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Tashi (Zhaxi) Dawa 扎西达娃

Présentation

par Brigitte Duzan, 26 juin 2016
 

Tashi Dawa est l’un des écrivains tibétains d’expression chinoise représentatifs du renouveau de la littérature tibétaine au lendemain de la Révolution culturelle. Célèbre pour son utilisation du « réalisme magique » dans ses nouvelles des années 1980, il est devenu un symbole de la littérature tibétaine moderne, mais, écrivant en chinois, contesté par les écrivains tibétains tibétophones.

 

Il a cessé d’écrire à la fin de la décennie suivante pour se consacrer à l’écriture scénaristique, tout en restant présent sur la scène littéraire. Il est

 

Tashi Dawa en 2011

revenu sur le devant de la scène en 2015, avec une nouvelle parue dans plusieurs sélections de nouvelles de l’année, et le tournage d’un film adapté de l’une de ses premières nouvelles, et l’une des plus célèbres, film qui a fait partie de la sélection en compétition au 19ème festival de cinéma de Shanghai [1], en juin 2016. 

 

Identités conflictuelles

 

Découverte tardive de la culture tibétaine… et de la littérature chinoise

 

Tashi Dawa est né en 1959, à Batang (巴塘县), dans la préfecture autonome tibétaine de Garze (甘孜藏族自治州), dans le Sichuan, d’un père tibétain (khampa) et d’une mère han, caractéristique qui n’est pas rare dans la région -  on la retrouve chez divers autres écrivains tibétains originaires des anciennes provinces de l’Amdo et du Kham. Ces origines hybrides, doublées d’une éducation chinoise, ont été pour lui source de trouble identitaire, et ont exercé une influence déterminante sur son œuvre.

 

Tashi Dawa a en effet passé son enfance et son adolescence à Chongqing,où il a étudié dans une école chinoise, sans parler un mot de tibétain. Il s’appelait Zhang Niansheng (张念生). Ce n’est qu’en 1974, à l’âge de quinze ans, qu’il déménage avec ses parents à Lhassa. Mais, n’ayant pu faire d’études secondaires à cause de la Révolution culturelle, il entreprend des études de peinture – peinture traditionnelle de tangkas.

 

En décembre 1974, il est engagé comme dessinateur de décors de scène et de costumes au Théâtre régional du Tibet, puis travaille dans un journal. A l’âge de 18 ans, en 1977, il obtient une bourse d’un an du ministère chinois de l’éducation pour aller étudier à l’Institut de l’opéra chinois à Pékin (戏曲学院).

 

C’est là – pendant l’année 1978 - qu’il découvre les premiers textes de la « littérature des cicatrices » (伤痕文学), mais aussi les récentes traductions en chinois de littérature étrangère, russe, allemande, française, américaine.

 

Quand il rentre à Lhassa, en 1979, il commence à écrire.

 

Climat d’optimisme

 

Dans l’atmosphère d’ouverture, en particulier envers les minorités nationales,qui prévaut dans toute la Chine, c’est aussi une période d’optimisme au Tibet, après les dures années de la Révolution culturelle. En 1977 est relancée la revue en langue chinoise "Littérature et arts du Tibet" (Xizang wenyi 《西藏文艺》) qui avait été créée en 1965, mais avait été étouffée dans l’œuf par la Révolution culturelle. Très vite rebaptisée "Littérature du Tibet" (Xizang wenxue《西藏文学》), la revue devient un élément moteur du développement de la littérature tibétaine d’expression chinoise.

 

Encore fallait-il trouver des auteurs et des textes : malgré les appels à candidature, et alors que, dans toute la Chine, l’activité littéraire est en pleine effervescence, le Tibet ne connaît pas le même phénomène.

 

Dans une population encore en grande partie illettrée, où la Révolution culturelle a mis la culture en berne, les écrivains sont rares, et la littérature est toujours dominée par la tradition. C’est la littérature chinoise – et les traductions en chinois de littérature étrangère - qui vont apporter un ferment novateur[2]. Mais, si les auteurs tibétophones sont rares, les écrivains sinophones sont quasiment inexistants.

