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Dong Xi  东西

Présentation

 par Brigitte Duzan, 18 mars 2010, actualisé 4 novembre 2022

 

Dong Xi est né en 1966, dans la province méridionale du Guangxi. Son vrai nom était Tian Dailin (田代琳), Dong Xi étant évidemment un nom de plume, ce qui constitue un premier rébus à déchiffrer pour mieux comprendre l’auteur qui se cache derrière.

 

Trois symboles pour commencer

 

On peut en effet voir dans ce nom de plume une double signification symbolique.

 

Il est, d’abord, une référence implicite au célèbre film de Wong Kar-wai « Les cendres du temps » (Dōngxié Xīdú《东邪西毒》), film qui est une

 

Dong Xi

brillante construction narrative sur la base des personnages d’un célèbre roman de Louis Cha, ou Jin Yong (金庸) : « La légende des héros chasseurs d’aigles » (《射雕英雄传》). Dōngxié 东邪 et Xīdú 西毒  sont les deux principaux protagonistes de cette histoire fantasmatique, deux chevaliers errants au soir de leur vie, réfugiés en plein désert et torturés par le souvenir. Or, il y a un caractère commun à tous les personnages du film : ce sont des êtres solitaires et blessés, au passé lourd, dont la survie dans ce désert en marge du monde est, d’une manière ou d’une autre, liée à une attitude de refus : refus de l’autre pour anticiper son refus et éviter d’être soi-même rejeté, éliminant ipso facto toute relation affective, d’amour ou d’amitié.

 

Ce désert affectif aussi bien que physique, peuplé de fantômes du passé, où la survie est une cause individuelle, est un trait symbolique que l’on retrouve dans l’œuvre de Dong Xi. Quant à la seconde signification de ce nom de plume, elle est complémentaire : c’est une allusion à l’aliénation de l’individu dans la société actuelle.

 

Si cette double symbolique concerne le contenu de l’œuvre, sa thématique, on trouve par ailleurs un troisième symbole, de son style cette fois, dans l’illustration de la couverture de plusieurs de ses recueils de nouvelles, des peintures signées Fang Lijun (方力钧). Ce peintre, né en 1963, a fait partie des figures de proue de l’avant-garde chinoise : initiateur du mouvement pictural appelé « réalisme cynique », né aux lendemains des événements de la place Tian’anmen, en juin 1989, et en réaction à la répression qui s’en est suivie, il est célèbre par ses tableaux de personnages chauves, aux visages déformés par des hurlements de douleur ou de rire. Sur les couvertures des recueils de Dong Xi, c’est le rire qui prédomine, mais c’est un rire où se devine la douleur.

 

On a ainsi une image assez nette de l’univers des nouvelles de Dong Xi : un univers sombre, aux confins de l’absurde, traversé de souvenirs douloureux, mais dépeint sans effets de manche excessifs, les événements tragiques étant désamorcés par une touche d’humour, mais souvent noir, tandis que les moments de joie et de bonheur ne sont jamais dénués de tristesse, voire d’un sentiment de tragédie imminente. La vie telle qu’elle est, en quelque sorte…

 

L’écrivain scénariste du Guangxi

 

Des débuts modestes

 

Dong Xi est né au début de la Révolution culturelle, dans une famille pauvre du district de Tian’e (天峨), dans le nord-ouest du Guangxi ; sa scolarité s’en est trouvée sapée : il n’est entré dans le secondaire, au collège de Tian’e, qu’en 1979, puis en 1982 est allé étudier à la préfecture, Hechi (河池师), passant ses nuits à lire pour oublier le froid et tromper la faim. En 1984, il commence à publier des articles dans le journal de la société littéraire locale, puis, en 1985, publie sa première œuvre, dans le Quotidien de Hechi (《河池日报》), un poème pour lequel il reçoit huit yuans. Il est alors nommé professeur de chinois au collège de Tian’e. Ses poèmes et ses premières nouvelles, influencées par Faulkner, l’écrivain « du sud », lui aussi, font peu à peu de lui une célébrité locale.

 

L’orphelin du temps présent (recueil d’essais)

 

Il a dit, dans son essai autobiographique « L’orphelin du temps présent » (《时代的孤儿》), qu’il était né dans un endroit reculé dont se moquaient ses camarades de classe et ses professeurs ; comme il pensait que, s’il en était ainsi, c’était parce que personne n’avait pris la plume pour en parler, il avait donc voulu le faire. Ses parents étaient illettrés, ce fut pour lui une autre motivation : étonner son père.

