transmis par la dynastie précédente.

 

Selon la légende populaire, quand les Mongols ont occupé la Plaine centrale, ils ont massacré les huit familles

« Zhao, Qian, Sun, Li, Zhou, Wu, Zheng, Wang » qui portaient les huit grands noms, et ce faisant ils ont fait perdre au peuple han son souffle originel. Par la suite, on a injurié quelqu’un en le traitant de wàngbā (忘八) [c’est-à-dire salaud, ordure], ce qui signifiait « toi qui oublies les ancêtres des Han, et n’as ni piété filiale () ni loyauté () ». Le terme est ensuite devenu wángbā (王八), littéralement « roi huit », comme « tortue », digne d’être piétinée, mais, sous les Tang, ce terme n’avait pas encore le sens péjoratif qu’il a pris ensuite [5]. 


 

[1] Chen Gongbo (陈公博), né à Nanhai dans le Guangdong en 1892, est un marxiste, élève de Chen Duxiu (陈独秀), et l’un des fondateurs du Parti communiste chinois en 1921, mais représentant d’une « minorité démocratique » hostile à toute action violente. Eliminé du Parti l’année suivante, il s’est rapproché en 1925 de Wang Jingwei (汪精卫) et de l’aile gauche du Guomingdang.
Peu connu, le livre mentionné par A Cheng a été écrit en 1939 à Hong Kong et publié par l’Université chinoise de Hong Kong en avril 1978 ; il est sous-titré « 1925-1936 », ce sont les souvenirs de l’auteur aux côtés de Wang Jingwei pendant cette période :
https://www.marxists.org/chinese/pdf/08/082101.pdf

[2] Ce soir-là, des officiers du Guomingdang ont attaqué le gouvernement procommuniste de Wuhan et diverses organisations ouvrières et paysannes communistes du Hunan. Plus d’une centaine de personnes ont été tuées, dont des membres de la gauche du Guomingdang.

[3] Initialement publié le 5 mars 1927.

[4] Historien, érudit et célèbre bibliophile, né en 1864, il est l’auteur d’une véritable histoire du livre en Chine, « Propos purs sur les livres » (Shulin qinghua《书林清话》). Il a été assassiné en 1927 par des paysans pour son opposition au mouvement des ouvriers et paysans.

[5]  wángbā (王八) est un terme populaire qui a d’abord désigné la tortue d’eau douce à carapace molle biē , puis une tortue (wūguī 乌龟). Le terme a ensuite désigné le propriétaire (masculin) d’une maison close, un maquereau. Puis il a pris le sens de « cocu » en devenant une insulte.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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