 

Premier texte de… Zhang Niansheng et naissance de Tashi Dawa

  

Avec son épouse à Lhassa en 1986

 

C’est dans ce contexte quele journal qui était encore "Littérature et arts du Tibet" reçoit un texte d’un dénommé Zhang Niansheng : intitulé « Le silence » (Chenmo《沉默》), il est publié dans le premier numéro de l’année 1979 de la revue (《西藏文艺》19791). 

 

La nouvelle est dans un style proche de la littérature « des cicatrices » : le personnage principal est une jeune Chinoise qui s’est réfugiée au Tibet après avoir perdu sa meilleure amie lors de la répression d’une démonstration pacifique place Tian’anmen. Il y a un personnage tibétain dans l’histoire, une autre jeune fille qui devient l’amie de la jeune Chinoise, mais elle reste anonyme et n’a qu’un intérêt marginal, pour cadrer le récit dans la réalité tibétaine, en quelque sorte.

 

Le but de la narration est de montrer l’impact sur les esprits de la violence des événements décrits. C’est donc un récit qui reproduit le genre de dénonciation du système maoïste

courant à l’époque en Chine. Ce n’est ni original ni personnel, mais, dans le désert littéraire de la fin des années 1970 à Lhassa, la nouvelle a été accueillie avec joie par la rédaction du journal. Qui plus est, lorsque le jeune écrivain expliqua que son père était d’origine tibétaine, ce fut considéré comme une aubaine : comme d’autres écrivains tibétains de Lhassa à la même époque [3], on lui fit adopter le nom de plume Zhaxi Dawa – aujourd’hui plutôt prononcé Tashi Dawa. 

 

C’est le début symbolique d’une littérature tibétaine moderne, d’expression chinoise. Pourtant, cette nouvelle est très souvent passée sous silence, ou juste mentionnée, et l’on a tendance à faire commencer l’œuvre de Tashi Dawa avec son second récit, plus conforme à l’image d’un écrivain « tibétain » : « Un pèlerinage » (Cháofó《朝佛》), publié en 1980. 

 

Un pèlerinage bouddhiste

 

« Un pèlerinage » décrit l’arrivée à Lhassa d’une jeune Tibétaine de dix-huit ans, Zhuoma (珠玛), venue de sa campagne en pèlerinage ; elle y a pour mentor une Chinoise moderne, indépendante, qui commence à lui apprendre la joie de vivre ; et quand la jeune Zhuoma voit une vieille femme mourir pendant son pèlerinage, elle commence à avoir des doutes…

 

La nouvelle peut être lue comme une critique des superstitions et de la mentalité traditionnelle tibétaines. En même temps, les doutes de la jeune Tibétaine sont aussi ceux de

 

En 1987 sur le haut plateau tibétain avec un ami

Tashi Dawa, quand il réalise peu à peu que les espoirs d’embellie socio-politique nés, en particulier, du voyage au Tibet de Hu Yaobang en mai 1980, ne se réaliseront pas. Quelle que soit l’interprétation qu’on lui donne, il s’agit d’un récit qui plonge dans la réalité de la société tibétaine ; mais celle-ci reste vue de l’extérieur, par un jeune écrivain qui découvre peu à peu l’héritage culturel qui lui vient de son père.

 

Ce regard extérieur est caractéristique des nouvelles de la première moitié des années 1980, qui offrent des portraits de Tibétains originaux, brossés dans un style réaliste, comme celui de cet « Homme libre du nom de Tchimé» (《自由人契米), nouvelle parue en février 1985 dans le Xizang bao (西藏报) : sept fois évadé de la prison où il avait été jeté pour s’être enivré une nuit avec un vagabond de passage et avoir laissé brûler le fourrage de tout un hiver, emmagasiné dans la grange dont il était responsable. Mais finalement, ses mains étant trop fines pour les menottes de la police, et celle-ci n’ayant pas de chaînes pour lui attacher les chevilles, il s’était retrouvé libre…

 

En 1989 devant chez lui, avec l’écrivain He Zhong (贺中) à g.

et le poète Caiwang Naoru (才旺瑙乳) à dr.