 

En 1987, il devient secrétaire du bureau des affaires administratives de la région de Hechi, puis, en 1991, éditeur du Quotidien de Hechi ; c’est alors qu’il publie, dans la revue Lijiang (《漓江》), sa première novella (ou nouvelle moyenne 中篇小说): « La falaise escarpée » (Duànyá《断崖》).  Elle est immédiatement suivie, début 1992, de deux autres : « Les ancêtres » (Zǔxiān《祖先》) et « Apparence » (Xiàngmào《相貌》) ; la première est remarquée

par Su Tong (苏童), et la seconde signée Dong Xi pour la première fois. Il est lancé.

 

Il devient écrivain professionnel en 1994, ce qui signifie, en Chine, des fins de mois assurées. Pourtant, bien que ses nouvelles s’enchaînent à un rythme effréné, sa notoriété est encore limitée : il lui reste à écrire une œuvre qui le rende célèbre nationalement.

 

Le tournant de 1996, l’année de ses trente ans

 

Cette œuvre qui va brusquement le transformer en auteur à succès, c’est une autre nouvelle moyenne, celle qui a été traduite en français et publiée en 2010 sous le titre « Une vie de silence » (《没有语言的生活》) [1].

 

Il commence à y travailler début 1995 ; la nouvelle est terminée en mars, il l’envoie à la revue « Harvest » (Shouhuo《收获》) qui avait déjà publié plusieurs de ses récits. On lui demande de modifier la fin, et la nouvelle ne paraît finalement que début 1996, mais elle est  sélectionnée par la revue pour son supplément des meilleures nouvelles de l’année publié en novembre ; l’année suivante, elle est primée comme meilleure nouvelle du lot. Il a dit que cette nouvelle avait été pour lui un porte-bonheur.

 

Les deux personnages principaux sont un aveugle et un sourd. Le premier,

 

Une vie de silence

Wang Laobing (王老炳), devient aveugle après avoir été piqué par un essaim de guêpes en fauchant un  champ de maïs ; le second, son fils Wang Jiakuan (王家宽), est sourd. La nouvelle décrit un monde où la communication est réduite à des signes, générant quiproquos et marginalisation, mais aussi une entente profonde au-delà des mots. Lorsque passe dans le village une jeune muette, Cai Yuzhen (蔡玉珍), qui gagne chichement sa vie en vendant des pinceaux que personne n’utilise plus, elle est naturellement intégrée au sein de ce petit noyau familial, et celui-ci, pour tenter d’échapper au mauvais sort et à la hargne du village, finit par déménager en déplaçant la maison, brique par brique, de l’autre côté du village. Quand naît un enfant parfaitement normal, les parents et le grand-père se réjouissent, mais les premiers jours d’école montrent que les préjugés envers les parents poursuivent l’enfant qui reproduit finalement le parcours des trois autres : il devient aussi taciturne que sa mère et aussi renfrogné que son père, comme si le silence et l’isolement étaient les seuls recours contre la méchanceté du monde, et la communication une affaire de cœur plus que de mots [2].

 

Un amour céleste

 

La nouvelle reprend la fameuse symbolique des trois singes, dont l’un se bouche les oreilles, l’autre se cache les yeux, et le troisième se ferme la bouche, en en faisant le symbole de la vie actuelle : certains voient mais n’entendent pas, certains entendent mais ne voient pas, et d’autres encore voient et entendent mais ne peuvent parler ; l’humanité est réduite à des visions fragmentaires de la réalité qui rendent toute communication, toute compréhension de l’autre impossible, la seule solution étant celle des personnages de l’histoire imaginée par Dong Xi : l’union des handicaps.

 

« Une vie de silence » a été adaptée au cinéma, en un film intitulé « Un amour céleste » (《天上的恋人》), réalisé par Jiang Qinmin (蒋钦民) et tourné en 2001 à

Tian’e même. Le film a été primé au festival de Tokyo en novembre 2002, mais c’est surtout l’adaptation à la télévision, en une série de vingt épisodes diffusée sur CCTV en 2007, qui a connu un grand succès. L’une et l’autre adaptations n’ont cependant qu’un rapport ténu avec l’œuvre originale, dont la beauté tient en grande partie à la nature elliptique de l’écriture [3]. La plupart des œuvres de Dong Xi, par la suite, feront également l’objet d’adaptations, surtout télévisées. 

