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« Ecrits de la maison des rats » : quelques pages douces-amères pour mieux connaître Lao She  

par Brigitte Duzan, 21 mai 2010

 

« Ecrits de la maison des rats » est le deuxième livre de la collection des éditions Philippe Picquier lancée en avril dernier avec « Songeant à mon père » de Yan Lianke : intitulée « Ecrits dans la paume de la main », cette nouvelle collection s’intéresse aux textes brefs, réflexions sur le vif ou souvenirs d’enfance, « miettes modestes volées à la mémoire ».

 

Les textes de Lao She qu’elle nous offre aujourd’hui sont effectivement des petits joyaux de cet ordre.

 

« Ecrits de la maison des rats » 

 

Les écrits en question sont de courts articles, publiés dans divers journaux et revues entre 1934 et 1959, où Lao She donne le meilleur de son humour doux-amer, nous laissant souvent entre sourire et

 

« Ecrits de la maison des rats »

larmes, comme il le voulait (1).

 

Le livre commence fort à propos par un texte très drôle qui donne tout de suite le ton de ce qui suit ; intitulé « Dur, dur d’écrire son autobiographie », Lao She y décrit les diverses étapes que se doit de suivre une biographie chinoise et les raisons pour lesquelles il lui est impossible de se plier à ces règles, ce qui exclut l’autobiographie, et laisse donc le champ ouvert à des écrits au gré du vent et de la plume, des souvenirs intimes et des réflexions sur le moment qui passe.

 

Les textes sont présentés dans un ordre thématique, présentant d’abord des souvenirs d’enfance, et en particulier un émouvant hommage à sa mère, à un oncle haut en couleur qui lui a permis de continuer ses études, et, bien sûr, à sa chère ville de Pékin, une ville « calme dans le mouvement », dont il nous transmet la nostalgie, nostalgie de ces « espaces libres de construction où l’on peut respirer librement ».

 

Le reste est un choix de réflexions sur la vie, la vie de tous les jours, la vie telle qu’elle est et telle

qu’elle pourrait être, celle qui, déjà, fait partir du passé et revient vous hanter, des choses infimes, quelquefois, qui font de certaines pages de subtils petits poèmes en prose.

 

Un témoignage sur la vie et la pensée de Lao She

 

Si l’on se livre cependant à un petit exercice de remise en ordre chronologique des textes, apparaît dès lors un autre aspect de leur contenu, lié au contexte de l’époque où ils ont été écrits.

 

De 1934 à 1936, c’est-à-dire avant le début de la guerre dite ‘de résistance’ contre le Japon, Lao She est alors professeur à Tianjin ; il évoque d’abord des souvenirs de l’été, des impressions épidermiques, et puis il passe à des réflexions sur la lecture, les examens, son travail : il dit que le pire, c’est d’être contraint de faire un travail que l’on n’aime pas, parce qu’il faut bien remplir son bol de riz. On croit sentir que ces textes, justement, sont écrits dans ce but.

 

Ce qui est tout aussi intéressant, ce sont les journaux dans lesquels ils sont publiés, et qui donnent un aperçu fugace de l’environnement dans lequel évoluait Lao She. On l’a dit résolument apolitique, non affilié à quelque mouvement que ce soit. Pas tout à fait.

 

《大众画报》« Cosmopolitan »

 

En effet, il publie à l’époque principalement dans quatre journaux : le bimensuel Lunyu 论语半月刊, le magazine illustré 《大众画报》(qui s’était donné le titre international « Cosmopolitan »), le « monde des hommes »人间et « le vent cosmique »宇宙风. Ces titres ont un point commun : ils font partie de ce qu’on appelle « le groupe Lunyu », autour de Lin Yutang (林语堂), l’un des écrivains et penseurs chinois les plus influents à l’époque (2).

 

Le bimensuel Lunyu fut créé par Lin Yutang en 1932, et le succès que connut le titre entraîna la création des autres. Le propos de ces publications n’était pas révolutionnaire, et se démarquait de la tendance gauchiste des écrivains autour de Lu Xun ; la ligne éditoriale était plutôt la critique sociale, voire le commentaire sur la myriade de petits faits de la vie quotidienne, dans le contexte des contradictions nées de la modernisation. Bon nombre des auteurs qui

gravitaient dans cette orbite étaient des chercheurs en sciences sociales, formés en Occident, plutôt que des wenren. Mais Lao She fut l’un de ceux que ces publications contribuèrent à faire connaître. 