 

C’est un récit qui a un caractère malgré tout légèrement absurde, un rien avant-gardiste, avec des débuts de portraits de personnages secondaires juste esquissés, et laissés ainsi comme autant de narrations à développer « une autre fois », ou « plus tard ». On sent Tashi Dawa expérimenter, tâtonner sur la forme.

 

C’est alorssous l’influences de deux mouvements littéraires que la représentation de son identité tibétaine s’affirme peu à peu dans ses nouvelles, à

partir de 1985 : d’une part, la littérature introspective, ou réflexive (反思文学), qui se développe en Chine en réaction à la littérature des cicatrices, mais surtout le réalisme magique qu’il a découvert en lisant la littérature sud-américaine traduite en chinois au début des années 1980. 

 

La maturité sous le signe du réalisme magique

 

Un réalisme magique "tibétanisé"

 

Jusqu’en 1985, les nouvelles de Tashi Dawa restent empreintes de l’innocence juvénile, un peu émerveillée, avec laquelle il a découvert le Tibet en arrivant à Lhassa. Mais, peu à peu, le ton se fait plus sombre, plus personnel, comme dans « Une nuit sans étoiles » (《没有星光的夜》), nouvelle de transition publiée en décembre 1985 dans un recueil éponyme de nouvelles d’auteurs de différentes nationalités [4].

 

A partir de 1985, on voit apparaître le surnaturel dans ses récits, comme mode narratif permettant de rendre la réalité tibétaine en rompant la perception usuelle de l’espace et du temps, avec des structures narratives souvent cycliques. Mais, comme il l’a affirmé à maintes reprises, il ne s’agit pas d’une simple imitation.

 

En fait, si le réalisme magique latino-américain a été adopté

 

Une nuit sans étoiles (recueil déc.1985)

– sous une forme personnalisée - par Tashi Dawa, mais aussi par d’autres écrivains tibétains au même moment, c’est de manière tout à fait naturelle, parce que la réalité tibétaine correspondait à celle qui avait suscité l’émergence du réalisme magique en Amérique latine, avec des phénomènes très semblables de syncrétisme des croyances religieuses et d’expérience de traumatismes politiques entraînant des identités éclatées. A cela s’ajoute le même mélange, dans les deux cas, de littérature populaire orale et de techniques narratives importées[5]. 

 

C’est parce que le narrateur/écrivain observe la réalité du terrain avec le regard d’un étranger que cette réalité lui apparaît mystérieuse, « magique » [6]. Et plus il pénètre dans cette réalité, plus elle semble incompréhensible, inexplicable, plus elle apparaît irréductible à la logique, comme une sorte d’illusion fantasmée proche, pour des raisons analogues, du « réalisme hallucinatoire » de Mo Yan (莫言) ou encore du « mythoréalisme » de Yan Lianke (阎连科).

 

L’âme attachée à une corde de cuir

 

Tibet, une âme attachée à une corde de cuir

 (en chinois)

 

C’est la nouvelle « Tibet, une âme attachée à une corde de cuir » (西藏,系在皮绳结上的魂), publiée en 1986, qui marque le tournant vers le réalisme magique dans l’œuvre de Tashi Dawa. Elle a été couronnée du « prix d’excellence des nouvelles de l’ensemble de la nation » (全国优秀短篇奖) par le 8ème Congrès de l’Association des écrivains chinois.

 

Qiong () est une jeune fille qui a vécu toute sa vie dans une maison isolée avec son père dans la montagne. Un jour passe un inconnu avec lequel elle part sans autre forme de procès. Ce Tabei (塔贝) est en route vers une destination mystérieuse, la fameuse terre bouddhiste de Shambala (香巴拉). C’est une quête d’une utopie qui pourrait aussi bien être le communisme que le bouddhisme, un voyage sans fin pendant lequel Qiong fait des nœuds à la corde attachée à sa ceinture pour tenter de garder trace du nombre de jours qui passent.

 

Mais Tabei n’est pas armé pour affronter la modernité, il est condamné. Celle qui survit est Qiong, qui n’est pas attirée par la perspective d’une joie éternelle dans un paradis quel qu’il soit, mais plutôt par les joies immédiates et bien concrètes de la vie moderne.

