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Superbe recueil de poèmes Song illustrés par Dai Dunbang, en édition bilingue : "Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes"

par Brigitte Duzan, 25 décembre 2017 

 

Début janvier 2018 sort aux Editions de la Cerise un recueil de poèmes Song, « Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes », qui est original à plus d’un titre : la traduction, de Bertrand Goujard, est élégante, la mise en page, en édition bilingue, l’est tout autant, et les illustrations, une par poème, sont signées Dai Dunbang (戴敦邦), l’un des grands maîtres contemporains de l’illustration de classiques chinois et de leurs adaptations en lianhuanhua (连环画).

 

La période Song (960-1279) a été un autre âge d’or de la poésie chinoise, après celle des Tang, mais on en parle beaucoup moins, hormis quelques célébrités de l’époque, dont Su Dongpo (苏东坡) ou la poétesse Li Qingzhao (李清照). Ce recueil est donc bienvenu. Et il l’est d’autant plus que la traduction et l’édition en sont particulièrement soignées.

 

Quand mon âme vagabonde

en ces anciens royaumes

 

Il regroupe 57 poèmes de 39 poètes, classés par ordre chronologique, de Li Yu (李煜), né en 937, à Zhang Yan (张炎), né en 1248, ce qui encadre parfaitement la période.

 

Illustration p. 85, poème de Liu Zihui, Sur le fleuve.

 

Les poèmes ont été choisis par le traducteur, et ils sont précédés de deux notes introductives :

- une note générale de trois pages sur « La civilisation chinoise sous la dynastie des Song », civilisation florissante dans un pays en plein essor, où, sur fond de troubles aux frontières et de menaces d’invasion se précisant au fil du temps, littérature et poésie connaissent un nouvel âge d’or : elles sont favorisées par le système des examens mandarinaux et le rôle de la culture lettrée comme outil de promotion sociale, tandis que les innovations techniques dans le domaine de l’imprimerie contribuent au développement de l’édition, et en particulier de l’édition illustrée

de textes populaires et religieux aussi bien que d’ouvrages encyclopédiques et historiques. 

- et une note, instructive et claire, de deux pages sur « Les formes poétiques sous les Song », distinguant la poésie régulière ou shi (), qui s’est épanouie sous les Tang, et le "poème à chanter" ci () qui s’est développé à partir du début des Song, les ci constituant la majeure partie des poèmes du recueil.

 

Par ailleurs, chaque poème est accompagné, en fin d’ouvrage, d’une note du traducteur présentant le poète qui en est l’auteur, et de commentaires sur le poème lui-même, commentaires qui incluent des notes sur les difficultés de traduction inhérentes au chinois classique. Le traducteur donne même les références aux traductions concurrentes des mêmes poèmes (celle de Muriel Detrie, par exemple, pour le poème de Liu Yong (柳永) « Sur l’air de Tintements d’une pluie sans fin », p.24).

 

Ces références sont complétées par une bibliographie, sur la poésie, la philosophie, l’histoire et l’écriture chinoises. On a donc ainsi les éléments nécessaires à une lecture "éclairée" des poèmes choisis, lecture d’autant plus agréable que, sur

 

Illustration p. 91, poème de Lu You, Voyage

dans les collines au village de l’Ouest.

chaque page, le poème en chinois est présenté en écriture verticale à gauche, la traduction en français équilibrant le texte à droite.  

 

On peut s’en faire une idée grâce aux extraits donnés sur le site de l’éditeur [1] :

https://www.editionsdelacerise.com/livre/quand-mon-ame-vagabonde-en-ces-anciens-royaumes

 

Illustration p. 103, poème de Zhang Xiaoxiang, Ballade chantée des six provinces.

 

Enfin, chaque poème est en outre accompagné d’une illustration du peintre Dai Dunbang, ses illustrations faisant de ce recueil de poésie un véritable livre d’art, le livre illustré et la bande dessinée étant la spécialité de l’éditeur. L’idée originale de Guillaume Trouillard, le créateur et directeur artistique des éditions de la Cerise, était d’ailleurs, depuis longtemps, de publier un ouvrage sur le travail de ce peintre, maître contemporain de l’illustration en Chine. En cherchant dans sa production pléthorique, il est tombé sur divers recueils de poèmes illustrés de sa main. Les illustrations qui ont retenu son attention étaient celles de poèmes Song.

 

Le projet est né de là [2]. Il s’est ensuite concrétisé avec le choix du traducteur, et son travail sur le

choix des poèmes, puis sur leur traduction et tout le corpus de notes et commentaires qui font la richesse de l’ouvrage.

 

Or, ce que l’on cherche vainement, ce sont deux notes biographiques, l’une sur le traducteur et l’autre sur l’illustrateur. Commençons par celui-ci.

 

Né en 1938, Dai Dunbang (戴敦邦) est originaire du district de Dantu de la ville de Zhenjiang, dans le Jiangsu (江苏镇江丹徒). Il a commencé à dessiner à l’âge de douze ans et a appris tout seul. Son père était cordonnier, ses frères et sœurs sont devenus ouvriers. Lui a terminé ses études à l’école normale de Shanghai en 1956, et il est alors devenu rédacteur des rubriques artistiques des journaux « Jeunesse de Chine » (《中国少年报》) et « Le monde de l’enfance » (《儿童时代》).