 

L’évocation du passé pour mieux illustrer le présent

 

Les traces du passé, comme autant de regrets

 

A partir de 1998, Dong Xi se plonge dans l’évocation du passé pour en tirer des fragments d’histoire, des lambeaux de souvenirs qui tracent une sorte de réquisitoire. Il commence par un premier roman, conçu en tableaux successifs comme une sorte de bande dessinée : « Une gifle qui claque » (ěrguāng xiǎngliàng《耳光响亮》). C’est l’histoire d’un père qui a disparu, et de sa recherche, jusqu’au Vietnam, par ses deux enfants. C’est une histoire de perte et de quête incertaine, emblématique d’instabilité sur fond de changement social accéléré, pendant la période de 1976 aux années 1980.

 

Les souvenirs douloureux du passé reviennent en force dans une nouvelle publiée en septembre 1999 dans la revue « Littérature du peuple » (《人民文学》), intitulée « La mémoire du ventre » (《肚子的记忆》). Il s’agit d’une évocation de la terrible famine

 

Une gifle qui claque

du début des années 1960, entraînée par la politique désastreuse du Grand Bond en avant [4]. Le personnage principal est un petit employé qui souffre de boulimie, affection mystérieuse que les médecins peinent à expliquer, jusqu’à ce que l’un d’eux, désireux d’éclaircir les origines de la maladie pour promouvoir sa carrière, remonte de fil en aiguille jusqu’aux sources du problème : les souffrances indicibles de la mère, torturée par la faim pendant sa grossesse, au moment de la grande famine, au point de manger des champignons vénéneux pour tromper sa faim, puis d’avaler de l’urine pour se faire vomir et ne pas s’empoisonner.

 

La famine des « trois années difficiles », comme on dit toujours, n’est pas un sujet totalement nouveau dans la littérature chinoise [5] ; ce n’est pas non plus un souvenir direct puisque Dong Xi est né plusieurs années après. Le plus terrible est justement qu’il en décrit les traces qui en restent dans les générations suivantes, comme inscrites dans la chair, et surtout les esprits, et qu’il le fait d’une manière hyper réaliste, en écrivant à la première personne et en utilisant des soliloques intérieurs tout en effaçant les parenthèses qui signaleraient le discours direct.

 

Registre des regrets

 

Le passé, chez Dong Xi, est une expérience traumatique qui n’en finit pas de laisser des traces, plus ou moins bien enfouies dans les mémoires. Il en a donné encore une illustration dans son deuxième roman, publié en 2005 : « Registre de regrets » (Hòuhuǐ lù《后悔录》) [6]. Le personnage principal, Ceng Guangxian (曾广贤), est marqué dès le départ par un destin contraire : accusé de viol, il est condamné à huit ans de prison. A sa sortie de prison, le monde a changé, c’est la période d’ouverture ; il est décalé, non tant en raison des changements socio-économiques, qu’en raison de l’évolution des comportements, en particulier dans l’expression des sentiments, et il est devenu tellement prudent qu’il perd les deux femmes entre lesquelles il hésitait.

 

Dong Xi a commencé à travailler à ce roman dès 2001, il en a fait six ébauches successives,

jusqu’à trouver, à la septième, le mot-clé paralysant qui conditionne toute la vie de son personnage, et par là-même tout le roman : "si" (“如果”). Ceng Guangxian a quelque chose du Ah Q (Q) de Lu Xun (鲁迅).

 

Quand on lui demande s’il a l’intention d’adapter ce roman au cinéma, comme tant d’autres de ses œuvres, il répond qu’il pense même le réaliser lui-même… Il ajouterait ainsi son nom à la longue liste des écrivains et scénaristes chinois passés derrière la caméra.

 

Des récits courts,  plus légers mais souvent désopilants

 

L’œuvre de Dong Xi, cependant, à côté de ces récits sombres, est parsemée de nouvelles courtes extrêmement diverses, écrites d’une plume plus alerte, plus légère. Certaines sont poignantes, comme celle publiée en 1995, « Tu ne sais pas combien elle était belle » (《你不知道她有多美》), qui décrit, comme une sorte de conte irréel, une jeune femme nommée Qingkui (青葵) disparue dans le tremblement de terre de Tangshan, en juillet 1976 [7], en confiant le rôle du narrateur à un enfant qui était son voisin et, fasciné par sa beauté, en reste obsédé.         

 

D’autres nouvelles, où transparaît parfois un certain humour, constituent un florilège de portraits souvent amusants, toujours originaux, sur fond d’histoires frisant l’absurde qui dressent un tableau assez désopilant du monde actuel.