 

Tashi Dawa offre une réflexion pleine d’humour sur sa propre écriture romanesque, en dénonçant ironiquement un auteur incapable de créer un héros socialiste apte à survivre dans le monde moderne, et obligé de recréer son personnage féminin en le libérant de ses « nœuds » (nœuds du temps et de la tradition), pour lui permettre de s’adapter au monde moderne.

 

L’invitation du siècle

 

une âme attachée à une corde de cuir,

 traduction en tibétain

 

Deux ans plus tard, « L’invitation du siècle » (《世纪之邀》) marque une étape supplémentaire, en ajoutant à l’indétermination spatio-temporelle du récit une structure circulaire calquée sur celle des réincarnations.  

 

Un médecin tibétain quitte son domicile, dans une grande ville qui est peut-être Lhassa, mais peut-être pas, pour répondre à une invitation au mariage d’un ami. Il part à pied, ce qui nous vaut un trait d’humour sur la pensée traditionnelle tibétaine : le jeune médecin regrette de ne pas avoir pris sa bicyclette, la roue étant plus rapide que les pieds pour avancer, or, justement, la roue du Dharma est un élément clé de la pensée tibétaine, mais les Tibétains ont été incapables de traduire le concept en termes pratiques, et ont été tout étonnés quand ils ont vu la première voiture dans les rues de Lhassa en 1907…

 

Marchant à pied, c’est donc au bout d’un long périple qui lui fait quitter la ville, que Sangye se retrouve à la campagne, dans le village natal de son ami, mais dans un autre espace temporel : celui de la jeunesse de son ami. Or, fils d’une noble famille, celui-ci a été condamné à la prison, et tout le village l’attend pour le conduire à la cellule qui a été construite pour lui.

 

Or, quand il arrive au village, l’ami est redevenu enfant, et en voie de régression vers l’état de fœtus : il finit par réintégrer le ventre d’une femme, dans le but d’être réincarné une cinquantaine d’année plus tard, en espérant que les temps auront changé et que le monde sera meilleur. En attendant, c’est Sangye qui doit prendre sa place en prison : il reste piégé dans le passé. L’image du Tibet est en filigrane là-derrière : dans la conception bouddhiste du dharma, le progrès n’a pas sa place ; l’histoire n’est pas linéaire mais tourne en rond.

 

Structure narrative cyclique comme les réincarnations

 

Cette structure cyclique, qui part du réalisme magique pour le dépasser, se retrouve dans plusieurs des nouvelles postérieures ; c’est souvent le signe d’un destin inéluctable, qui force les enfants à revivre les tragédies de leurs parents, et en particulier à assumer la charge des vengeances imposées par la tradition.

 

C’est le cas dansla nouvelle « La splendeur des chevaux du vent » (《风马之耀), initialement publiée en septembre 1987 dans Littérature du Tibet, comme, d’ailleurs, dans celle de 1985 « Une nuit sans étoiles » (《没有星光的夜》). Dans cette dernière nouvelle, traitée dans un style réaliste, un « vagabond » vient venger son père en tuant Agebu (阿格布) qu’il a passé dix ans à chercher. Mais Agebu décide de ne pas lutter, et se prosterne devant le vagabond pour tenter de rompre le cercle fatidique des vengeances. Pourtant, l’homme sera poignardé quand il repartira, par un tueur anonyme qui est sans doute l’épouse d’Agebu, soucieuse de remplir à sa place le devoir héréditaire auquel il s’est soustrait.

 

Il n’y a pas de progrès possible dans une histoire vouée à se répéter, pas d’issue au cycle du temps et de l’histoire. Mais le sujet est traité de façon beaucoup plus subtile dans « La splendeur des chevaux du vent » où le style tient autant de l’absurde que du réalisme magique.

 

La nouvelle s’ouvre sur une description apocalyptique d’un campement nauséabond et fangeux, peuplé de monstres, de sorcières et de voleurs, comme une vision cauchemardesque de la réalité tibétaine du moment.