C’est dans le « vent cosmique »宇宙风, par exemple, que fut publié « Le pousse pousse », sous forme de feuilleton, en 1936.

 

A partir de 1940, et pendant toute la guerre, Lao She se tourne vers les journaux créés ou réfugiés à

l’ouest, comme le « Quotidien de l’ouest chinois » (华西日报); en même temps, ses thèmes se font plus nostalgiques : il se souvient avec émotion de l’oncle qui l’a sauvé de l’apprentissage (1940), de sa mère (1943), les poules (1942) étant une autre manière d’évoquer l’amour et l’héroïsme maternels.

 

Autant de textes qui nous transportent dans l’univers intime d’un auteur dont l’œuvre gagne ainsi en profondeur : il faut saluer ici la justesse des choix opérés par le directeur de la collection.

 

Un mot sur le traducteur, Claude Payen

 

Il y a des traducteurs compulsifs comme il y a des lecteurs compulsifs : Claude Payen en est un (4), et, qui plus est, méticuleux, toujours à la recherche du mot juste, on se demande où il trouve le temps de traduire autant, et aussi bien, car, en lisant ces «écrits de la maison des rats », on en finirait presque par oublier qu’il s’agit quand même de littérature chinoise.

 

Il a commencé sa carrière de traducteur en traduisant de l’anglais un livre qui est maintenant un ouvrage de collection, préfacé par Lucien Blanco et publié en deux volumes en 1969 par l’Imprimerie nationale : « La Longue Marche : mémoires du maréchal Zhu De » d’Agnès Smedley, cette journaliste américaine qui fut, entre autres choses, correspondant de guerre en Chine dans les années 1930, et qui, de 1938 à 1940, visita les zones contrôlées par les forces communistes et celles du Guomingdang.

 

Il a ensuite traduit, du chinois cette fois, pour les éditions Youfeng, un roman basé sur un fait divers authentique : « Rouge… sang » de deux auteurs dont le nom importe peu. Le plus intéressant dans l’histoire est que le responsable de la collection l’a mis sur la piste de Lao She, en lui suggérant d’abord de traduire « L’anniversaire de Xiao Po » ; mais cette traduction fut publiée chez Philippe Picquier

 

« La Longue Marche : mémoires du maréchal Zhu De » d’Agnès Smedley

qui est resté ensuite l’éditeur attitré de Claude Payen, avec une brève infidélité pour passer aux éditions de l’Olivier le temps d’une traduction : celle du roman de Murong Xuecun intitulé « Oublier Chengdu ».

 

Rien de plus différent, a priori, tant du point de vue de la langue que des histoires elles-mêmes et du contexte dans lequel elles s’inscrivent, que tous ces livres dont on a presque l’impression que les traductions se chevauchent et se bousculent. En fait, ce qui le gêne le plus, dit-il, ce sont les libertés avec la réalité que se permettent parfois les auteurs, sans faire exprès, pris par l’urgence de la plume, et qui ne gênent en rien le public chinois : des incongruités sur la durée d’une grossesse, ou des descriptions invraisemblables d’attitudes ou de situations, qui demandent beaucoup de doigté et

d’expérience pour rétablir un sens qui tienne la route.

 

Il dit que, tous les soirs, il lit du français pour peaufiner son style, car c’est cela le plus difficile, finalement : non point la compréhension du texte original, mais le maniement de sa propre langue afin de la rendre suffisamment souple et élégante pour que l’on oublie le traducteur, mais sans perdre en précision.  

 

Il se veut transparent, Claude Payen, mais de temps en temps il faut bien satisfaire un peu la curiosité des lecteurs ...

 

 

Notes

(1) Voir son article « Qu’est-ce que l’humour ».

(2) Né en 1895, après des études à Shanghai, Lin Yutang a étudié aux Etats-Unis (à Harvard), et, après un séjour en France, a préparé un doctorat en Allemagne (à l’université de Leipzig). C’est un des grands intellectuels chinois qui ont contribué à faire connaître et populariser la littérature et la pensée chinoises à l’étranger.

(3) Outre cinq livres de Lao She, il en a traduit trois de Bi Feiyu, deux de Yan Lianke (et non des moindres : « Le rêve du village des Ding » et « Servir le peuple »), les « Ripoux » de Zhang Yu, et j’en passe… et tout cela dans les dix dernières années : libéré de l’enseignement, il a pu consacrer tout son temps à la traduction, comme Lao She, en son temps, à l’écriture.  

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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