 

A la fin de la Révolution culturelle, en 1976, il est entré au Bureau de recherche sur les arts artisanaux de Shanghai (上海工艺美术研究所), puis est devenu professeur à l’Ecole des

 

Dai Dunbang

sciences humaines de l’Université des communications de Shanghai (上海交通大学人文学院). 

 

Il est connu, depuis le début des années 1960, comme peintre et portraitiste dans le style réaliste traditionnel gongbihua (工笔画), mais surtout, depuis le début des années 1980, comme illustrateur de livres et de lianhuanhua (连环画), dans des styles chaque fois légèrement différents. Il a illustré tous les grands classiques de la littérature chinoise comme « Le Rêve dans le Pavillon rouge » (《红楼梦》), « Au Bord de l’eau » (《水浒传》), « Le Roman des Trois Royaumes » (《三国演义》) ou encore « Les Contes du Liaozhai » (《聊斋志异》).

 

Parmi les lianhuanhua les plus célèbres qu’il a illustrés figure par exemple « Au Bord de l’eau » :

http://blog.sina.com.cn/s/blog_66ae49ef0102e5j6.html

ou encore « Le Rêve dans le Pavillon rouge »

http://blog.sina.com.cn/s/blog_c30151790102vhmb.html

 

Dai Dunbang est féru de littérature classique, et tout particulièrementde poésie : il a fondé une association pour chanter les poèmes classiques des Tang et des Song dont il a illustré de nombreux recueils.

 

A près de 80 ans, il continue à dessiner et peindre, bien qu’ayant perdu l’usage de l’œil droit depuis plusieurs années. 

 

Quant à Bertrand Goujard, il est traducteur du chinois, spécialiste de la poésie classique chinoise dite tardive. Ses traductions sont publiées, en version bilingue et avec notes et commentaires, sur le site Vent du Soir qu’il a créé en 2006 [3].

 

Il est l’auteur d’un recueil de traductions des « Cinquante-huit odes » (ou ci) de la poétesse Li Qingzhao (李易安), présentées et annotées de la même manière [4].

 

« Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes » est une réussite tant du point de vue littéraire qu’esthétique [5]. Il a la beauté de ces livres illustrés qui se sont développés sous les Song, justement, à partir du 11ème siècle, et ont connu leur âge d’or pendant l’ère Wanli, sous les Ming, devenant œuvre d’art, collectionnée comme telle, à la fin de la dynastie.  

 

 

Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes,
poèmes Song illustrés par Dai Dunbang et traduits par Bertrand Goujard,

édition bilingue, Éditions de la Cerise, 2018, 136 p.

 

 


[1] Extraits qui comportent une traduction pour le moins originale d’un poème de Dai Fugu (戴復古), p. 114, dont il faut lire les commentaires en fin d’ouvrage pour apprécier la verve. Poète des Song du Sud, élève de Lu You (陸游) également présent dans le recueil (p. 90), Dai Fugu « a mené une vie d’errance » après avoir raté les examens mandarinaux, nous dit le traducteur, - figure romantique "errant dans le jianghu" (浪游江湖), nous disent ses biographes chinois - sans que cela l’empêche de se donner du bon temps, comme en témoigne le poème.

En témoigne aussi une anecdote à son sujet : alors qu’il était de passage à Wuning (武宁), dans ce qui est aujourd’hui le Jiangxi, un riche propriétaire local lui proposa en mariage sa fille, qui était elle-même poétesse, et il l’épousa. Deux ou trois ans plus tard, cependant, le poète annonça qu’il revenait dans son village où il avait une autre épouse. Sa femme, qui était profondément amoureuse de lui, lui donna tout son trousseau de mariage pour couvrir ses frais de voyage ; puis, au moment de son départ, elle lui écrivit un ci d’adieu, et alla se jeter dans la rivière.
[Cité par Li Guotong dans le Dictionnaire bibliographique des femmes chinoisesvol. II, Routledge 2015, p. 47, qui ne désigne la victime que comme « la femme de Dai Fugu » (
戴復古妻)].
C’est ainsi qu’on la connaît, effectivement, car on ne connaît pas son nom véritable, mais il nous reste quelques-uns de ses poèmes, dont son poème d’adieu ; on aurait pu l’ajouter au recueil, après celui de son mari, cela l’aurait judicieusement complété avec un hommage à l‘une de ces poétesses oubliées par l’histoire, dont seule, sous les Song, émerge Li Qingzhao dont se moque, justement, Dai Fugu.

[2] Explications données par courriel en date du 9 octobre 2017.

[4] Publié en version électronique : http://www.ventdusoir-poesie.fr/li-qingzhao.htm

Cité par Pierre Kaser dans son article de synthèse sur les Ecrivaines de la Chine impériale sur son blog Littératures d’Asie et traductions (n. 7) : http://leo2t.hypotheses.org/912

[5] J’aurais juste une réserve sur la transcription des noms des poètes, caractère par caractère, alors que la règle voudrait que les transcriptions pinyin des caractères des prénoms (quand ils en ont deux) soient attachées.

 

 

 

 

     

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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