 

Le personnage principal, un khampa, est à la recherche d’un certain Sonam Rigdzin, dont la famille est l’ennemie ancestrale de la sienne et qu’il doit tuer pour venger le meurtre de son propre père par le père de Sonam. Mais l’identité de celui-ci est incertaine, comme est incertaine le lieu où il se trouve, et finalement le fait qu’il soit mort ou qu’il ait été tué. La vengeance, dans ces conditions, prend un aspect irréel, de même que le procès du meurtrier et son exécution finale, qui n’a peut-être pas eu lieu… [7]

 

Question de la perception de l’histoire

 

Tibet, les années cachées

 

La perception spatio-temporelle est constamment remise en cause dans les nouvelles de Tashi Dawa. Il a étendu ce flou à la conception de l’histoire, dans la nouvelle « Tibet, les années cachées » (《西藏,隐秘岁月》) qui fait partie de la série publiée après « L’âme attachée à une corde de cuir », mais qui est plus longue que les autres.

 

Divisée en trois parties correspondant à trois périodes historiques, elle couvrel’histoire de la majeure partie du 20ème siècle, mais en omettant deux épisodes historiques fondamentaux : l’expédition britannique du colonel Younghusband à Lhassa en 1903-1904 et les années 1951-52 de la « libération pacifique » du Tibet par la Chine. C’est cette omission qui est évoquée dans le titre : ce sont les années secrètes, les années cachées [8].

 

Chacune des trois parties, située dans une région montagneuse éloignée et isolée du Gokam, raconte l’histoire d’une femme nommée Tsering Gyamos, mais il y a trois Tsering Gyamos, représentant trois générations. Ce sont en fait trois incarnations de la même personne. On a donc à nouveau un jeu complexe sur le temps et l’identité. 

 

Retournements inattendus, narrations ouvertes

 

Outre le jeu subtil sur la perception du temps et le flou sur les questions identitaires qui renvoient à l’identité hybride de Tashi Dawa lui-même, ses nouvelles sont pleines de retournements inattendus et illogiques et d’événements inexplicables, comme dans « Devant la maison jaune » (《黄房子前面》).

 

Dans cette nouvelle, le personnage principal est obsédé par l’histoire de la « maison jaune » où le 6ème Dalai Lama, auteur des premiers et plus beaux poèmes d’amour de la littérature tibétaine, est réputé avoir vécu. Ses deux compagnons sont typiques de Lhassa : une vieille femme qui fait chaque jour le tour du Barkhor, et le soir regarde des feuilletons télévisés de Hong Kong, et un jeune tailleur de pierre qui grave des sutras et des prières sur des tablettes de pierre. Ils semblent tous deux mystérieusement liés au 6ème Dalai Lama, mais sans vouloir révéler leurs secrets.

 

Comme dans beaucoup d’autres récits de Tashi Dawa, la fin est ouverte, et invite à diverses lectures et interprétations. La nouvelle est comme couverte d’un voile à travers lequel ne peut être devinée qu’une partie de la réalité.

 

Humour

 

Autre caractéristique de Tashi Dawa : son humour. L’un des passages les plus drôles de ses nouvelles est celui de « La splendeur des chevaux du vent » où il ironise sur les liens qu’on lui attribue régulièrement avec la littérature latino-américaine.

 

Dans ce récit, le personnage principal à la recherche de l’introuvable et élusif Sonam Rigdzin pour accomplir sa mission de vengeance paternelle pense l’avoir trouvé dans un bar dont il est fasciné par

 

Acteur dans un film de Ma Yuan (2004)

l’enseigne au néon, d’abord, puis par une plaque gravée sur le mur : elle comporte en effet des caractères d’une langue étrangère mystérieuse.

 

Le mystère est dévoilé vers la fin du récit, grâce à la femme du médecin légiste, qui est interprète : il s’agit d’une adresse en espagnol renvoyant au nom d’un bar du Callao, le port dans la banlieue de Lima, au Pérou…. Comme si le meurtre rituel de la nouvelle se passait dans cette lointaine contrée et lui ajoutait une note supplémentaire de mystère, une aura mythique traitée sur le mode humoristique [9]. 

