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Wang Xiaoni 王小妮

Présentation

par Brigitte Duzan, 15 mai 2016

 

Wang Xiaoni est une poétesse célèbre qui a fait partie du mouvement de la poésie « obscure » (menglongshi 朦胧诗) dans les années 1980. Mais elle n’a pas écrit que des poèmes : elle a en fait diversifié très tôt son écriture, et, dans les années 1990, a publié une dizaine de recueils d’essais, mais aussi deux romans et des nouvelles. Ce sont cependant des textes qui sont tout aussi poétiques que ses poèmes, et où l’on retrouve des caractéristiques stylistiques très semblables.

 

En 2014, elle a révisé onze de ses nouvelles, écrites et initialement publiées dans les deux dernières années de la décennie 1990 ; elles ont été éditées en un recueil intitulé « 1966 » (1966年》) : ce sont en effet des histoires qui se passent cette année-là. Cinquante ans plus tard, elles prennent un intérêt particulier.

 

Eléments biographiques

 

Wang Xiaoni

 

Wang Xiaoni est née en 1955 à Changchun, dans la province de Jilin (吉林长春), dans le nord-est de la Chine.

 

Elle avait onze ans au début de la Révolution culturelle, et elle en a passé une partie à la campagne. Elle a commencé à écrire des poèmes en 1974.

 

Avec sept poètes de l’université de Jilin, au début

des années 1980 : de g. à dr. (debout)

Zou Jin, Wang Xiaoni, Bai Guang, Xu Jingya, Lü Guipin / 邹进、王小妮、白光、徐敬亚、吕贵品/(assis) Liu Xiaobo,

Qu Youyuan, Lan Yaming/ 刘晓波、曲有源、兰亚明

 

A la réouverture des universités, en 1978, elle est admise à l’université de Jilin et elle en sort diplômée de littérature chinoise en 1982. Elle travaille ensuite comme rédactrice littéraire au studio de Changchun.

 

Rattachée au groupe des poètes « obscurs », elle épouse l’un des membres du groupe, le poète Xu Jingya (徐敬亚) et ils partent vivre à Shenzhen en 1985. Elle entre à la rédaction d’un journal de mode ainsi qu’à la société cinématographique Shenzhen Pictures. En 1988, elle devient membre de l’Association des écrivains.

 

La période est marquée par une multiplication des cercles et des mouvements de poésie, qui se reflète dans la grande exposition de poésie moderniste de 1986. L’exposition, justement, était sponsorisée par le Shenzhen Youth Daily (深圳青年报), édité et soutenu par un groupe d’anciens poètes et critiques du nord-est du groupe de Bei Dao (北岛) et Shu Ting (舒婷) autour de la revue Jintian (今天), dont Wang Xiaoni et son mari.

 

Le changement de lieu de résidence,

 

Avec son époux Xu Jingya (les époux poètes 诗坛伉俪)

cependant, marque un changement, aussi, dans le style de ses poèmes : un certain sentiment d’aliénation, de non appartenance, d’enfermement (peut-être due à sa nouvelle identité de mère et épouse au foyer). En 1992 et 1993, elle publie des poèmes dans le journal Fei Fei (非非) de Zhou Lunyou (周伦佑), un groupe du Sichuan en rupture de la tendance « obscure ». Wang Xiaoni devient un poète de premier plan, en développant une voix personnelle, surréaliste, mais surtout sensible et vulnérable.

 

Dans les années 1990, cependant, elle se fait aussi connaître comme auteur d’essais – sanwen et biji – poétiques et lyriques, mais aussi auteur de fiction, roman et nouvelles, qui ont la même tonalité.

 

Elle est aujourd’hui professeur à l’université de Hainan et vice-présidente de l’association des écrivains de Hainan.

 

Œuvres

 

Poésie d’abord

 

Something crosses my mind, 2015

 

Wang Xiaoni a publié son premier recueil de poésie en 1989, et plusieurs autres dans les années 1990.

