|
Chi Li 池莉
Présentation 介绍
par Brigitte Duzan, 10 janvier
2011
Chi Li est une
romancière à succès qui émerge régulièrement à la une de
l’actualité depuis ses premiers pas en littérature, en
1981. Les romancières chinoises ne sont pas rares,
aujourd’hui, mais celles qui ont une carrière plus que
météorique ne sont pas si nombreuses : Chi Li en est à
son septième recueil de récits et d’essais, et la
plupart de ses nouvelles et romans ont été des
bestsellers.
Peintre de la
réalité sociale, essentiellement urbaine, elle est une
représentante de ce mouvement du « roman
néo-réaliste » (新写实小说)
né en
réaction aux deux principaux courants qui marquèrent le
renouveau de la littérature chinoise après la Révolution
culturelle : la « recherche des
racines » (寻根文学)
et la « littérature
d’introspection » (反思文学).
C’est sans
doute parce qu’elle s’attache à dépeindre les petites
gens, ces citadins ordinaires oubliés des manuels
|
|

Chi Li |
d’histoire, en restant
au plus près de leurs gestes et soucis quotidiens, qu’elle
connaît une telle vogue tant en Chine qu’à l’étranger, et en
particulier en France où « Le show de
la vie », paru cette semaine, est son neuvième titre
traduit : chacun de ses romans, chacune de ses nouvelles apporte
un témoignage supplémentaire sur les transformations de la
société chinoise dans les trente dernières années, formant un
kaléidoscope vivant et coloré traduisant la réalité immédiate,
hors discours officiel.
Malgré ses succès de
librairie, Chi Li reste cependant un personnage élusif, qui fuit
les célébrations et évite les journalistes. On ne connaît d’elle
que des bribes de sa vie et de sa carrière, ce qu’elle a bien
voulu divulguer ; c’est son œuvre, finalement, qui nous en
apprend le plus sur ce qu’elle est.
Conversion à la
littérature après un faux départ

Wuhan, métropole chinoise typique |
|
Chi Li est née
en 1957, dans le district de
Xiantao, dans le Hubei (湖北仙桃),
à une soixantaine de kilomètres de Wuhan (武汉),
la grande métropole chinoise de l’intérieur qui
constitue la toile de fond de la plupart de ses récits,
ou plutôt en est un « personnage important », comme elle
l’a dit elle-même. Et si ses personnages sont
essentiellement des citoyens ordinaires de Wuhan, c’est
qu’elle trouve qu’ils représentent bien la majorité des
Chinois ordinaires.
|
Ses parents, par
ailleurs, étaient une anomalie dans la Chine d’alors, une
famille en rupture avec les conventions : son père était un
paysan pauvre, sa mère venait d’une famille de propriétaires
terriens. Il était rare à l’époque que des époux soient de
milieux sociaux aussi différents ; Chi Li y voit une source du
regard nouveau qu’elle a posé très tôt sur la société autour
d’elle.
D’abord médecin
Elle a été envoyée « à
la campagne » en 1974, à la fin de ses études secondaires, puis
a étudié la médecine dans un institut médical de l’industrie
métallurgique, devenu aujourd’hui la faculté de médecine de
l’université des sciences et de la technologie de Wuhan (武汉科技大学医学院).
Diplômée en 1979, elle a travaillé trois ans dans un centre
médical de prévention des maladies des professions de la
métallurgie.

La faculté de médecine
Elle a cependant
toujours eu une passion pour la lecture, et la littérature. Elle
a raconté – et c’est l’un des rares souvenirs d’enfance que l’on
connaît d’elle – qu’elle allait souvent chez sa grand-mère
maternelle pendant les vacances d’été quand elle était petite ;
elle s’y cachait dans une mansarde pour lire tous les livres
qu’elle pouvait trouver ; on la prit ainsi un jour à lire « Le
rêve dans le pavillon rouge », au grand dam de la maisonnée, qui
surveilla ensuite sérieusement ses lectures.
Puis
écrivain
Elle a commencé
à écrire à l’âge de quinze ans, alors qu’elle était
encore élève dans le secondaire ; c’étaient surtout des
poèmes, et nombre d’entre eux se retrouvaient
régulièrement collés sur le tableau d’affichage du mur
de
l’école (学校的墙报上),
et même sur ceux d’autres écoles. C’est en 1979 qu’elle
a publié ses premiers poèmes, dans la revue « Lettres et
arts de Wugang » (《武钢文艺》).
C’est ensuite
en 1982, à l’âge de vingt cinq ans, qu’elle a publié sa
première nouvelle, « Bien, la lune » (《月儿好》),
dans la revue de l’Union des écrivains de la ville de
Wuhan, « L’herbe parfumée » (《芳草》).
La nouvelle fut un succès immédiat : elle fut aussitôt
publiée dans la revue « Sélection de nouvelles » (《小说选刊》)
et dans d’autres revues littéraires nationales.
|
|

« L’herbe parfumée »
(《芳草》) |
Retour à
l’université et célébrité
Chi Li n’avait
cependant qu’une éducation limitée au secondaire. En 1983, elle
passa donc le concours