______

 

Drapeaux de prières bleus

 

Tashi Dawa a été très vite reconnu comme l’un des écrivains tibétains d’expression chinoise les plus prometteurs de la génération arrivée à maturation dans les années 1980. Il est entré à l’Association des écrivains de la Région autonome du Tibet (RAT) en août 1985 ; il en est devenu le vice-président en 1989, puis le président en août 1995.

 

Pourtant, tout en continuant ses activités au sein de l’Association, après un unique roman, « Troubles à Shambala » (《骚动的香巴拉》), publié en 1993, il a alors cessé d’écrire, pour se tourner vers l’écriture scénaristique et les production télévisées et cinématographiques.

 

Il est cependant revenu vers la littérature en janvier 2000 pour publier des « notes de voyage » : « Drapeaux de prières bleus sur l’ancienne mer » (《古海蓝经幡》). Mais ce sont autant des réflexions sur la culture et la spiritualité tibétaines, un livre « de soupirs sur ce qui n’est plus » (感叹消失的书).

 

En 2015 encore, une nouvelle de lui figure dans divers recueils des meilleures nouvelles de l’année, dont la sélection des meilleures nouvelles de l’année 2015 de l’Association des écrivains (2015年中国短篇小说精选), pp. 166- 173 : « La voiture enlisée » (《陷车》). Une nouvelle commencée dix ans auparavant, dit-il…

 

Scénarios et adaptations cinématographiques

 

Documentaires et télévision

 

Tashi Dawa a conçu et produit une dizaine de documentaires pour la télévision. C’est également lui qui a produit le superbe documentaire indépendant « N° 16 Barkhor South Street » (《八廓南街16号》), réalisé par Duan Jinchuan (段锦川), qui a été primé au festival Cinéma du réel à Paris en 1997 [10].

 

C’est lui, aussi,qui a conçu et produit, pour la chaîne de télévision MTV, le spectacle musical diffusé en 1995 : « Dans l’attente de l’aigle divin » (Xiàngwǎng shényīng《向往神鹰》). Il a, en particulier, écrit les paroles de la chanson devenue célèbre qui en est le thème musical :

         在每一天太阳升起的地方,

银色的神鹰来到了古老村庄。...

         Chaque jour, à l’endroit où se lève le soleil,

         Un aigle argenté venait survoler mon vieux village.  …

 

La chanson Xiàngwǎng shényīng

 

En 1985, sa nouvelle « Basang et ses petits frères et sœurs » (《巴桑和她弟妹们》) a été adaptée pour la chaîne de télévision de Chongqing. C’est l’une de ses nouvelles de style réaliste de la première moitié des années 1980 qui décrit la vie d’une famille à Lhassa à cette époque.

 

Scénarios

 

A la fin des années 1990, Tashi Dawa s’est tourné vers le cinéma et a travaillé comme scénariste pour divers réalisateurs chinois :

 

- Scénariste du film de Xie Fei (谢飞) [11] « Song of Tibet » (Yeshe Dolma《益西卓玛》) – prix du meilleur scénario au 20ème festival du Coq d’or en 2000.

 

- Coscénariste avec Tsering Dorje du film réalisé par Sherwood Hu (胡雪桦) en 2006 : « Prince of the Himalayas » (玛拉亚王子》), une adaptation du Hamlet de Shakespeare.

 

- Scénariste de « Kailash » (《岗底斯》), film de la réalisatrice Sun Xiaoru (孙小茹) sorti en 2007. Le scénario a été primé à Taiwan en 2003.

 

- Scénariste de deux films de la réalisatrice Dai Wei (戴玮) :

2008 « Ganglamedo » (《冈拉梅朵》) ou « Lotus des neiges » [12]

2011 « Once Upon a Time in Tibet » (《西藏往事》/《那一年在西藏》)

(coscénaristeavec Qing Mu 青牧

 

Adaptation cinématographique

 

2016 : « Soul on a String » (《皮绳上的魂》), film réalisé par Zhang Yang (张杨) adapté de « Tibet, une âme attachée à une corde de cuir » – tournage en avril 2015, présenté en compétition internationale au festival de cinéma de Shanghai en juin 2016.

