Prix Blancpain-Imaginist 2025 :
les finalistes
par Brigitte
Duzan, 17 septembre 2025
Le
prix Blancpain-Imaginist (宝珀理想国文学奖)
s’est imposé dans le paysage littéraire chinois : l’édition 2025
est la huitième, et chaque année non seulement le choix final,
mais aussi la présélection sont une indication des jeunes
écrivains et écrivaines qu’il est intéressant de lire et de
suivre.
|

Le prix
Blancpain-Imaginist 2025 |
|
Le prix a un
thème annuel. Pour l’édition 2025, le thème retenu était « Le
temps bifurque à l’infini » (“时间永远分岔”),
ce qui est en soi éminemment borgésien.
Début août ont été annoncées
17 œuvres d’une première présélection,
toutes de l’année écoulée (2024-début 2025).
Effectuée par
un jury de cinq personnalités du monde littéraire - Huang Ziping
(黄子平),
Li Zishu (黎紫书),
Lu Qingyi (陆庆屹),
Shi Zhanjun (施战军)
et
Sun Ganlu (孙甘露)
- cette présélection a ensuite été réduite à cinq finalistes
annoncés le 16 septembre.
Les cinq
finalistes
Ce sont, par
ordre alphabétique (l’astérisque indiquant les écrivaines), avec
les commentaires des jurés justifiant leur choix :
1.
Li Lu (栗鹿)* :
« L’Incident de la chrysalide de 1997 »
《1997年的蛹事件》
(en anglais « The Pupa Incident of 1997 »).
|

L’Incident de la chrysalide
de 1997,
juin 2024 |
|
Il s’agit d’un
recueil de six nouvelles et novellas marquées par une atmosphère
de désolation, d’aliénation et d’impermanence, mais écrites avec
une certaine légèreté, comme par un enfant considérant le monde
et son passé qui lui apparaissent à la fois réels et illusoires,
comme en rêve. Les choses les plus ordinaires prennent aspect
étrange et inhabituel tandis que le rêve est bordé par la
réalité.
2.
Liao Jing (辽京)* :
« La gelée blanche de l’équinoxe d’automne »《白露春分》
|

La gelée blanche de
l’équinoxe d’automne,
sept. 2024 |
|
Le jury
souligne d’emblée qu’il s’agit d’un roman, ce qui est inhabituel
chez d’aussi jeunes écrivains. Celui-ci ayant pour thème
principal la question des personnes âgées, en étendant le
problème aux autres femmes de la famille, il révèle « avec une
honnêteté presque autobiographique » l’un des problèmes les plus
difficiles à résoudre pour une famille chinoise aujourd’hui,
mais peu abordé encore dans la littérature. Les fragments de vie
épars sont tissés en une structure dense « comme un patchwork
criblé de trous ». C’est une écriture au rythme calme, qui coule
naturellement, en pénétrant dans les moindres détails la
personnalité des personnages, entre l’être intime et la surface
extérieure de chacun.
3.
Shao Dong (邵栋)
ou Shawn Shaw : « L’homme qui n’est pas sous les verrous »《不上锁的人》
|

L’homme qui n’est pas sous
les verrous,
mai 2025 |
|
Dans ce
recueil de nouvelles qui ont pour cadre Hong Kong,
l’auteur se concentre sur la vie et le monde intérieur de ses
contemporains, en offrant un double regard : un regard de
l’intérieur visant à rendre les sentiments et les pensées des
personnages, et un regard extérieur observant les pressions
exercées sur eux, en s’attachant à lever les voiles de mystère
en surface. Chaque nouvelle plonge dans des souvenirs bien
précis et procède par un changement régulier de perspective qui
renforce le suspense. Ces récits rendent avec une remarquable
précision les paysages et l’atmosphère de Hong Kong, en
racontant des histoires aux détails très subtils, « entre
raffiné et vulgaire ».
4.
Zhang Yueran (张悦然)* :
«
L’Hôtel du cygne »《天鹅旅馆》
|

L’Hôtel du cygne, rééd.
juillet 2024,
par les éditions Imaginist
(理想国) |
|
Les
commentaires qui accompagnent la sélection soulignent la qualité
du style narratif, la précision de la division en chapitres, et
l’intérêt des deux personnages féminins issus de milieux
différents mais qui parviennent à se comprendre.
On est malgré
tout étonné de voir Zhang Yueran figurer dans la sélection de ce
prix qui est normalement destiné à faire connaître des œuvres de
jeunes auteurs encore peu connus. Ce n’est pas son cas, ni celui
de ce zhongpian qui a même déjà été traduit et publié en
français en 2021. Il s’agit d’une réédition, par Imaginist.
5.
Zi He (子禾)
: « Le vol du bourdon »
《野蜂飞舞》
|