 

Au début, ses poèmes ont pour thème la vie rurale. Ensuite, elle élargit sa vision, mais garde une fascination pour l’innocence et la simplicité de la vie à la campagne. Elle est particulièrement intéressée par les détails de la vie quotidienne et ses images sont tirées du monde autour d’elle. Sa langue est simple mais précise, et traduit la richesse de sa sensibilité et de ses sentiments intimes.

 

Sa poésie est relativement bien connue hors de Chine car elle a été amplement traduite en anglais, par la poétesse Pascale Petit, et par Eleanore Goodman qui a publié en 2015 une traduction d’un recueil initialement publié en chinois en 2008 : « Something Crosses My Mind »

(《有什么在我心里一过》). La traduction a été sélectionnée pour l’International Griffin Poetry Prize.

 

Sur la poésie de Wang Xiaoni : http://www.poetryinternationalweb.net/pi/site/poet/item/974/14/Wang-Xiaoni

 

Fiction

 

On connaît bien moins le reste de son œuvre, et en particulier ses nouvelles. L’une d’elles a été traduite en anglais, « The Great Typhoon », et fait partie du recueil « The Great Masque » [1] : elle a une atmosphère un rien surréaliste, avec un personnage qui loue un bureau pour deux jours, le temps de conclure un contrat que l’on devine douteux, le précédent locataire s’étant jeté par la fenêtre sans que l’on sache trop pourquoi, et ayant atterri devant un restaurant à la porte duquel se produisent deux hommes déguisés en lapin pour attirer la clientèle… la vie est fragmentée, chaque fragment connecté à un autre un bref instant, le temps d’une communication téléphonique, ou d’une rencontre manquée, et du coup le sens ultime de la vie est difficile à percevoir.

 

Son premier roman, publié en 1994, « Les hommes et les oiseaux volent bas » (《人鸟低飞》) est un texte intéressant sur la romancière Xiao Hong (萧红), écrit, entre réalité et fiction, en partie à la 1ère personne et en partie à la 3ème personne, comme une sorte de dialogue, entre deux femmes écrivains renommées, l’une racontant l’autre telle qu’elle la perçoit avec le recul du temps.

 

Près de dix ans plus tard, son second roman, « Dans un rayon de vingt kilomètres » (《方圆四十里》), raconte dans un style fragmenté l’histoire de jeunes instruits à la campagne, où la pauvreté et le manque d’espoir forcent à prendre des mesures cruelles pour survivre. 

 

Mais le plus intéressant de ses publications récentes est certainement le recueil de nouvelles « 1966 » (1966年》).

 

Il s’agit d’un recueil de récits se passant en 1966. Des histoires de gens ordinaires, un peu floues, dans une ville lambda, au cours de cette année spéciale. Rien n’est extraordinaire, des histoires du même genre se sont passées partout, sont arrivées à tout le monde, mais elles ont eu des conséquences dévastatrices, ont entraîné des changements irréversibles que personne ne pouvait maîtriser. Ce ne sont cependant pas des changements majeurs dans l’histoire, pas de questions de vie et de mort, plutôt des vicissitudes, des hauts et des bas, dans une zone grise dont les couleurs de la vie auraient été éteintes.

 

Wang Xiaoni a écrit une préface pour l’édition du recueil en 2014 ; elle y raconte la genèse des nouvelles, ses intentions en les écrivant :

 

   《1966年》前言    Préface de « 1966 »   

    1966年的模样,已经有很多人不了解,或者不准备了解,或者当它是一桩沉年旧事,感觉这一页早翻过去了。

    虽然,热衷于大历史的,始终还把它当做一个极特殊的年份,或褒或贬,我倒觉得它更像罗生门*,未来会持续出现新的无限的讲述空间。

Il y a déjà beaucoup de gens qui ne comprennent pas ce qu’a été l’année 1966, ou qui ne sont pas prêts à le comprendre, voire qui considèrent que cela appartient à un passé révolu et qu’il convient de tourner la page.

