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Sun Pin
孙频
Présentation
par
Brigitte Duzan, 15 janvier 2017
Sun Pin est un nouvel écrivain de la génération
post’80, qui n’a pas l’aura de turbulence médiatique
attachée à cette génération. Elle avait déjà 25 ans
quand elle a commencé à écrire, avec l’ambition de
se créer un style propre. Elle a été louée par
Yan Lianke (阎连科),
Han Shaogong (韩少功)
et
Su Tong (苏童)
comme la grande romancière post’80 de l’avenir. Dix
ans plus tard, elle s’affirme bien comme telle.
Elle est née en 1983 à Jiaocheng, dans le Shanxi (山西交城) ;
c’est le cadre de certains de ses récits, comme
l’une des nouvelles du recueil « La femme
invisible » (《隐形的女人》)
où l’histoire ancienne de la ville devient même un
élément du récit.
Elle a fait des études de chinois à l’université de
Lanzhou (兰州大学)
mais est revenue ensuite dans le Shanxi. Elle a
aujourd’hui un poste à l’Institut d’études
littéraires de l’Université normale de Taiyuan (太原师范学院文学院). |
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Sun Pin (photo ifeng) |

La femme invisible |
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Elle a commencé à écrire seulement en 2008 ; elle
avait alors depuis longtemps laissé derrière elle
les émois et malaises de l’adolescence que se
plaisaient à décrire les jeunes écrivains post’80
que l’on a portés aux nues au début des années 2000
justement
pour cela
,
en y assimilant toute la génération. Il était temps
de mettre fin à ce cliché. Sun Pin arrive à point
pour le faire.
Depuis 2008, elle a déjà publié plusieurs recueils
de nouvelles. Elle écrit surtout des nouvelles
moyennes, publiées dans les meilleurs revues
littéraires, Dangdai (《当代》),
Octobre (《十月》),
Littérature du peuple (《人民文学》),
Zhongshan (《钟山》),
Huacheng (《花城》),
etc... Elle a été l’une des lauréates du prix
littéraire Zhao Shuli (赵树理文学奖)
décerné en
janvier 2014 pour la période 2010-2012
. |
Ses publications les plus courantes sont des
recueils de cinq nouvelles moyennes, chacune bâtie
autour d’un personnage apparemment banal dans un
monde ordinaire, mais personnage peu commun dans un
sens proche de celui de
Feng Jicai (冯骥才).
Sa dernière publication, en juin 2016, est unnouveau
recueil de cinq nouvelles moyennes, intitulé
« Douleur » (《疼》),
en anglais Pain, qui correspond parfaitement
au titre chinois et pour le sens et pour la brièveté
quasi pathologique du terme. Sun Pin part du
principe qu’« il n’y a pas de vie sans douleur » (没有一种生活不疼痛),
et, de là, cherche le point le plus douloureux (téng
疼
au sens de téngtòng
疼痛)
de ses personnages, sous l’angle tant physique que
psychologique, et le passe au microscope, en le
développant. C’est une manière originale de
disséquer la vie, d’autant plus que ses personnages
sont les plus divers : chômeur, jeune enseignant,
orphelin, mère défendant désespérément sa fille
retardée mentale…
Son univers est une humanité peu reluisante :
“除了妓女、民工、小贩、刚毕业的大学生,在这栋楼里还住着更多隐秘的人群,逃亡的杀人犯、刚出狱的犯人,都在这里稍作休养。”(《同体》)
Outre une prostituée, un travailleur migrant, un
marchand ambulant, un étudiant juste diplômé,
l’immeuble abritait encore une foule de gens bien
plus secrets : un criminel en cavale, un condamné
juste sorti de prison, tous étaient là plus ou moins
en convalescence.
(En même temps)
Son but, dit-elle, est de dépeindre les complexités
de la nature humaine (我是要写人性的复杂)
,
mais vues de l’intérieur. C’est une humanité dont
les souffrances au quotidien ont un côté dérisoire,
mais leurs souffrances sont psychologiques, ce sont
presque des créations individuelles. Ce dérisoire,
finalement, est aussi tragique que les grandes
douleurs du théâtre. |
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Dîner à trois