« Triste vie »
(《烦恼人生》) |
|
d’entrée à
l’université de Wuhan réservé aux adultes, pour suivre
les cours de langue et littérature chinoises. Elle en
sortit diplômée en 1987, et devint alors rédactrice de
la revue « L’herbe parfumée » (《芳草》).
C’est alors
qu’elle devint célèbre, lorsque fut publiée sa nouvelle
‘de taille moyenne’ « Triste vie » (《烦恼人生》)
qui fit d’elle l’écrivain représentatif du
néo-réalisme en
littérature (“新写实”).C’est
un récit de style pseudo documentaire sur la vie
quotidienne d’un employé ordinaire, entre les problèmes
à l’usine et les queues innombrables, en particulier
pour les toilettes publiques (on est au milieu des
années 1980), et la monotonie de la vie familiale à
laquelle il est pourtant profondément attaché.
La nouvelle
tranchait pour la première fois avec le réalisme
socialiste, froid et impassible, qui prévalait jusque
là : les ouvriers n’avaient plus rien d’héroïque, ils
étaient condamnés à des petites vies misérables et
insignifiantes, sans grand espoir d’amélioration,
contées d’une plume délicate, avec une émotion discrète.
|
« Triste vie »
est généralement considéré comme le premier volet d’une
trilogie dont les deux autres sont « Ne parlez pas
d’amour » (《不谈爱情》)
et « Soleil levant » (《太阳出世》).
Le premier, « Ne
parlez pas d’amour », est diabolique. Chi Li décrit
deux jeunes époux qui viennent de milieux sociaux très
différents (comme ses parents) et dont le mariage est en
train de partir à vau l’eau après les premiers moments d’idylle. Mais
le mari a la perspective d’obtenir une mutation à
l’étranger, et les deux s’unissent donc pour tenter d’évincer les
autres candidats potentiels. Il n’est pas question
d’amour, mais d’ambition, de snobisme et de
compromission. Un tableau grinçant de la société
‘moderne’, chinoise entre autres.
Le second, « Soleil
levant » (1992), raconte l’histoire d’un couple qui
doit partir en voyage de noces après un
|
|

« Ne parlez pas d’amour »
(《不谈爱情》) |
mariage passablement
mouvementé ; or, en attendant l’avion à
l’aéroport, ils
apprennent à leur grande stupéfaction que la jeune
mariée est enceinte, d’où une revue des difficultés qui
les attendent : possibilité d’un avortement, démarches
administratives pour obtenir l’autorisation de
naissance, et le certificat d’enfant unique, réactions
des grands parents, etc… La satire est ironique : Chi
Li brosse le tableau des premières années de l’ère
post-maoïste, entre incitation à s’enrichir et
découverte des joies de la consommation.
A mi-chemin entre néo-réalisme et nouvel historicisme
Les autres
nouvelles et romans de Chi Li complémentent ce tableau,
par touches successives. Elle y dépeint aussi, pour la
plupart, les vies de jeunes gens confrontés, dans le
contexte d’une grande ville industrielle moderne comme
|
|

« Soleil levant »
(《太阳出世》) |
Wuhan en
fournit le modèle idéal, aux problèmes du quotidien : travail,
logement, mariage, éducation des enfants… Chi Li en dresse un
tableau vivant et naturel, sans jargon superflu, à partir de cas
individuels, et surtout de portraits féminins, « un
ensemble de fictions empreintes d’une compassion discrète
vis-à-vis des conditions de vie dégradées chez des habitants
modestes » (1).
Mais elle ne se borne
pas à raconter, avec un superbe sens de l’observation ; elle
approfondit les caractères de ses personnages jusqu’à dépasser
les cas individuels et faire ressortir l’essence même de la
nature humaine, et, en même temps, tous ces tableaux mis bout à
bout dressent celui d’une époque, celle de l’ouverture et de la
course à la croissance économique.

« Tu es une rivière »
(《你是一条河》) |
|
En ce sens,
elle se rapproche du nouvel historicisme, qui
s’est développé, justement, à partir des années 1980
(2), et que certains critiques ont évoqué à partir de la
nouvelle parue fin 1990 :
« Tu
es une rivière »
(《你是一条河》).
Chi Li y conte l’histoire, à la fois cruelle et
ironique, d’une femme qui devient veuve à trente ans,
avec sept enfants, et bientôt un huitième. Le récit se
situe en 1964, période difficile en Chine, au sortir de
la grande famine et des problèmes économiques
consécutifs au Grand Bond en avant, et se déroule sur
vingt cinq ans.
A travers le
prisme des rapports entre la mère et les enfants, Chi Li
dresse l’histoire de ce quart de siècle tumultueux, qui
a vu successivement la Révolution culturelle et une
fantastique période d’ouverture, jusqu’à la nouvelle
glaciation du pouvoir en 1989. En analysant les
comportements de chacun face aux événements, Chi Li
réussit à relier la petite et la grande histoire, tout
en |
soulevant des
questions universelles, sur l’amour maternel en particulier (3).
Les textes sont
le plus souvent relativement courts, mordants et parfois
ironiques, mais avec une tendance, récemment, à déborder
sur la forme longue, dans des romans comme « Va et
vient » (《来来往往》)
ou « Bonjour, mademoiselle » (《小姐,你早》),
paru en 1999, qui ont tous deux été adaptés en
feuilletons télévisés. C’est d’ailleurs un trait
caractéristique de la popularité de Chi Li : beaucoup de
ses nouvelles ont été adaptées à la télévision, et avec
succès (4).
C’est aussi le
cas de la nouvelle traduction qui vient de paraître : « Le
show de la vie » (《生活秀》), publiée chez Actes Sud et
sortie le 5 janvier 2011. Cette nouvelle a donné lieu
non seulement à un feuilleton télévisé, mais aussi à une
adaptation cinématographique très réussie. |
|