Bien que, pour les passionnés d’histoire, elle soit considérée comme une année très spéciale, appréciée avec autant d’éloges que de critiques, je pense que c’est finalement un cas à la Rashomon [2], et que l’avenir continuera à voir apparaître des débats sans fin la concernant.

     收在《1966年》里的11个短篇,是有关这一年的系列小说,写在1998-1999年间,这是第一次结集出版。刚刚用了一个月的时间,逐篇重新修改校订过。

Le présent recueil comporte onze récits courts en rapport avec cette année, écrits en 1998-1999, mais publiés pour la première fois ensemble, après avoir été révisés un à un pendant un mois.

     我想把1966年当做一个普通的年份来写,这涉及一种历史观。常常大事件临头,任何的个人和群体都被夹带裹挟,没人可能获得时空上的真正的洞穿力,即使一时的大获全胜者或某一瞬间里的自弃性命者,在本质上,这个人和那个人的区别大吗,时光渐渐推移,实在看着不大。[…]很少人问为什么,事情来了就是来了。任何的个人,对于下一秒钟他将面对什么,都茫然不知,遍看天下,无一例外。各种感受掺杂搅扭在一起,有人快乐,有人惊恐。今天还在快乐,很可能第二天就变成了最惊恐的一个。

Mon intention a été d’écrire ces nouvelles comme s’il s’agissait d’une année ordinaire, mais avec une certaine vision de l’histoire. Très souvent, à l’approche d’un grand épisode historique, individus et groupes sont emportés par le flot des événements, personne n’a l’acuité nécessaire pour percer la réalité des faits ; entre les vainqueurs et ceux qui, à un instant donné, se voient perdus, la différence, en fait, n’est pas grande ; avec le temps, tout évolue. […] Sur le moment, presque personne ne pose de questions, on se laisse porter par les événements, tels qu’ils arrivent. Personne ne peut savoir ce qui va lui arriver dans la seconde qui suit. Toutes sortes de sentiments se mêlent, rendant les uns joyeux, les autres effrayés. Et celui qui est joyeux aujourd’hui pourra fort bien demain être de ceux qui sont terrorisés.

     那一年我11岁,看见很多,听见很多。不知道父母去了什么地方,怕院外木栅栏上的大字报,[…]一听到喇叭声口号声,就跑到街上去看敲鼓,看演讲,看游街,看批斗,好像生活本来就应该是这样的。

Cette année-là, j’avais onze ans ; j’ai vu et entendu beaucoup de choses. Je ne savais pas où mes parents étaient partis et j’avais peur de l’affiche en gros caractères sur la barrière de bois, à l’extérieur de notre cour […]. Dès que j’entendais le son des trompettes et des slogans, je courais dans la rue voir défiler les tambours, écouter les discours, observer les gens paradés dans les rues et attaqués, il semblait normal qu’il en soit ainsi.

     11段短故事,写的是那一年里一座北方城市中最普通的人们,写了记忆中1966年特有的气味,声响,色彩,和不同人的心理。

     普通人的感受,最不可以被忽略和轻视。任何真实确切的感受,永远是纯个人的,无可替代的和最珍贵的,可能贯穿影响每一条短促生命的。

     希望这11段故事能留记那一年人世间的最末梢,并依此握有穿越时光的力量。

Ces onze histoires sont celles d’individus des plus ordinaires, dans une ville du nord, cette année-là ; je les ai écrites pour rendre l’atmosphère, sonore et colorée, de cette année 1966 telle que je la garde en mémoire, avec des personnages aux mentalités totalement différentes.

On ne peut absolument pas négliger ou mépriser les sentiments des gens ordinaires. Tout sentiment vrai et bien

 

Les hommes et les oiseaux volent bas

 (1994, réédition 2012)

 

Mon papier enveloppe le feu (1997)

 

A la main une fleur jaune (1997)

 

La moitié de moi-même souffre (2005)

 

Dans un rayon de vingt kilomètres

(édition 2012)

 

Notes de classe (2011)

 

1966 (édition 2014)

 

précis, dans sa pureté individuelle, est ce qu’il y a de plus précieux et ne peut avoir de substitut ; il peut transcender la brièveté de l’existence.