En même temps |

Souffrance |
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Encore faut-il réussir à le dépeindre. Sun Pin le
fait à merveille, dans un style qui lui est propre:
une acuité dans l’observation qui va au-delà de
l’expérience, une force expressive qui frise parfois
l’allégorique dans la description du monde matériel,
et une touche féminine dans son choix et son
traitement des personnages. Son réalisme sombre
rappelle
Zhang Ailing : « La
vie est une robe splendide, infestée de poux » (“生命是一袭华美的袍,爬满了蚤子”).
Le monde de Sun Pin est fondé sur le paradoxe de la
nature humaine, où bien et mal sont indissociables ;
c’est le sens du titre, énigmatique dans son
ellipse, de sa nouvelle de 2014 que l’on pourrait
traduire par En même temps, ou Et l’un et
l’autre :
tóngtǐ
《同体》-
c’est-à-dire : (la nature de l’homme est) en même
temps bonne et mauvaise
善恶同体的人性.
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Les écrits de Sun Pin laissent la même impression
que celle décrite sur la quatrième de couverture de
l’un de ses recueils : sombre et fascinant (“也黑暗也迷人”).
Fascinant parce que sombre. Et sombre parce que
profond.
我希望笔下的人物,复杂一点再复杂一点;内心的深度,深
一点,再深一点。
Sous ma
plume, je désire montrer des personnages complexes,
et toujours plus complexes ; je veux étudier leur
moi intime, et l’étudier encore, l’approfondir et
l’approfondir encore.
Ses modèles littéraires sont tout aussi originaux :
Flannery
O’Connor,
Annie Proulx, Yukio Mishima, et le Mexicain Juan
Rulfo
.
Des écrivains d’origines très diverses, mais qui ont
pour elle un point commun déterminant : un
tempérament impitoyable et la force de leur
écriture.
Sun Pin est à découvrir… |
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Douleur |
Principaux recueils publiés
Janvier 2014 La femme invisible
《隐形的女人》
1. Une femme de peu
《无相》
2. Trois manières de tuer
《杀生三种》
3. Autocréation
《相生》
4. La femme invisible
《隐形的女人》
5. Mauvais sort Yuesha
《月煞》
Mars 2014 En même temps
《同体》
Nouvelle moyenne publiée dans la revue Zhongshan
《钟山》
Mai 2015 Dîner à trois
《三人成宴》
1. Dîner à trois
《三人成宴》
2. Un invité inattendu »
《不速之客》
3. Dix mille sortes d’aurores
《一万种黎明》
4. La vision de l’artiste
《瞳中人》
5. Articulations
《骨节》
Avril 2016 Souffrance infinie
《无极之痛》
recueil de 4 nouvelles moyennes dont trois inédites :
1. Souffrance infinie
《无极之痛》
2. La lune sur le fleuve Xi
《西江月》
4. Le baiser du poisson
《鱼吻》
Juin 2016 Douleur (Pain)
《疼》
1. Corps sexué
《色身》
2. Le saint enfant
《圣婴》
3. Un moine
《柳僧》
4. Caresse
《抚摸》
5. Scandale
《丑闻》
A lire en complément
Son blog :
http://blog.sina.com.cn/u/2737436403
Shadow
《相生》 :
nouvelle tirée du recueil « La femme invisible », traduite en
anglais par Luisetta Mudie,
Chinese
Arts and Letters 2016 vol. 3 n° 2, pp.144-160.
Histoire, contée avec un grand réalisme, d’un jeune garçon
dernier né d’une famille de six personnes, tous malades mentaux
sauf lui. La vie est dure, il travaille dès l’âge de douze ans
pour pouvoir payer des soins psychiatriques à ses sœurs et ses
parents, jusqu’au jour où, à l’âge de 25 ans, il décide de vivre
un peu pour lui : il s’achète un appareil photo, et, convaincu
par ses lectures que ses gènes de fou le prédisposent à devenir
un génie, il entreprend d’en devenir un, un génie de la photo…
mais, n’arrivant pas à devenir un génie, dans une parfaite
logique, il devient vraiment fou.
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