 

 

Traductions en français

 

La Splendeur des chevaux du vent, quatre récits* traduits du chinois par Bernadette Rouis, Actes Sud 1990.

* L’invitation du siècle (《世纪之邀》) / Tchime homme libre (《自由人契米) / La Splendeur des chevaux du vent (《风马之耀) / La lumière de l’abîme (旋渊之光)

 

Le Mutisme du sage (dans : Anthologie de nouvelles chinoises, éd. par Annie Curien, Gallimard/Du monde entier, 1994, pp. 315-21).

 

Tibet, les années cachées, trois récits* choisis et trad. du chinois par Emilienne Daubian. Préface de Nguyen Tai-Luc. Bleu de Chine 1998.

* Tibet, les années cachées (《西藏,隐秘岁月》) / Tibet, une âme ligotée (西藏,系在皮绳结上的魂) / Un prince en exil (《流放中的少爷》)

 

 

Bibliographie

 

Modern Tibetan Literature and Social Change, ed. Lauran R. Hartley and Patricia Schiaffini-Vedani, Duke University Press, 2008.

Chap. 9 The Condor Flies over Tibet : Zhaxi Dawa and the Significance of Tibetan Magical Realism, par Patricia Schiaffini-Vedani, pp. 202-224.

 

Misogyny, Cultural Nihilism & Oppositional Politics : Contemporary Chinese Experimental Fiction, Tonglin Liu, Stanford University Press, 1995.Sur Zhaxi Dawa : pp. 114+

 

 

A lire en complément

 

La voiture enlisée 《陷车》

 

Song of Tibet/Yeshe Dolma (2000)

 

Prince of the Himalayas (2006)

 

Kailash (2007)

 

Once upon a Time in Tibet

(2011, affiche tibétaine)

 

 


[3] Dont, par exemple, Xu Mingliang (徐明亮), devenu Sebo (色波).

[4] Avec une préface de l’écrivain mongol Mala Qinfu (玛拉沁夫), table des matières : http://pic13.997788.com/pic_search/00/34/01/87/se34018715b.jpg

[5] Pour une analyse approfondie du réalisme magique de Tashi Dawa, voir The Condor Flies over Tibet : Zhaxi Dawa and the Significance of Tibetan Magical Realism, par Patricia Schiaffini-Vedani, in Modern Tibetan Literature and Social Change, voir bibliographie.

[6] Dans sa préface à la traduction en anglais de nouvelles de Tashi Dawa (« Tales of Tibet, Sky Burials, Prayer Wheels, and Wind Horses »), le critique littéraire tibétain Döndrup Wangbum affirme que ce prétendu « mystère » du Tibet n’est qu’une manifestation d’ignorance, et qu’un Tibétain ne pensera jamais son existence en termes de « mystère ». Döndrup Wangbum implique que Tashi Dawa présente une image du Tibet comme « autre » mystérieux, en tirant sa représentation littéraire vers l’exotisme. Ce faisant, il entre dans le cadre des représentations courantes du Tibet dans la littérature chinoise tout en répondant aux attentes des lecteurs occidentaux. (Citéin extenso par Steven J. Venturino, in Where is Tibet in World Literature, p. 6)

[7] Un personnage semblable de khampa en quête du meurtrier de son père se retrouve dans la nouvelle de Tsering Norbu (次仁罗布) « The Assassin » (《杀手》), mais là, le problème du meurtre pour venger le père est résolu par la compassion.

[8] La traduction en anglais (The Mysterious Years) fausse le sens en perpétuant l’image stéréotypée de mystère liée au Tibet.

[9] De la même manière, la nouvelle « Une âme ligotée par une corde de cuir » commence par une référence à la chanson populaire péruvienne El condor pasa, en faisant une analogie entre les hautes montagnes de la cordillère des Andes et celles du sud du Tibet.

[10] Duan Jinchuan est un documentariste indépendant basé à Pékin, voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Jiang_Yue.htm

[11] Sur Xie Fei et le film, voir : http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Xie_Fei.htm

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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