Chi Li
avec son chien |
Chi Li continue, malgré
son succès, à mener une vie paisible, entre sa fille, son chien
et la musique. A la faveur des médias elle préfère la proximité
des lecteurs, qui se confondent finalement avec ses personnages.
C’est l’existence qui lui permet de rester au contact de la
réalité autour d’elle, réalité humaine qui nourrit son œuvre.
Notes
(1) Zhang Yinde,
Histoire de la littérature chinoise, Ellipses 2004, p. 93
(2) Le nouvel
historicisme s’est développé à partir de la position développée
par Hegel qui affirme que toute activité humaine (la science,
les arts et la littérature, la philosophie, …) est définie par
son histoire, et ce en un processus dialectique selon lequel
toute nouvelle tendance vient en réaction à celle qui la
précède, mais bâtit sur ces bases. Le mouvement a pris un essor
rapide avec Fernand Braudel et
l’école des Annales :
le rôle de l’historien n’est plus d’écrire des histoires
abstraites et désincarnées, mais de plonger dans le présent,
dans ses formes les plus contingentes, pour faire revivre le
passé, voire
l’expliquer…
(3) Voir aussi
« Préméditation » (《预谋杀人》).
(4) Séries télévisées
diffusées sur CCTV :
Comes and goes
(《来来往往》) :
feuilleton en 18 épisodes
Une histoire d’amours
contrariées et extra maritales dans la Wuhan d’aujourd’hui.
Don’t talk about
love (《不谈爱情》) :
feuilleton en 22
épisodes.
Scénario mêlant
astucieusement les deux nouvelles « Ne parlez pas d’amour » (《不谈爱情》)
et « Soleil levant » (《太阳出世》)
pour raconter l’histoire de deux familles réagissant de façon
totalement différentes à l’amour de leurs enfants.
Good morning,
lady (《小姐,你早》):
feuilleton en 20 épisodes.
Traductions en
français :
Huit titres, parus chez
Actes Sud
« Les sentinelles
des blés »
(《看麦娘》),
trad. Angel Pino et Shao Baoqing, octobre 2008.
L’histoire de Mingli,
mère adoptive de la fille de son amie d'enfance devenue folle
après avoir été abandonnée par son mari, et de ses efforts pour
retrouver la jeune fille, disparue à Pékin… voyage prétexte
évidemment.
« Un
homme bien sous tout rapport »
(《有了快感你就喊》),
trad. Hervé Denès, août 2006.
Emouvant portrait d’un
homme blessé.
(les connotations
sexuelles du titre - en anglais ‘yell if you feel high’ - ont
largement contribué à la notoriété du livre, malgré leur
incidence marginale sur le récit : il s’agit d’une référence à
un logo des GI américains pour se donner du courage)
« Triste vie »
(《烦恼人生》),
trad. Shao Baoqing, juin 2005.
Les mille et un tracas
d’une vie d’ouvrier, dans la Chine post-maoïste
« Tu
es une rivière »
(《你是一条河》),
trad. Angel Pino et Isabelle Rabut, mars 2004.
Vingt cinq and
d’histoire chinoise vue à travers les tribulations d’une jeune
veuve et de ses huit enfants.
« Préméditation »
(《预谋杀人》),
trad. Angel Pino et Shao Baoqing, novembre 2002.
L’histoire d’une
vengeance rêvée par un paysan pauvre malchanceux en amour contre
son rival, un propriétaire foncier. Où la grande histoire est
revue au prisme des passions individuelles.
« Trouée
dans les nuages »
(《云破处》),
trad. Isabelle Rabut et Shao Baoqing, octobre 2001, rééd. en
poche mars 2004.
Quand un couple revient
sur son passé…
« Pour
qui te prends-tu ? »
(《你以为你是谁》),
novembre 2000
Toujours néo-réaliste,
mais dans le registre ironique.
A quoi il faut
maintenant rajouter :
« Le show de la
vie » » (《生活秀》),
trad. Hervé Denès, janvier 2011
A lire en complément
:
« Le show de la vie » (《生活秀》) : roman de
Chi Li (池莉) et film de Huo Jianqi (霍建起)
|
|