J’espère que ces onze récits permettront de préserver le souvenir d’un épisode éphémère de ce qui s’est passé dans le monde des hommes cette année-là, et qu’il sera suffisamment fort pour résister au temps.

2013年8月5 5 août 2013

 

Les onze récits :

1. Pouchkine est dans la chaudière 《普希金在锅炉里》

2. L’homme sorti de la cave aux choux 《钻出白菜窖的人》

3. Deux filles vont en ville voir un film 《两个姑娘进城看电影》

4. Les pommes de terre nouvelles sont arrivées en ville 《新土豆进城了》

5. Un message 《一个口信》

6. Sur la cheminée 《在烟囱上》

7. Micro et badge 《喇叭和像章》

8. Bégayer 《结巴》

9. La locomotive 《火车头》

10. Hirondelle, palourdes 《燕蛤蜊》

11. Jeu d’échecs 《棋盘》

 

 

Principales publications

 

Poèmes

 

Avec Tie Ning en février 2015

 

1989 Mes poèmes choisis 《我的诗选》

1997 Mon papier enveloppe mon feu 《我的纸里包着我的火》

2005 Une moitié de moi-même souffre 《半个我正在疼痛》

Décembre 2015 To Another World 致另一個世界

(court recueil publié en version bilingue dans le cadre des Nuits de la poésie de Hong Kong)

 

Traduction en anglais

2014 Something Crosses My Mind 《有什么在我心里一过》, tr. Eleanor Goodman, couverture par Xu Bing

Moonlight N° 1,2,3 《月光之一》 publié dans le journal Asymptote : http://www.asymptotejournal.com/

Traductions : http://leiden.dachs-archive.org/poetry/MD/Wang_Xiaoni_trans.pdf

 

Nouvelles

Nouvelles moyennes

1996 Très douloureux 《很疼》

2004 Un ouragan 《很大风》

Nouvelles courtes

Janvier 2014 : « 1966 » 1966年》 recueil de onze nouvelles

 

Romans

1994 Les hommes et les oiseaux volent bas 《人鸟低飞》

2003 Dans un rayon de vingt kilomètres 方圆四十里

 

Non fiction

1993 Chroniques : Fumées et poussières insensées 《浮躁的烟尘》

1996 Essais sanwen 散文: Exil à Shenzhen 《放逐深圳》 

1997 Essais suibi 随笔: A la main une fleur jaune 《手执一支黄花》

1998 trois recueils dont : Qui a la charge de nous mettre de bonne humeur 《谁负责给我们好心情》

2001 Essais sanwen 散文: Le papillon élevé chez nous 《家里养着蝴蝶》

2001 Essais : Comment expliquer que le monde soit si vaste 《世界何以辽阔》

2005-2007 : trois recueils d’essais suibi 随笔

Août 2007 : Nostalgie du nord 《一直向北》

Décembre 2007 Recueil de sanwen : Déposer 《安放》

Décembre 2009 Recueil de sanwen : Ecouter et raconter 《倾听与诉说》

Décembre 2011-Mai 2013 Notes de classe (en 2 volumes) 《上课记》 écrits de 2006 à 2010

Juillet 2012 Notes de voyage : Traces de pas chantantes

Avril 2015 Notes de voyage : En observant ce monde 《看看这世界》

 

A lire en complément

 

La neuvième nouvelle du recueil « 1966 » :

La locomotive 《火车头》

 

 

[1] The Great Masque and More Stories of Life in the City, préface de Wang Meng et introduction de Li Jingze, Foreign Languages Press, 2008. The Great Typhoon, pp 223-262.

[2] Rashomon : nouvelle adaptée au cinéma par Kurosawa en 1950, qui présente quatre versions différentes et contradictoires d’un crime.

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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