Le vol du bourdon |
|
Voilà un
auteur, en revanche, très peu connu, dont la sélection est
parfaitement justifiée. Dans ce « Vol du bourdon, il nous offre
« des tranches de vie en apesanteur », nous dit-on, en portant
son attention sur les barrières qui nous coupent du monde,
barrières qu’il tente d’ouvrir pour laisser entrevoir une lueur
d’apaisement au sein même des difficultés de la vie. Les
descriptions sont d’une grande précision, la narration et le
style d’un rythme retenu, avec beaucoup de blanc, On a un
sentiment d’équilibre et de profondeur.
Bref, on a
envie de lire…
Présélection
Les douze
autres auteurs de la présélection étaient tout aussi
intéressants, témoignant – contrairement à ce qu’on pense
souvent – de la formidable vitalité de la littérature chinoise
contemporaine dont les jeunes écrivains et écrivaines sont
maintenant pour beaucoup nés au début des années 1990 :
1.
Bao
Zhuo (包倬)* :
« Les vertes montagnes occultes »《青山隐》
Née en 1980,
d’ethnie Yi, membre de l’association des écrivains de Kunming,
c’est une écrivaine un peu atypique dans ce prix. Mais sans
doute intéressante pour ses allers retours entre ville et
campagne.
2.
Chang Xiaohu (常小琥)
« Le grand chien »《大狗》
Né en 1984, il
publie depuis 2015. Étant Pékinois, il raconte des histoires de
hutongs, dont le passé, chez lui, témoigne des formes tangibles
du quotidien, l’histoire en étant indissociable, comme un
destin.
3.
Cui Jun (崔君)* :
« Montagnes et Vallées
»《有山有谷》
D’une écriture
simple, mais élégante, ces récits d’une toute jeune écrivaine
née en 1992 portent un regard maîtrisé sur le fossé entre
générations. C’est en outre d’une authentique sincérité.
4.
Gao Linyang (高临阳) :
« Faire une brèche dans l’air »
《把空气冲破一下》
Voilà un autre
jeune auteur, né en 1991, qui a comme caractéristique d’être
aussi
réalisateur.
Ses nouvelles
sont des récits fluides, pleins de sous-entendus qui laissent
entendre des vérités insaisissables nées de souvenirs. C’est
ingénieux et plein d’humour. Son écriture se démarque des
conventions et techniques usuelles pour plonger dans les
difficultés de sa génération, celle née dans les années 1990.
5.
Kong Kong (孔孔)* :
« Le monde autour de moi » 《我周围的世界》
Kong Kong est
de la même génération (elle est née en 1992), mais elle a écrit
d’emblée un roman, ce qui est rare pour quelqu’un d’aussi
jeune ; la narration se poursuit en outre sur une longue
période, à travers le regard du personnage féminin, dans ses
différentes identités de femme, de fille et d’étudiante. Le
roman dépeint des relations conflictuelles, d’une certaine
cruauté.
6.
Lü
Zheng (吕铮) :
« La grande tempête »《大风暴》
Né en 1980,
Lü
Zheng joue sur le genre du roman policier, avec des
rebondissements déroutants et des retournements du sort
inexplicables, mais l’intrigue recouvre en fait les dilemmes de
la nature humaine et la lutte pour triompher des épreuves de la
vie, en explorant les ressorts intimes, psychologiques et
sociaux.
7.
Shuang Chimu (双翅目)* :
« Mercure en sens contraire »
《水星逆行》
Shuang Chimu
représente la nouvelle génération
de la science-fiction chinoise, mais très littéraire dans
son cas. En effet, dans ces nouvelles, elle tire son inspiration
d’histoires et de traditions anciennes, comme « La biographie de
Mao Ying » [par l’écrivain Han Yu des Tang],
le totem du dragon, la coutume de tatouer les visages [pour
punir un condamné], etc. D’une imagination fertile, l’autrice
propose une réflexion sur les relations entre les développements
des techniques et l’histoire de l’homme, la culture et le futur.
8.
Shui Xiaoying (水笑莹)* :
« Aller jusqu’à Shanghai »
《到上海去》
Ce recueil de
nouvelles ressemble à « un portrait de groupe dans un train à
destination de Shanghai ». Dans un style simple et sans
fioritures, Shui Xiaoying décrit des femmes dont on ne parle pas
souvent car vivant aux marges de la ville : les femmes des
services de nettoyage que l’on peut entrevoir tous les jours,
toujours pressées. Ce ne sont pas seulement des symboles du
« nettoyage » mais des femmes qui ont leur propre vie, et leur
dignité.
9.
Su Zhenshu (苏枕书)* :
« La tour Linglong »
《玲珑塔》
Ce recueil est
le premier publié par l’écrivaine depuis 11 ans.
Dans ces
narrations apparemment ordinaires, elle dépeint non sans une
subtile ironie les aléas de la vie dans une observation en
profondeur de la nature humaine qui offre une perspective
inédite sur la vie des intellectuelles. Venant par éclats
intermittents, des descriptions de coutumes locales, de
paysages, ajoutent une signification supplémentaire à un fond de
sympathie et un sentiment d’impuissance.
10.
Wang Zhanhei (王占黑)* :
« Contact normal »《正常接触》
Bien que le
style soit apparemment très simple, la langue est éminemment
personnelle et défie les normes conventionnelles. Wang Zhanhei
excelle à dépeindre la vie quotidienne, peinture née d’une
observation en profondeur de la réalité de la vie et de la
société. La narration naturelle, légère, ironique, semble
terre-à-terre, en se démarquant ainsi notoirement des nouvelles
précédentes de l’autrice.
11.
Yang Hao (杨好)* :
« Le grand sommeil »《大眠》
Ce recueil de
nouvelles dissèque les traumas de la modernité avec une poésie
glaçante, en utilisant des métaphores physiques et des ruptures
narratives pour illustrer l’aliénation de l’humanité dans le
monde moderne. La scène finale de la mort se lit comme une
sublimation de l’existence individuelle dans un sacrifice rituel
d’une grande violence.
12.
You Yu (宥予)
« Preuve »
《证明》
Les
personnages de You Yu (né en 1990) sont hantés par des ombres.
L’air, la lumière, les senteurs, les couleurs prennent vie et
deviennent éléments intrinsèques de la nôtre. Même ce qui est
statique acquiert la qualité du vivant. L’auteur a une
perspective très personnelle sur la vie dont il explore les
mille nuances d’une région à l’autre, d’un personnage à l’autre.
Le langage lui-même devient vecteur d’expérience sensorielle,
avec une acuité remarquable, « comme si la pensée se mouvait
avec l’œil partout où il passe ».
|