 

Tu ne sais pas combien elle était belle

 

Ainsi, parmi les publications les plus récentes, et non traduites, cette nouvelle publiée en 2000, « Emmenez-moi auprès de mon ennemi juré » (《送我到仇人的身边》), où le personnage principal, après avoir tué un homme, tente par tous les moyens de se débarrasser du corps : en désespoir de cause, il finit par le jeter dans la rivière, mais celle-ci s’assèche et on découvre le cadavre, sur quoi le meurtrier est arrêté et condamné à mort. Au moment d’être exécuté, une question le torture : comment le niveau de l’eau a-t-il pu baisser autant ?

 

Dong Xi dit que nous sommes capables d’envoyer des télescopes dans l’espace pour observer les espaces interstellaires, mais que nous ne regardons même plus ce qui se passe à nos pieds. Alors il nous en donne sa vision personnelle, un peu trouble, un peu tordue, mais d’autant plus intéressante.

 

Une traduction en français est parue en septembre 2022 chez Actes Sud, d’un roman de Dong Xi intitulé « Destin trafiqué » (篡改的命) initialement paru en Chine en 2015. Il reprend les même thèmes que dans ses romans et nouvelles depuis les années 1990, en particulier les romans « Une gifle qui claque «  (《耳光响亮》) et « Registre de regrets » (《后悔录》) avec lesquels il forme une trilogie.

 


 

Traductions en français

 

- Accrocher les coins de la bouche au bout des oreilles, trad. Isild Darras, éditions de l’Aube, 2007. (indisponible)

Recueil de cinq nouvelles : « Accrocher les coins de la bouche au bord des oreilles » (《把嘴角挂在耳边》1999) /  « Autorité » (《权力》1997) /  « Amitié tombée du ciel » (《天上掉下友谊》1998) / « Les céréales des jours de pluie » (《雨天的粮食》1995) / « Notre père » (《我们的父亲》1996).

[l'histoire d'un père qui ordonne à son fils de se marier et de faire un enfant, d'une journaliste qui promet monts et merveilles à ses amis qui l'ont sauvée d'un coma éthylique, d'un vieil homme qui choisit de disparaître, d'un chef de bureau qui découvre qu'il a un fils et d'un grand-père qui ose rire ostensiblement]

 

- Une vie de silence, trad. Isild Darras, éditions de l’Aube, 2010, 160 p.

Recueil de trois nouvelles de 1995 et 1996 : « Une vie de silence » 《没有语言的生活》/ « Tu ne sais pas combien elle est belle » 《你不知道她有多美》/  « Un après-midi sans travailler » 《一个不劳动的下午》

[Un trio familial composé d'un sourd, d'un aveugle et d'une muette / La plus belle femme du monde ensevelie dans un tremblement de terre / Un paysan qui met le feu à tout un village par dépit amoureux]

Et en introduction « Le muet parle », c’est-à-dire l’essai autobiographique « L’orphelin du temps présent » (《时代的孤儿》).

 

- Sauver une vie 《救命》, trad. Amélie Manon, éditions de l’Aube, 2013, 139 p.

 

- Destin trafiqué 篡改的命, trad. Shao Baoqing et Elsa Shao, Actes Sud, sept. 2022, 368 p.

 


 

Traductions en anglais

 

- Why Don’t I Have a Mistress我为什么没有小, tr. Dylan Levi King, Chinese Literature Today, 4, 2 (2014), pp. 30-41

- Life Without Language《没有语言的生活》, tr. Dylan Levi King, Chinese Literature Today 6, 2 (2017), pp. 76-90.

- Record of Regret, a Novel《后悔录》, tr. Dylan Levi King, University of Oklahoma Press, 2018.


 

[1] Voir Traductions.

[2] Texte chinois : http://www.shuku.net:8082/novels/dangdai/aaellnwyfc/myyy01.html

Ce texte reprend la fin initiale : l’enfant naît aveugle-sourd-muet, comme si c’était son destin inéluctable. Mais la fin choisie dans la traduction en français parue aux éditions de l’Aube est beaucoup plus originale.

[3] On peut s’en convaincre en regardant la série télévisée :

http://www.56.com/w51/album-aid-7089424.html

[5] Étant un sujet éminemment tabou, il est quand même rare de trouver des œuvres qui le traitent directement. Il est souvent évoqué dans des souvenirs de la période, et en particulier dans les récits autobiographiques des rescapés des camps. Voir Bibliographie sur le sujet.

[6] Texte original disponible en ligne : https://www.99csw.com/book/2644/index.htm

[7] Sur ce tremblement de terre précurseur de la mort du président Mao, voir : http://www.chinesemovies.com.fr/films_Feng_Xiaogang_Aftershock.htm

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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